Thierry Brugvin
Thierry.brugvin@free.fr
Sociologue
LES LIMITES DE L’APPROCHE PAR L’ETHIQUE
Parmi les dispositifs du type des codes de conduite et les labels produits par les acteurs
pris, on distingue deux types de pratique, Le commerce éthique et le commerce équitable. Le
premier consiste essentiellement à garantir que les produits commercialisés ont bien été
produits par des travailleurs dont les conditions de travail et de salaires ont respecté certains
caracres éthiques, tels que les normes fondamentales du travail. néralement ce sont des
ETN qui sont principalement conceres. Tandis que le second, le commerce équitable, inclut
ces mes crires en y ajoutant d’autres plus raux, tels que la démocratie dans
l’entreprise, le soutien au petit producteur.... En revanche, la formulation de ces normes plus
nérales (telle la participation des salariés) et celles concernant les normes fondamentales du
travail s’arent souvent plus floues que dans les codes de conduite.
Parmi les critères imratifs élaborés par la plate-forme des associations françaises du
commerce équitable, figurent la qualité des produits, les relations durables avec le producteur,
etc... Parmi les crires de progs relativement “facultatifs il y a la participation, la non-
discrimination, l’élimination du travail des enfants, le développement durable, l’autonomie...
En revanche, certaines normes fondamentales du travail ne sont pas évoqes : la limitation du
temps de travail, le droit d’association et de gociation, la curité et l’hygne au travail. De
plus, leur définition reste relativement floue, dans la mesure où elles ne font pas référence aux
conventions de l’OIT.
Les démarches du commerce éthique et équitable s'arent relativement opposées dans leur
processus. Le commerce équitable cherche à velopper les petites structures de production
relevant généralement d’un cadre artisanal alors que le commerce éthique, lui, cherche à faire
respecter les conditions de travail dans les grandes entreprises. Le commerce éthique concerne
les salars, les lois nationales. De plus il s’inscrit généralement dans une marche plus
revendicative et plus politique, surtout lorsqu’il est init par les mouvements sociaux
transnationaux. En effet il est ralement complété par des campagnes visant à exercer des
pressions contre les ETN. Tandis que les associations du commerce équitable s’attaquent
rarement aux ETN et orientent leurs énergies dans les projets de veloppement locaux dans les
pays à bas salaires et vers la vente dans les pays industrialisés. Il reve plus des actions de
veloppement et de la sensibilisation des consommateurs.
Actuellement, l’approche de l’économie éthique se développe en prenant la forme de la
responsabilité sociale d’entreprise (RSE), J.Makover (1994)
1
, (Suchman MC, 1995)
2
,
(Freeman, 1984), (Fombrun C., Shanley M., 1990). Selon une étude du CREDOC (1996)
3
65%
des consommateurs achèteraient de prérence des articles offrant des garanties écologiques et
54% choisiraient des articles soutenant une cause humanitaire. Les consommateurs se révèlent,
en effet, de plus en plus sensibles à la dimension éthique des produits qu’ils achètent. C’est
pourquoi les distributeurs et les entreprises s’y intéressent de manre croissante. Car, en
l’absence de gulation des normes sociales par la sanction des organisations internationales
publiques au plan international, on peut considérer, d’une certaine manière, que les instruments
éthiques représentent une relative avane, au plan de la “responsabilité moraledes ETN. La
ratification des conventions internationales reve des Etats. Les ETN n’ont donc pas à les
signer. L’adoption d’un code mentionnant ces conventions engageait donc plus directement
leur responsabilité vis à vis des consommateurs et des citoyens.me si, bien évidemment, cet
engagement moral se révèle moins contraignant que des sanctions fortes exeres par un Etat.
On attend traditionnellement, des pouvoirs publics, un comportement ba sur l’éthique (la
mise en oeuvre de la justice sociale notamment) (Arnsperger, Van Parijs, 2000 : 6). Quant aux
activités des acteurs privés agissant au sein de l’économie de marc (particulièrement les
entreprises dans le secteur primaire et le secondaire), nombreux sont les o-liraux qui
s’interrogent sur le rôle social des entreprises. Pour certains d’entre eux, tel Milton Friedman
(1970 : 11),
4
peu d’évolution pourrait miner aussi profondément les fondations mes de
notre société libre, que l’acceptation par les dirigeants d’entreprise, d’une responsabilité sociale
autre que celle de faire le plus d’argent possible pour leurs actionnaires. C’est une doctrine
fondamentalement subversive. Pour les néo-libéraux, la responsabilité sociale des entreprises
(RSE) consiste-t-elle simplement à donner des repères éthiques aux acteurs du marc, afin de
ne pas laisser crtre l’intervention et les gles des pouvoirs publics? Pour les partisans de la
"social-démocratie", notamment serait-ce plutôt la mise en oeuvre de moyens d’actions, de
repères plus précis ou de nouvelles instances de régulation publique visant un développement
de l'économie respectueuse de la dimension sociale et de l’éthique?
Une des limites de la RSE est qu’elle analyse de manière trop peu difrenciée l’action des
différentes parties prenantes, c’est à dire la question de la séparation des pouvoirs et la
gitimité liée à la nature publique-privée des différents acteurs qui s’emparent de ces pouvoirs
1
MAKOVER J., Beyond the bottom line: Putting social responsiblity to work for your business and the world, Tilden
Press, 1994.
2
SUCHMAN MC “Managing legitimacy : strategic and institutional approaches”, Academy of Management Review,
n°20, 1995.
3
CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et les conditions de vie), La consommation éthique en France, 1996,
Lille.
4
FRIEDMAN Milton, “The Social Responsability of Buisiness is to Increase Their Profits”, New York Times Magasin,
13 septembre 1970.
de gulation. Dans l’action de mise en conformité de l’entreprise avec les valeurs, les normes
et les lois de la société, deux conceptions sont en présence : Celle de la régulation des normes
sociales par les pouvoirs publics, éventuellement en s’appuyant sur les acteurs privés et celle de
la responsabili sociale. Cette dernière véhicule une vision très normative, dans la mesure où
elle suppose que les entreprises ont un devoir de responsabili morale. Pour les partisans les
plus radicaux de l’Etat liral, tel Milton Friedman, l’entreprise ne devrait être responsable que
devant ses actionnaires. Pour les liraux plus modés, la mise en oeuvre de certaines gles
sociales est un minimum nécessaire à la pérennité à long terme du système capitaliste.
L’entreprise doit ainsi anticiper les besoins de la société et tenter d’y pondre de sa propre
initiative, sans qu’elle y ait systématiquement un intérêt économique, à court ou long terme.
Dans cet esprit “paternaliste liral”, les actions sociales des entreprises sont relativement
sinressées, elles ne visent pas directement à améliorer leur image ou à calmer les pressions
syndicales.
La notion de responsabili sociale d’entreprise (l’éthique d’entreprise) se fonde sur
l’hypotse que la dynamique interne, la gulation par les acteurs pris, si elles sont
suffisamment développées, peuvent supplanter la dynamique externe, la régulation publique (le
respect des valeurs et des normes par la loi) (Capron 2000
5
). Les partisans de l’Etat social, de la
régulation à dominante publique, n’adrent pas à cette approche. Ils estiment que, bien que la
RSE puisse être bénéfique, il paraît très insuffisant de laisser à la seule responsabili des
entreprises, lasolution des probmes sociaux (Gendron, 2002
6
; Faber, 1993
7
; Salmon,
2000). En effet, il est indispensable, selon eux, qu’un acteur indépendant et disposant de la
capaci de sanction, puisse en limiter les infractions. Dans cette perspective, l’idée d’une RSE
peut s’avérer néfaste, dans la mesure où elle hicule l’idée que dans le domaine des droits
sociaux, une autogulation des acteurs économiques privés est possible. Or, nous verrons par
la suite, à travers des exemples concrets, que les tentatives actuelles d'autorégulation, via les
codes de conduite dans le domaine des normes fondamentales du travail, s’avèrent relativement
inopérantes. Il y a donc, au moins deux sens au mot éthique : régulation des normes sociales
par les acteurs privés ou un renforcement du respect des normes sociales par les pouvoirs
publics (droits sociaux, droits du travail, lutte contre la corruption). Cette ambig ne permet
pas un bat ts clair. Comme dans lebat sur le sens et le rôle de la soc civile, les acteurs
politiques mondiaux dominants, en particulier les o-libéraux jouent de cette ambiguïté, pour
tenter de faire appliquer disctement leurs propres idées. C’est à dire une privatisation de la
régulation des entreprises.
5
CAPRON Michel, “Vous avez dit “éthique” ?”, Ethique et économie, Revue du Mauss, Paris, La Découverte /
MAUSS, 1er semestre 2000.
6
GENDRON Corinne, “Envisager la responsabilité sociale dans le cadre des régulations portées par les nouveaux
mouvements sociaux économiques”, Les cahiers de la Chaire Economie et Humanisme, Université du Québec à
Montréal (UQUAM), N° 01-2002,.
7
FABER Emmanuel, Main basse sur la cité, Ethique et entreprise, Pluriel Intervention, 1993.
Perret et Roustang soulignent une autre dimension stragique liée aux questions éthiques.
Lorsque le patronat cèle le risque d’un manque de mobilisation au processus de production,
il imagine des solutions éthiques. En effet, si les salariés sentent que leur travail participe à la
production du bien commun, ils sont plus motis. Les propositions éthiques ont notamment
pour objectif de remédier aux risques de baisse de la production, au sein de l’entreprise. C’est
le danger “d’unecuration de la vertu par le management” précisent-ils (Perret et Roustang,
1993)
8
. Bien longtemps auparavant, Adam Smith pourtant reconnu comme un des pères
fondateurs de la théorie libérale en économie, avait lui aussi mis en garde, sur les intentions
cachées du pouvoir économique, en écrivant:la proposition de toute nouvelle loi ou règlement
de commerce qui part de cet ordre (celui des marchands) doit toujours être écoue avec
beaucoup de précautions (...). Elle vient d’un ordre d’hommes dont l’intérêt n’est jamais
exactement le me que celui du public et qui, dans bien des occasions, n’a pas manq de le
tromper et de l’opprimer(Smith 1776)
9
. On peut donc se demander si la défense du droit est
compatible avec la fense de l’éthique? Avoir une démarche éthique, cela ne consiste-t-il pas
à anticiper sur des règles juridiques, qui ne sont pas encore créées ou pas encore sanctionnées?
Dans le cas des codes de conduite portant sur les conventions du travail les plus fondamentales
de l’OIT, il s’agit parfois d’une anticipation sur les signatures et la ratification des normes par
les Etats ou parfois cela se rapporte à la simple application des lois nationales dont les
tribunaux du pays ne sanctionnent pas suffisamment les infractions.
Laisser aux seules entreprises le monopole du discours sur l’éthique, c’est le risque de “la
négation du politique” affirme Salmon (2000 : 317)
10
. C’est en effet laisser à la seule
régulation par le marc, la pratique sociale et le discours, c’est le danger de l’abolition de
l’affrontement politique sur les conditions de la justice sociale (Perret, Roustang, 1993).
L’éthique, au sein de l’entreprise, c’est aussi le risque de l’absorption du bat mocratique,
sous “le simulacre du consensus por par une éthique duite à n’exprimer que des banalités”
estime Anne Salmon (2000 : 318). “La discussion sur la finalité de l’économie ne peut prendre
des formes démocratiques et faire l’objet d’un ritable bat de société qu’à la condition
qu’elle se situe dans un espace permettant de faire émerger et de prendre en compte la parole de
tous ceux qui ont le désir de participer à l’élaboration d’un nouveau projet de soc (Salmon
2000 : 297)”. En se saisissant de la question relative à la production de normes nouvelles, les
ONG et les syndicats cherchent ainsi à démocratiser la régulation de la dimension sociale
l’économie. Ils s’intéressent à la question éthique, entendent mettre en oeuvre conctement ce
qui reste un idéal éthique ou des discours sans pore concte sur la RSE, qui éludent les
8
PERRET B., ROUSTANG G., L’Economie contre la société. Affronter la crise de l’intégration sociale et culturelle,
Seuil, Paris, 1993.
9
SMITH Adam, Recherche sur la nature et les causes de la richesse, 1776.
10
SALMON Anne, “Réveil du souci éthique dans l’entreprise: le nouvel esprit du capitalisme?”, in Ethique et
économie, Revue du Mauss, Paris, La Découverte / MAUSS, 1er semestre 2000.
dimensions politique et juridique. Mais dans la mesure où les codes de conduite revent d'une
régulation par les acteurs pris, les mouvements sociaux transnationaux qui les utilisent
pourraient échouer et participer finalement à une orientation opposée à leur but initial.
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