ÉVOLUTION DE L’ OMME H Culture EN DEUX MOTS Comme chez tout être vivant, la sélection naturelle a privilégié chez l’homme les caractères lui permettant de survivre et de se reproduire dans un certain environnement. Dans cette vision, l’adaptation est seulement biologique. Or, l’homme modifie son environnement. Et ces transformations conduisent aussi à le faire évoluer. Le rôle de l’ensemble des changements environne- mentaux provoqués par la culture au sens large paraît aujourd’hui essentiel. Ils pourraient même être considérés comme les principaux artisans de l’évolution, après la sélection naturelle. culture autre moteur de l’évolution La L’homme a-t-il cessé d’évoluer ? En remodelant notre environnement, nous créons sans cesse des changements auxquels il nous faut nous adapter. Si l’invention de solutions culturelles suffisait, la sélection naturelle s’arrêterait, et nous cesserions d’évoluer génétiquement. Mais ce n’est pas toujours le cas… Kevin N. Laland enseigne à l’université de St Andrews, en Écosse. [email protected] Isabelle Coolen est ingénieur de recherche au CNRS, à l’institut de recherche sur la biologie de l’insecte, à Tours. icoolen @yakcommunication.com 52 LA RECHERCHE | JUILLET- AOÛT D epuis Darwin, l’évolution est dépeinte comme l’œuvre de la sélection naturelle qui sculpte les organismes pour les adapter à leur environnement. Ainsi, les climats arides sélectionnent les animaux capables de réguler leur chaleur, dotés par exemple de grandes oreilles ou d’une aptitude à haleter. Mais, quelle que soit la taille de ses oreilles, ou le rythme de ses halètements, un animal n’influencera jamais la température locale de façon significative. L’environnement détermine les formes de vie, rarement le contraire. C’est du moins la vision conventionnelle. Pourtant, nous savons tous que les êtres vivants modifient leur environnement. Les oiseaux fabriquent des nids, les araignées tissent des toiles, les castors construisent des barrages. À une échelle plus globale, les plantes changent les niveaux de concentration des gaz atmosphériques et modifient les cycles des éléments nutritifs. Les champignons décomposent la matière organique. Même les 2004 | Nº 377 bactéries modifient leur environnement, via la décomposition ou la fixation de nutriments. Dans cette logique, tous les êtres vivants, par leur métabolisme, leurs activités et leurs choix créent en partie, et détruisent en partie, leur propre niche écologique. On désigne cet ensemble de comportements et leurs conséquences par le terme de « construction de niche ». À y regarder de plus près, il apparaît que la construction de niche a de nombreuses implications fondamentales jusqu’ici négligées par la biologie évolutionniste et les disciplines qui lui sont liées. Elle serait ainsi bien plus qu’un simple facteur « renforçant » la sélection naturelle. Lancée par le biologiste évolutionniste de Harvard, Richard Lewontin, dans les années quatre-vingt [1], cette vision représente une tendance montante. Récemment, John Odling-Smee, de l’université d’Oxford, Marcus Feldman, de l’université de Stanford, et l’un d’entre nous (Kevin N. Laland) l’ont développée dans Niche Construction, le premier ouvrage publié sur le sujet [2]. UNE FAMILLE MONGOLE, À OULAN-BATOR. Dans le cadre d’un projet intitulé « 8 jours en famille », des foyers du monde entier ont accepté de poser devant l’objectif de différents photographes avec les objets essentiels de leur quotidien. Ce reportage illustre particulièrement bien comment l’homme a apprivoisé la planète et s’est construit des niches culturelles dans les endroits les plus divers. © PETER MENZEL/COSMOS L’accent est mis sur le fait que les organismes ne sont pas passifs. Ils n’attendent pas tranquillement que la sélection naturelle les élimine, mais choisissent ou se construisent un environnement plus favorable. Celui-ci doit donc être vu comme changeant et évoluant de conserve avec ces organismes, sur lesquels il exerce à son tour une pression sélective. Cette optique force à repenser les processus moteurs de l’évolution : la construction de niche en est un, au même titre que la sélection naturelle. Ce n’est nulle part aussi évident et important que chez l’homme. L’être humain est sans aucun doute le champion des constructeurs de niche. Aucune autre espèce ne domine la Terre comme nous le faisons. Grâce à l’ingénierie et à la technologie, nous avons apprivoisé la planète, apportant la lumière où il n’y en a pas, la chaleur où il fait froid, l’eau dans le désert. Nous pouvons aujourd’hui vivre dans une diversité fantastique d’habitats. Les humains sont en effet tout aussi bien chez eux dans la cuisante savane africaine à mener une vie de chasseurs Les organismes n’attendent pas cueilleurs, dans le froid arctique à pêcher du poisson et des phoques, tranquillement que la sélection naturelle les élimine, ils ou dans les villes. C’est en grande partie notre pré- adaptent leur environnement disposition pour la culture qui fait de nous de tels constructeurs de niche. Par « culture », nous n’entendons pas l’art ou la musi- [1] R.C. Lewontin, « Gene, organism and environment », que, mais plus largement l’aptitude très humaine à acquérir dans D.S. Bendall (dir.), et à transmettre des savoirs et des compétences, et à concevoir Evolution from Molecules des solutions toujours plus efficaces à des problèmes en tirant to Men, Cambridge University Press, 1983. profit de ce réservoir commun de connaissances. Certes, d’autres animaux possèdent vraisemblablement [2] F.J. Odling-Smee, K.N. Laland et M.W. Feldman, des « traditions » concernant des aliments ou des chants « Niche construction. particuliers. Par exemple, les chimpanzés se servent de The neglected process bâtons comme outil pour attraper des termites, et les in evolution », monographies dans Population Biology, 37, pinsons ont des chants qui tiennent du « dialecte » vocal. Princeton University Press, Cependant, en comparaison, les processus culturels 2003. Nº 377 | JUILLET-AOÛT 2004 | LA RECHERCHE 53 ÉVOLUTION DE L’ OMME H Culture humains sont exceptionnellement puissants, probablement parce que la culture, chez les autres animaux, n’a pas cette propriété cumulative, du moins pas dans cette mesure. Les mathématiques, la physique et la mécanique ne seraient vraisemblablement pas ce qu’elles sont aujourd’hui sans les travaux d’Archimède, même si ceux-ci datent de plus de deux mille ans. À chaque avancée technologique, l’homme résout un problème mais lance aussi de nouveaux défis aux générations suivantes. À cet égard, l’évolution humaine est unique : la construction de niche la conduit et la dirige bien plus que chez les autres espèces. Transmission des savoirs Mais comment expliquer une telle propension à la culture chez l’homme ? Un indice réside dans le mode de transmission des savoirs. Chez les animaux, les « traditions » se transmettent principalement au sein d’une même génération, alors que les hommes semblent apprendre beaucoup des générations précédentes [3]. Cela suggère que la lignée conduisant à Homo sapiens a été sélectionnée parce qu’elle utilisait de plus en plus le savoir des aînés. Dans les années quatre-vingt, les biologistes et mathématiciens américains Robert Boyd et Peter Richerson ont exploré les circonstances dans lesquelles la sélection naturelle devait favoriser différentes formes de transmission d’informations [4]. Selon ces modèles, une tendance vers une augmentation de cette transmission de culture d’une génération à l’autre va de pair avec une plus grande constance de l’environnement. Une conclusion assez déconcertante à première vue, puisqu’il n’existe aucune preuve d’une stabilité accrue des écosystèmes au cours des derniers millions d’années. Mais l’énigme disparaît dès que l’on admet que les êtres humains peuvent façonner cette stabilité environnementale. Cela leur confère une plus grande faculté que les autres organismes à construire les conditions qui favorisent la sélection de la culture [5]. Par exemple, certains usages réguliers (comme la capture de gibier, le stockage de réserves de nourriture ou la construction d’abris) atténuent les variations naturelles des ressources vitales et des conditions de vie en général. Elles assurent ainsi que l’héritage culturel demeure utile de génération en génération. FAMILLE RUSSE, à Suzdal. [4] R. Boyd et P.J. Richerson, Culture and the Evolutionary Process, University of Chicago Press, 1985. [5] K.N Laland et al., Behavioral and Brain Sciences, 23, 131, 2000. 54 LA RECHERCHE | JUILLET- AOÛT 2004 | © LOUIE PSIHOYOS/COSMOS [3] B.G. Jr. Galef, dans T.R. Zentall et B.G. Galef Jr (dir.), Social Learning : Psychological and Biological Perspectives, Erlbaum, 1988 ; L.L. Cavalli-Sforza et al., Science, 218, 19, 1982 ; R. Aunger, Ethos, 28, 1, 2000. ��������������������� � ������� �������������� ����������������������� � � ����� � QUELS SONT, CHEZ L’HOMME, LES EFFETS DES ADAPTATIONS LIÉES À LA CULTURE ? Prenons comme point de départ une nouvelle modification culturelle . Cette construction de niche peut modifier l’environnement . À son tour, cet environnement transformé peut conduire à une sélection culturelle , c’est-à-dire forcer la population à adopter ������������ � des pratiques plus fonctionnelles dans ces nouvelles conditions, ����������� �� ����� ou à développer de nouvelles technologies. Si ces solutions sont � �������� satisfaisantes, on reste dans la boucle 1 (en jaune, ). À leur � ���������� ���������� tour, ces changements culturels peuvent entretenir ou entraîner une nouvelle construction de niche, et on recommence ainsi la boucle. En revanche, si les réponses culturelles n’existent pas, ne sont pas suffisantes ou pas assez rapides , les modifications de l’environnement se poursuivent : la sélection naturelle opère �������� , et les adaptations génétiques peuvent survenir . C’est la � boucle 2 (en rouge). Dans certains cas (en gris), l’adaptation biologique peut aussi influencer les processus culturels . ������������������� � La spécificité la plus importante de l’évolution humaine tient au fait que culture et construction de niche se renforcent mutuellement : la culture qui se transmet entre générations modifie l’environnement dans un sens qui la favorise toujours plus. La construction de niche, qui se sert de ces savoirs, devient donc de plus en plus puissante. Il ne s’agit pas là d’une simple spéculation. Pour l’établir, l’un d’entre nous (Kevin N. Laland) et ses collègues ont mis au point un ensemble de modèles mathématiques appliqués à la génétique des populations [6]. Les résultats montrent que la « construction culturelle de niche » provoque des boucles de rétroaction. Comment fonctionnent-elles ? Nous classons ces boucles de rétroaction en deux grandes catégories [fig. 1]. La première implique des processus purement culturels. Supposons, par exemple, que les hommes modifient leur environnement en le polluant. Cette pollution peut stimuler l’invention et le développement d’une nouvelle technologie pour faire face à la contamination. Quand cette adaptation technologique suffit à contrecarrer le changement environnemental, la boucle reste confinée au domaine culturel et n’a pas de conséquences génétiques. Il n’y a donc pas de sélection naturelle et pas d’évolution. Si c’était la seule voie de réponse pour les hommes, l’évolution humaine s’arrêterait. Culture insuffisante Mais ce n’est pas le cas. Parfois, les réponses uniquement culturelles ne suffisent pas. Une deuxième boucle de rétroaction met alors en œuvre à la fois les processus culturels et génétiques. Restons sur l’exemple de la pollution : imaginons qu’il n’y ait pas de technologie disponible pour la contrer, ou que cette technologie existe mais soit trop onéreuse pour être exploitée, ou simplement que les hommes n’aient pas conscience de l’impact de leurs activités sur l’environnement. Si une telle situation perdure pendant suffisamment de générations, les génotypes les mieux adaptés à ces environnements culturellement modifiés augmenteront dans la population : la sélection naturelle est à l’œuvre, et l’espèce évolue. Dans certains cas, cette deuxième voie peut aussi avoir des ������������������������������� Fig.1 Effets en boucle © INFOGRAPHIE ; SYLVIE DESSERT conséquences sur les processus culturels eux-mêmes. En * L’allèle désigne général, quand la construction culturelle de niche modifie chacune des diverses la sélection naturelle, les allèles* favorisés n’ont vraisem- formes possibles d’un gène. blablement pas ou peu d’influence directe sur l’expression Les allèles occupent de la culture humaine elle-même. Cependant, à certaines la même position périodes de l’évolution humaine, la construction de niche sur des chromosomes culturelle pourrait avoir modifié la sélection naturelle et homologues conduit à des adaptations génétiques, qui ont affecté à leur et gouvernent une même fonction. tour notre culture. Le modèle de coévolution du langage et du cerveau humain proposé par Terrence Deacon, de l’université de Berkeley, en est un exemple. Selon lui, la structure du langage a dû se développer en un long processus au cours duquel le cerveau et différents aspects du langage ont exercé des pressions de sélection les uns sur les autres [7]. Les premières Pour traverser les océans, formes de pensée symbolique ont les hommes ne se sont créé un nouvel environnement pas adaptés biologiquement : culturel auquel le cerveau a dû ils ont construit des bateaux s’adapter. Et vice versa. Ces rétroactions peuvent avoir des effets qualitativement très différents, laissant par conséquent des empreintes bien distinctes. Par exemple, de la première boucle on peut s’attendre à des « signatures culturelles » sous forme de changements que seule une construction culturelle de niche antérieure peut expliquer ; sans même nécessairement passer par une modification de l’environnement. L’apparition de la pêche, il y a environ 50 000 ans, en est un exemple. Elle a probablement requis l’invention et la fabrication, préalable ou [6] K.N. Laland et al., simultanée, d’instruments comme les filets ou les hameçons J. Ev. Biol., 14, 22, 2001. et, plus tard, il y a 12 000 ans environ, de flèches à structure [7] T. Deacon, The Symbolic crantée vraisemblablement utilisées comme harpons [8]. Pour Species : the Co-Evolution Language and the Brain, les archéologues, ces outils sont des signes culturels de l’acti- of W.W. Norton & Co, New York vité de pêche. L’arrivée des humains en Australie par la mer et Londres, 1997. entre – 60 000 et – 40 000 ans est un autre exemple. Ils ont dû [8] R.G. Klein, The Human apprendre, avant, à construire des bateaux. Career : Human Dans ces exemples, nos ancêtres n’ont pas développé d’adap- Biological and Cultural Origins (deuxième édition), tation biologique, ni pour trouver plus de nourriture ni pour University of Chicago Press, traverser de grandes étendues d’eau, parce qu’ils ont 1999. Nº 377 | JUILLET-AOÛT 2004 | LA RECHERCHE 55 ÉVOLUTION DE L’ OMME H © PETER MENZEL/COSMOS Culture trouvé des solutions culturelles. En revanche, dans le cas celles qui n’ont pas développé cette pratique. Des analyses de la deuxième boucle, on peut s’attendre à des signatures comparatives récentes ont révélé que l’élevage laitier est génétiques. Elles devraient correspondre à des changements apparu avant le développement de ces gènes. C’est donc de fréquence d’allèles dans la population humaine, ou éven- presque certainement cette pratique qui a créé la pression tuellement chez d’autres espèces, qui s’expliquent seulement de sélection les ayant favorisés, et non l’inverse [10]. Ces par une modification de la pression de sélection due à une gènes semblent donc constituer une signature génétique d’une expérience de construction de niche : la production * L’anémie falciforme construction culturelle de niche. L’agriculture fournit plusieurs exemples de ce type. Ainsi, laitière. est une variété d’anémie chronique en Afrique de l’Ouest, pour cultiver de l’igname, certaines Un troisième type d’interactions survient si une réponse due à une anomalie populations de langue kwa ouvrent des clairières dans la génétique à une construction culturelle de niche influence congénitale forêt tropicale humide [9]. Cela directement les capacités d’une de l’hémoglobine, déclenche tout un ensemble d’effets Dans les pays où la production population à développer des fréquente en Afrique. en cascade : les clairières augmenréponses culturelles. Dans ce Les globules rouges sont alors déformés tent la quantité d’eau stagnante, un laitière a été développée, cas, les deux signatures, généen forme de faucille. terrain propice au développement les génotypes tolérants tique et culturelle, peuvent être des moustiques, ceux porteurs de au lactose ont été sélectionnés associées. * Hétérozygote la malaria entre autres. La prévaPrenons l’exemple étudié par qualifie un individu lence de cette maladie croît. La Leslie Aiello et Peter Wheeler [11]. possédant des allèles différents sur ses sélection naturelle favorise alors dans le génome humain Ces chercheurs ont noté que la diminution de la taille des deux chromosomes l’allèle S, l’un de ceux associés à l’anémie falciforme*, car intestins chez les hominidés coïncidait avec l’augmentahomologues. cet allèle confère une certaine protection contre la malaria tion du volume du cerveau. Ils suggèrent que les pratiques chez les porteurs hétérozygotes*. Dans ce cas, la culture n’a culturelles, telles la chasse ou la consommation de chapas atténué la sélection naturelle mais l’a plutôt provoquée. rognes, ont conduit à favoriser le régime carné et rendu Le fait que d’autres populations kwa, dont les pratiques agri- inutiles les longs intestins associés au régime herbivore. coles diffèrent, ne connaissent pas la même augmentation de L’énergie ainsi économisée a pu être consacrée à la fabrifréquence de l’allèle S cation de matière cérébrale. Un néocortex plus important appuie l’idée selon a probablement permis aux hominidés d’inventer de noulaquelle les pratiques veaux procédés plus perfectionnés comme la cuisson des culturelles humaines aliments, favorisant elle-même la réduction des intestins sont un moteur de et, parallèlement, le développement du cerveau. l’évolution humaine. Autre exemple : celui Résistance aux antibiotiques de la tolérance au lac- Un autre exemple d’interaction entre réponses culturelle tose chez l’adulte. et génétique existe en recherche médicale, avec des conséLa proportion sur le quences préoccupantes. La découverte de la pénicilline Globe d’adultes que par Alexander Fleming et le développement des antibiola consommation de tiques, une avancée considérable contre une large gamme produits laitiers ne de maladies, ont eux-mêmes=engendré de nouveaux rend pas malades et défis. Des souches « supermutantes » de ces maladies, qui la fréquence des gènes résistent à 80 % des antibiotiques utilisés dans les hôpiassociés à cette tolé- taux, sont apparues. Apparition qui lance une nouvelle rance varient forte- course aux armes « évolutives » – pas seulement entre ment avec le déve- nous et les bactéries, mais aussi entre nos propres réponloppement de la ses culturelles et biologiques. Si les recherches médicales production laitière. échouent dans leur quête d’une nouvelle famille d’antiLa fréquence des gènes biotiques, les seuls humains qui subsisteront seront ceux qui permettent l’ab- dotés d’une résistance naturelle à ces « supermutants ». De sorption du lactose même, en Afrique, certaines prostituées qui ne montrent chez l’adulte est de aucun symptôme du sida, bien qu’ayant été en contacts 90 % pour les popu- réguliers avec des clients infectés, semblent résistantes au lations qui fabri- HIV. Jusqu’à la mise au point d’un traitement efficace quent des produits de la maladie ou d’un vaccin (boucle 1), tout génotype laitiers de longue résistant augmentera en fréquence (boucle 2). date. Elle est infé- Bactéries et autres micro-organismes mis à part, la pluFAMILLE MALIENNE, à Kouakourou. rieure à 20 % pour part des créatures vivantes ne peuvent se maintenir face 56 LA RECHERCHE | JUILLET- AOÛT 2004 | Nº 377 © PETER MENZEL/COSMOS FAMILLE THAÏLANDAISE, à Ban Muang Wa. au rythme frénétique des constructions de niches humaines. Nos propres activités peuvent nous causer sans fin de nouveaux problèmes. Mais au moins avons-nous les moyens de réagir vite. Ce n’est pas le cas des innombrables organismes dont nous avons bouleversé l’univers. Les pandas et les tamarins lions (petits singes des forêts tropicales) dont on a détruit l’habitat n’ont pas la possibilité de planter des forêts de bambous ou de fabriquer des arbres en plastique. Il n’y a rien d’inhabituel à ce qu’une espèce concurrence une autre pour des ressources vitales, mais la construction de niche humaine a conduit à l’extinction de nos espèces compagnes à une cadence sans précédent. L’homme de Neandertal en a probablement aussi fait les frais, ne possédant pas la capacité d’adaptation culturelle suffisante pour relever les défis lancés par « Homo nicheconstructus ». Puissance fatale ? D’où la sinistre question : l’homme peut-il provoquer sa propre fin ? Il y a deux raisons de penser que c’est une éventualité. Premièrement, la culture augmente aussi fortement l’aptitude à la destruction de niche, illustrée de manière alarmante par nos guerres de « haute technologie ». Deuxiè- mement, les adaptations culturelles pouvant aller bien plus vite que les adaptations génétiques, elles pourraient lancer de nouveaux défis environnementaux auxquels les processus génétiques n’auront pas le temps de répondre. Pour échapper à une telle autodestruction, le plus réaliste est de s’adapter rapidement à un changement d’environnement culturel par un autre changement du même type. Mais cette solution n’est pas non plus sans poser de problèmes. Tout d’abord, une population humaine peut ne pas reconnaître l’origine culturelle d’une pression de sélection et, par conséquent, ne rien faire pour tenter de la contrer. Ce fut le cas des populations Fore en Nouvelle-Guinée Papouasie, qui ont maintenu leur tradition de cannibalisme alors que se transmettait ainsi la maladie mortelle du kuru, une encéphalopathie. Ensuite, on l’a vu, la solution technologique pour s’adapter peut ne pas être disponible ou simplement être trop coûteuse. Enfin, répondre à un changement culturel par un autre risque de nous entraîner dans une boucle sans fin dans laquelle une nouvelle solution crée un autre problème à un rythme toujours plus rapide. On l’aura compris, la construction culturelle de niche est si puissante qu’elle pourrait malheureusement nous être fatale. K.N. L. et I. C. Nº [9] W.H. Durham, Coevolution : Genes, Culture and Human Diversity, Stanford University Press, 1991. [10] C. Holden et R. Mace, Human Biology, 69, 605, 1997. [11] L.C. Aiello et P. Wheeler, Current Anthropology, 36, 199, 1995. POUR EN SAVOIR PLUS www. nicheconstruction.com 377 | JUILLET-AOÛT 2004 | LA RECHERCHE 57