
  La  décroissance  ne  signifie  pas  une  régression  du  bien-être.  La  plupart  des  sagesses 
considéraient que le bonheur se réalisait dans la satisfaction d’un nombre judicieusement limité 
de  besoins.  L’évolution  et  la  croissance  lente  des  sociétés  anciennes  s’intégraient  dans  une 
reproduction élargie bien tempérée, toujours adaptée aux contraintes naturelles. C’est parce que 
la société vernaculaire a adapté son mode de vie à son environnement qu’elle est durable, et parce 
que la société industrielle s’est au contraire efforcée d’adapter son environnement à son mode de 
vie  qu’elle  ne  peut  espérer  survivre.  Aménager  la  croissance  signifie  renoncer  à  l’imaginaire 
économique, à la croyance que plus égale mieux. 
Le  bien  et  le  bonheur  peuvent  s’accomplir  à  moindre  frais.  Redécouvrir  la  vraie  richesse  dans 
l’épanouissement  de relations  sociales  conviviales  à  l’intérieur  d’un monde  sain  peut  se  réaliser 
avec  sérénité  en  pratiquant  la  frugalité,  la  sobriété  voire  une  certaine  austérité  dans  la 
consommation  matérielle,  bref,  ce  que  certains  ont  préconisé  sous  le  slogan  gandhien  de 
« simplicité volontaire ». 
 Après  avoir  pris  conscience  des  méfaits  du  développement,  il  s’agit  d’aspirer  à  une 
meilleure  qualité  de  vie.  Nous  entendons  réclamer  le  progrès  de  la  beauté  des  villes  et  des 
paysages, le progrès de la pureté des nappes phréatiques qui nous fournissent l’eau potable, de la 
transparence  des rivières et de  la santé  des océans,  exiger une amélioration de l’air que  nous 
respirons, de la saveur des aliments que nous mangeons. Il y a encore bien des perfectionnements 
à apporter pour lutter contre l’invasion du bruit, pour accroître les espaces verts, pour préserver 
la  faune  et  la  flore sauvage, pour sauver  le  patrimoine  naturel  et  culturel  de  l’humanité,  sans 
parler des avancées à faire dans le domaine de la démocratie. En ce qui concerne les pays du Sud, 
touchés de plein fouet par les conséquences négatives de la croissance du Nord, il s’agit moins de 
décroître que de renouer le fil de leur histoire rompu par la colonisation, l’impérialisme et le néo-
impérialisme militaire, politique, économique et culturel, pour se réapproprier leur identité. C’est 
la condition pour qu’ils soient en mesure d’apporter à leurs problèmes les solutions appropriées. Il 
peut  être  judicieux  pour  eux  de  réduire  la  production  de  certaines  cultures  spéculatives 
destinées à l’exportation (café, cacao, arachide, coton), mais aussi ces nouvelles cultures de luxe 
(fleurs,  fruits  et  légumes  de  contre-saison,  crevettes)  comme  il  peut  s’avérer  nécessaire 
d’accroître  celle  des  cultures  vivrières.  On  peut  songer  aussi  à  renoncer  à  l’agriculture 
productiviste  comme  au  Nord  pour  reconstituer  les  sols  et  les  qualités  nutritionnelles.  Sans 
doute, sera-t-il nécessaire d’entreprendre des réformes agraires, de réhabiliter l’artisanat qui 
s’est réfugié dans l’informel. Il appartient aux peuples du Sud de préciser quel sens peut prendre 
pour eux la construction de l’après-développement. 
 
 
LE LOCALISME 
 L’économie mondiale a exclu des campagnes des millions et des millions de personnes, elle 
a détruit leur mode de vie ancestrale, supprimé leurs moyens de subsistance, pour les jeter et les 
agglutiner  dans  les  bidons-villes  et  les  banlieues  du  tiers-monde.  Ce  sont  les  « naufragés  du 
développement ».  Ces  laissés-pour-compte,  condamnés  dans  la  logique  dominante  à  disparaître, 
n’ont d’autre choix pour survivre que de s’organiser selon une autre logique. Ils doivent inventer, 
et certains au moins inventent effectivement un autre système, une autre vie. On a repéré cette 
alternative sous le nom d’économie informelle. Toutefois, dans l’informel qui nous intéresse ici, on 
n’est pas dans une économie, même autre, on est dans une autre société. L’économique n’est pas 
autonomisé  en  tant  que  tel.  Il  est  dissous,  incorporé  dans  le  social  et  en  particulier  dans  les 
réseaux complexes qui structurent les cités populaires de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle 
le  terme  de  « société  vernaculaire »  est  plus  approprié  pour parler  de  cette réalité  que  celui 
« d’économie  informelle ».  Il  s’agit  avant  tout  des  façons  dont  les  « naufragés  du 
développement » produisent et reproduisent leur vie, hors du champ officiel, par des stratégies 
relationnelles.  Ces  stratégies  incorporent  toutes  sortes  d’activités  « économiques »,  mais  ces