LA QUESTION FLAMANDE. N.B. Les termes employés n`ont pas

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LA QUESTION FLAMANDE.
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N.B. Les termes employés n’ont pas toujours recouvert les mêmes réalités. Ainsi Flandre (au
singulier ou au pluriel) et flamand s’appliquent généralement, jusqu’à la Révolution
française et même au-delà, à l’ensemble de nos régions du fait que le comté de Flandre est
apparu le premier comme la région la plus riche et la plus rayonnante aux plans matériel et
culturel. Quant au mot flamingant, il servait tout simplement, et sans la moindre acception
militante ou péjorative, à qualifier les régions du comté de Flandre (et en particulier les parties
conquises par Louis XIV) où l’on parlait le flamand. De nos jours, si l’on veut éviter autant
que possible l’équivoque et la récupération politique, il vaut mieux parler de pays flamand que
de Flandre, surtout pour les Flamands qui n’habitent pas une des deux provinces belges de ce
nom.
I. LES ANTECEDENTS JUSQUE 1834.
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A. Aux origines : la répartition des parlers en Belgique aux débuts du Moyen Age ; formation
progressive de la frontière linguistique (IVe - VIIIe siècle).
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1. Une romanisation moindre.
Suite à la conquête de la Gaule par les Romains (58-50 av.J.C. ; Jules César), les tribus
belges (arrivées vers 300 av.J.C. avec la dernière vague des migrations celtiques d’est en
ouest) - déjà en partie mêlées à des éléments germaniques intégrés en cours de route - se
sont peu à peu romanisées, surtout au niveau des élites (administration, justice, commerce,
théâtre, écoles…). Ce mouvement de romanisation, déjà moins puissant dans les régions
septentrionales éloignées de Rome (France au nord de la Loire, Belgique, sud de
l’Allemagne), a eu beaucoup moins d’impact dans le nord de nos régions, un territoire assez
inhospitalier (terres marécageuses et inondables des deux Flandres, lande de Campine) où
la population gallo-romaine était moins nombreuse.
2. Une germanisation plus intense.
Sur ces régions éloignées situées aux extrémités nord-ouest de l’Empire romain, les tribus
germaniques contenues de l’autre côté (rive droite) du Rhin exerçaient depuis longtemps une
forte pression. C’est ainsi qu’on assistera à des infiltrations plus ou moins pacifiques, à
des installations légales (Francs saliens établis en 358 par Julien l’Apostat comme colonssoldats en Taxandrie - Campine anversoise et limbourgeoise) puis - vers 406, en
contrecoup de la pression des peuples fuyant les Huns - à des invasions. Celles-ci seront,
pour ce qui nous concerne, essentiellement le fait :
- à l’est, des Francs ripuaires (précédemment établis sur les rives du Rhin moyen), à
l’origine de la langue allemande ;
- au nord, des Francs saliens (venus de la région de l’Yssel, où ils avaient envahi les deltas
de la Meuse et du Rhin) - à l’origine du flamand - ;
- au nord-ouest, de pirates saxons et frisons débarqués plus tard (fin Ve s. ?) sur le
littoral de la mer du Nord.
En s’installant à demeure dans nos régions, les peuplades germaniques venues de l’est et du
nord vont peupler massivement ces contrées, alors que plus à l’ouest et au sud elles se
trouveront confrontées à des populations autochtones (Gallo-Romains) plus nombreuses ;
c’est ainsi que dans le sud l’élément germanique, minoritaire, va - tout en jouant un rôle
non négligeable - s’intégrer et se fondre (aux plans démographique, culturel et linguistique),
alors qu’il va s’imposer dans le nord.
N.B. Outre le facteur démographique, on peut relever le rôle joué - dans une moindre
mesure et avec moins de certitude - par la route stratégique Bavai-Cologne, dont les
éléments défensifs (fortins) ont pu être dissuasifs pour les envahisseurs.
3. L’action de l’Eglise.
La limite linguistique qui s’est ainsi petit à petit mise en place se modifiera encore quelque
peu dans les siècles suivants, et cela par suite de l’action de l’Eglise : mouvement missionnaire d’évangélisation, création d’abbayes, implantation ou déménagement de sièges
épiscopaux.
- à l’ouest (nord de la France actuelle), la limite va se relever vers le nord au profit des
parlers romans. Ce processus doit avoir été influencé par l’établissement d’évêchés à
Arras (vers 400), à Tournai (vers 500) et à Cambrai (vers 580), de même que par
l’évangélisation venant de la Gaule romaine.
- à l’est au contraire (Limbourg actuel), la limite va descendre vers le sud au profit des
parlers germaniques. On relèvera ici le transfert, vers 715, du siège épiscopal de
Maestricht (où il avait été établi en 535, en provenance de Tongres créé vers 350) vers
Liège.
On notera qu’à la fin du IXe siècle, le Comté de Flandre ne formait nullement un tout ethniquement ni
linguistiquement homogène : les habitants y parlaient des dialectes soit romans soit germaniques, et ils
descendaient de tribus différentes - franques, saxonnes ou frisonnes, voire celtiques -, plus ou moins
mélangées selon les endroits. D’autre part, la limite linguistique lentement formée au cours des premiers
siècles du Moyen Age n’a jamais, avant le XXe siècle, coïncidé avec les limites de circonscriptions
administratives ou judiciaires, pas plus qu’elle n’a été désignée sous le nom (admis par extension mais
quelque peu excessif) de frontière. Son existence et son tracé - un peu faussé par endroits pour des raisons
bassement électorales par certains partis politiques de l’époque - ont été consacrés par la Loi en 1932
seulement.
B. L’absence de problème jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
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Au Moyen Age et aux Temps modernes, l’essor d’un militantisme culturel ou politique
flamand - comme, d’ailleurs, wallon - était impensable, et cela pour plusieurs raisons.
1. Le facteur linguistique.
Dans nos régions, au nord comme au sud, on parle des dialectes variés ; il n’existe aucune
unité. Le morcellement politique qui les a longtemps affectées explique en outre que toutes
nos principautés étaient bilingues (et même trilingue pour la Principauté de Liège, qui
englobait le comté de Looz, équivalent, en gros, du Limbourg actuel), à la seule exception du
Comté de Namur.
De plus, jamais, sous l’Ancien Régime, les circonscriptions politiques et administratives
officielles n’ont coïncidé, on l’a vu, avec des délimitations linguistiques.
La seule langue normalisée (c’est-à-dire régie par des normes fixes et invariables d’une région
à l’autre) fut le français, qui s’est peu à peu imposé de lui-même comme langue du pouvoir, de la culture, des relations diplomatiques et du commerce, jouant un peu le rôle dévolu de
nos jours à l’anglais. Cette pénétration pacifique et spontanée de la langue française résulte
d’un certain nombre de facteurs favorables :
- la suzeraineté française sur le Comté de Flandre (jusque 1529) ;
- le gouvernement des ducs de Bourgogne (1384-1482) ;
- à partir de la seconde moitié du XVIIe, et surtout du XVIIIe siècle, l’intense
rayonnement de la civilisation française à travers toute l’Europe cultivée.
Une illustration de la prépondérance du français nous est donnée dès le Moyen Age avec
l’adoption de cette langue (au détriment du latin usité jusque-là) par la chancellerie du
comte de Flandre au XIIe siècle (le français restera seule langue administrative jusqu’au
milieu du XIIIe s.), et par celle du comte de Luxembourg au XIIIe siècle (au détriment, ici, de
l’allemand).
N.B. L’allemand aurait certes pu jouer ce rôle, d’autant que, pour l’essentiel, nos
princes étaient vassaux de l’empereur. Cependant, cette langue a connu une normalisation
plus tardive ; il faut ajouter à cela le déclin du Saint-Empire à l’ouest, du fait des conflits avec
l’Italie (Papauté, villes) et aussi du morcellement politique et de l’autonomisme qui a longtemps handicapé cet Etat. Quant au néerlandais, sa normalisation sera plus tardive encore
(XVIIe siècle) et il restera cantonné aux Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) ; cette situation
sera renforcée par l’opposition religieuse entre ces provinces calvinistes (arrachées à la
domination espagnole par la révolution du XVIe siècle) et nos régions restées catholiques,
mais aussi par la méfiance que suscitait pour nos souverains absolutistes le régime assez libéral en
vigueur chez nos voisins du nord. Notons en passant que l'incompréhension ira croissant entre les deux
peuples, alimentée notamment par le mépris des Néerlandais pour les Belges, soumis au double
absolutisme de la Papauté et de la monarchie, ainsi que par la jalousie des Belges face à la prospérité
des Provinces-Unies..
2. Le facteur social.
La diffusion du français a été longtemps extrêmement restreinte, et elle s’est faite très
progressivement. Elle n’a affecté que les élites et les milieux sociaux en relation avec elles. Il
s’agit d’abord de la société politique, c’est-à-dire de la minorité associée au pouvoir : ministères,
administration centrale et régionale, haut clergé, haute noblesse et haute bourgeoisie ; à ces milieux il
faut ajouter tout ce qui gravite autour : fournisseurs, artisans, artistes, intellectuels, juristes, savants,
médecins, etc.
3. Le facteur politique.
a) Si l’usage du français s’est progressivement imposé aux échelons supérieurs de
l’administration - pour les raisons évoquées plus haut, et par un souci évident d’efficacité -,
nos gouvernants, notamment dans leurs rapports administratifs avec les communautés locales
(villes, paroisses) et dans l’exercice de la justice, ont toujours eu soin de communiquer dans
la langue de leurs administrés. Les dominations étrangères successives, même centralisatrices (Habsbourg d’Espagne puis d’Autriche) n’ont sans doute jamais pu, ni même voulu
unifier nos régions sur le plan linguistique : elles ont maintenu une situation de fait.
b) La quasi absence de politisation de nos populations d’Ancien Régime est également à
prendre en compte. Une mentalité conservatrice et particulariste, liée à une certaine
indifférence politique du fait des dominations étrangères et de la faible participation au
pouvoir, tout cela était inconciliable avec la prise de conscience de solidarités culturelles et
linguistiques.
Il faudra attendre la Révolution française (notion de souveraineté nationale) et l’essor des
mouvements nationalistes dans le contexte romantique (exaltation de la collectivité fière de
ses racines et de ses spécificités), mais aussi les premières mesures autoritaires en matière
linguistique, pour voir changer progressivement les mentalités. Cependant, jamais l’élément
linguistique ne suffira à lui seul à déclencher le militantisme.
C. Les premières mesures autoritaires dans le domaine linguistique.
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Introduction.
Au XVIIIe siècle, la prépondérance politique et économique de la France a pour corollaire une
prépondérance culturelle à l’échelle de toute l’Europe. Dans nos régions alors gouvernées par
les Habsbourg de Vienne, cette prépondérance ne fera que se renforcer parallèlement au long
déclin de la culture flamande (une bonne partie des élites flamandes avait émigré aux
Provinces-Unies lors de la révolution du XVIe siècle contre la domination espagnole) - et
cela en dépit des premiers efforts de normalisation de la langue (Des Roches, Nieuwe
Niederduytsche Spraekkunst, Anvers, 1761) et de certaines lamentations isolées sur la
déconsidération de la langue maternelle (Verlooy [ avocat bruxellois, futur jacobin et partisan
de l’annexion de nos régions par la France ! ], Verhandeling op d’Onacht der moederlyke
tael in de Nederlanden, Maestricht, 1788).
L’intense rayonnement de la civilisation française va peu à peu amener l’élément linguistique
à devenir un critère de différenciation sociale. Le français, langue de communication et de
culture des couches supérieures de la population, s’oppose aux dialectes (flamands au nord,
wallons au sud) qui restent d’usage pour les couches inférieures, entre elles comme dans leurs
rapports avec les classes supérieures.
N.B. Le cas crucial est déjà celui de Bruxelles, où le français progresse sensiblement tout en
demeurant le fait d’une minorité (inférieure à 15 % selon H. Hasquin). Le mouvement de francisation - favorisé par la présence de la Cour - impose sa marque jusque
dans la géographie, avec l’opposition entre le haut de la ville où domine le français et le
bas de la ville où persiste l’usage dialectal ou patoisant. On notera en passant que déjà
à cette époque on commence à traduire - de façon souvent fantaisiste d’ailleurs - les
noms des rues du flamand en français.
1. La domination française (1795-1815).
Poursuivant la politique entamée par le Directoire, qui a imposé le français comme seule
langue officielle (1795), le Consulat et l’Empire pratiqueront une politique de
francisation à outrance, faisant disparaître le flamand de l’administration, de la justice, de
l’enseignement, de la presse, etc. La connaissance de la langue française s’imposera dès lors
comme une condition sine qua non de promotion sociale. Les écoles comme la bourgeoisie
flamande adoptent, bon gré, mal gré, le français.
2. Le régime hollandais (1815-1830).
A son tour, la domination hollandaise va venir modifier la donne de manière autoritaire
dans le domaine des langues. Dès 1822 (en vertu d’un décret de 1819), les régions de
langue flamande se verront imposer le néerlandais comme unique langue officielle, et
la connaissance de cette langue sera même obligatoire pour l’exercice d’une profession
libérale en Wallonie.
L’opposition à cette néerlandisation recueillera une quasi unanimité dans les provinces
belges. Elle viendra en particulier, en pays flamand, des classes supérieures déjà francisées,
mais aussi des fonctionnaires et des enseignants, pour qui la langue néerlandaise, presque
aussi étrangère que le français, ne fait pas le poids à côté de ce dernier dans une perspective
de promotion sociale et d’ouverture au monde, à l’échelle nationale et internationale ; elle
sera en outre relayée par le clergé catholique, qui redoute que le néerlandais ne devienne le
véhicule du calvinisme.
D. L’avènement d’un Etat-nation centralisé avec langue officielle unique (1830).
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La Constitution du nouvel Etat belge, confirmant une mesure déjà prise par le Gouvernement
provisoire (décret du 16 novembre 1830), instaure le français comme seule langue
officielle. Il est néanmoins stipulé que, dans les régions où cela s’impose, les publications
par affichage seront accompagnées d’une traduction en flamand ou en allemand, et que l’usage
des langues demeure libre dans les rapports des citoyens avec l’administration. On notera
cependant que, dans le domaine judiciaire, cette liberté est conditionnée par le fait que la
langue utilisée par les citoyens soit comprise des juges et des avocats ; et que, dans l’enseignement, l’usage du flamand n’est pas autorisé au-delà de l’école primaire.
Bien loin de représenter une manoeuvre d’éviction du flamand et de l’allemand, l‘imposition
du français comme langue officielle unique s’explique par plusieurs facteurs d’ordre interne et
externe :
1) Le français est la langue pratiquée par la bourgeoisie censitaire qui domine le nouvel Etat.
Son choix est la confirmation d’un fait culturel et social : en dépit des tentatives de
Guillaume Ier, il constitue encore, en 1830, la seule langue de culture de toute la
Belgique, où la francisation a été beaucoup plus poussée que dans n’importe quel autre
pays. Cette situation, d’ailleurs, ne présente rien de choquant aux yeux des contemporains, même dans le nord du pays.
2) A l’opposé des langues flamande et allemande - dont l’usage, variable selon les
provinces et même les districts, rend impossible la rédaction d’un texte officiel dans ces
langues -, le français apparaît comme un élément d’union, ce qui, dans l’esprit des
dirigeants, justifie son imposition à un double titre :
- pour étendre et renforcer le sentiment national dans la population belge. Ceci répond à
une nécessité non seulement de politique intérieure, mais aussi de crédibilité vis-à-vis de
l’extérieur (car ce sentiment national est souvent nié à l’étranger).
- pour rationaliser l’administration, une langue officielle unique devant faciliter et rendre
plus économique le fonctionnement des rouages administratifs.
3) A l’échelon international, la langue française reste non seulement le moyen privilégié
d’expression des classes aisées en Europe, mais aussi le véhicule des principales
transactions économiques, la langue de la politique et de la diplomatie. Le prestige du
français est encore incontesté - et il le restera tant que le courant romantique n’aura pas
diffusé en profondeur ses aspirations nationalistes dans une perspective historique.
N.B. En l’absence de statistiques, bien peu de gens se faisaient une idée exacte de la
situation linguistique dans nos provinces. Il faudra attendre le premier recensement
national (1846) pour apprendre que, sur l’ensemble des citoyens belges,
2 471 248 parlaient le flamand, et 1 827 141 le français. Cependant, il vaudrait mieux
dire qu’une bonne majorité de la population, établie au nord de la vieille frontière
linguistique, parlait surtout des flamands ; que la plupart du restant parlait surtout des
wallons ; et que dans les deux régions, mais surtout au sud et à Bruxelles, une partie de
la population (bourgeoisie censitaire et une partie des classes moyennes, soit en tout
10 à 15 % de la population totale) parlait le français, exclusivement ou
principalement.
II. LES GRANDES ETAPES DU MOUVEMENT FLAMAND.
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L’émergence d’un nationalisme flamand s’explique bien sûr par l’instauration d’un Etat belge
unitaire dominé par une élite francophone, mais il serait erroné de prendre ce seul facteur en
considération. En effet, il faut également tenir compte de la diffusion des valeurs mises en avant
par la Révolution française (liberté, égalité, justice, souveraineté nationale) ; de la nouvelle
sensibilité liée au mouvement romantique (retour aux sources, intérêt pour l’histoire, exaltation
des héros populaires, sentiment patriotique) ; enfin, des bouleversements économiques et
sociaux produits par la révolution industrielle.
A. 1834 - 1861 : mouvement intellectuel et romantique pour la promotion de la langue et de la
culture flamandes.
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* 1834 : Jan Frans WILLEMS (1793-1846), poète, écrivain et philologue flamand, publie son Reinaert de
Vos (roman satirique du médecin gantois WILLEM, XIIIe siècle) ; sa préface est un des premiers
manifestes du flamingantisme.
Dans un premier temps, le flamingantisme (c’est-à-dire l’activisme ou militantisme en faveur de la cause
flamande) prend la forme d’actions de sensibilisation visant surtout les couches moyennes de la
population ; celles-ci ressentent souvent la nostalgie de particularismes menacés par la centralisation. A
ce stade, les principaux acteurs sont :
- des philologues, historiens ou écrivains (cf. les romans populaires d’Hendrik Conscience,
1812-1883) qui, dans la mouvance romantique, prêchent un retour aux sources, à
l’authenticité, et travaillent à une uniformisation (normalisation) de la langue.
- des fonctionnaires et des enseignants orangistes.
- le bas clergé proche du peuple. Il voit dans la défense du flamand une protection autant
contre le néerlandais (perçu comme véhicule potentiel du calvinisme, majoritaire aux
Pays-Bas) que contre le français - susceptible de véhiculer une idéologie perçue comme
révolutionnaire, et une morale en rupture avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise.
B. 1861 - 1873 : mouvement social et populaire, relayé par une action politique, pour
l’émancipation culturelle et linguistique.
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* 1861 : création du Nederduitsche Bond (Anvers), association politique (1861-1914), groupe de pression
démocratique et flamingant, puis du Vlaemsch Verbond (Bruxelles), pour coordonner l’action des
flamingants au sein de leurs partis respectifs.
* 1862 : création à Anvers du Meetingpartij, défendant les revendications flamandes avec le soutien des
catholiques (premier député en 1863).
* 1863 : uniformisation orthographique entre la Belgique flamande et les Pays-Bas.
Jusque-là confiné dans les sphères culturellement privilégiées de la société flamande, le
flamingantisme va, à partir des années soixante du XIXe siècle, prendre une dimension sociale, et
même populaire, et parvenir sur la scène politique.
1. Facteurs externes.
a) Au plan économique, les progrès autant que les problèmes engendrés par la révolution
industrielle vont alimenter le débat. En dehors de Gand (industrie textile) et d’Anvers
(port), le progrès favorise surtout la Wallonie (même si l’ensemble du pays en profite) ;
d’autre part, le développement anarchique du capitalisme libéral a favorisé dans le nord
du pays la domination d’une élite flamande francophone alors que les différences entre
classes sociales restent importantes et génératrices de conflits.
b) Au plan politique.
- Le mouvement démocratique, qui a pris son essor définitif autour de 1848, milite
pour le suffrage universel, opposant le peuple qui parle flamand à l’élite francisée
(régime de suffrage censitaire).
- Le nationalisme quasi unanime apparu dans le contexte romantique lors de la lutte
pour l’indépendance (1830) vis-à-vis de la domination hollandaise s’estompe au
profit de revendications d’un autre ordre (régionalistes, économiques, sociales,
politiques et culturelles).
- Les nécessités électorales obligent les partis traditionnels, presque à égalité vers
1860, à prendre enfin en compte les justes revendications flamandes.
N.B. Cependant, les deux grands partis (rejoints plus tard par le parti socialiste)
continueront longtemps encore à regarder le flamingantisme avec indifférence, le
considérant comme marginal et comme facteur de zizanie. En outre, la plupart des
libéraux flamands, recrutés dans la bourgeoisie, restent francophones. Quant au parti
catholique, très bien implanté en Flandre et comptant le plus grand nombre de
sympathisants de la cause flamande, il a d’autres préoccupations, notamment la lutte
contre l’anticléricalisme libéral et contre le suffrage universel.
- La sèche défaite infligée par l’Allemagne à la France (1870) portera un coup dur au
prestige de la civilisation française face au monde germanique.
c) Au plan culturel.
L’amplification de la francisation amène certains dysfonctionnements graves, notamment
dans le domaine judiciaire (inculpés flamands mis dans l’impossibilité de se défendre dans
leur langue). Pour les Flamands, tout ce qui a une certaine importance ou relève des
sphères officielles se traite obligatoirement dans une langue qui n’est pas la leur.
2. Facteurs internes.
Dans le même temps, le mouvement flamand lui-même va développer des initiatives
dynamiques et efficaces.
a) Action d’associations culturelles qui fondent des bibliothèques, organisent des cours
et conférences. Ex.: le Willemsfonds (1851), d’inspiration libérale (appelé ainsi en
hommage à Jan Frans Willems, 1793-1846) ; le Davidsfonds (1875), d’inspiration
catholique (rappelant le chanoine Jan-Baptist David, 1801-1866).
b) Propagande à grande échelle, d’une part à travers les journaux à bon marché diffusés à
Gand, Bruxelles et Anvers, et d’autre part lors de meetings organisés à Anvers par JanBaptist Van Rijswijk (1862-1863). Ces manifestations font suite à la fondation du parti
Meeting, créé à Anvers en 1862 pour s’opposer à la militarisation de la métropole, érigée
en forteresse nationale. Ce parti va assumer les revendications flamandes et, soutenu par
le parti catholique, il enverra à la Chambre les premiers députés flamingants (1863).
c) Les travaux déjà entamés aboutissent à une uniformisation de l’orthographe entre la
Flandre et les Pays-Bas (1863).
En conséquence, l’action conjointe de tous ces facteurs va renforcer la prise de conscience,
parmi la population flamande, d’une frustration et d’une marginalisation à la fois
économique, sociale, politique et culturelle au sein de l’Etat belge. Elle aboutira à sensibiliser
l’élite francophone elle-même, d’où les progrès enregistrés dans la législation entre 1873 et
1898.
C. 1873 - 1932 : consécration de l’émancipation linguistique et culturelle. Premiers pas vers
l’émancipation institutionnelle.
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* 1873 : loi réglant l’emploi du néerlandais en matière de droit pénal dans la partie flamande du pays.
* 1878 : loi sur l’emploi des langues dans l’administration (bilinguisme de rigueur en région flamande).
* 1883 : début d’un enseignement secondaire néerlandophone (le néerlandais devient langue véhiculaire
dans les athénées et écoles moyennes en pays flamand).
* 1888 : première intervention en néerlandais à la Chambre des Représentants, par le député anversois
Edouard Coremans (1835-1910).
* 1889 : loi imposant l’emploi du néerlandais dans la procédure criminelle des affaires concernant des
Flamands (loi Coremans).
* 1898 : loi octroyant au néerlandais le statut de langue officielle dans l’Etat belge tout entier, à l’égal du
français (loi De Vriendt - Coremans).
1. Promotion du bilinguisme.
Le mouvement a abouti au vote de lois linguistiques de compromis qui cherchent à
promouvoir le bilinguisme. Dans la pratique cependant, le bilinguisme s’impose en
Flandre, mais pas dans le reste du pays, et les nouvelles lois, faute de sanctions, sont
appliquées la plupart du temps de manière laxiste - non par une attitude de sabotage de la
part du gouvernement, mais bien parce que la population, en Flandre même, n’était pas
prête pour en faire usage. Dès lors, loin d’apaiser les revendications flamandes, cette
première législation linguistique va contribuer à donner un nouvel élan au mouvement.
2. Réaction wallonne.
D’autre part, les années 1890-1905 voient l’avènement d’un mouvement wallon
(premier congrès wallon en 1890) en réaction au réveil flamand qui s’affirme depuis
1860 environ. Ce mouvement, conciliant à ses débuts, devient carrément anti-flamand à
partir de 1898 : il s’inquiète (surtout dans les rangs des socialistes et des libéraux) de la
montée en puissance des catholiques flamands ; il veut épargner aux francophones
l’apprentissage de l’autre langue et craint surtout une domination des Flamands dans
l’Etat belge ; le bilinguisme devait en effet, dans l’administration, favoriser les
fonctionnaires flamands, qui parlaient le français par la force des choses, alors que les
Wallons, restés attachés à la seule culture française, étaient rarement bilingues. A cet
égard, il est important de noter que c’est le mouvement wallon qui, le premier, remettra en
cause la structure de l’Etat unitaire pour prôner une sorte de fédéralisme (on y songe dès
1897) ; cette radicalisation des revendications ne concernera le mouvement flamand qu’à
partir de la première guerre mondiale.
* 1912 : Lettre au Roi du socialiste Jules Destrée (1863-1936), un des pères du mouvement wallon,
préconisant la séparation administrative de la Wallonie et de la Flandre au sein de l’Etat belge. Cet
écrit polémique, trop souvent utilisé de façon tronquée par les extrémistes des deux camps, sera en
grande partie désavoué par l’auteur lui-même dans son ouvrage Wallons et Flamands paru en 1923,
où son attachement à l’Etat belge est évident !
3. Impact de la guerre de 1914-1918.
La première guerre mondiale semble attiser les dissensions : action du Frontbeweging
parmi les soldats flamands, soi-disant victimes d’ordres lancés en français (!) ;
autonomisme flamand encouragé au nom du pangermanisme par l’occupant, avec lequel
certains Flamands vont collaborer, et qui impose en 1917 la division administrative de la
Belgique. Cependant la réalité est bien différente : le mouvement flamand est affaibli par
ses divisions (radicaux et modérés), et le réflexe patriotique l’emportera presque
toujours.
* 1930 : l’Université de Gand devient unilingue néerlandophone. Réclamée à la Chambre par le député
Frans Van Cauwelaert dès 1911, revendiquée par le mouvement frontiste et promise dès 1918, cette
mesure avait suscité des manifestations d’opposition du côté francophone, à Gand en 1922 et à
Bruxelles en 1923.
D. 1932-1950 : combat pour l’émancipation institutionnelle.
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* 1931 : création du mouvement nationaliste flamand Verdinaso (Verbond der Dietsch-Nationaal
Solidaristen).
* 1932 : lois linguistiques en matière administrative et scolaire. Suite au refus francophone d’un
bilinguisme généralisé à toute la Belgique, ces lois établissent l’unilinguisme dans chacune des
deux régions et le bilinguisme dans l’agglomération bruxelloise. Première légalisation de la
frontière linguistique (qui sera renforcée, sanctions à l’appui, en 1962/63) et étape décisive même si sa portée ne se fera sentir que beaucoup plus tard - vers la fédéralisation de l’Etat belge.
* 1933 : création du parti nationaliste flamand Vlaams Nationaal Verbond (V.N.V.), issu du Frontpartij ;
son extrémisme à tendances fascistes le mènera à la collaboration avec l’occupant allemand
pendant la guerre.
1. La tendance générale.
A partir de 1932, le problème flamand se posera en termes avant tout institutionnels (en
dépit d’apparences d’ordre seulement linguistique) : de plus en plus, et de part et d’autre
de la frontière linguistique désormais légalisée, l’Etat belge unitaire sera remis en cause au
profit de projets fédéralistes. Néanmoins, cette période ne connaîtra pas de changements
significatifs, ainsi qu’on va le voir, et cela à la fois faute d’implication populaire et par
suite de facteurs qui ont longtemps déforcé l’activisme flamand.
2. L’impact du problème au niveau de la population.
En dépit des progrès enregistrés par le mouvement flamand, la problématique - surtout
sous l’angle institutionnel - n’a en général pas concerné ni intéressé les masses, sauf dans
les années 1930 (avènement de partis nationalistes et populistes au nord comme au sud).
Pour voir émerger une prise de conscience à ce niveau, il faudra attendre l’apparition de
profondes divergences régionales à propos de graves questions d’intérêt national, en 1950
(affaire royale) et 1960/61 (grandes grèves en Wallonie).
D’autre part, il faudra longtemps pour que la population perçoive les conséquences d’un
phénomène qui s’est inscrit dans la longue durée (1918-1966) : l’inversion du rapport de
forces entre la Flandre, qui rattrape peu à peu son retard, et la Wallonie en recul aux plans
économique et démographique.
3. Les freins du flamingantisme.
Durant cette période (1932-1950), l’activisme flamand s’est trouvé freiné par un certain
nombre de facteurs :
a) l’hostilité de l’Episcopat, qui y voit un facteur de discorde autant qu’une lutte vaine
risquant d’enfoncer plus encore la Flandre dans la marginalisation sociale et culturelle.
b) l’indifférence persistante de la plupart des grands partis politiques, même si tous ces
partis (et surtout, on l’a vu, le parti catholique) comptaient des sympathisants de la
cause flamande. Un certain nombre de réticences persistent chez les libéraux comme
chez les catholiques (voir ci-dessus B, 1, b). Les socialistes, eux, recrutent pour
l’essentiel dans le prolétariat wallon (industrie plus développée), et par ailleurs leur
idéologie, avant tout sociale et non d’ordre culturel ou linguistique, est internationaliste et
donc a priori peu encline à soutenir des mouvements à tendance nationaliste.
c) Dans les rangs flamingants eux-mêmes, beaucoup conservent une mentalité catholique,
ou petit-bourgeois, et ne peuvent se résoudre à franchir le pas en faisant alliance soit avec
les libéraux, soit avec les socialistes. De plus, le mouvement va se trouver déforcé à la
fois par des divisions internes (minimalistes et maximalistes) et par l’émergence de
groupes extrémistes à tendances fascistes (mouvement Verdinaso en 1931, parti V.N.V.
en 1933), puis par la collaboration avec l’envahisseur allemand, et enfin par la diversion
que constitua l’Affaire royale (1945-1951).
d) la pression des milieux dirigeants francophones, dont l’appui est incontournable dans
le cadre d’un Etat unitaire dont toute l’élite est francophone, de naissance ou d’adoption.
Dans un premier temps, ces pressions sont fondées sur la prépondérance écrasante de ces
milieux sur le plan économique et culturel ; dans un second temps, elles auront au
contraire pour ressort l’inquiétude des francophones face aux progrès et à la vitalité de la
Flandre. Cette dernière, en effet, se signale par une population plus jeune et féconde, par
la modernisation de l’agriculture et l’industrialisation, ainsi qu’une vie culturelle plus
intense qu’auparavant ; à l’opposé, la Wallonie, qui semble vivre sur ses acquis, connaît
une relative stagnation - même si, jusque 1966, elle reste plus prospère que la Flandre
(passé cette date, le produit intérieur brut par habitant sera supérieur en Flandre).
E. 1950 à nos jours : la construction du fédéralisme (1970-1993) ; aspirations à une
autonomie complète fondée sur le droit du sol (principe de territorialité).
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* 1945-1950 : l’Affaire royale révèle des sensibilités divergentes entre le Nord et le Sud.
* 1954 : création de la Volksunie, parti nationaliste flamand.
* 1960/61 : grandes grèves en Wallonie, avec très peu d’écho en Flandre.
* 1962 (8-11) : loi (entrée en vigueur le 1-9-1963) fixant la frontière linguistique et l’adaptation à celle-ci
des limites administratives ; lois sur l’emploi des langues dans l’administration et
l’enseignement. En réaction, création en 1964 du Front des Francophones (F.D.F.), et en
1965 du Rassemblement wallon.
* 1967/68 : révision de la constitution ayant pour objet le vote du texte néerlandais de la constitution.
* 1968 : décision de supprimer la section francophone de l’Université catholique de Louvain (Leuven) au
profit d’un établissement en Brabant-Wallon (Louvain-la Neuve) et à Bruxelles (Louvain-enWoluwe).
* 1970 sq. : débuts de la régionalisation du pays ; scission linguistique des partis politiques nationaux
(social-chrétien en 1969, libéral en 1971, socialiste en 1978).
* 1978 : création du Vlaams Blok, parti nationaliste flamand à tendances fascistes et dissidence de la
Volksunie.
* 1980 sq. : réformes constitutionnelles mettant en place un Etat fédéral.
Passé la diversion significative de l’Affaire royale, le mouvement, qui s’étendra
désormais au haut clergé, aux industriels et aux étudiants, est relancé par la création d’un
parti nationaliste flamand (1954). L’opposition entre les deux régions linguistiques
principales du pays est de plus en plus manifeste : Flandre économiquement prospère et
démographiquement forte, à dominante catholique ; Wallonie en déclin économique et
démographique, à dominante socialiste. Il en résulte bientôt un renforcement
institutionnel de la frontière linguistique fixée en 1932 (1962/63), puis la scission
linguistique des partis politiques nationaux. Ce sera ensuite la mise en place
d’institutions à caractère régional ( d’abord dans les matières culturelles) destinées à
établir progressivement un système fédéral (1970-1993). Malheureusement, compte tenu
des antécédents historiques et de la mentalité des protagonistes, ce fédéralisme va souffrir
dès ses débuts de profonds handicaps qui font de la Belgique une exception étrange parmi
les fédérations : sa construction va s’opérer par division d’un Etat unitaire et non par
unification de composantes jusque-là distinctes ; le nombre de composantes, qui d’ailleurs
n’est pas très clair (la région de Bruxelles-capitale comme la communauté germanophone
ont, à des titres divers, des statuts inférieurs, mais comptent bel et bien), est insuffisant,
ce qui ramène trop souvent les débats à des confrontations Nord-Sud ; l’absence de partis
politiques nationaux (ceux-ci ayant disparu les uns après les autres à mesure que le
divorce politique nord-sud s’aggravait), avec pour résultat qu’on aura de plus en plus
tendance à négliger les intérêts communs au profit des appétits régionaux..
Les solutions laborieusement trouvées, si compliquées - voire parfois mesquines qu’elles puissent apparaître, ont du moins le mérite d’avoir épargné à la Belgique les
drames sanglants qu’on a pu observer ailleurs. Il n’en reste pas moins que la
fédéralisation amène avec elle de graves problèmes : la question des minorités (en
particulier le long de la frontière linguistique et à la périphérie de Bruxelles) ; le sort de
Bruxelles, dont certains Flamands n’admettent pas qu’elle compose une région distincte
de la Flandre (une solution provisoire et de compromis l’a dotée d’un statut inférieur, et
les régions profitent largement d’elle sans lui apporter de contribution suffisante) ;
la fragilisation du pouvoir central et de la position internationale de la Belgique sur le plan
politique, économique et culturel ; la viabilité d’un système fédéral ne comportant que
deux ou trois composantes et qui, en outre, s’est construit dans une perspective
séparatiste, au contraire des autres Etats fédéraux ; le coût économique de cette
décentralisation.
Le flamingantisme, fort de ses victoires antérieures et talonné par une nouvelle formation
politique, extrémiste et à tendances fascistes (Vlaams Blok, 1978, rebaptisé plus tard
Vlaams Belang), tend à se radicaliser et à refuser tout compromis. Après avoir obtenu
l’interdiction sur le sol flamand de toute institution ou manifestation de caractère public
qui ne soit pas néerlandophone, il cherche à profiter de la division des francophones et de
leur absence de projet mobilisateur à long terme pour asphyxier et isoler Bruxelles (d’où
l’opposition francophone à la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-HalVilvorde), officiellement capitale de la Flandre (!) - qui chercherait à l’avoir à sa merci -
et où l’on constate l’implantation de plus en plus importante d’institutions flamandes.
III. LES CAUSES PROFONDES DE LA FRAGMENTATION POLITIQUE - LES
MÉCANISMES DES MOUVEMENTS NATIONALISTES.
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N.B. Ce chapitre est basé sur un article du Professeur Rudolf Rezsohazy paru dans le quotidien La
Libre Belgique du 12 juin 1996.
A l’origine de la poussée nationaliste - telle qu’on peut l’observer ailleurs : Irlande, Corse,
Pays basque, Québec, Slovaquie, etc. -, on constate une discordance entre la conscience
d’un peuple qui s’est forgé une identité (ici les Flamands) et le cadre politique dans
lequel ce peuple vit, et qu’il ne considère pas (ou plus) comme sien.
En Belgique, on a d’abord constaté ce phénomène au niveau des Belges dans le cadre du
Royaume des Pays-Bas entre 1815 et 1830 (discriminations au profit des Hollandais, politique linguistique agressive, crainte du calvinisme…), puis au niveau des Flamands dans le
cadre du nouvel Etat belge établi en 1830, et cela surtout à partir des années 1870, passé la
période du patriotisme unitariste porté par le mouvement romantique.
A. Facteurs de discordance.
1. Facteurs externes.
a) Le courant romantique et nationaliste alimenté principalement par la Révolution
française et ses suites.
b) La révolution industrielle et ses conséquences sociales : prédominance bourgeoise,
discriminations régionales favorisant les régions aux ressources importantes comme
matières premières ; exode rural, chômage, conditions de travail et de vie…).
2. Des différences objectives.
Par la force des choses - et nullement, au départ en tout cas, par une quelconque
volonté impérialiste -, le Nord du pays s’est trouvé, à partir de la seconde moitié du
XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle, dans des conditions de domination ou, si l’on
préfère, de colonisation, ou encore d’aliénation (privation d’autonomie, de droits
naturels et même d’identité au profit d’un agent extérieur dominant) :
a) sur le plan culturel et linguistique, suite à un évident retard dans ces domaines
(décadence de la littérature et des arts, handicap résultant de l’absence d’une langue
normalisée) - retard encore souligné par la prépondérance culturelle et linguistique du
puissant voisin français, auquel la bourgeoisie belge est plus ou moins liée.
b) sur le plan économique, suite à la persistance d’une économie à dominante rurale,
sauf dans le domaine du textile (l’existence d’un bassin houiller limbourgeois ne sera
révélée qu’en 1901, et son exploitation ne commencera qu’après la première guerre
mondiale) et à l’exception des activités portuaires d’Anvers (surtout à partir de la
seconde moitié du XIXe siècle). D’autre part, les conflits sociaux opposent un
prolétariat flamand à un patronat francophone en Flandre même.
c) sur le plan social et politique, les conditions économiques et politiques (suffrage
censitaire, langue officielle unique dans l’enseignement secondaire et universitaire,
l’administration, l’armée et la justice) se conjuguent pour marginaliser la majorité du
peuple flamand par rapport à une minorité bourgeoise qui est à la fois aisée et
francophone. A l’opposé de la culture française, synonyme de promotion sociale, la
culture populaire régionale, celle de la patrie flamande, implique arriération,
marginalisation. Grave handicap pour l’exercice des droits civiques, notamment en
justice.
3. La composante subjective.
a) C’est la prise de conscience - par les intellectuels flamands d’abord, à partir de la
fin du XVIIIe siècle et surtout de 1834, et plus tard par le peuple, vers 1860 sq. - de
cette situation de domination (ou colonisation, aliénation) par une classe et une
culture perçues comme étrangères. Cette prise de conscience, souvent alimentée
par le mépris ou l’injustice du système dominant, aura d’importantes conséquences
au niveau psychologique - domaine dans lequel les plaies sont souvent plus
douloureuses, et très longues à cicatriser - : sentiments d’incompréhension, de
frustration, complexe d’infériorité, sentiment de révolte, revendications plus ou
moins violentes.
b) A partir du moment où cette prise de conscience se sera suffisamment implantée,
elle débouchera nécessairement sur l’action.
Cette action, par suite de la complexité du problème flamand, va se dérouler
successivement sur des plans différents : d’abord sous la forme d’un mouvement
intellectuel (1834-1861), puis celle d’un mouvement social et populaire aussitôt
relayé par l’action politique - celle-ci étant alors perçue comme seule susceptible de
faire bouger les choses.
B. Conséquences : vers la fragmentation politique.
L’action politique étant déclenchée, on se trouvera en présence d’un mouvement
autonomiste (revendication d’autonomie culturelle, puis économique, puis politique),
voire séparatiste.
Cependant, il est important d’observer que, passé la satisfaction de ses revendications
essentielles (octroi d’une large autonomie, ou établissement d’un système fédéral
comme c’est le cas en Belgique depuis les années 1980), le mouvement nationaliste
- ou certaines de ses composantes, minoritaires mais activistes - peut être tenté d’aller
encore plus loin (revendication de l’indépendance), et cela pour différentes raisons :
1) politiques : les ambitions d’une classe politique plus ou moins avide, grisée par la
perspective d’une promotion d’un niveau régional au statut national (au nord comme
au sud…) ;
2) économiques : la tentation de voler de ses propres ailes et la perspective de progrès
économiques qui seraient rendus possibles par l’abandon d’un partenaire considéré
comme encombrant, et dont on se complaît à souligner les tares réelles ou imaginaires
(paresse, prodigalité, corruption, manque de dynamisme, de discipline,
d’organisation…) ;
3) psychologiques (les plus décisives !).
Encore une fois, c’est l’élément subjectif (le nationalisme) qui apparaît comme le
facteur prépondérant. Il met en oeuvre la psychologie collective, où les passions
sont plus fortes que les intérêts.
Ex.: volonté séparatiste venant d’un partenaire pourtant plus pauvre, comme dans le
cas des Corses, des Slovaques, des Serbes, ou encore des Wallons séparatistes, ou
rattachistes par rapport à la France….
Le ressort de cette tendance reste un vieux complexe d’infériorité, ressassé jusqu’à
l’obsession. Pour tenter d’éliminer ce complexe ou de le faire oublier, les nationalistes vont
faire de la compensation : ils vont forger une image flatteuse de leur région au détriment du
voisin.
Ex.: le Flamand travailleur, entreprenant, innovateur - cf. Flanders Technology -, bon
gestionnaire, est opposé au Wallon fantaisiste, avec un poil dans la main, vivant
au crochet des autres (la sécurité sociale financée principalement par une Flandre
plus performante), dépensier et tourné vers le passé.
D’autre part, ils vont manifester une volonté lancinante d’être reconnus par les autres nations.
Ex.: aspects puérils comme l’attitude de M. Vanden Brande dans la promotion de la
candidature flamande au concours européen de la chanson.
De tels dérapages relèvent à l’évidence de la propagande politique et de la démagogie.
Ils n’en sont pas moins dangereux !
Remarques.
1/ Dans cette persistance du mouvement nationaliste alors même que l’essentiel de ses
revendications a été largement satisfait, il faut souligner l’action redoutablement
efficace de trois facteurs - à la fois aliments et relais du mouvement - : l’éducation,
les medias et les commémorations.
2/ Les symptômes décrits ci-dessus peuvent également se rencontrer dans un cadre
international. A une telle échelle, un mouvement nationaliste pourra - surtout s’il
présente a priori des tendances xénophobes - dégénérer en une forme de fascisme, c’està-dire une sorte d’autisme politique où, de gré ou de force, toutes les valeurs sont
subordonnées à un nationalisme mégalomane, xénophobe et impérialiste.
C. Conclusions.
On le voit : le nationalisme, profondément ancré dans la culture d’un peuple - sur base
de griefs objectifs, mais plus encore de perturbations psychologiques collectives -, est
un phénomène qui survit aux causes qui l’ont déclenché.
Pour qu’il s’atténue ou disparaisse, il faut une génération nouvelle qui, pour une raison ou
une autre, ne reprend plus l’héritage de ses devanciers. Ou encore un traumatisme comme la défaite totale de 1945 qui a abattu le nationalisme allemand.
Par conséquent, en Belgique, nous sommes probablement condamnés à vivre encore un
bon bout de temps avec des voisins nordiques incommodes… Face à une telle
perspective, trois attitudes sont à conseiller :
1/ être patient, et saisir toutes les occasions de tisser des liens constructifs, de prendre ou
de rejoindre des initiatives unissant les deux communautés (bilinguisme, associations,
échanges, manifestations de solidarité…) ;
2/ être fermes et unis lorsqu’une offensive injustifiée est lancée par l’autre partie ;
3/ garder son sens de l’humour, car rien ne tue plus sûrement la mesquinerie ou
l’agressivité - à condition, bien sûr, d’y recourir sans blesser ni insulter !
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