CHI 013A Mars 2006 La transition Ming-Qing
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LES QING (I)
LA TRANSITION MING-QING (1644-1661)
INTRODUCTION
Les historiens occidentaux ont pris pour habitude d’utiliser l’expression « transition Ming-
Qing ». Dans son sens le plus strict, c’est la période qui s’ouvre en 1644 et va jusqu’au début
du règne de Kangxi (1661). On pourrait aussi prendre comme date symbolique de fin 1662,
date à laquelle le dernier prétendant à la succession des Ming est tué. D’autres historiens
préfèrent la date de 1683 (conquête de Taiwan, s’étaient réfugiés les derniers supporters
loyalistes). Dans un sens plus large, on peut parler de « transition Ming-Qing » tant qu’il y a
encore en vie des gens qui sont nés sous les Ming et avaient au moins 20-25 ans en 1644,
donc la période en gros jusqu’à la fin du 17e siècle. Pour le début, on n’est pas obli de
choisir 1644. Certains prennent 1620 (fin du règne de Wanli), d’autres disent qu’il faut
commencer à parler de « transition Ming-Qing » dès l’apparition de Nurhaci, au tournant du
17e siècle. On en arrive ainsi à définir tout le 17e siècle comme « transition Ming-Qing ».
C’est affaire de goût (à chacun d’argumenter sur : quand les Ming ont-ils pris fin ?).
Les années 1644-1661 constituent une période complexe de l’histoire impériale
chinoise : il se passe beaucoup d’événements en même temps (nécessité d’être précis dans la
chronologie), partout en Chine. L’histoire s’accélère, des bouleversements énormes et rapides
ont lieu, le tout sur un fond de violence continuelle. Ces caractéristiques sont propres aux
périodes de transition dynastique (cf. la guerre civile de la fin des Yuan).
D’abord, c’est la fin d’un monde. La fin d’un monde qui a duré trois siècles, celui des
Ming, et qui ne devient, au fils des ans, plus qu’un souvenir. La reconquête du pouvoir, à
laquelle certains Chinois n’ont pas renoncé, devient de plus en plus une cause perdue : il faut
se faire une raison…
C’est, pour des millions de Chinois, surtout les élites lettrées (y compris celles qui ont
collaboré) un traumatisme culturel, mental, personnel et collectif considérable que cette
invasion étrangère (imaginons un instant une France qui serait toujours allemande depuis juin
1940 !). Le traumatisme va amener dans un premier temps résistance militaire et idéologique,
et ensuite introspection, réflexion. C’est une époque les gens y compris des obscurs
inconnus ont écrit sur leurs états d’âme, leur vie, avec une volonté d’exorciser un sentiment
de culpabilité (« j’ai survécu alors que tant d’autres sont morts ») ou de se justifier (on expose
ses dilemmes intérieurs). On honore la mémoire des morts, de ceux qui se sont sacrifiés (ses
parents ou ses grands-parents). On se demande si on a bien agi, si on a fait tout ce qu’il fallait
pour sauver la patrie, on se disculpe (ce n’est pas de ma faute, ça me dépassait, c’est la faute
des militaires qui n’ont pas bien défendu le pays, etc.).
Ceux qu’on a appelés les « penseurs de la transition », comme Huang Zongxi (1610-
1695), Gu Yanwu (1613-1682) ou Wang Fuzhi (1619-1692) pour ne citer que les trois plus
célèbres, se demandent : pourquoi ? qui est responsable ? comment la Chine a-t-elle pu se
mettre dans la « gueule du tigre » (hukou 虎口, expression voulant dire une « situation
dangereuse ») ? comment une poignée de conquérants ont-ils pu faire main basse sur l’empire ?
où a-t-on failli ? Ces penseurs recherchent les causes profondes de la débâcle : est-ce la faillite
d’un modèle politique (l’absolutisme, le factionnalisme, la centralisation excessive), d’un
modèle économique, voire celle d’un modèle culturel (faillite du néo-confucianisme de Wang
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Yangming, accusé désormais d’être trop éloigné de l’action) ? Pour eux, la défaite est
inimaginableOn s’auto-flagelle (tout en maudissant l’envahisseur).
Du côté des conquérants, rien n’est simple non plus. Tâche colossale à accomplir :
faire redémarrer l’économie, remplir les caisses, penser l’appareil de gouvernement central et
local (que garder, que supprimer parmi les institutions existantes ?), s’attirer la sympathie des
Chinois conquis, réprimer la résistance militaire qui n’a pas dit son dernier mot. Deux maîtres
mots qualifient cette période du point de vue du pouvoir Qing : reconquête et consolidation
(ces deux axes seront poursuivis avec brio par Kangxi, cf. prochain chapitre).
1. LA CONSOLIDATION DU NOUVEAU RÉGIME
1.1. La régence de Dorgon (1644-1650)
Dorgon, régent du tout jeune empereur depuis 1643, est le maître de l’empire jusqu’à sa mort
en 1650. Shunzhi l’appelle « oncle gent » et Dorgon, pour se faire accepter des élites
chinoises, se compare au duc de Zhou, qui, au 11e siècle avant notre ère, avait été le régent de
son jeune neveu
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. Comble du cynisme (il prend une référence chinoise, comme s’il était un
lettré chinois !).
Pendant les six ans de sa régence, Dorgon commence par poursuivre la traque de Li
Zicheng (jusqu’en avril 1645 : Li fuit Xi’an prise, passe par la vallée de la Han, est poursuivi,
on ne sait pas comment il est mort), celle de Zhang Xianzhong (qui fonde son État
indépendant au Sichuan en 1645 et est finalement capturé par le neveu de Dorgon, Haoge, et
exécuté en 1647; la traque de Zhang Xianzhong met le Sud-Ouest à feu et à sang, immenses
dégâts), et la conquête, ramenant dans le giron mandchou de plus en plus de provinces (autour
de la capitale d’abord, puis au centre, puis au Sud)[cf. carte sur le polycopié], et envoyant à
chaque fois des régiments des Bannières pour maintenir l’ordre. Il interdit aux armées de faire
du butin, maintient une discipline solide. Ces armées sont dispersées une fois qu’elles rentrent
de leurs campagnes (on cherche à éviter que se forment des réseaux de loyautés).
Il a fallu se faire Chinois, et c’est allé avec un certain cynisme, une certaine hypocrisie,
et toute une propagande (fondée sur les vertus morales confucéennes). Le but, pour les
Mandchous, était de se légitimer, de « faire passer la pilule », notamment de prouver qu’on
n’avait pas usurpé le mandat céleste, mais qu’on en avait légitimement hérité (très important
aux yeux des Chinois). Dorgon se présente comme le sauveur de la Chine, un justicier (« ce
sont les rebelles paysans les responsables de la chute des Ming, pas nous ! Jamais une
dynastie n’a pris le pouvoir plus légitimement que nous ! »).
D’autre part, Dorgon prend soin d’annoncer que les Mandchous n’opéreront pas de
ségrégation ethnique. Ainsi, en 1646, publicité est faite de l’exécution en public d’un
Mandchou qui avait tué un Chinois et pris ses biens. Le décret publié à ce moment-là vise à
éviter tout débordement (meurtres, brimades, spoliations de Chinois). Il faut se rappeler qu’à
l’époque, la plupart des Mandchous en Chine étaient armés, alors que la population chinoise
ne l’était pas, ce qui favorisait les dérapages.
Dès le départ (contrairement aux dynasties étrangères passées), les Mandchous ont eu
besoin des Mongols et des Chinois (dès la phase de conquête, car ils n’avaient pas une
supériorité militaire criante, et ensuite pour gouverner, car comment une poignée d’hommes
peuvent-ils imposer leur loi sans opposition ?). Parmi les hommes qui sont entrés en Chine en
1644, les Mandchous étaient en minorité ! Ils sont entrés en Chine grâce à l’appui de Chinois
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Yongle avait déjà utilisé la même référence historique pour justifier sa prise de pouvoir par les armes en 1402.
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(et y ont gouverné grâce à ces mêmes appuis). Sans l’appui de ces soldats-paysans (colons du
Liaodong), de ces fonctionnaires et généraux chinois ralliés de gré ou de force, avant et après
1644, ils n’auraient pas pu conquérir la Chine puis faire leur mue from horseback to politics
(cf. la phrase du conseiller de Liu Bang, le fondateur de la dynastie Han, à son maître, phrase
qui avait déjà été répétée aux oreilles des conquérants mongols par leurs conseillers chinois,
voir le chapitre sur les Yuan). Certains historiens pensent même que sans ces alliés Chinois,
Dorgon et sa clique n’auraient même eu aucune idée de comment conquérir puis s’implanter
en Chine. Les Mandchous avaient même eu l’idée, avant 1644, de tuer tous les Chinois et de
rentrer en Mandchourie ! Ils auraient donc eu beaucoup de chancePar exemple, ce sont des
conseillers chinois qui poussèrent Dorgon à s’allier à Wu Sangui pour vaincre Li Zicheng (ils
savaient que Li n’avait plus aucun soutien populaire car ses hommes s’étaient comportés en
brutes dans Pékin). Cela dit, pendant toute la conquête, les Mandchous dirigeaient toujours les
opérations.
Besoin vital d’exploiter la Chine pour les Mandchous. Dissensions sur la méthode au
sein de l’aristocratie : exploitation dure, sauvage, oppressive ? Ou modération (gains à long
terme) ? C’est la deuxième politique qui va l’emporter : nécessité de s’adapter, de trouver des
compromis (même si on les impose par la force). Politique qui sera parfaitement appliquée par
Kangxi (mélange de fermeté et de modération). Dans l’immédiat, les riches terres conquises
(notamment celles du clan impérial des Ming) sont données aux hommes des Bannières, aux
princes du sang et aux membres des clans aristocratiques.
Le discours est en apparence pacifique : si vous nous acceptez, collaborez, on vous
laissera tranquilles, mais sinon ça va mal se passer. D’un côté, la nécessité de se présenter
sous un bon jour, de l’autre la conviction de la supériorité ethnique mandchoue, à imposer au
besoin par la force. On peut noter que dès avant 1644, les Mandchous avaient eu accès à des
traductions des histoires dynastiques des Khitan, des Jurchen, des Mongols, et en avaient tiré
les leçons : il ne faut pas trop se siniser (ces peuples, disaient-ils, avaient oublié leurs
traditions, ce qui avait causé leur chute) !
Problèmes très symboliques de la natte et du vêtement Le port de la natte (et le
devant du crâne rasé) et du vêtement serré étaient des traditions mandchoues. Les Mandchous
croyaient les faire passer facilement auprès des Chinois : c’était évident dans leurs coutumes.
Mais il n’en fut rien. En juin 1644, ils sont obligés de retirer le décret au bout de deux
semaines car énorme opposition, mais finalement, le décret est adopté en 1645 (d’abord pour
les soldats chinois intégrés dans l’armée mandchoue, puis pour l’ensemble des hommes).
L’imposition de la natte a aussi un but pratique : reconnaître au premier coup d’œil les sujets
mandchous. Elle va avoir des conséquences explosives. On peut parler de gaffe, car elle
ranime la résistance, elle va devenir l’étincelle, le cheval de bataille des lettrés chinois (cf. les
débats sur le voile chez nous). Rappelons que le Classique de la piété filiale stipule de ne pas
porter atteinte à son corps, y compris à ses cheveux, et que par exemple la tonsure obligatoire
pour les bonzes avait déjà suscité des réactions. La résistance s’explique par le fait que
l’adoption de la natte est vue comme une soumission honteuse à une tradition barbare (les
lettrés Chinois avaient les cheveux longs, qu’ils soient défaits ou en chignon). Suicides de
gens qui refusent de se raser la tête et de se faire couper les cheveux (« plutôt se faire couper
la tête que les cheveux ! »).
Même chose (mais moins de résistance) avec la robe serrée par rapport à la robe
chinoise à manches larges Les Mandchous essaieront aussi (dès 1645, puis nouveaux
efforts dans les années 1660) d’interdire la tradition chinoise du bandage des pieds des
femmes, mais, n’y arrivant pas, renonceront.
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Autre mesure « ethnique » (1648) : Dorgon décrète que la partie nord de Pékin (où se
trouve la Cité interdite) doit être réservée aux Mandchous, aux Mongols et aux Chinois ralliés
(Mancheng, « ville mandchoue », la « ville tartare » dans les récits de voyageurs occidentaux).
C’est que s’installent les nouveaux migrants, c’est-à-dire les « gens des Bannières »,
Bannières constituées, rappelons-le, au début du 17e siècle en Mandchourie
2
. La partie sud
(« ville extérieure ») est réservée aux Chinois, qui ne peuvent pas passer la nuit dans la ville
mandchoue. Dorgon donne un an aux Chinois de la « ville intérieure » pour déménager dans
la « ville extérieure ». Cette politique de « ghetto », qui avait déjà été mise en place par
Nurhaci au Liaodong, ne doit pas être comprise uniquement comme de la ségrégation
ethnique : elle sert aussi à éviter les incidents entre Mandchous et Chinois. La partition de
Pékin en deux est restée en vigueur jusqu’à la fin des Qing mais il s’est opéré petit à petit une
synthèse sociale et culturelle (en dépit des mesures de ségrégation longtemps appliquées par
les Mandchous). Pékin s’est « mandchouisée » sous les Qing. D’ailleurs, au bout d’environ un
siècle, des Chinois sont venus s’établir dans la ville mandchoue et inversement. Mais il n’en
reste pas moins que la division de Pékin en deux rappelait toujours aux Chinois qu’ils étaient
dirigés par des étrangers. Même à la fin de la dynastie, les Chinois ne se sentaient pas tout à
fait libres de se promener dans la ville mandchoue.
Ce système de « villes mandchoues » à l’intérieur même des villes a été mis en place
dans d’autres villes à mesure qu’elles étaient conquises (Xi’an, Nankin, Hangzhou). Ces villes
mandchoues étaient en fait le lieu de résidence des Bannières, donc une sorte garnison urbaine.
Derrière Dorgon, il y a Hong Chengchou, l’ancien serviteur du régime Ming qui s’est
rendu aux Mandchous en 1642. C’est lui qui rédige tous les édits, persuade les élites
mandchoues de s’intéresser à la culture chinoise, tente par tous les moyens de légitimer la
prise de pouvoir mandchoue. À Pékin (où il est en poste en 1644-1645), Hong s’attache à
bâtir un gouvernement « à la chinoise ». Puis, il est chargé de « pacifier » le Jiangnan et
envoyé à Nankin (1645-1648) pour coordonner, avec une très large autonomie de manœuvre
(les Mandchous lui font confiance), les opérations. Sa politique : il insiste sur le péril que
constitue encore (au début) les rebelles paysans, prône la clémence envers les populations
civiles (pas de violence), demande aux élites de coopérer et aux loyalistes de se rendre sans
effusion de sang : il y parvient souvent (grâce à son immense réseau de contacts + offre de
fortes primes à la reddition), mais pas toujours (certains acharnés refusent et préfèrent
combattre jusqu’au bout).
Les Chinois faits prisonniers ou déserteurs sont intégrés aux armées mandchoues (on
crée une armée entière avec ces Chinois : les lüying, Etendards Verts, qui regroupent les
anciennes armées Ming) et sont envoyés combattre d’autres Chinois. La conquête est donc
largement une affaire de Chinois se battant… contre d’autres Chinois, mais sous les ordres de
Mandchous (comme avant 1644, sauf que les Mandchous sont encore en plus petite
proportion). Rôle aussi des Chinois du Liaodong, ceux qui avaient aidé les Mandchous dès le
départ et qui étaient dans les « Bannières chinoises » : les Mandchous, après 1644, leur font
confiance pour gérer l’occupation (ils ne confient pas cette gestion aux Chinois qui viennent
d’être conquis). Ainsi, ce sont ces Chinois des Bannières qui sont nommés gouverneurs,
préfets, magistrats. Ces Chinois des Bannières sont d’excellents intermédiaires entre
Mandchous et Chinois.
Cette hiérarchisation des rôles rappelle ce qu’avaient fait les Mongols quatre siècles
auparavant (rappelons que les Mongols avaient institué quatre classes ethniques, en fonction
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Chacune des Huit Bannières occupant un secteur de Pékin, selon un plan reproduisant la disposition de ces
Bannières lors des expéditions militaires et des chasses (activités dont on pense que l’institution des Bannières
est originaire) : les deux Bannières bleues au Sud, les deux Bannières rouges à l’Ouest, les deux Bannières
jaunes au Nord, les deux Bannières blanches à l’Est.
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de la date de ralliement au régime : Mongols, semuren, Chinois du Nord, Chinois du Sud). Il y
a un « noyau dur » d’hommes de confiance, la confiance accordée étant fonction de
l’ancienneté du service de la cause mandchous. On trouve donc en haut les Mandchous, puis
les Mongols et les Chinois qui ont participé à la conquête avant 1644, puis les sujets conquis
après 1644.
Dorgon rabaisse tout de suite (fin 1644) le co-régent, son cousin Jirgalang (qu’il
congédiera en 1647), et centralise la gestion de l’empire. Il sanctionne les nombreux princes
mandchous qui s’opposent à lui et prend le contrôle de deux autres bannières que la sienne (en
la confiant à ses deux frères, Ajige et Dodo). Son régime, militaire et corrompu, n’échappe
pas aux luttes entre factions au sein même du clan Aisin Gioro et, plus largement, entre
aristocrates mandchous
3
. Luttes entre Bannières (qui appartiennent pour certaines au clan
impérial mais pour d’autres à des chefs nobles). Il faut bien voir que les Qing, qui moquaient
le factionnalisme Ming (jugé responsable de la chute de la dynastie) ont, dès le départ, eux
aussi succombé à des luttes familiales (cela rappelle les querelles de succession permanentes
entre les descendants de Gengis Khan). Il faudra que l’empereur Kangxi mette de l’ordre !
Même si jusqu’à sa mort, Dorgon se considère comme un simple régent, il nourrit bien
vite des ambitions personnelles. Il est de facto empereur. Il possède le sceau impérial, se
conduit comme un empereur, cesse de se prosterner devant Shunzhi, se fait donner des
prérogatives d’empereur, envoyer des concubines par la Corée, projette de se faire construire
un palais pour sa retraite. A-t-il voulu devenir empereur ? On ne le sait pas. Quoi qu’il en ait
été, son comportement attisera les jalousies dans la noblesse mandchoue, et il sera défait de
tous ses titres après sa mort.
La mise en place des institutions. Rappelons que les Mandchous avaient déjà mis en
place leur bureaucratie avant 1644. Cette bureaucratie comportait des emprunts chinois,
comme les six ministères (institués dès 1631) ou les Trois Académies (équivalent de
l’Académie Hanlin et du Grand Secrétariat chinois), créées en 1636, mais aussi des
institutions nouvelles comme le Bureau chargé des relations avec les Mongols (1636) ou le
Conseil délibératif des Princes et des Hauts Fonctionnaires. Ce type d’organes-là, stratégiques,
étaient remplis uniquement de Mandchous.
Une fois en Chine, il a fallu, et dans l’urgence, adapter cette bureaucratie aux
institutions chinoises existantes et surtout à des missions nouvelles (fiscalité, gestion du
Grand Canal, etc.). Les Mandchous n’ont en vérité pas modifié grand-chose. Ils n’ont pas
touché à la structure de la bureaucratie provinciale et locale. Ils ont adopté les rituels
impériaux chinois (Dorgon a fait enterrer le dernier empereur des Ming selon le rite chinois).
Ils ont lancé la compilation de l’histoire dynastique des Ming (1645), comme aurait fait
n’importe quelle dynastie chinoise qui aurait succédé aux Ming. Les Mandchous ont fait appel
aux lettrés chinois, et ils ont d’ailleurs vite organisé les concours (1646, 1647, 1649, puis tous
les trois ans), ce qui fut approuvé par les lettrés chinois. D’autres lettrés chinois furent
recrutés par recommandation.
Officiellement, les postes sont détenus à moitié par les Chinois, à moitié par les
Mandchous : les historiens ont appelé ce gouvernement mixte « dyarchie sino-mandchoue ».
En réalité, la situation dépend des organes. Par exemple, Dorgon confie les six postes de
ministres uniquement à des Mandchous (car il juge ces postes stratégiques). À l’inverse, au
Censorat, les Mandchous ne sont là que pour la forme : le Censorat est un organe typiquement
chinois, et censeur est un métier qui ne s’improvise pas. Les censeurs sont donc presque tous
3
Ces querelles avaient éclaté dès la mort de Nurhaci en 1626. Il n’y avait pas eu consensus autour de sa
succession, et Abahai avait pris la succession par la force, puis s’était approprié le contrôle de deux autres
Bannières que la sienne.
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