Fait religieux, enseignement et laïcité : le rendez-vous

______________________________________________ Fait religieux, enseignement et laïcité - Pierre Giraud
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S O M M A I R E
Introduction………………………………..…5
1. Constatation : la sécularisation du fait
religieux d’un point de vue scientifique…..….6
1.1. Les textes sacrés à l’épreuve
de la démarche historique…………………………………………..…6
1.2. Les croyances et les dogmes passés
au jugement critique de la raison philosophique…………………….7
1.3. La religion d’un point de vue anthropo-sociologique
ou la naissance de Dieu dans l’esprit des hommes………………...…8
2. Interrogation : le principe de laïcité est-il
remis en cause par ces nouvelles formes de
religiosité ?………………………………...…9
2.1. Le progrès scientifique et la raison assurent paradoxalement
le terreau fertile d’un regain de religiosité…………………………...9
2.2. La laïcité en question : d’une laïcité d’incompétence
à une laïcité d’intelligence ?…………………………………...……...10
2.3. L’articulation sécularisée laïcité/fait religieux……………………....11
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3. Vers un débat serein : légitimité du fait
religieux au sein de l’Ecole laïque………..…12
3.1. Dieu à l’Ecole ? Non pas un enseignement religieux
mais un enseignement du religieux……………………………....…..13
3.2. Quelle déontologie ? La neutralité de l’enseignant
n’est pas remise en cause…………………………………….…….....14
3.3. Quels enseignements ? Par qui ? Comment ?
Les positions officielles du Ministère de l’Education nationale….…..…15
Conclusion……………………………….…..16
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Introduction
Lorsque se profile une réflexion dont la problématique oscille autour du phénomène
religieux, la célèbre citation d’André Malraux n’est pas bien loin : « Le XXIe siècle sera
religieux ou ne sera pas. » La formule fait mouche certes mais que peut-elle bien signifier ?
Contempler ce que le XIXe et le XXe siècles nous ont légué en matière de spiritualité, n’est-
ce pas affirmer que le scientisme et les sociétés technicistes auront eu raison de mettre à terre
le fait religieux ? Plus encore lorsqu’une laïcité exceptionnellement française vient creuser
l’abîme entre l’Etat républicain et les religions désormais reléguées à la sphère de la vie
privée. On pourrait donc croire que le fait religieux est bel et bien enterré et qu’il n’a plus rien
à nous dire. Pourtant, toute la force visionnaire d’un André Malraux était bien de crier - tel un
prophète incompris au ur du désert (et en pleine société de consommation) - l’heureux
adage que nous lui connaissons. L’écrivain annonce l’avènement d’une problématique
religieuse radicalement différente de celles du passé : le fait religieux a pour fonction de créer
des dieux, autant de torches allumées par l’homme afin d’éclairer la voie qui l’arracherait à la
bestialité. N’avait-il pas raison ? Le XXIe siècle commençant manifeste en effet un retour
nettement appuyé du fait religieux (accompagné de ses nouvelles formes de religiosité) au
sein même des débats publics. Il suffit de consulter l’actualité pour en être convaincu :
l’affaire des foulards, la résurgence identitaire des fondamentalismes religieux, sans oublier
l’inscription (présupposée) dans la constitution européenne de l’héritage chrétien sont autant
d’exemples qui témoignent en ce sens.
Parmi l’ensemble des débats soulevés, une réflexion soutenue agite depuis les années 1980
l’Education nationale : (re-)mettre l’étude du fait religieux au cœur des enseignements
dispensés dans le secondaire. Autant dire que cette proposition a suscité de douloureuses
controverses et d’épineuses polémiques caractéristiques de l’esprit français. Certains
enseignants ont commenà prendre conscience du lourd bilan du principe de laïcité instauré
par la loi de 1905 : décatéchisées, laïcisées, des générations entières d’élèves n’avaient plus
reçu de culture religieuse au point de voir dans la Trinité une station de métro parisienne et
dans la Nativité une espèce d’allégorie floue des fêtes (commerciales) de Noël. Face aux
invectives lancées par les laïcistes fondamentalistes, et contrairement aux idées reçues, ce
projet n’a jamais eu pour ambition de remettre Dieu à l’Ecole mais se propose naturellement
de sensibiliser les élèves aux différentes cultures religieuses et à l’héritage chrétien qui
constituent autant de pierres d’achoppement aux fondements de notre monde actuel.
Pour ne rien cacher, c’est bien une réflexion sur l’articulation laïcité/fait religieux qui est
au cœur du débat, articulation qui mérite d’être prise en compte au-delà de toute forme de
prosélytisme. Plus précisément, que devons-nous entendre par « enseignement du fait
religieux à l’Ecole » ? Ne s’agirait-il pas de réviser le principe de laïcité afin de passer d’une
laïcité d’incompétence à une laïcité d’intelligence ? Si tel est le cas, enseigner le fait religieux
au sein même de l’Ecole laïque remet-il en cause les fondements mêmes de cette institution et
de ses principaux acteurs ? Autant de questions qui demandent à être présentement élucidées.
Pour y répondre, notre réflexion s’articule autour de trois points : en forme de constatation, la
première partie explicite le processus de sécularisation qu’a suivi le fait religieux sur le plan
scientifique depuis le XIXe siècle. Les textes sacrés, les croyances et les dogmes seront passés
au crible de l’histoire, de la philosophie, de l’anthropologie et de la sociologie. Cette étape
préalable est nécessaire afin de comprendre pourquoi le débat qui nous préoccupe peut se
dérouler en toute sérénité. Ensuite, en forme d’interrogation, la deuxième partie questionne le
principe de laïcité à la française afin de saisir dans quelles mesures celui-ci est remis en cause
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par ces nouvelles formes de religiosité (supportées par le fait religieux sécularisé) et comment
nous pouvons réarticuler le couple laïcité/fait religieux. Enfin, la dernière partie propose un
débat serein dans lequel est légitimé l’enseignement du fait religieux au sein de l’Ecole. Loin
de proposer un enseignement religieux, il s’agit d’examiner les modalités laïques d’un
enseignement du religieux en conformité avec l’esprit républicain et citoyen qui anime
l’Ecole et ses enseignants (la déontologie laïque ne semble pas remise en cause). Après de
nombreux débats, les positions officielles du Ministère de l’Education nationale seront
présentées en toute connaissance de cause.
1. Constatation : la sécularisation
du fait religieux d’un point de vue scientifique
Face au positivisme d’Auguste Comte et au nihilisme nietzschéen, le fait religieux s’est
retrouvé, à la fin du XIXe siècle, dans une situation difficile
1
. Discréditées par la science
grandissante, disqualifiées par le nihilisme féroce de l’aphorisme « Dieu est mort », les
religions ont peu à peu sombré dans le domaine de la sphère privée. Paradoxalement, le fait
religieux a recentré toutes les attentions de la science : il s’est érigé comme l’un des domaines
privilégiés de la démarche objective au point que les religions ont fini par faire l’objet
d’études raisonnées. Ces études ont, pour leur part, largement participé à la sécularisation du
fait religieux qui s’est poursuivie jusqu’à la fin du XXe siècle. Parmi ces approches, trois
pôles d’intérêts attirent notre attention : l’histoire (incluant la philologie), la philosophie et les
sciences sociales (anthropologie et sociologie).
1.1. Les textes sacrés à l’épreuve
de la démarche historique :
A l’orée du siècle des Lumières, les textes sacrés ont suscité l’intérêt de nombreux
historiens et philologues. Désacralisés, ils ont pu être abordés d’un point de vue distancié en
dehors de toute référence théologique. L’oratorien Richard Simon
2
, prêtre catholique, a eu le
mérite de définir les lois de la critique des textes sacrés (ou exégèse) indépendamment des
préjugés confessionnels en montrant notamment que la Genèse était constituée d’un ensemble
de livres composés à diverses époques : l’enchaînement qu’en proposait la Bible n’était pas
historiquement chronologique. Parmi les travaux actuels, ceux rédigés par Jean Bottéro
semblent en être les dignes héritiers : considérée comme un livre historique, la Bible témoigne
de la propre naissance de Dieu dans l’esprit des hommes
3
. La démarche adoptée par l’auteur
est bien celle d’un scientifique : en questionnant les textes de l’Ancien Testament à la manière
d’un vestige, c’est un fossile qui s’esquisse et que l’historien dépoussière afin d’accéder à la
couche la plus éloignée dont il porte pourtant le témoignage. Grâce à cette démarche
historique qui nécessite la mise en œuvre d’une véritable méthode objective, il est désormais
possible de retrouver et de comprendre les hommes qui ont écrit ces textes. Déchiffrée, la
Bible ne serait plus qu’un témoignage historique universel, à la fois témoin de notre passé
mais aussi témoin de notre avenir.
1
Petit, Annie, 2004. « Les métamorphoses de Dieu » in Dieu, la science et la religion, La Recherche hors-série
n°14, janvier-mars 2004.
2
Simon, Richard, 1678. Histoire critique du Vieux Testament.
3
Bottéro, Jean, 1992. Naissance de Dieu. La Bible et l’historien (Paris : Gallimard, Folio Histoire).
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Il est évident que cette approche objectivée des textes sacrés ne fait pas l’unanimité chez
les religieux. Les travaux du docteur Gerd Rüdiger Puin ont suscité un scandale parmi les
fondamentalistes musulmans comme le relate Xavier Ternisien
4
. Suite à la découverte d’un
manuscrit antérieur à la version religieusement officielle, ces travaux philologiques remettent
directement en cause le dogme musulman : le Coran ne serait plus la parole « incréée » de
Dieu, une révélation dictée en direct dans un arabe inimitable. Désacraliser ce texte sacré sous
le regard de la démarche scientifique n’est pas une activité neutre : cela nous permet de
comprendre comment ces textes fondateurs structurent nos mentalités actuelles comme le
suggère Daniel Sibony
5
. C’est aussi une manière de désacraliser les grandes figures
prophétiques désormais recontextualisées dans toute leur dimension historique originelle
6
.
C’est dans cette optique que les Evangiles peuvent être abordés au-delà de la foi. Ces textes
s’inscrivent dans un contexte original la figure du Christ est étudiée dans sa dimension
prophétique et historique comme a pu le démontrer l’historienne Marie-Françoise Baslez
7
.
1.2. Les croyances et les dogmes
passés au jugement critique
de la raison philosophique :
Sous le regard critique de la raison raisonnante la philosophie a, elle aussi, participé à la
sécularisation du fait religieux. Comme pour sa consœur l’histoire, cette critique s’est
progressivement mise en place durant le siècle des Lumières pour prendre son essor au XXe
siècle. Dogmes et doctrines sont ainsi relégués au jugement critique de la raison
philosophique qui n’hésite pas, elle aussi, à remettre en cause les principes tenus pour acquis.
Trois âges se sont succédés : l’âge théologico-métaphysique dont l’esprit est empreint de
dogme, de doctrine, de spiritualité et de foi ; l’âge de la raison populaire (ce à quoi l’on croit
et comment on le pratique) ; l’âge de la raison philosophique la démarche rigoureuse
l’emporte sur les deux autres âges. C’est bien évidemment à cet âge d’or philosophique
qu’aspire Jacques George à travers le tableau comparatif qu’il nous propose
8
. Suivant ces
principes, la religion serait un artefact dans le sens les individus aiment y être pris au sein
d’une identiontologique solide, sorte de manque-à-être originel qu’il s’agit de combler par
l’idée d’une garantie transcendantale
9
.
En ce sens, une approche strictement philosophique de l’existence de Dieu et de la quête
de sens chez l’homme est possible en marge de toute référence théologique. L’intérêt tient au
contraire dans le traitement philosophique de la question : s’affranchir de toute approche
théologique est possible si la démarche du philosophe ne se fonde plus sur la foi (adhésion
personnelle à une révélation non montrable) mais bien sur la raison (examen méthodique et
minutieux de la révélation et des doctrines). Dès lors, la question philosophique que se pose
4
Ternisien, Xavier, 2001. « Le Coran en question » in Le Monde, 06/09/01.
5
Sibony, Daniel, 1992. Les trois monothéismes. Juifs, chrétiens, musulmans, entre leurs sources et leurs destins
(Paris : Seuil, La Couleur des Idées).
6
Blanchot, Maurice, 1986. « La parole prophétique » in Le livre à venir (Paris : Gallimard, Folio Essais).
7
Baslez, Marie-Françoise, 2004. « Le contexte historique des Evangiles : une époque miraculeuse » in Les
Evangiles face à l’histoire, Notre Histoire n°219, mars 2004.
8
George, Jacques, 1994. « La religion officielle, la religion populaire, le regard critique » in Enseigner les
religions à l’école laïque Cahiers Pédagogiques n°323, avril 1994.
9
Sibony, Daniel, 1992, op.cit.
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