9) Zeus voulu que l’on partageât entre tous les hommes afin que les cités puissent exister,
il ajouta : « Etablis en outre, en mon nom cette loi que tout homme incapable de pudeur ou de
justice sera exterminé comme un fléau de la société.»
1
.
A. L’actualité du Mythe
La puissance des Mythes réside dans le fait qu’ils sont régulièrement investis dans
l’histoire des hommes. Les légendes peuvent prendre des formes différentes, mais les
archétypes sont fondamentalement toujours les mêmes : la légende du Roi Arthur ou celle du
Seigneur des anneaux joue la même fonction chez les adolescents quelles que soient les
générations.
Protagoras a pour moi, poser immédiatement et très clairement le problème que j’aborde
dans mon étude à savoir « la condition d’humanité de la race humaine ». Tout individu qui
n’usera pas de ces qualités qui lui ont été assignées dès sa naissance, à savoir la tempérance
et la justice ne sera pas en droit de prétendre à être reconnu parmi les Hommes. Il sera
renvoyé, au-delà même de sa condition d’animal, à la terre dont il est sorti. L’homme est
nécessairement politique ou n’est pas. IL est donné à l’être humain d’être social, de cohabiter
avec ses semblables ou de disparaître de la société et par conséquent de disparaître tout court
en tant qu’homme.
Cette « radicalité » de l’être social n’est pas sans poser problème. En quoi peut-on encore
aujourd’hui reconnaître cette exigence imposée aux êtres humains ? Est-il toujours d’actualité
pour l’homme d’être capable de pudeur et de justice sous peine de relégation au statut de non
humain ? Si oui, quelle nature particulière constitue cette compétence politique ?
Pour répondre à cela, je ferai appel à la compréhension paradoxale des réalités sociales. Mon
hypothèse rejoint celle de Protagoras, c’est à dire qu’elle sort des limites d’une pensée
contradictoire.
B. Passage à la dimension concrète de l’histoire
Lorsque j’entre dans le Mythe au premier niveau, je suis le déroulement du conte. Je perçois
des images, des couleurs. J’ai devant les yeux les personnages, je les entends. Je suis comme
devant un écran de cinéma, je vois agir les acteurs. Si le film est bon, je me laisse emportée
par l’histoire. J’accompagne les personnages dans leurs ressentis, leurs émotions. Bien
entendu, j’ai conscience d’être à l’écoute d’une histoire, je ne confond pas les niveaux de
réalité, pourtant, tant que rien ni personne ne vient m’en sortir, je suis aussi dans l’histoire, j’y
crois.
L’imaginaire dans lequel je suis entrée est sensible, il est proche des sensations du corps, de
mes perceptions physiques. Je me laisse envahir aussi par des ressentis plus profonds comme
la colère, la peur ou la tristesse. La lecture d’une histoire, d’un roman, d’un Mythe est très
différente de la lecture d’un ouvrage de philosophie ou de tout autre livre ou article comme
celui-ci qui ne font appel qu’à ma raison, mon intellect. Chaque histoire est un cas particulier,
chaque personnage est unique, chaque situation est contextualisée et n’est identique à aucune
autre.
Lorsque l’on parle de faire résonner des sensations, faire revivre des sentiments ou raviver la
mémoire physique d’un événement, cela signifie : faire vivre une situation singulière et aider
l’esprit à la transposer à une autre vécue dans le présent. La dimension « actualisante » du
Mythe est liée à cette qualité d’investir le monde physique. Le raisonnement transductif de la
pensée fait passer d’un cas particulier à un autre cas particulier sans passage à l’abstraction,
1
Platon, « Protagoras », Flammarion,1967, p 54.