ici - Edinburgh 2010

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La communion missionnaire dans la perspective œcuménique
Mission et unité – Ecclésiologie et mission
L’Institut Africain des Sciences de la Mission (IASMI), qui apporte la présente contribution, a été lancé
en 1994 par les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée de la Province du Zaïre (actuelle République
Démocratique du Congo). Il fonctionne à Kinshasa depuis 2005 et, le 3 juin 2008, en la fête des Martyrs
d’Ouganda, il a obtenu de la Congrégation pour l’Education Catholique, le décret d’agrégation à la
Faculté de missiologie de l’Université Pontificale Urbaniana de Rome. L’IASMI évolue donc en plein
cœur de l’Afrique. Il avance dans la recherche missiologique animé d’un remarquable souci
d’inculturation aux réalités du continent africain et en communion avec l’Eglise entière. C’est à ce titre
qu’il saisit l’axe «Mission and unity – Ecclesiology and mission» et la conscience de l’unité que ce
thème ravive à l’occasion du centenaire de la World Missionary Conference d’Edinburgh 1910, comme
une opportunité à partir de laquelle redécouvrir la communion missionnaire en tant que source
d’énergies et de dynamisme renouvelé dans la mission de l’Eglise, en Afrique comme ailleurs dans le
monde ; car c’est aussi de l’universel acquis par l’osmose interculturelle que nous vient la lumière pour
connaître en profondeur et valoriser à sa juste mesure le particulier1.
Sans vouloir nous attarder sur la situation actuelle qui prévaut en Afrique, – la littérature en la matière
est vaste et, dans la perspective missionnaire, elle est de bonne qualité2–, le moins que l’on puisse dire,
c’est qu’avec et peut-être malgré ses multiples paradoxes par trop médiatisés, le continent noir peut
aussi être regardé comme un continent d’espérance. Par sa force démographique en plein essor et
régurgitant de jeunesse3, imprégnée d’humanisme solidaire et privilégiant les relations
interpersonnelles, ce continent conserve ses chances de former les jeunes aux valeurs humaines de
base dans un monde qui, de nos jours, frôle la dérive morale4. L’espérance de l’Afrique s’objective
encore, puisque l’Afrique est aussi celle des Africains qui, comme aux jeux olympiques, savent courir
mieux que tous les autres sur de longues distances, en endurant avec succès le « Long Walk to
Freedom »5. C’est l’Afrique des Africains qui, de plus en plus, prennent conscience que personne de
l’étranger ne les remplacera dans ce qui est leur devoir et qui, dans un surcroît d’amour envers leur
terre, se consacrent au bien de leurs pays et de leur continent6. En somme, c’est l’Afrique des Africains
de plus en plus conscients de leurs problèmes et de leurs responsabilités qui se préparent, par un effort
accru de formation7, à revisiter la démocratie comme «valeur universelle»8, à s’en approprier «les
vertus cardinales»9 et à la réélaborer, selon leur génie propre, pour traverser une phase décisive de leur
histoire déjà en acte. Par là, guérie et réconciliée avec elle-même et avec son histoire souvent
douloureuse, l’Afrique sera prête à harmoniser, sans complexe et sans complaisance, les vecteurs
dynamiques de son patrimoine culturel avec les apports du monde moderne pour enrichir et donner
vivacité au concert des nations. Mais l’Afrique de l’espérance, c’est aussi ce continent où la semence de
l’Evangile a produit de fruits abondants10 et des personnalités prophétiques11. L’Afrique de l’espérance,
Cf. MWANAMA Galumbulula, F., «Les relations, vrai laboratoire de l’interculturalité», in Spiritus, n°164, 2001, p. 277-282; VEDER J.-C.,
Dire Dieu jusqu’à le célébrer ensemble. Jalons pour une inculturation interculturelle dans la société de l’ Ile Maurice, Port Louis, 2004.
2 Cf. SANTEDI Kinkupu, L., Les défis de l’évangélisation dans l’Afrique contemporaine, Paris, 2005 et la bibliographie de la présente
contribution.
3 Cf. CAVALLOTTO, G., «Les données statistiques sur la situation des territoires de mission au cours du XXe siècle», in TSHIBANGU, T.,
(éd.), L’avenir de l’activité missionnaire ‘Ad Gentes’. Perspectives pour le XXI ème siècle. Actes du congrès, Kinshasa, 2005, p. 20-34.
4 Cf. PEETERS M. A., “La nouvelle étique mondiale: défis pour l’Eglise”, in Omnis Terra, p. 213-224.
5 Cf. Long Walk to Freedom. The Autobiography of Nelson Mandela, London, 1996.
6 Cf. MUMENGI D., La naissance du Congo. De l’Egypte à Mbanza Kongo, Paris, 2009.
7 Cf. SANTEDI, op.cit., p. 73-74.
8 Cf. NZEKOUE, J.-M., Afrique: faux débats et vrais défis, Paris, 2008, p. 167.
9 Cf. SALIFOU, A., Entretiens avec mes enfants sur la démocratie en Afrique, Paris 2005, p. 299.
10 Cf. BAUR, J., 2000 ans de Christianisme en Afrique, Paris/Rome /Lyon, 2001. A ce propos le Cardinal Wright, Préfet de la Congrégation
pour le Clergé en 1973 s’exprimait ainsi : « Je pressens que vers l’an 2000, c’est en Afrique que l’Eglise catholique réalisera ses plus
1
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c’est enfin cette terre où progresse une Eglise qui suscite admiration et espoir, puisque dans presque
toutes les régions, la foi chrétienne s’est bien établie, elle est en plein essor12; et presque partout
l’Eglise est guidée par des évêques, des prêtres et des pasteurs autochtones, et depuis cinquante ans,
le continent propose sa propre théologie13. Au-delà des thématiques traditionnelles de nature plus
dogmatique, la théologie africaine, surtout en milieu francophone, veut inventer du nouveau14 ; elle
s’ouvre aux problèmes de la mission et de l’évangélisation15, avec intérêt pour les défis de
l’inculturation16. Elle se préoccupe de la promotion humaine et sociale17 et de la reconstruction de
l’Afrique18 tout en plaidant pour une Eglise missionnaire plus prophétique et plus engagée. Mais dans
tout cela, la théologie africaine respire aussi de la communion pour avancer «sur la voie d’une théologie
de la Fraternité»19 et pour «penser l’universel»20 d’où pourrait prendre le départ une théologie morale
communautaire21. Voilà pourquoi, en abordant la communion missionnaire à partir de l’esprit de famille
et de la spiritualité africaine de «l’être avec» 22, la présente contribution ne risque ni d’en escamoter la
portée universelle qui lui est propre et qui tient au fondement trinitaire de la communion entre chrétiens,
ni d’en occulter la dimension ecclésiale qui en est l’expression visible, encore moins d’en atténuer la
référence christologique dans laquelle s’enracinent aussi bien sa valeur sotériologique que son intérêt
missionnaire. Bien au contraire, la référence culturelle et le départ anthropologique à partir de la
situation africaine se présentent comme la paraphrase d’une théologie devenue attentive à ce que
l’Esprit dit aux Eglises. De ce fait elle approfondit les multiples déterminations de la communion
grands progrès. J’ai même l’impression qu’au cours du XXI siècle, l’Afrique s’acquittera de sa dette d’évangélisation en envoyant des
missionnaires aux pays d’Europe et d’Amérique qui lui ont apporté l’Evangile à l’origine » : cité par LUNEAU, R.., «Et vous, que dites-vous
de Jésus Christ ?», in Chemins de Christologie africaine, Paris, 1986, p. 25. Ce présentement et ce processus sont confirmés par les
statistiques actuelles. Cf. CAVALLOTTO, op.cit., p. 20-34.
11 L’Eglise d’Afrique compte un bon nombre de figures prophétiques bien connues, comme le Cardinal Joseph Malula, l’évêque anglican
Desmond Tutu, l’abbé Jean- Marc Ela avec Baba Simon, le père Engelbert Mveng, et d’autres, peu connues, qui, sur la base d’une visée
évangélique se traduisant dans un témoignage de vie ont payé, parfois de leur sang le zèle pour la justice et la paix. Cela, sans compter
l’énorme tribut de vies humaines que les Eglises d’Afrique ont payé en subissant les violences des luttes armés qui dans le silence des
consciences résonnent comme un cris contre les injustices et les oppressions de toute sorte et une invocation innocente en faveur de la
paix (pensons aux Martyrs d’Ouganda, à la Bienheureuse Anuarite Nengapeta Clémentine et au Bienheureux Isidore Bakanja, ainsi qu’au
cortège nombreux, parmi le peuple de Dieu, de victimes innocentes de la violence en situation de conflit armé. Cf. Les saints d’Afrique,
Kinshasa, 2002 ; CONTRAN, N., Ils vous ont guettées. 230 Religieuses tuées en Afrique, Kinshasa, 2004.
12 “…le ‘magnifique mouvement’ se trouve confirmé au-delà de toutes les espérances. Plus de soixante millions de baptêmes par an : un
africain sur quatre, toutes confessions confondues, est chrétien ! Et comme le continent noir connaît aujourd’hui le taux de croissance
démographique le plus élevé du monde, pas besoin d’être grand clerc pour pressentir que l’Afrique chrétienne représentera dans une
génération, une part essentielle de l’avenir du christianisme»: LUNEAU, op.cit., p. 25.
13 Cf. BUJO, B. - ILUNGA, M. J., (éd.), Théologie africaine au XXI siècle. Quelques figures, Fribourg, 2002.
14 «L’Eglise d’Afrique est à la recherche d’elle-même. Cette quête d’identité n’aboutira que si elle consent à renoncer aux schèmes, aux
clichés et aux recettes d’antan pour inventer et créer du neuf sous la poussée des événements, fidèle à l’Evangile et aux liens qui
l’unissent à l’Eglise universelle, libre dans l’accueil et le don de la Miséricorde manifestée en toute circonstance par Celui qui dit :’ Voici
que je fais toutes choses nouvelles’(Ap 21, 5)»: Propos de S. Semporé: cité par MAWUTO Afan, R.,«Sibe Semporé. Itinéraire Spirituel
d’un Théologien Africain», in Ibidem, p. 87.
15 Une évangélisation qui serait le corollaire d’une théologie de l’invention et donc prophétique, sapientielle et poétique (Cf. SANTEDI
Kinkupu, L., «Quelle théologie pour quelle évangélisation en Afrique», in TSHIBANGU, op.cit.., p. 419-422.
16 Voir ici l’abondante bibliographie in : MAGESA, L., Anatomy of Inculturation. Transforming the Church in Africa, Nairobi, 2004, p. 292301.
17 Cf. ELA, J.M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris 2003; HITIMANA, J., «Evangile et libération. La pensée de JeanMarc Ela», in Chemins …, p. 257.
18 Cf. KA MANA, Théologie pour un temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique, Paris, 1993.
19 S. Semporé cité par: MAWUTO, op.cit., p. 80
20 «Réaffirmer la centralité de la notion de communauté dans la vision africaine de l’homme et du monde, ne revient certainement pas à
encourager le tribalisme, mais bien au contraire à poser les bases à partir desquelles on peut penser l’universel. En effet, la communauté
au sens africain ouvre à l’universel…On peut parler ici d’une ouverture de la relation clanique ou tribale sur l’universel. La relation à l’autre
et au cosmos est contemplée à partir de la transcendance, dans l’esprit de Dieu…Ces précisions sont utiles pour mettre en garde tous
ceux qui pensent que poser le lien familial au fondement de l’anthropologie africaine, voir de son ecclésiologie, serait une manière
d’encourager le tribalisme. La perspective vise ici tout le contraire : partir du lien familial pour monter comment de son intérieur même, la
culture africaine est ouverte sur l’universel»: ILUNGA Muya, J., «Bénézet Bujo. Eveil d’une pansée systématique et authentiquement
africaine», in BUIO - ILUNGA, op.cit., p. 120.
21 Cf. Ibidem, p. 115.
22 Cf. MATUNGULU Otene, Etre avec. Heurts et lueurs d’une communion. Une spiritualité bantu de l’être avec, Lubumbashi, 1981.
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missionnaire, et la présente comme une visée capable de soutenir les efforts pour le renouveau de
l’action missionnaire de l’Eglise au troisième millénaire. Ainsi, notre propos s’articule en six points :
- l’actualité de la communion comme valeur prisée à notre époque ;
- une approche théologique à la communion en rapport à l’œcuménisme ;
- un rappel du fondement trinitaire de la communion en relation à l’universalité de la mission ;
- une considération des repères anthropologiques de la communion missionnaire en rapport à
l’évangélisation ;
- une présentation de la communion missionnaire comme modalité primaire de la mission ;
- et une indication de perspectives pour l’approfondissement et la pratique de la communion
missionnaire dans l’aujourd’hui de l’Eglise, en Afrique et ailleurs dans le monde.
1. L’actualité et l’intérêt croissant pour l’unité et la communion
Le concept d’Eglise-Famille de Dieu devenu un paradigme ecclésiologique majeur depuis la première
Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique en 1994 évoque, de manière vivace et
inculturée, la perception même de la nature de l’Eglise comme communion23. Pour certains, ce concept
«est appelé à faire faire du chemin aux Eglises d’Afrique. Il traduit l’Afrique profonde, celle où les
sociétés sont bien attachées aux valeurs d’alliance, et soucieuses de conserver ces liens de sang. Ceci
traduit une conception du monde et de la vie comme lieu d’interaction où les êtres sont en communion
vitale... On voit par là comment l’Afrique noire dans ces structures d’Eglise renoue avec ses racines
profondes et sa conception du monde. Et là il se révèle un défi: on n’évangélisera profondément
l’Afrique noire qu’en évangélisant les familles et les liens du sang, c'est-à-dire en les amenant à se
consolider dans l’accomplissement de la volonté de Dieu; et là, le concept de l’Eglise-famille peut jouer
un rôle catalyseur»24. Mais, tout compte fait, l’image africaine de l’Eglise-famille reprend un concept
central au concile Vatican II, elle reflète les mêmes traits essentiels du concept d’Eglise-Communion
élaboré par le Concile Vatican II25, qui, du point de vue de la théologie de la mission, avait donné le
coup d’envoi à une «ecclésiologie de communion et de mission»26. Et, même indépendamment de cet
enracinement dans l’ecclésiologie traditionnelle, le concept africain d’Eglise-Famille reste un concept
ouvert à la mission, comme le suggérait déjà Monseigneur Laurent Monsengwo Pasinya dans le
discours de clôture du Congrès Missionnaire International tenu à Kinshasa en 200427. Le concept
d’Eglise - Famille peut donc être valablement considéré comme une appréciable contribution de l’Eglise
d’Afrique au «développement de la doctrine de l’Eglise sous l’aspect de communion ou de famille»,
Ce thème a été énormément étudié. Cf. NOTHOMB, D., «L’Eglise-famille: concept-clé du Synode des évêques pour l’Afrique. Une
réflexion théologique et pastorale», in Nouvelle Revue Théologique, n° 117, 1995, p. 44-63; BOKA DI MPASI, L., «Le Synode africain, un
nouveau départ sans retour», in Telema, n° 1, 1995, p. 13-20 ; Directives et Orientations pastorales pour une planification des priorités
apostoliques 1996-2000, Dakar, 1996; GANTIN, B., «Synode africain un grand bond en avant», in Telema, n° 3-4, 1996, p. 15. SOME,
J.M., «L’Eglise-Famille de Dieu», in Revue de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest, n° 14-15, 1996, p. 67-80, et les contributions de
DABIRE, J.-M., de Mgr MONSENGWO Pasinya, L., de YANOOGO, B.D., et MBARGA, J., dans le même volume. ROAMBA, B., «Pour
une ecclésiologie de ‘L’Eglise-Famille de Dieu’», in Telema, n° 1-2, 1997, p. 43-68. A toute cette production, on ajoute les autres
contributions du volume: SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, Eglise-Famille. Eglise fraternité. Perspectives post-synodales.
Actes de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Kinshasa, 1997. En plus de ces contributions,
le SCEAM a publié deux Lettres pastorales sur le sujet en 1998 et 2001. La Conférence Episcopale Nationale du Congo a publié, en 2001,
un ‘Directoire sur la nouvelle évangélisation et la catéchèse dans la perspective de l’Eglise-famille de Dieu’. Même l’Association
panafricaine des exégètes catholiques, dans son 8ème et 9ème congrès (Ouagadougou et Abuja), a travaillé sur le thème ‘L’Eglise-famille
et perspectives bibliques’. Cf. MONSENGWO, L., «L’Eglise comme ‘Famille de Dieu’. Une contribution importante en ecclésiologie», in
TSHIBANGU, T., (éd.), L’avenir de l’activité missionnaire ‘Ad Gentes’. Perspectives pour le XXI ème siècle. Actes du congrès. Kinshasa,
2005, p. 101.
24 KABASELE Lumbala, F., «Ressorts et perspectives d’une ‘Eglise-Famille’ en Afrique», in Revue Africaine des Sciences de la Mission
(RASM), n°2, 1995, p. 28.
25 Cf. BISHWENDE, A. R., Eglise-Famille de Dieu dans la mondialisation. Théologie d’une nouvelle voie africaine d’évangélisation, Paris,
2006.
26 Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX/1, 1986, Vaticano, 1987, p. 1783.
27 Cf. Mgr MONSENGWO Pasinya, L., «Discours de clôture», in TSHIBANGU, op.cit., p. 474.
23
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comme le prévoyait Mgr Th. Tshibangu, alors évêque auxiliaire de Kinshasa en 1987, dans un petit
ouvrage intitulé La théologie africaine28.
D’autre part, plusieurs Africains, africanistes et africanologues ont montré la réceptivité de l’Afrique à la
valeur chrétienne de l’unité ou de la ‘communion vitale,’ grâce notamment au substrat culturel
traditionnel de ce continent29. Cette profonde ‘pensée de l’unité’ se reflète dans le vécu personnel et
social des Africains. «L’unité est la caractéristique essentielle de la pensée négro-africaine. L’Africain
connaît, atteint la vérité à travers l’unité de la conscience avec l’objet de la connaissance. La pensée de
l’unité a de très fortes racines en Afrique; elle peut être considérée, avec le concept de force et de vie,
comme l’un des concepts essentiels de la culture et de la civilisation africaine.»30 Et même si, dans
l’actualité de la traduction existentielle, cet héritage ancestral peut aujourd’hui se heurter à des
contradictions de parcours (guerres, conflits interethniques, abus de pouvoir, violation des droits
humains, appropriation illicite du bien commun, corruption, etc.), par-delà la crise, la pensée elle-même
fait ressortir des paradigmes d’humanité tels qu’une saine circularité des relations entre les personnes,
l’accueil chaleureux de l’autre, la solidarité dans les moments difficiles, un esprit familial et associatif
fort, etc. 31 Ce sont «des valeurs de l’esprit et de l’intelligence, valeurs morales et religieuses que
l’Afrique doit sauver et dont elle a la tâche d’assurer la vitalité. » 32 Ce qui, en définitive, dessine tout un
ensemble culturel marqué du sens de communion et qui, en plus d’être un des apports plus spécifiques
de l’Afrique à la construction de la famille humaine33, facilite sa rencontre avec l’Evangile qui est aussi,
dans son fond, un message de communion34.
Cette structure culturelle de l’Afrique peut donc constituer un point d’attache entre d’une part l’Afrique
elle-même et ses modes de vie et de pensée et, d’autre part, l’Evangile et le message de communion
qu’il propose. En effet, même le magistère ecclésial reconnaît à l’Afrique cette disposition culturelle
d’ouverture à la communion, censée pouvoir devenir un don pour l’humanité toute entière. Ce qui
s’avère être de bon auspice pour une inculturation appropriée, en mesure de s’ouvrir aussi à une
interculturalité enrichissante sur la voie de la communion35. Selon l’Exhortation apostolique postsynodale Ecclesia in Africa (EA), la civilisation africaine est «dotée d’une vaste gamme de valeurs
culturelles et de qualités inestimables qu’elle peut offrir aux Eglises et à toute l’humanité» dont «un
profond sens religieux» (42); un sens «de la famille, de l’amour et du respect de la vie…un sens aigu de
la solidarité et de la vie communautaire» perçu comme «une préparation à la foi dans la communion
des saints» (43). Un ensemble de valeurs donc qui mettent l’Afrique en mesure de promouvoir et
d’établir, par le biais de l’Eglise-famille de Dieu, sa communion continentale ainsi que la communion
universelle.
Mais, au-delà de la sensibilité africaine et de ses échos en ecclésiologie inculturée, la réalité de la
communion est un paradigme de valeur universelle. On la retrouve dans plusieurs autres religions36, et
DE HAES, R., «L’Eglise comme communion selon Vatican II», in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, op.cit., p. 255. «En
écho avec le Concile Vatican II et avec son enseignement de ‘l’Eglise peuple de Dieu’, l’Eglise d’Afrique a approfondi dans les dernières
décennies l’ecclésiologie de ‘l’Eglise famille de Dieu’, et considère cette approche comme sa contribution à l’Eglise universelle»: NDIOKALA, J.- NTALU, A., (dir.), D’un Synode africain à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir: Eglises et société en Afrique,
Paris, 2007, p. 26.
29 Cf. HAMPATE BAA, A., Aspetti della civiltà africana, Bologna, 1975, p. 83 ; MULAGO, V., «Religions traditionnelles et christianisme», in
Actes Semaine Théologique, Kinshasa, 1975, p. 78; SENGHOR, L. S, La poésie de l’action, Paris, 1982, p. 80.
30 NDAW, A., La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, Dakar, 1997, p. 248.
31 «It has been established through many studies that the notion of community plays a determining role in the life of African person. Apart
from their community, African people are not fully person. A person’s personality and individuality are guaranteed only insofar as the
individual is integrated into the community on the one hand, and the community serves and strengthens the individual on the other”:
MAGESA, op.cit., p. 213.
32 SANTEDI, op.cit., p. 122.
33 «L’Afrique au sud du Sahara peut apporter au reste du monde son souci de communion avec l’environnement et sa tolérance religieuse,
peu expansionniste et peu prosélyte. En montrant aux autres peuples son style de vie sans prétention, et en leur apprenant la manière
d’être soi-même sans s’imposer aux autres, l’Africain est l’homme de la communion, d’accueil et d’hospitalité qui apportera à l’humanité la
paix de ceux qui chérissent le lien humain»: QUENUM, J.-M. H., Le Dieu de la solidarité qui vient à l’Africain, Abidjan, 2005, p. 155.
34 Cf. ARENA, D., "L'Evangile de la communion: dynamisme pour une inculturalité africaine promotrice de fraternité universelle" in Sedos,
n° 40, 2008, p. 249-256.
35 Cf. KAPUTA, L. J., L’identité africaine et l’occidentalité. Une rencontre toujours dialectique, Paris 2006.
36 Cf. FILORAMO, G., e.a., Manuale di storia delle religioni, Roma 2002; WIDENGREN, G., Fenomenologia della religione, Bologna, 1984.
28
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même déjà en Egypte ancienne. «La pyramide qui marque si fortement la civilisation égyptienne au
point d’en être devenue la métaphore n’exprime-t-elle pas l’union finale de toutes les différences en un
tout unique?»37. Et, voilà qu’en ces derniers temps qui sont les nôtres, la communion fait encore l’objet
de plusieurs études. C’est ainsi qu’elle est devenue, par exemple, un principe éducatif 38. Elle s’impose
comme facteur décisif au niveau d’une psychologie relationnelle, d’une sociologie humanisée et globale,
d’une politique avisée39 et même d’une économie rentable40. De là la communion apparaît comme
l’épicentre de la «civilisation de l’amour» que toute institution chrétienne devrait être heureuse de
promouvoir.
A cet égard, on comprend de plus en plus que les problèmes du monde et de l’Afrique appellent à des
formes de dialogue, comme le dialogue interreligieux, notamment, le dialogue avec l’Islam et avec les
religions traditionnelles africaines, et qu’ils sollicitent à des implications de forces solidaires formées de
préférence aux principes démocratiques41. Tout cela se comprend puisque l’unité-communion est, enfin
de compte, l’aspiration anthropologique la plus profonde de la personne humaine créée à l’image de
Dieu (Gn 1, 26-27), d’un Dieu qui est amour et qui, en son Fils Jésus-Christ, prie pour l’unité (cf. Jn 17,
21). C’est l’unité (surtout quand elle est parfaite, à savoir dans la phase où elle parvient à assumer
toutes les différences pour engendrer une nouvelle création) qui fait la joie et le bonheur de l’existence
humaine, car elle est aussi le bonheur eschatologique que l’être humain attend de tout son désir.
En plus, cette référence à la nature divine permet de faire remarquer la ressemblance ou l’affinité
sémantique qui existe entre l’unité-communion et d’autres réalités humaines et théologiques telles que
la paix-shalom, la réconciliation, la justice, la liberté, la vérité et la sainteté qui sont des valeurs du
Royaume de Dieu et des signes du salut en Jésus-Christ. En effet, on attribue de plus en plus à la
notion de communion une valeur sotériologique. «Pour la pensée biblique, telle que les premiers siècles
la comprennent, le salut s’appelle communion», a pu écrire, à ce propos, le professeur Léonard
Santedi.42 D’autres auteurs vont jusqu’à concevoir la communion comme la réalité qui produit le salut
dans sa totalité (“holistic salvation”): «Salvation as such, however, is something that comes only through
Christ (again, explicitly or implicitly acknowledged), and consists in participation in God’s triune
communal life and mission»43. Et si l’on se souvient que la mission est, depuis toujours, finalisée à
transmettre le salut, un salut parfois associé à la guérison et à la libération physique et morale, on se
rend compte immédiatement que la communion en tant que salut total et complet devrait avoir une
place importante dans la praxis missionnaire et dans la pensée missiologique de toutes les Eglises.
Voilà pourquoi le thème de la communion attire de plus en plus l’attention des chercheurs en théologie
de la mission. En effet, un des tout derniers traités de théologie missionnaire produit par les professeurs
Bevans et Schroeder qu’on vient de citer, tout en prenant en considération les paradigmes les plus en
vogue (libération, proclamation, dialogue), traite précisément, en premier lieu, de la mission en tant que
participation à la communion de Dieu Trinité, à la lumière de la Missio Dei44. Cette perspective a comme
KAFFO, F. R., Demain sera l’Afrique, Paris, 2008, p.70.
Il parait d’après certains spécialistes du domaine psychopédagogique qui s’exprimaient au cours d’une réunion de professionnels
sensibles à la valeur de l’unité, que l’enfant est plus sensible et affecté par l’amour et donc la communion qui existe entre ses parents que
par l’amour que chacun d’eux peut lui montrer.
39 Cf. MERZOUG, M. S., L’Africanisme solidaire. Sur les quais de l’espérance, Paris. 2008.
40 C’est impressionnant de savoir qu’il y a en chantier des nouvelles disciplines, de droit de communion, d’architecture de communion
d’économie de communion (Caritas in veritate 46).
41 Cf. QUENUM, J.-M. H., «Conflit et réconciliation: enseignement des Evêques de la CERAO», in Revue de l’Université Catholique de
l’Afrique de l’Ouest, n° 27, 2006, p. 149. Cf. aussi : DIOUF, L., Eglise locale et crise africaine. Le diocèse de Dakar, Paris, 2001.
42 SANTEDI Kinkupu, L., «Unité de vocation et diversité des ministères. Perspectives pour une nouvelle relation entre prêtres et laïcs», in
MALOLO, F., e.a., Pour une institution des laïcs dans l’Eglise. Africains et Européens en quête de renouveau conciliaire, Paris, 2004, p.
37.
43 BEVANS, S. B., & SCHROEDER, R. P., Constants in Context. A Theology of Mission for Today, New York, 2005, p. 300.
44 A propos de la Missio Dei, on peut trouver plus de précisions dans BOSCH, D.J., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir
des modèles missionnaires, Lomé/Paris/Genève, 1995.
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conséquence immédiate la perception de l’Eglise comme «communion-in-mission»45. C’est pour cela
que l’Institut Africain des Sciences de la Mission, qui est appelé à interagir avec les mouvances de la
culture et de la recherche missiologique et théologique en rapport aux réalités du continent, ne pouvait
que ressentir comme une attraction spontanée vers le thème de l’unité-communion en tant qu’enjeu
pour l’auto-conscience des Eglises et leur mission en Afrique et dans le monde d’aujourd’hui. Mais
comment terminer cette évocation des mobiles à la base du choix du thème de l’unité-communion sans
mentionner l’élan de communion réanimé dans l’Eglise catholique dans le sillage du jubilé de l’an
2000 ? Comme le suggérait le pape Jean-Paul II, dans l’Eglise catholique, la communion est devenue
aussi une recommandation pressante et un projet de vie personnelle et ecclésiale qui englobe a fortiori
la mission «si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du
monde» (Novo millennio ineunte, NMI 43).
C’est donc dans cette conscience ecclésiale ouverte à la catholicité et à l’universalité contemporaine
que les lignes qui suivent entendent scruter et propulser la communion missionnaire comme valeur de
base d’une théologie et spiritualité missionnaires pertinentes face aux réflexes culturels africains, à
l’orientation de l’ecclésiologie post-conciliaire et aux filons de la recherche missiologique ainsi qu’aux
exigences et enjeux du monde contemporain à l’aube du troisième millénaire. Et c’est, en tenant compte
de tous ces mobiles et sur la base de certains approfondissements déjà réalisés, qu’il nous semble
profitable de re-proposer le thème de la «communion missionnaire» au sein de la recherche
missiologique. C’est aussi les fruits produits par l’esprit de communion en terrain missionnaire qui nous
convainquent que ce thème contient une visée de vie apostolique pouvant déclencher un dynamisme
(certes en partie exploré mais encore à découvrir) capable de guider et peut-être de transformer en
mieux la mission que l’Eglise est appelée à accomplir pour l’humanité de notre temps. Nous le ferons
brièvement en présentant dans un premier temps cette visée telle qu’elle ressort du texte de base qui la
contient et puis nous tâcherons d’en approfondir les significations, les prérogatives, les implications et
les perspectives pour la mission en Afrique et ailleurs.
2. La communion missionnaire comme lieu théologique de l’œcuménisme
«La communion avec Jésus, d’où découle la communion des chrétiens entre eux, est absolument
nécessaire pour porter du fruit: ‘en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire’ (Jn 15, 5). Et la
communion avec les autres est le fruit le plus beau que les sarments peuvent porter: c’est, en effet,
un don du Christ et de son Esprit. Or, la communion engendre la communion et se présente
essentiellement comme communion missionnaire…La communion et la mission sont
profondément unies entre elles, elles se compénètrent et s’impliquent mutuellement, au point que la
communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission: la communion est
missionnaire et la mission est pour la communion. C’est toujours le même et identique Esprit qui
appelle et unit l’Eglise et qui l’envoie prêcher l’Evangile ‘jusqu’aux extrémités de la terre’ (Ac 1, 8).»
Ce paragraphe 32 de l’Exhortation Apostolique Christifideles Laici (CL 32) du pape Jean-Paul II (30
décembre 1988) est le passage où la locution “communion missionnaire” apparaît pour la première fois
sous la plume du magistère de l’Eglise catholique. Ce texte, qui par sa densité spirituelle se prête à la
méditation, est destiné à toute l’Eglise. Il concerne l’activité missionnaire de l’Eglise partout dans le
monde. Il la présente dans une relation de dépendance totale à la communion avec le Christ-centre
dynamique de toute unité («En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire»), et dans son ouverture
nécessaire à «la communion avec les autres» qui est le premier fruit de la communion au Christ.
Cependant la communion missionnaire renvoie à la communion de la Trinité comme à sa source
45
BEVANS – SCHROEDER, op.cit., p. 286- 304.
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originaire et vivifiante46. Nous essayons de la conjuguer plus particulièrement avec la réalité de
l’Afrique, ou à partir de la réalité de l’Afrique. Mais il convient de dire tout de suite que, de par sa nature,
la visée de la communion missionnaire est censée constituer un point de ralliement œcuménique
pouvant mettre en synergie les efforts missionnaires des différentes ‘communions’ chrétiennes.
S’il est vrai que la locution, ainsi que sa notion, est chérie par l’Eglise catholique qui l’a forgée et l’a
mise à contribution comme un prolongement direct des acquis du concile Vatican II sur la mission, il est
aussi vrai que les Conférences Missionnaires Mondiales des dernières années et d’autres instances
des Eglises protestantes et orthodoxes n’ont pas manqué d’en percevoir la pertinence et d’en évoquer
la nécessité pour l’aujourd’hui de la mission. C’est, en tout cas, la tendance qui émerge des documents
produits surtout entre 1974 et 2005 sur la mission, notamment la Déclaration de Lausanne (1974), les
déclarations du Conseil œcuménique des Eglises sur la mission (1980-2005); Mission dans l’unité. Une
invitation aux Eglises réformées (2003), etc. En réalité, depuis une époque proche de la nôtre, on
remarque dans ces différentes dénominations chrétiennes une attention croissante vers la théologie
trinitaire qui, de façon spontanée et théologiquement cohérente, entraîne un intérêt accru vers l’unité,
autre nom de la communion. Au sein des Eglises issues de la Réforme, dans un esprit désormais
centenaire et dont on peut situer l’origine dans la Conférence missionnaire d’Édimbourg en 1910, on a
une conscience toujours plus vive de la nécessité de l’unité pour la réussite de la mission. C’est ainsi
qu’à Canberra en 1991, dans le cadre de l’approfondissement de la koinonia néotestamentaire, on
rappela, probablement sous l’effet de la Missio Dei, le devoir d’un témoignage commun dans la
mission47. Dans un document de 1988, les Orthodoxes s’expriment d’une façon également significative:
«L’Eglise, en tant que présence du Royaume de Dieu, est appelée à manifester cette communion et cet
amour trinitaire en son sein et à l’égard du monde. La mission de l’Eglise consiste à exprimer cette unité
et cet amour»48. C’est que, comme on peut le voir déjà dans certains milieux où les chrétiens des
différentes dénominations misent prioritairement sur l’unité en Christ au-delà de l’appartenance à leurs
propres Eglises, il est toujours plus facile pour ces derniers de se mobiliser autour d’un projet
missionnaire commun et de collaborer à la réussite d’initiatives concertées49. La mission axée sur la
communion se présente alors comme une activité chrétienne qui devient, non plus l’avant-poste de la
division entre dénominations chrétiennes comme cela a malheureusement été le cas dans le passé
même en Afrique, mais l’occasion privilégiée d’un témoignage de fraternité et d’œcuménisme fécond.
Comment ne pas voir que cette approche de communion missionnaire qui facilite l’œcuménisme puisse
s’avérer bénéfique, particulièrement en Afrique, aux relations avec les Eglises Indépendantes et même
avec les mouvements religieux, même sectaires, qui foisonnent sur le continent? En effet, la
communion, qui est le résultat de l’amour vécu dans la vérité (cf. Ep 4, 15), porte à garder une proximité
amicale avec n’importe qui et donc avec les adeptes de ces communautés et mouvements religieux
d’inspiration chrétienne; mais en retour cette communion, étant comme «le noyau de l’Evangile»
(Evangelii nuntiandi, EN 28), vérifie leur consistance chrétienne. En pratiquant la charité dans la vérité
avec leurs membres, les dénominations chrétiennes classiques, qui se reconnaissent dans la
communion d’amour instaurée par l’Esprit en eux par le Baptême (cf. Ga 3, 27-28; 1Co 12, 13; Col 3,
10-11), comme «engagement» dans une «vie nouvelle» de résurrection (1 P 3, 21; Rm 6, 4; cf. Ep 4,
20-24) poseraient les bases pour avancer vers la fixation de l’identité chrétienne dont les Eglises
Cf. SANTOLINI, G., «La mission de l’Eglise: de la Trinité, par la croix, dans l’Esprit», in RASM, n° 2, 1995, p. 29-49 ; CAPMANY, J.,
e.a., La Chiesa mistero di comunione e di missione, Roma, 1994.
47 Cf. BLASER, K., (textes réunis), Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de tradition missionnaire. Perspectives
oecuméniques, Paris/Genève, 2000, p. 465.
48 Ibidem, p.105.
49 Voir, par exemple, la Citadelle du Mouvement des Focolari d’Ottmaring (Allemagne) où Catholiques et Luthériens cohabitent dans la
recherche de l’unité entre eux et dans le désir de donner ensemble un témoignage du Seigneur ressuscité. On sait aussi que là où ce type
de Citadelles de ce Mouvement se sont constituées en Afrique (par exemple au Cameroun, au Kenya et Cote d’Ivoire) se dégage le même
esprit d’œcuménisme impliquant les frères Africains d’autres Eglises dans un commun esprit de dialogue face à l’Islam et aux Religions
Traditionnelles Africaines.
46
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indépendantes et les nouvelles communautés se réclament50. Ce minimum essentiel de l’Evangile
qu’est l’amour portant à la communion avec autrui en Jésus-Christ pourrait donc offrir aussi une voie de
dialogue ouvert à l’espérance entre les blocs chrétiens de traditions anciennes et les Eglises
Indépendantes et mouvements plus récents. Il peut aussi mettre en circuit et promouvoir une sorte
d’œcuménisme du peuple et de la vie qui, unissant les disciples du Christ dans l’essentiel de la foi
chrétienne, représente un soubassement préalable à la réussite d’un dialogue d’entente doctrinale.
Ainsi perçue, en accord aussi bien avec le filon de la théologie missionnaire liée à la Missio Dei en
milieux protestants, avec la médiation du concile catholique du Vatican II qui professe de façon
magistérielle le rattachement de la mission à la Trinité (Ad gentes, AG 2) ainsi qu’avec les
développements missiologiques survenus dans les milieux orthodoxes, la communion missionnaire peut
traduire dans l’hic et nunc de l’histoire du monde la communion trinitaire de Dieu qui s’ouvre en mission
dans le Fils et dans l’Esprit.
3. Le fondement trinitaire de la communion et l’universalité de la mission
Fort de cette unanimité et des possibilités qu’elle ouvre, la visée de communion missionnaire agit
comme un concept dynamique qui ouvre les esprits des chrétiens soit à participer intensément au
premier mystère de leur foi, soit, du même coup, à reconnaître, de façon presque naturelle et
spontanée, que l’Eglise est tout entière, et par nature, missionnaire (cf. AG 2) comme la Trinité dont elle
est l’image. Par là, tout en appréciant à sa juste valeur la spécificité de la vocation et de l’engagement
missionnaire Ad Gentes, les chrétiens s’enracinent dans la conviction que la mission est une activité qui
est censée se réaliser toujours, partout, par tous et pour tous. Dans un monde de brassage des peuples
et de migrations tous azimuts, cette conscience que tous les chrétiens sont missionnaires (cf. Lumen
gentium, LG 17; AG 2.6.35; Apostolicam auctositatem, AA 3) est bénéfique aux deux hémisphères et
quatre coins du monde chrétien. Elle permet d’accueillir avec joie l’élan de mission venant aussi des
peuples récemment évangélisés, vers les pays d’ancienne chrétienté. En effet, le rapport de
communion, qui contient le donner et le recevoir de chacun, sollicite partout un accueil solidaire et
indiscriminé, ainsi que l’égalité des chances de tous et surtout du personnel qui s’engage pour la
mission dans un territoire autre que sa terre de naissance. Cette conscience et ouverture mutuelle
restituent et renforcent l’envergure universelle de la mission de l’Eglise aux horizons universels de Dieu
qui, depuis la création, a englobé dans un même plan de salut universel toute l’humanité et tout le
cosmos dans l’éternité du temps.
Il faudrait donc percevoir, dans cette perspective, le maximum d’universalité que la mission peut
atteindre, du point de vue aussi bien spatial que temporel et anthropologique, dans le sens des acteurs
comme dans celui des destinataires. Il y a là tout le mystère de l’Eglise comme sacrement universel du
salut en Jésus-Christ. En fait, le paradigme de la communion missionnaire implique la participation
universelle à la mission de toutes les composantes de l’Eglise et donc des fidèles laïcs, qui représentent
la grande majorité du peuple de Dieu. D’ailleurs l’idée de communion missionnaire, comme
concrétisation ecclésiale de la communion trinitaire, tout en étant redevable aux acquis missiologiques
de Vatican II, commence son évolution dans un contexte laïque: l’Exhortation apostolique Christifideles
Laici porte sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde. La mission se justifie
et s’appuie premièrement sur la grâce du sacrement du baptême, la porte de la communion
Cette possibilité semble être déjà évoquée par le Sermon de Saint Augustin sur le Psaume 32, en référence aux Donatistes et au
baptême commun: «Mais pourquoi le prophète nous a-t-il dit: Vous leur répondrez: «Vous êtes nos frères», sinon parce que nous
reconnaissons en eux le baptême que nous ne réitérons pas…Nous vous adjurons donc, mes frères, par cette tendresse de charité
nourrissante comme le lait, fortifiant comme le pain, par le Christ notre Seigneur, par sa douceur…Nous vous adjurons, dis-je, pour ces
malades, soi-disant sages, mais d’une sagesse naturelle et charnelle; ils sont pourtant nos frères. Ils célèbrent les mêmes sacrements, et
bien qu’ils ne les célèbrent pas avec vous, ce sont bien les mêmes; ils répondent un même ‘Amen’, et si ce n’est pas avec nous, c’est bien
le même. Priez Dieu pour eux, du plus profond de votre charité»: cité dans La liturgie des heures. Temps ordinaire-Semaines VII-XXI, t.
III, Paris, 1980, p. 265.
50
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missionnaire. Ce baptême, qui est commun à tous les membres de l’Eglise catholique, est reconnu,
dans son fond théologique, par toutes les dénominations traditionnelles des chrétiens, comme un
premier élément d’unité. En Afrique, là où le personnel clérical, quoique en croissance, reste encore
insuffisant face à l’immensité de la tâche missionnaire à accomplir, la participation des laïques, qui se
fera dans un esprit de communion avec les instances hiérarchiques établies, contribuera à accélérer
l’évangélisation à tous les niveaux par le principe de proximité et d’affinité qui s’exprime dans la forme
souhaitable et efficace de «l’apostolat du semblable envers le semblable» (AA 13). La participation des
laïcs contribuera aussi à donner à l’Eglise d’Afrique une image effective de famille et peuple de Dieu,
dont les membres sont unis dans la même appartenance et la même mission au-delà de toute tendance
à l’autoritarisme et au cléricalisme.
En plus, par son universalité illimitée, la perspective trinitaire, dans laquelle la communion missionnaire
est fondée, peut faire comprendre davantage la mission comme activité finalisée à la réalisation du
dessein salvifique de Dieu qui est aussi établissement de la communion universelle, comme point
d’arrivée et préfiguration de la communion définitive avec Dieu. Cette «mission profonde»(Gaudium et
spes, GS 42) revitalise ainsi le plan de salut de Dieu et le rend effectif dans l’histoire. Elle a pour but de
faire participer l’humanité et la création au dessein éternel de Dieu qui est celui de récapituler, par le
biais de la fraternité universelle (GS 32; 38; 91; 92), toutes choses en Jésus Christ (Ep 1, 9-10; Col 1,
15-20). Dès lors la mission est en mesure de se référer à la communion missionnaire trinitaire comme à
sa source vivifiante, mais aussi comme à son but ultime de faire participer l’humanité à la communion
d’amour trinitaire qui est évoquée dans le mandat missionnaire que le Ressuscité a donné aux disciples
(cf. Mt 28, 19-20)51. – Dans cet ordre d’idées, on pourrait même penser, à l’intention surtout de l’Afrique
et de son Eglise, qu’elles pourraient, en évitant tout risque d’isolement, y trouver des motivations pour
promouvoir plus activement l’unité et la solidarité africaine en partenariat entre le continent et la
communauté internationale52.– Toujours est-il qu’à ce rattachement trinitaire que la communion
missionnaire postule, il faut inscrire aussi d’autres harmoniques et prolongements relatifs à ses
dimensions anthropologiques, christologiques, pneumatologiques et ecclésiologiques, que nous nous
limitons ici à évoquer rapidement.
4. Les repères anthropologiques de l’évangélisation et le témoignage communautaire
La communion missionnaire de la Trinité, qui s’exprime tout d’abord dans la mission-incarnation du Fils
de Dieu et qui est reproduite dans l’histoire par la communion missionnaire de l’Eglise, renforce aussi la
mission dans sa dimension anthropologique et contextuelle dont on ne peut se passer. Le Fils de Dieu
que le Père a envoyé pour rassembler les enfants de Dieu dispersés (cf. Jn 12, 52) «s’est anéanti luimême» (Ph 2, 7) pour devenir homme en établissant une alliance hautement participative avec
l’humanité. Le mystère de sa kénose jusqu’à la croix a, par la puissance de la résurrection, lié dans
l’unité l’humanité avec Dieu et les humains entre eux à telle enseigne que cette unité que le Seigneur
Jésus procure est capable de dépasser toute forme d’altérité. «Oui, vous tous qui avez été baptisés en
Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni Grec; il n'y a plus ni esclave, ni homme libre; il n'y
a plus l'homme et la femme; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus Christ» (Ga 3, 27-28). Lui-même,
sachant intégrer dans l’unité son humanité et sa divinité, accomplit en homme-Dieu la mission que le
Père qui l’envoie lui confie. Dès lors la mission, axée sur la communion, acquiert davantage son sens
anthropologique et de localisation. Il n’y a de mission que dans un contexte déterminé, là où la vie de
Dieu (la communion, la grâce) est transmise par les communautés et les personnes missionnaires à
Cf. Mc 16, 15-20; Lc 24, 44-49; Jn 20, 21; voir aussi Ac 1, 4-8); Rm 1, 1-7; 8, 15-17; 1Co 1, 1-3; 2 Co 1, 1-2; 13, 11-13; Ga 1, 1-5; 4, 4-7;
Ep 1, 1-2; 6, 23-24; Ph 1, 1-2; Col 1, 1-2; 1 Th 1, 1-3; 2 Th 1, 1-2; 1 Tm 1, 1-2; 2 Tm 1, 1-2; Tt 1, 1-4; Ph 1, 1-3. Cf. HERRERO, F. P., «La
mission dans la perspective du mandat missionnaire du Ressuscité» in Omnis Terra, n°431, 2007, p. 149-160.
52 Cf. Mgr ONAIYEKAN, J., «SECAM and the mission of the church in Africa», in TSHIBANGU, op.cit., p. 39-45. C’est dans ce sens que
semblent aller les efforts de l’Eglise d’Afrique relatifs à «la constitution progressive d’ensembles régionaux… pour faire naître une parole
propre de l’Eglise d’Afrique qui puisse se faire entendre dans toute l’Eglise»: «Rapport général», in Ibidem, p. 496.
51
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d’autres personnes d’un peuple et d’une culture donnée. Ainsi, sans risque d’exagérations
fondamentalistes ou d’extravagances progressistes, la mission s’articule entre Missio Dei et Missio
Ecclesiae ou Missio hominum. Elle sera alors prompte à s’enrichir, «avec joie et respect», aussi bien de
la grâce divine que des «semences du Verbe» disséminés dans les cultures des peuples comme
préparation à l’accueil des valeurs évangéliques, ainsi que dans la laboriosité inventive des personnes
humaines, en conjuguant efficacement le tout au service de l’Evangile (AG 11).
Le respect et la valorisation de la culture apparaissent alors, dans la visée de communion missionnaire,
comme des valeurs à relancer, parce qu’ils constituent le premier témoignage d’amour des
missionnaires envers les populations auprès desquelles ils sont envoyés. C’est ainsi qu’en Afrique la
visée de communion missionnaire amène à exploiter au maximum le patrimoine anthropologique lié à
ce qu’on a appelé pensée de l’unité, comme point de jonction entre l’Evangile qu’on annonce et la
culture qui le reçoit, et comme humus nourricier de tout le processus d’inculturation53.
Le dynamisme trinitaire et la référence anthropologique sont aptes à transformer et à revitaliser l’activité
missionnaire en récupérant certaines prérogatives déjà annoncées par les Ecritures saintes. Il peut en
être ainsi, par exemple, de la présence du Christ ressuscité au milieu d’une communauté missionnaire,
qui assiste et guide le déroulement de la mission. La promesse «Et moi je suis avec vous jusqu’à la fin
de temps» (Mt 28, 20), tout en demeurant valide par l’agir mystérieux de l’Esprit Saint à travers la
Parole, l’Eucharistie, les sacrements et les médiations hiérarchiques et ministérielles (cf. Sacrosanctum
concilium, SC 7), peut aussi devenir effective; elle peut se réaliser à chaque instant lorsque dans la
mission s’établit la communion fraternelle des frères et sœurs réunis au nom de Jésus (cf. Mt 18, 20).
Par là les conditions sont réunies pour mettre en valeur le témoignage communautaire qui était
d’ailleurs une composante de la mission de la communauté primitive de Jérusalem (cf. Ac 2, 42-44; 4,
31-34). Par ce témoignage de communion donné communautairement, l’Eglise, comme la communauté
des premiers chrétiens, touche le sommet de la mission, qui consiste précisément à être témoin du
Christ ressuscité dans la force de l’Esprit (cf. Lc 24, 48; Ac 1, 8; 2, 32-33); le Christ qui, dans le cas, se
tient présent également au milieu de ses disciples (cf. Ac 2, 47)54 . «L’Eglise est alors une famille de
témoins. Témoins du Seigneur de la vie, témoins de la diversité des physionomies dans l’Eglise,
témoins de l’amour qui doit imprégner toute la vie de l’Eglise…témoins de la communion universelle
entre hommes et femmes aussi divers que les poissons du filet de Pierre. Alors l’Eglise famille de Dieu
peut vivre en prophète au cœur de l’Afrique et de l’humanité»55.
C’est ici qu’on peut se référer aux multiples passages du concile Vatican II qui rappellent que la vie de
communion, fruit de l’amour mutuel pratiqué par les fidèles au sein de leurs communautés ecclésiales,
est le témoignage le plus beau et le plus efficace pour le monde. «Pour que l’œuvre missionnaire
entreprise atteigne son but et obtienne ses effets, tous ceux qui s’adonnent à des activités
missionnaires doivent être ‘un seul coeur et une seule âme’ (Ac 4, 32)» (AG 30; voir aussi: AA 8.23;
Evangelii nuntiandi, EN 75; CL 32; Redemptoris missio, RM 75). En effet, dans l’esprit du concile
Vatican II, ce témoignage est d’une si grande efficacité qu’il montre la présence vivifiante du Seigneur
ressuscité au milieu des siens dans le monde et face au monde. «L’apostolat exercé en commun par
les fidèles correspond donc, de façon heureuse, à une exigence humaine et chrétienne, et représente
en même temps le signe de la communion et de l’unité de l’Eglise dans le Christ, qui a dit: ‘Là où deux
ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux’ (Mt 18, 20). C’est pourquoi les fidèles
Cf. MATUNGULU, op.cit.
«…Avec raison, les Pères du Synode africain ont vu dans la prière sacerdotale le but dernier de la mission de l’Eglise, témoigner de
l’unité et de la fraternité…»: POUCOUTA, P., «Christ notre unité», in Revue de l’Université de l’Afrique de l’Ouest, n° 27, 2006, p. 114115. «La communauté des Apôtres avec Jésus est le modèle de leur vie; il avait réuni les douze autour de lui pour en faire ses
compagnons et ses envoyés (cf. Mc 3, 14). L’appel et la présence du Seigneur au milieu des Oblats aujourd’hui les unissent dans la
charité et l’obéissance pour leur faire revivre l’unité des Apôtres avec lui, ainsi que leur mission commune dans son Esprit»: Constitutions
et Règles de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, Rome, 2000, art. 3, p. 23.
55 POUCOUTA, op.cit., p. 109.
53
54
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exerceront leur apostolat dans un esprit d’union et d’unanimité» (AA 18 ; cf. CL 64). Il est question ici
d’un véritable accomplissement de l’unique mission de l’Eglise, celle de montrer à l’humanité, par le
biais de sa communion, que le Christ est présent et vivant en son sein, au milieu de ses disciples.
En somme, grâce à la communion, Dieu devient effectivement «l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous» (Mt 1,
23) qui habite «parmi nous» (Jn 1, 14) en Jésus Christ présent au milieu de l’Eglise par son Esprit (cf. 2
Co 3, 17)56. La présence du Christ devient alors le véritable point de jonction entre la communion (qui
le rend présent) et la mission (qui l’annonce présent). C’est dire, en d’autres termes, pourquoi la
communion est identifiable au salut. Qu’est-ce qui empêche alors de penser que cette présence du
Seigneur au milieu des siens réunis en son nom – en accord avec la ‘Shekinah’ des Hébreux dans
l’Ancien Testament qui signifiait «God-Who-Dwells-Within» et qui portait à lire le plan du salut comme le
déploiement de la volonté de Dieu d’habiter avec sa création et son peuple–, c’est finalement le même
mystère du salut caché depuis toujours, mais dévoilé en Christ présent au milieu des disciples: «le
Christ parmi vous! L’espérance de la gloire», comme l’affirme saint Paul?57 C’est sans doute pour avoir
fait de façon particulière, au moment de sa conversion sur le chemin de Damas, cette expérience de la
présence du Christ dans les membres de l’Eglise qu’il persécutait (cf. Ac 9, 4; 22, 7; 26, 14-15; 1Co 15,
9; Ga 1, 13; Ph 3, 6), que Paul y revient sans cesse dans ses lettres et la souhaite aux communautés :
«La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous
tous» (2 Co 13, 13).
5. La communion comme modalité primaire de la mission
Ce qui précède montre que la communion est comme le point de départ, l’origine et le préalable de la
mission. Mais si on considère, comme on l’évoquait plus haut, que la promotion et la réalisation de la
communion universelle «est en relation étroite avec la mission profonde de l’Eglise» (cf. GS 42. 92; AG
6), on comprend aussi qu’elle en est la finalité dernière. De cela découle la possibilité vraisemblable que
la communion soit, telle que nous le montre l’approfondissement de l’unité johannique58, «la modalité
primaire de la mission»’59.
Cette «modalité primaire de la mission», qui est inhérente à la visée de communion missionnaire,
pourrait inspirer tout un domaine de méthodologie et de planification. La façon de faire la mission dans
une mentalité de travail d’ensemble devrait entre autres compter sur des missionnaires formés et
disposés à devenir et à agir en témoins et animateurs de la communion (cf. Vita consecrata, VC 39. 4647); des missionnaires qui sachent privilégier, consolider et valoriser toutes les structures et instances
de communion existantes (paroisses, communautés de base, conseils, commissions, comités…) et, à
chaque niveau, en inventer d’autres, s’il le faut. Tout cela pour que dans le dialogue plus fraternel et
franc, la collaboration, la coopération et la coordination des efforts de toutes les composantes
ecclésiales deviennent choses courantes et accessibles à tous. En Afrique profonde, pourquoi ne
«C’est à l’Eglise qu’il revient en effet de rendre présents et comme visibles Dieu le Père et son Fils incarné..., en se renouvelant et en se
purifiant sans cesse, sous la conduite de l’Esprit-Saint… Enfin, ce qui contribue le plus à manifester la présence de Dieu, c’est l’amour
fraternel des fidèles qui travaillent ensemble, dans l’unanimité, au service de la foi de l’Evangile, et qui se présentent comme un signe
d’unité» (GS 21. 48); cf. AG 5.6.21; Unitatis Redintegratio 12; Perfectae caritatis 15.
57 Cf. FITZMYER, J. A., «La lettera ai Colossesi», in Grande commentario biblico, Brescia, 1973, p. 1267; ROSSE’, G., Gesù in mezzo.
Matteo 18, 20 nell’esegesi contemporanea, Roma, 1972.
58Cf. DODD, C. H., L’interpretazione del quarto Vangelo, Brescia, 1974; KÄSEMANN, E., L’enigma del quarto Vangelo. Giovanni: una
comunità in conflitto con il cattolicesimo nascente ?, Torino, 1977; BROWN, R. E., Giovanni. Commento al Vangelo spirituale, Assisi,
1979; SCHNACKENBURG, R., Il Vangelo di Giovanni, Brescia, 1981; “Esegesi ed excursus integrativi”, Brescia, 1987, in Commentario
teologico del Nuovo Testamento, IV/3-IV/4; SEGALLA, G., La preghiera di Gesù al Padre (Giov. 17), Brescia, 1983; ROSSE, G., L’ultima
preghiera di Gesù dal Vangelo di Giovanni, Roma, 1988. Ces écrits permettent aussi de se rendre compte combien, dans la perspective
biblique, la communion qui s’exprime en mission est aussi en osmose avec la sainteté.
59 Traduction de l’italien: ‘la modalità primaria della missione’: WALDSTEIN, M., “La missione di Gesù e dei discepoli nel Vangelo di
Giovanni”, in Communio, CXI, 1990, p. 30.
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pourrait-on pas valoriser les structures villageoises ou claniques que l’esprit de communion culturel a
déjà prévues pour sauvegarder la paix et la réconciliation de leurs membres? 60
A ce niveau, le fait de concevoir la famille comme Eglise domestique ayant la prérogative de
sauvegarder et de diffuser la communion dans la société, devrait porter à lui réserver une place de
choix dans l’apostolat missionnaire autant que pour les communautés de base61. On pourrait aussi se
demander si une telle vie ecclésiale missionnaire (où dans chaque palier communautaire: famille,
communauté de base, paroisse, en plus de l’intelligence de la Parole, de la participation à l’Eucharistie
et du secours des sacrements, l’esprit de communion entraîne solidarité, affection sincère,
compréhension, partage des peines et des joies, des biens matériels et spirituels, dialogue, accueil,
actions de promotion humaine), ne serait pas un formidable antidote à l’attraction que les sectes
exercent sur les chrétiens.
5.1. Implication christologique: le Christ au centre de la communion missionnaire
Tout d’un coup, c’est la perception christologique qui en tire des bénéfices, dans la mesure où la
christologie peut inscrire dans son agenda une relecture de l’existence du Christ à partir du principe
herméneutique de la communion missionnaire. Dans ce sens, plus que sur ses titres acquis par la
tradition, le discours sur le Christ est appelé à développer sa réflexion sur son être-envoyé de la
communion missionnaire de Dieu, lui qui est «le premier et le plus grand missionnaire» (EN 7). Par son
existence et ses enseignements, Il est donc envisageable comme le prototype, le paradigme de la
communion missionnaire. En effet, il peut se présenter comme «l’Un-de-Dieu» (Jn 1,18), le Fils de Dieu
et de l’homme, le Messie qui a l’auto-conscience d’être envoyé (cf. Lc 4, 16-21) par le Père (cf. Jn 3, 1617; Mt 10, 40; Mc 9,37; Lc 9, 48; 10, 16)62; et qui accomplit sa mission en communion avec son Père
(cf. Jn 20, 21) et avec ses disciples qu’il envoie ‘en mission deux à deux’ (Mc 6, 7-12; Mt 10, 1-9; Lc 9,
1-6; 10, 1-20); et qui, Seigneur ressuscité, envoie la communauté des Apôtres et des disciples réunis en
son nom pour éterniser sa présence dans le monde jusqu’au jour où l’humanité se trouvera à participer
à la communion du Dieu un et trine (cf. Mt 28, 18-20; Mc 6, 14-19; Lc 24, 45-49; Jn 20, 21; Ac 1, 8).
Dès lors son mystère pascal de mort et de résurrection n’est plus à lire seulement sous l’angle du salut
des âmes, mais plutôt comme l’avènement crucial qui restaure la communion entre les créatures et
Dieu et les créatures entre elles. Ce qui permet de mettre en premier plan les effets communautaires et
sociaux car ce mystère commence en Jésus depuis sa kénose de l’Incarnation (pour se faire un avec
l’humanité) et s’actualise dans l’Eucharistie (mémorial et sacrement de salut du Christ mort et
ressuscité, mais aussi mystère, mémorial et sacrement d’amour et de communion avec Dieu et entre
les disciples du Seigneur, cf. Sacramentum caritatis 15). Les catégories de vie nouvelle et de salut
obtiennent alors une surabondance de sens du point de vue sotériologique. En effet, le mystère pascal
est envisageable comme une parabole de grâce et de bénédiction qui obtient le salut de l’humanité par
la vie nouvelle qu’il engendre et qui consiste dans le rétablissement de son union avec Dieu et dans la
communion fraternelle de tous les humains en Lui.
De ceci ressort, avec plus de motivations, la centralité du Christ dans l’œuvre missionnaire. En effet, par
son exemplarité incomparable (à cause du don de sa vie par amour, dans sa mort et résurrection, cf. Jn
15, 12-13), il inspire l’agir missionnaire de l’Eglise. C’est Lui qui continue à envoyer en mission. C’est en
union avec Lui qu’on missionne. C’est Lui qui est annoncé dans le don-de-sa-vie-par-amour, depuis la
kénose de l’incarnation (cf. Jn 1, 14) jusqu’à sa mort en croix, et dans la puissance de sa résurrection
(cf. Lc 24, 46-48; 1 Co 1, 22-24; Ac 2, 22-36; 3, 13-15). C’est Lui qui demeure présent au milieu et en
chacun des envoyés (cf. Mt 18, 20; 28, 20). C’est, enfin, avec Lui, en sa présence béatifiante, qu’on se
Cf. MWANGI, J., «Harmonie et paix dans les relations humaines: valeurs et idéaux africaines. Construire la paix parmi les groupes», in
Recherches et Documents, n° 5, 2007, p. 27-42 ; BELLER, R., “Harmonie et paix dans les relations humaines: Valeurs et idéaux africains.
Le cercle rituel de réconciliation et la communauté africaine rituelle», in Ibid., p. 44-48.
61 Cf. SABUY Sabangu, P., «Quels repères anthropologiques pour la notion de communion?», in Euntes Docete, n° 2-3, 2005, p. 127-136.
62 L’Evangile de Saint Jean regorge de passages où ressort la conscience de Jésus d’être missionnaire de et en communion avec son
Père: cf. Jn 4, 31; 5, 23-43; 6, 38-40.57; 7, 29-33; 8, 16-18.42; 11, 42; 12, 44-50; 13, 20; 14, 24; 15, 21; 16, 5; 17, 3-8; 18-25; 20, 21.
60
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réjouit des fruits de la communion missionnaire (évangélisation et sanctification personnelle et collective
de l’humanité) qui rejoignent alors le bonheur de la communion d’amour de la Trinité.
Pour l’Afrique, il serait intéressant d’harmoniser cette herméneutique missionnaire de la parabole
humano-divine de l’existence de Jésus Christ avec la christologie africaine. Cette approche de
christologie missionnaire, mise en évidence par la réflexion sur la communion missionnaire, donnerait
plus de souffle universel et plus de sens ecclésial à la réflexion sur Jésus-Christ. Elle exalterait
davantage son titre de serviteur tout en le considérant, à bon escient, comme chef et aîné d’une
multitude de frères63. Bien plus, moyennant aussi l’ampleur des comptes mythologiques récupérées
dans les différentes pistes de christologie africaine, où la notion d’envoi pour une mission est bien
fréquente, Jésus, envoyé du Dieu un et trine, pourrait être admiré et suivi comme Maître et Témoin de
la communion de Dieu et de la communion fraternelle, et cela d’une manière qui complète les titres
d’«être-là-avec» Dieu, avec l’homme et avec le cosmos64, et les titres de «maître (aîné) d’initiation»’65 et
d’«animateur principal… et référence première de la communauté»’66 que d’aucuns, pertinemment, lui
reconnaissent déjà. Un Jésus qui, par sa vie missionnaire, témoigne d’un amour jusqu’à la mort pour la
communion avec ses frères et qui les instruit à faire de même à leur tour, redynamiserait, nous semblet-il, tout le sens communautaire de la culture africaine à la lumière de la communion missionnaire de la
sainte Trinité.
Mais, ce dont on peut se réjouir davantage, c’est le fait que par la communion missionnaire, l’Eglise
d’Afrique d’aujourd’hui réactualise des intuitions célèbres de ses ancêtres chrétiens, les Pères africains.
Elle renoue notamment avec Saint Cyprien qui, en indiquant l’Eglise comme «le peuple uni de l’unité du
Père et du Fils et de l’Esprit Saint» anticipait l’ecclésiologie de communion de Vatican II (cf. LG 4)67. Par
ce texte cité par Benoît XVI, l’Afrique d’aujourd’hui renoue avec Saint Augustin qui écrivait: «Tu vois la
Trinité quand tu vois la charité» (Deus caritas est, 9). Elle renoue aussi avec le contenu d’une Homélie
africaine du VI è siècle, pour la Pentecôte. Après avoir déclaré que dans l’Eglise remplie et rassemblée
par le Saint-Esprit «c’est son unité qui parle toutes les langues», l’Homélie affirme:
«Célébrez donc ce jour comme étant les membres du Corps du Christ dans son unité. Ce
n’est pas en vain que vous le célébrez, si vous célébrez ce que vous êtes… Vous êtes
établis dans toutes les nations, vous êtes donc l’Eglise du Christ, les membres du Christ, le
corps du Christ, l’épouse du Christ. Et l’Apôtre vous dit: ‘Supportez-vous les uns les
autres avec amour; rassemblés dans la paix, ayez à cœur de garder l’unité dans un
même Esprit’. Remarquez–le: lorsqu’il vous a prescrit de vous supporter les uns les
autres, il a proposé l’amour; lorsqu’il a nommé l’espérance de l’unité, il a indiqué le
rassemblement dans la paix. Telle est la demeure de Dieu, bâtie avec des pierres vivantes;
le père de famille se plaira à y habiter, car l’écroulement causé par la division ne doit pas
blesser ses regards»68.
En effet, c’est l’Afrique du passé qui, à travers l’Egypte berceau de la culture, accueillit le Fils de Dieu
en réfugié avec sa famille humaine (Mt 2, 13-23); c’est elle qui, ayant reçu l’Evangile par la prédication
apostolique, fit naître la première expérience de vie consacrée chez les moines de Thébaïdes qui
continuèrent à évangéliser et à former à la vie chrétienne par l’hospitalité communautaire69; c’est chez
Cf. PAKOUTA, P., Paul, notre ancêtre. Introduction au corpus paulinien, Yaoundé, 2008, p. 156-158 là où l’auteur cite: NDIAYE, B.,
Jésus, premier-né d’une multitude de frères. Etude de Rm 8, 28-30, Dakar, inédit., 1999.
64 PENOUKOU, E. J., «Christologie au village», in Chemins…, p. 89-106.
65 SANON, A. T., «Jésus, Maître d’initiation», in Ibid., p. 143-166.
66 KABASELE, F., «Christ dans l’actualité de nos communautés», in Ibid., p. 263-272.
67 Cf. ATITUNG Kalom, C., Typologie et sainteté de l’Eglise. Etude sur l’ecclésiologie de Tertullien et de Cyprien, Thèse de doctorat en
Théologie et Sciences patristiques, Rome, 2004; TSHISUAKA Kamuasayi, P., «Un premier contact avec le saint patron de notre école:
Saint Cyprien de Carthage», in Missionnaires, Religieux, Africains, Mélanges à l’occasion des XXV ans de l’Ecole Théologique SaintCyprien, Yaoundé, 2004, p. 11-24.
68 La liturgie…, t. II, p. 779-780.
69 Cf. MWAMBA, A., «L’hospitalité monastique, un chemin de sainteté», in RASM, n°22-23, 2007, p. 211-230.
63
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elle aussi qu’un bon nombre de Pères de l’Eglise, tout en développant la réflexion christologique et
trinitaire au sein des écoles théologiques d’Alexandrie et de Carthage 70, ont été les premiers à mettre
l’accent sur la dimension ecclésiologique de la foi chrétienne d’une manière qui annonçait l’ecclésiologie
de communion que nous retrouvons aujourd’hui au fondement de la communion missionnaire. Cet
héritage de patrologie africaine indique que la visée de la communion missionnaire favorise
l’établissement d’une Eglise qui danse permanemment la Pentecôte, la fête ecclésiale de la mission, et
qui devient, par l’Esprit, «la demeure de Dieu» parmi les hommes.
5.2. La mission de l’Esprit comme actualisation de la communion missionnaire dans l’histoire
La mission de l’Esprit est aussi mise en évidence et mieux comprise dans le cadre de la communion
missionnaire. En fait, le rattachement trinitaire de la communion missionnaire ne se limite pas à un
niveau cérébral ou de contemplation de la beauté de Dieu Trinité. Par contre, étant un don de Dieu et
une façon de vivre (bien plus qu’un esprit à cultiver et une ambiance caractérisant la vie en
communauté des chrétiens), la communion véhicule et facilite la pénétration de la vie divine dans
l’Eglise, ainsi que dans ses membres baptisés dans l’Esprit Saint (Mc 1,8; Lc 3, 16; Ac 1, 5; 11, 6). Et
cela justement par la mission de l’Esprit Saint qui tient sa spécificité dans le fait d’assurer la continuité
de la communion missionnaire de la Trinité dans l’histoire, en pérennisant la mission du Christ et sa
présence dans l’Eglise. La médiation de l’Esprit assure une réelle participation vitale à la vie d’amour et
de communion de la Trinité. En effet, c’est l’Esprit consolateur qui fait que le mystère de la Trinité
devienne visible et palpable dans la vie courante de l’Eglise en ses fidèles, en vertu justement de
l’amour divin que l’Esprit répand en eux (cf. Rm 5, 5). C’est, en définitive, l’inhabitation de la Trinité dans
l’Eglise et ses fidèles (cf. Jn 14, 23; Rm 8, 9-11; Ga 4, 6) qui est le fruit de la mission de l’Esprit. Cette
inhabitation est une catégorie de la doctrine spirituelle de la tradition chrétienne que l’Esprit peut réaliser
à tout moment lorsque l’Eglise et ses fidèles sont unis dans l’amour. La communion fraternelle vécue ne
fait qu’offrir la bonne terre ecclésiale dans laquelle l’Esprit répand l’amour de Dieu. Celui-ci unifie et
sanctifie l’Eglise qui est alors continuellement, pour ainsi dire, «consacrée» pour la mission. De ce fait,
comme par une Pentecôte qui peut se répéter à tout instant, l’Eglise devient missionnaire par nature
divine.
De cette manière on prend plus aisément conscience de l’action de protagoniste qu’à raison on attribue
à l’Esprit Saint dans la mission (cf. EN 75; RM 21-30), l’Esprit étant l’artisan divin de la communion et de
la mission de l’Eglise qu’il établit «in communione et ministratione» (LG 4 ; AG 4). On comprend alors
la fonction de la charité comme moteur de la mission qui se consolide ainsi comme la vertu théologale
par excellence qui donne sens à tout ce qu’on entreprend pour la mission (cf. RM 60), et comme un
point de convergence des hommes de bonne volonté qui sont en mesure d’y accéder librement. On
prend également conscience du fait que c’est peut-être à partir de ces points de vue pneumatologiques
qu’on peut avancer dans le dialogue interreligieux, étant donné que tous les êtres humains sont
capables d’amour et donc capables de se mettre sous la conduite de l’Esprit. C’est ce qu’on a pu
constater au cours d’un colloque de dialogue entre chrétiens et adeptes de religions traditionnelles
africaines organisé à Fontem (Cameroun) au mois de janvier 2009 à l’initiative de l’Oeuvre de Marie,
autre nom du Mouvement des Focolari. Des représentants de la religion du peuple Bangwa du
Cameroun et des chrétiens venus de plusieurs autres nations d’Afrique et du monde ont écouté et
présenté les points de vue de leurs religions respectives. Le lien d’amour propre à l’esprit de dialogue
les a tenus ensemble et unis en renforçant en chacun le respect de la religion de l’autre. Et il a
engendré, de manière inhabituelle, une compréhension nouvelle et plus riche de sa propre religion et de
la religion de l’autre, toutes les deux étant illuminées par l’ouverture et la foi au Dieu-Amour71. Ce genre
Cf. MAGESA, op.cit, p. 135-138.
Cf. ARENA, M., «Gli Oblati in Africa e le religioni traditionali», in Missioni omi, n°1-2, 2009, p. 10-13; MASERUKA, J. F., “Nature,
meeting place with God”, in New City Africa, n° 59, 2009, p. 20-22.
70
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d’expériences constitue sans doute une base pour se préparer à vivre dans l’Eglise de demain qui est
appelée, même en Afrique, à être plus charismatique pour être plus crédible et incisive72.
5.3. La mission de l’Eglise comme sacrement de la communion missionnaire de la Sainte Trinité
Comme on le voit, la communion dévoile un véritable dynamisme participatif, puisque quand on parle de
communion, on se réfère à quelque chose de mystérieux et de transcendant qui met en relation
dynamique le divin et l’humain. Ce dynamisme de l’unité-communion avait déjà été évoqué par Yves
Congar, un des pères de l’ecclésiologie contemporaine, dans son idée de «l’universalité dynamique» de
l’Eglise73. Récemment, en traitant des perspectives missionnaires ouvertes par Ad Gentes, le
professeur Pivot a aussi parlé de «dynamique d’unité»74. Or, ce dynamisme de foi et de vie est
particulièrement saisissable dans l’Eglise en tant que sacrement de la communion missionnaire de
Dieu. En tant que telle, l’Eglise est investie du dynamisme missionnaire de Dieu et, ainsi, elle est
susceptible d’en être médiatrice pour l’engendrer dans toute l’humanité75. Il s’agit d’un dynamisme vital
et interactif qui consiste dans la participation à la vie de Dieu qui, dans son amour, et donc par grâce,
fait de l’Eglise son sacrement de communion missionnaire pour le monde 76. Autrement dit, c’est la
Trinité immanente qui, par amour, se fait Trinité économique, à travers la mission du Christ et de son
Esprit, pour faire de l’Eglise un instrument de communion qui, en fait, est le vrai salut de l’humanité 77.
De la sorte, le salut est la communion de Dieu qui, par l’Eglise communion missionnaire, est
communiquée à tout homme et à tout groupe humain pour qu’ils en vivent et soient sauvés. On parle,
en définitive, d’un dynamisme reconnu par la tradition chrétienne, mais que la communion missionnaire
‘provoque’, pour ainsi dire, à se réaliser dans notre histoire pour y actualiser la présence et l’action de
Dieu par inhabitation, avec toutes les conséquences divines que cela comporte au niveau ecclésial et
personnel.
Cela signifie que l’Eglise, comme sacrement de communion, participant à celle de Dieu, possède le
même dynamisme d’amour, propre à la grâce de l’Esprit Saint, qui s’actualise mystérieusement à
chaque instant que l’amour réciproque s’établit entre ses membres. C’est alors que ce dynamisme
devient actif aussi dans les personnes humaines qui vivent de cet amour. Ainsi la Trinité se rend
présente dans la vie du monde d’une façon, pour ainsi dire, plus actuelle et plus efficace, parce que
plus localisée et donc plus visible. Le dynamisme est, en définitive, l’amour de Dieu, Dieu lui-même, que
la vie de communion obtient et qu’elle offre au monde comme une vie nouvelle. La communion apporte
la divinisation, elle est divinisation de la personne humaine et du monde (cf. Jn 10, 34). En un mot, elle
est le salut de Dieu pour l’homme78.
S’ouvrir à la Trinité, comme cela a été fait au Concile et comme cela advient dans l’aujourd’hui de notre
histoire par la communion missionnaire, est le premier pas de la foi qui permet à Dieu de faire participer
la créature à sa vie de communion et donc de lui permettre d’agir par elle dans l’espace et dans le
temps79. On comprend mieux ici ce passage de saint Jean: «ce que nous avons vu et entendu, nous
vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre
communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ» (1 Jn 1, 3). Une fois rentrés
Cf. SCHREITER, R., “The Missionary Church in 2025”, in Sedos, n. 6/7, 2002, p.187.
Cf. CONGAR, Y. M.-J., Chrétiens désunis. Principes d’un ‘œcuménisme’ catholique, Paris, 1937, p. 115-148.
74 PIVOT, M., «Le décret conciliaire Ad Gentes et les perspectives de l’activité missionnaire du XXIème siècle», in TSHIBANGU, op.cit ., p.
46-58.
75 Ibidem, p. 47.
76 Cf. ILUNGA, Mayamba, «La missiologie à l’heure du dialogue interculturel», in RASM, n° 1, 1994, p. 196-197.
77 «Le salut de l’homme, son avenir et sa destinée, c’est la communion avec Dieu»: ROUTHIER, G., Le défi de la communion. Une
relecture de Vatican II, Montréal, 1994, p. 25.
78 «Dans le Christ l’homme créé peut, par la grâce, devenir une personne (théologique), c'est-à-dire un enfant du Père, qui, d’une manière
qualitativement unique, a reçu part à la mission du Christ, ce qui se réalise par l’habitation du Saint-Esprit en lui comme dans une demeure
des Personnes divines»: Texte de Hans Urs von Balthasar cité par GIBELLINI, R., Panorama de la théologie au XXe siècle, Paris, 1994, p.
282.
79 ROUTHIER, op.cit., p. 37-38.
72
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dans la communion de Dieu, nous devenons, ensemble et personnellement, témoins et donc capables
de sa communion. En somme, la mission du Fils et de l’Esprit ont pour but de faire participer activement
l’Eglise des fidèles à la communion missionnaire de la Trinité faisant en sorte que Dieu soit avec nous
en Christ par son Esprit, l’Esprit d’amour.
Il y a lieu ici de remarquer combien ces quelques développements répondent à la culture africaine en
tant qu’amour pour la vie80, car la communion missionnaire est la vie même de Dieu qui est transmise à
l’homme. Il s’agit d’une vie nouvelle, à savoir celle qui découle de la résurrection et consiste dans
l’amour de Dieu, manifesté en Jésus-Christ, communiqué par l’Esprit Saint et à pratiquer en Eglise
envers les frères et les sœurs, proches ou éloignés. En cela la communion devient renforcement de la
vie de solidarité qui existe déjà entre les Africains avec la valeur ajutée de la fécondité qu’elle multiplie
en termes de bonne vie personnelle et d’épanouissements communautaires. Ce sont des fruits
matériels et spirituels de la communion avec le Christ et avec les frères et sœurs de la communauté,
des signes de «la vie en abondance» liée à sa venue sur terre (cf. Jn 10,10), et qu’on continue à obtenir
lorsque la communion de ses disciples attise sa présence en leur milieu. En Afrique qui se réclame
d’une évangélisation «ordonnée vers la recherche de la qualité de la vie»’, «dans une communauté des
frères»81, la communion missionnaire, comme «spiritualité de la vie»’, contribue à mettre l’Eglise en
phase avec sa vocation, pour mobiliser aussi les femmes en véritables agents de la mission82.
Les fondements étant fixés, reportons maintenant en bref, et sans la prétention d’être exhaustif, des
perspectives déjà ouvertes et qui restent à approfondir, pour aider à prendre une conscience toujours
plus vive des richesses de la communion missionnaire.
6. Des perspectives pour l’approfondissement et la pratique de la communion missionnaire
6.1. Le fondement trinitaire et l’implication christologique du concept de communion ainsi que ses
résonnances pneumatologiques et ecclésiologiques élargissent remarquablement le champ biblique
d’investigation du fait missionnaire. Des textes peu exploités du point de vue missiologique peuvent,
grâce à la visée de communion, dévoiler leur signification missionnaire. Des lors ils se prêtent à être
intégrés dans un ensemble de théologie biblique, pouvant déclencher une relecture de la mission. La
promotion de la communion missionnaire demande donc une lecture renouvelée et une redécouverte
des fondements scripturaires de la mission.
6.2. En outre, en insistant sur la vertu de l’amour, qui est source d’unification de la personne et des
groupes humains, la visée de la communion missionnaire corrobore les forces vitales des personnes et
des peuples. Ainsi, les chrétiens, d’Afrique et d’ailleurs, peuvent en tirer un grand bénéfice pour éviter
toute dichotomie entre la foi et la vie, car il n’y a de véritable foi en Jésus-Christ que la foi «opérant par
la charité» (Ga 5, 6; Jc 2, 14-26; 1 Jn 3, 18). Ce qui permet aux chrétiens de donner un témoignage du
Seigneur ressuscité en paroles et en actes, par les bonnes œuvres charitables qu’ils accomplissent au
quotidien, comme le Christ et les chrétiens des premiers temps. N’est-il pas vrai que les gestes d’amour
engendrent la communion entre individus et qu’ils produisent des œuvres de charité (hôpitaux, écoles,
accompagnement des enfants de la rue, des prisonniers, des réfugies, des malades de sida…), qui sont
autant de signes à considérer comme des miracles et des prodiges? (cf. Mt 5, 16; Mc, 16, 17-18; Lc 24,
19; Jn 10,32; Ac 2, 22.43; 5, 12; 10, 38; 14, 3; Rm 15, 17-19; 1 Co 4, 8; 2 Co, 12, 12).
Cf. NKAFU Nkemnkia, M., Il pensare africano come ‘vitalogia’, Roma, 1995.
SANTEDI, op.cit., p. 413-417.
82 NGALULA, J., «La responsabilité missionnaire de la femme chrétienne dans une Eglise Africaine en état de mission. Cas des
Catholiques», in TSHIBANGU, op.cit., p. 358; DIANZINGA, S., «Le rôle de la femme africaine dans l’Eglise et dans la société», Ibid.,
p.362-369; TSHIBANDA Lepira, C., «Femmes catholiques auxiliaires de l’Eglise de Dieu et moteur du développement intégral: expérience
du MMCK (Mouvement des Mamans Catholiques de Kinshasa)», Ibid., p. 370-374 ; MBUYAMBA, H., «Les femmes dans l’Eglise d’AfriqueA Missioner’s Reflection», in Sedos, n°3/4, 2009, p.91-95.
80
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6.3. Ici, il convient de remarquer l’opportunité d’une organisation des activités ecclésiales à partir des
structures communautaires où les chrétiens puissent avoir la possibilité de pratiquer la vie de charité
dans une communauté et faire l’expérience de la valeur du témoignage de communion. En effet, toute
communauté qui se réunit au nom de Jésus «avant d’être un moyen pour une mission déterminée, est
un lieu théologal où l’on peut faire l’expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité (cf. Mt
18, 20)» (VC 42). C’est pourquoi, en Afrique et ailleurs, il convient de revitaliser toutes les formes de vie
communautaire, comme la famille elle-même et chaque petite communauté vivante, de quartier ou de
village83, soit en tant que lieu de formation centré sur la Parole et l’Eucharistie, soit pour faire profiter la
mission de leur «force d’évangélisation» interne et externe (cf. EN 13. 58; RM 51)84.
6.4. De fait, toute communauté, de base, paroissiale ou religieuse, en vivant la communion, est aussi un
témoignage du Christ mort et ressuscité surtout dans la célébration eucharistique comme mémorial et
sacrement de sa mort et résurrection aussi bien que de la communion trinitaire et ecclésiale. Et cela
porte tout chrétien à faire véritablement de la célébration de l’Eucharistie, surtout celle du dimanche, la
source et le sommet de la vie chrétienne et de la mission (cf. SC 10). La célébration demande alors une
soigneuse recherche d’inculturation, pour que toute action liturgique ecclésiale, dans ses textes, dans
ses gestes et dans ses rites, soit dignement inculturée (AG 22, SC 22. 65)85, en prenant en
considération les réalités concrètes, culturelles et historiques des peuples86, pour que la liturgie puisse
rendre visible aux yeux du monde environnant la communion de Dieu, Jésus Christ le Seigneur
ressuscité présent dans son Eglise par son Esprit.87
6.5. La communion missionnaire fait effectivement de l’amour le moteur de la mission. Ce faisant, elle
unifie, en les harmonisant dans leur complémentarité, les principales voies de la mission telles que
l’annonce, le témoignage, le dialogue, l’inculturation et la promotion humaine. Mais, en même temps,
l’esprit de communion est capable de donner à toutes ces voies un surplus de dynamisme et de
réussite. L’annonce, par exemple, sera plus efficace parce qu’elle s’appuiera sur le témoignage
personnel et communautaire d’amour rehaussé par la force du Seigneur ressuscité présent dans les
personnes et au milieu des communautés de vie. Le témoignage, puisqu’il est aussi une question
d’amour, trouvera dans le dialogue communautaire des modalités plus adaptées au milieu et donc plus
perceptibles et plus attrayantes. Pour les mêmes raisons, le dialogue se fera dans l’égalité des chances
et sans discrimination, accessible à tous, afin de créer une opinion publique massive, forte pour
résoudre les problèmes communs du milieu. L’inculturation sera menée à bonne fin par des gens
ouverts à des nouvelles synthèses culturelles enrichissantes, sachant éviter tout cloisonnement et
absolutisation de leur propre culture88. D’ailleurs l’inculturation tient sa place dans la mission comme
une expression d’amour et de respect envers les peuples et leurs cultures. A partir de ce dynamisme
d’amour elle les unit et les incorpore à l’Eglise comme un élément de catholicité et de récapitulation de
toutes choses en Christ 89. La promotion humaine, en signe d’amour et de communion, suivra le chemin
du donner et du recevoir entre personnes et groupes, dans le souci de résoudre les inégalités entre
«Puisque l’Eglise est communion, les nouvelles ’communautés ecclésiales de base’, si elles vivent vraiment dans l’unité de l’Eglise, son
une authentique expression de communion et un moyen pour construire une communion plus profonde. Elles constituent donc un motif de
grande espérance pour la vie de l’Eglise» (RM 51).
84 Cf. NGALESE Nangaa, A-D., «L’Eglise active dans l’histoire des hommes - Cas des communautés ecclésiales vivantes de base» in
Sedos, n° 3/4, 2009, p. 74-81. Sur l’intérêt de la réflexion théologique anglophone sur les Communautés Ecclésiales Vivantes de Base
(CEVB) ou Small Christian Communities (SCCs) voir MAGESA, op.cit., p. 55-56.
85 Cf. UZUKWU, E., «La liturgie et les rites sacramentels dans l’Eglise africaine», in TSHIBANGU, op.cit., p.189-196.
86 Cf. MUPAYA Kapiten, D., Mystère du Christ et expérience africaine, Paris, 2008.
87 Cf. MASABO, D., «Richesse théologico-pastorale du dimanche: réflexion faite à la lumière de ‘Dies Domini’», in Missionnaires…, p.169186.
88 “So inculturation is neither a movement towards cultural isolationism nor a cultural war; it is rather a tool of evangelisation and pastoral
efficiency…Very importantly, the theological doctrine should also show that the practice enhance the catholicity and the universal
communion of the Church which consist in unity in diversity”: MBAM, E., «Method of Inculturation in Africa: A critique of Peter Schineller’s
‘how of Inculturation’», in Mission, N°1/2, 2008, p. 298-302.
89 Cf. COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE, Textes et documents (1969-1985), Paris 1988, p. 338.
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riches et pauvres, en refusant de donner au pauvre par charité ce qui lui revient par justice. Par contre,
elle s’efforcera d’établir avec les personnes et entités humaines des rapports de proximité et de vraie
amitié afin de les aider, sur une base d’égalité et de circularité, là où la personne ou l’entité dans le
besoin n’est pas minimisée, mais rendue plutôt active et responsable dans la recherche de sa prise en
charge et de son progrès. Ainsi la lutte contre la pauvreté sera en mesure d’éviter tout paternalisme et
toute forme d’aide qui entretient la dépendance, le parasitisme et la mendicité (cf. AA 8). On sait que la
communion missionnaire de l’Eglise primitive était aussi une communion économique, c'est-à-dire une
communion des biens qui satisfaisaient aux besoins des pauvres, mettant tous en égalité de moyens
pour vivre «avec allégresse et simplicité de cœur» (Ac 2, 46). Et un aspect important à approfondir,
surtout pour l’Afrique en situation de pauvreté, semble être, précisément, celui de voir dans quelle
mesure la communion missionnaire peut répondre aux besoins de prise en charge et d’autonomie
financière des communautés et des pasteurs90. A Kinshasa, dans une réunion en février 2009, Mgr
Laurent Monsengwo Pasinya expliquait au clergé de son archidiocèse une initiative de péréquation qui
doit centraliser les offrandes des différentes paroisses pour les redistribuer de façon équitable selon les
besoins de chacune. L’initiative fait du chemin, et l’on pourrait se demander si, par ces temps de crise,
elle ne représente pas une recette généralisable.
La communion missionnaire peut donc offrir à l’Afrique une orientation inculturée qui l’aiderait à
parachever l’évangélisation du continent et son unité continentale, étant donné que, pour beaucoup,
cette unité reste le premier objectif, même pour résoudre de façon substantielle et durable ses
problèmes endémiques91. C’est un point de jonction avec les pères du panafricaniste (Julius Nyerere,
Kwame Nkrumah, etc.)92, qui porte à explorer le possible effet politique de la communion missionnaire
en Afrique dans le projet d’unité continentale et de construction de la démocratie à l’africaine93.
6.6. Mais, pour traduire la communion dans le concret de la vie, il importe d’abord qu’un projet de
sainteté soit harmonisé avec la vie ordinaire en vue d’une mission spirituellement, humainement et
politiquement féconde pour ses acteurs et pour ses destinataires. Une telle harmonisation sauvegarde
et relance l’appel universel à la sainteté (cf. LG 40) et la met à contribution dans la complémentarité de
sa dimension individuelle et collective. Une sainteté de ce type affiche déjà des contenus de spiritualité
qui en ébauchent le profil. Par exemple, comme une véritable vie dans l’Esprit, la sainteté réside avant
tout dans la pratique de la charité envers Dieu et le prochain (cf. Mt 22, 34-40; Rm 13, 8-10, Ga 5, 14;
Col 3, 14). Il s’agit là d’une charité concrète qui, dans l’effort constant de se faire un avec les autres (cf.
Mt 5, 38-42; Rm 12, 14; 1Co 9, 19-23; 13, 4-7), est à pratiquer jusqu’à sa perfection (cf. Mt 6, 48). Cette
perfection dans la fidélité à la Parole de Dieu consiste dans l’amour mutuel (cf. Jn 15, 12) qui trouve son
expression sublime dans le don de sa propre vie pour ses amis (cf. Jn 15, 13) en acceptant, justement
par amour, le mystère de la croix (cf. Mt 10, 38), sur l’exemple de Jésus (cf. Mt 27, 46) et en faveur de
la communion fraternelle en Eglise (cf. Col 1, 24). Ce qui, en comportant une conversion en termes de
mort au péché et à ses propres égoïsmes (cf. Ga 5, 24), et par l’ascèse qui en découle (cf. Mt 16, 2426), est source de vie nouvelle, signe de résurrection en termes de renaissance dans la communion
avec Dieu et avec le prochain (cf. Rm 6, 2-4; 1Jn 3, 11). C’est une sainteté qui est témoignage,
personnel et communautaire, de valeur missionnaire parce qu’elle rayonne de l’amour et de la
communion de Dieu (cf. Jn 13, 34-35 ; 17, 21).
Cf. DJOMO, N., «La marche vers l’autofinancement dans nos Eglises. Brèves remarques sur les stratégies à monter en vue d’un
changement de mentalité », in TSHIBANGU, op.cit., p. 226-234; RECCHI, S., (dir.), Autonomie financière et gestion des biens dans les
jeunes Eglises d’Afrique, Yaoundé 2003.
91 Cf. TADADJEU, M., «Bref aperçu historique du projet panafricain», in Missionnaires… p. 189- 199.
92 OGBAMI, F., La problématique de la construction des Etats Unis d’Afrique, Paris 2009.
93 Cf. OSSAMA, N., «Les Eglises d’Afrique face à la démocratie», in Ibidem, p. 201-214. «Notre propos n’est pas de désigner les formes
concrètes que devra revêtir la démocratie. Pour le moins, ces formes devront tenir compte aussi bien de la situation africaine actuelle que
de la tradition de toutes les valeurs de communauté et de solidarité»: MALENGE Kalunzu, M., Prêtre dans la rue, Kinshasa, 1992, p. 108.
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6.7. L’approfondissement de la communion missionnaire et sa réalisation concrète soulèvent la question
de savoir s’il peut exister une spiritualité missionnaire générale ou globale qui serait valide et commune
à tout le peuple de Dieu, au-delà des spiritualités missionnaires spécifiques. Des tentatives en la
matière ont montré que la visée en question pousse à rechercher ce type de spiritualité commune et
offre aussi un cadre de référence pour la préciser. Pourtant la communion missionnaire, respectueuse
du donné biblique, englobe et fait ressortir avec originalité l’agencement de certaines dimensions
fondamentales de cette spiritualité missionnaire commune telles que la dimension trinitaire,
anthropologique, christologique, pneumatologique, ecclésiologique, agapique-kénotique-oblative,
baptismale, eucharistique. L’originalité apportée par la communion missionnaire à la spiritualité se
trouve aussi dans le fait que les dimensions énumérées ont une orientation collective communautaire
qui vient compléter l’orientation individuelle. C’est ainsi qu’on a pu parler d’une spiritualité de
communion missionnaire qui serait alors l’expression spirituelle d’une théologie de la communion
missionnaire. Il s’agirait d’une spiritualité substantiellement laïque (accessible à tous les baptisés),
fondamentalement évangélique (illuminée par la «Parole de vie», Ph 2, 16), particulièrement
charismatique et esthétique (continuellement enrichie et infiniment embellie par les dons et les talents
que l’Esprit communique aux personnes et aux groupes dans l’Eglise).
De ce type de spiritualité, Marie, la mère de Jésus missionnaire de la Trinité, s’annonce déjà comme un
modèle humain parfait, car, par son être «Etoile de l’évangélisation» (EN 82), elle est depuis toujours
une référence significative pour la mission de l’Eglise. D’ailleurs, même le fait que cette spiritualité
missionnaire soit fondamentalement laïque suggère qu’elle est aussi particulièrement mariale puisque la
Vierge Marie est la laïque par excellence. Elle a parcouru tous les états du laïcat: virginité de jeune fille,
mariage chaste et veuvage dans la maternité spirituelle au service de l’Eglise. Depuis l’Evangile de
l’enfance (Annonciation-visitation-naissance de Jésus), en passant par Cana et le Calvaire, jusqu’à aux
premiers jours de l’Eglise naissante, la mère de Jésus se manifeste comme un exemple de vie et de
communion missionnaire; ce qui la pose devant l’Eglise entière en modèle et en patronne de la
spiritualité de communion missionnaire qu’elle savait aviver au sein de la communauté des premiers
chrétiens sous la conduite de Pierre et les apôtres du Christ (cf. Ac 1, 14).
CONCLUSION
Au terme du parcours, nous pouvons retenir que la visée de la communion missionnaire se dégage de
l’exemple du Christ et des premières communautés chrétiennes des Actes des Apôtres. La communion
et la mission s’unissent dans l’évangélisation du monde par la proclamation du Christ mort et ressuscité
qui est «notre unité». L’idéal de la communion missionnaire est bien signifié dans le signe
traditionnel de la croix par lequel et pour lequel le chrétien part en mission au nom de la Sainte
Trinité, pour annoncer le mystère pascal qui sauve le monde. Cela donne à la visée en question la
possibilité de mettre au profit de la vie chrétienne et de la mission la complémentarité insécable entre la
kénose et la communion (cf. Ph 1, 27 - 2, 1-11), comme ce fut le cas dans la vie même du Christ et en
accord avec les enseignements de Saint Paul, le grand missionnaire de l’Evangile (cf. 1Co 9, 16).
Une visée pareille apparaît comme porteuse de nouveautés dans le domaine de la mission au moins de
deux façons. D’abord parce qu’elle rend effective la possibilité que chaque Eglise particulière devienne
centre de mission, dans et en unité avec l’Eglise universelle, ensuite parce que l’amour sur lequel cette
mission se fonde est à la portée de toute personne humaine car l’Esprit d’amour souffle «où il veut» (Jn
3, 8; GS 22). De la sorte, c’est une mission abordable par tous les fidèles dans l’Eglise. Ce type de
mission est particulièrement profitable aux laïcs, hommes et femmes, car, finalement, il n’est pas
nécessaire d’être ordonné prêtre, de devenir évêque ou d’embrasser la vie religieuse pour pouvoir y
participer. Etant fondamentalement laïque, cette visée favorise la promotion d’une spiritualité
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missionnaire valable pour tout chrétien. Elle est à l’origine d’une sorte de spiritualité missionnaire
commune à tout le peuple de Dieu, sur laquelle toute autre spiritualité missionnaire spécifique pourrait
se connecter, dans le respect de la vocation de chacun, du statut qui le règle et de l’institution dont il
relève.
Si on devait s’entretenir encore sur cette spiritualité de la communion missionnaire, on soulignerait le
fait qu’elle est particulièrement charismatique dans le sens qu’elle respecte et s’enrichit des dons et
des talents que l’Esprit communique aux personnes et aux groupes dans l’Eglise. Elle conduit à une
articulation plus heureuse entre le charisme marial qui est plus inventif et esthétique, et le charisme
pétrinien qui est plus directionnel et juridique. La spiritualité de la communion missionnaire met à égale
contribution les deux visages de l’Eglise, le visage hiérarchique pétrinien et le visage charismatique
marial. Ce qui promeut la complémentarité et donne toute sa beauté à la vie de l’Eglise. Comment alors
la communion missionnaire ne servirait-elle pas de pont pour une esthétique théologique qui présente
Dieu dans sa beauté, comme la dernière chance pour conquérir et sauver le monde d’aujourd’hui ? Ne
devrait-elle pas contribuer à façonner la «spiritualité du futur» annoncée par Karl Rahner94, à répandre
la «sainteté du peuple», préconisée par le cardinal Montini, le futur Paul VI95, ou à concrétiser la
«Nouvelle Evangélisation » envisagée par Jean-Paul II?96
En somme, la communion missionnaire regorge de potentialités favorables à la foi et à l’avancée
spirituelle de chaque chrétien, ainsi qu’au témoignage du Christ que l’Eglise doit présenter face au
monde. On pourrait dire, d’une certaine manière, que la communion missionnaire fait revivre Dieu
parmi nous, en infusant un dynamisme divin à la vie et à la mission ecclésiale. Elle apparaît
comme un lieu théologique approprié où la Missio Dei et la Missio Ecclesiae finissent par s’unir
harmonieusement.
Cette mission de communion nous semble aussi pouvoir soutenir efficacement l’évangélisation à mener
sur le continent africain, selon les recommandations d’Ecclesia in Africa, notamment en ce qui concerne
la nécessité du témoignage de vie97. Cet ensemble de théologie et de spiritualité qu’est la communion
missionnaire, déjà susceptible d’interagir positivement avec l’humus culturel africain, peut donc offrir à
l’Eglise d’Afrique une orientation inculturée pour parachever l’évangélisation dans la consolidation de
l’unité et dans la promotion du continent, en marche vers la réalisation des ses rêves et des ses espoirs.
P. Domenico Arena, omi - P. Didier Mupaya Kapiten, omi
Institut Africain des Sciences de la Mission
Kinshasa, R.D. Congo.
«Je pense que, dans une spiritualité du futur, l’élément de la communion spirituelle fraternelle, d’une spiritualité vécue ensemble, pourra
jouer un rôle plus déterminant, et qu’il nous faut continuer sur cette vie lentement, mais de manière décisive»: RAHNER, K., «Elementi di
spiritualità nella Chiesa del futuro», in Problemi et prospettive di spiritualità, Brescia, 1983, p. 440-441 cité par: VANDEELENE, M., (Textes
choisis), Chiara Lubich. Pensée et spiritualité, Montrouge, 2003, p. 67.
95 MONTINI, G.B., Discorsi sulla Madonna e sui santi (1955-1962), Milano, 1965, p. 499-500 cité par Ibidem.
96 Dans ce cas, la ‘Nouvelle Evangélisation’ serait paradoxalement la forme la plus ancienne d’évangélisation, car elle correspond de
manière saisissante à la pratique de l’Eglise primitive qui, par contagion et prédication, évangélisait le monde environnant rayonnant le
témoignage de sa communion qui rendait présent et actif à son milieu le Christ ressuscité qui, de lui-même, «adjoignait à la communauté
ceux qui seraient sauvés» (Ac 2, 47). Cf. ARENA, M., «Vangelo et vita di comunione in Africa», in BEGHETTO, A. (a cura di), La Nuova
Evangelizzazione e i religiosi, Roma, 1991, p. 171-186.
97 «Un vrai témoignage de la part des croyants est essentiel aujourd’hui en Afrique pour proclamer la foi de manière authentique. En
particulier, il faut que les croyants donnent le témoignage d’un amour mutuel sincère…Le but dernier de la mission est de faire participer à
la communion qui existe entre le Père et le Fils : les disciples doivent vivre entre eux l’unité, demeurant dans le Père et le Fils, afin que le
monde reconnaisse et croie (Jn 17, 21-23)» (EA 77).
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