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La communion missionnaire dans la perspective œcuménique
Mission et unité Ecclésiologie et mission
L’Institut Africain des Sciences de la Mission (IASMI), qui apporte la présente contribution, a été lancé
en 1994 par les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée de la Province du Zaïre (actuelle République
Démocratique du Congo). Il fonctionne à Kinshasa depuis 2005 et, le 3 juin 2008, en la fête des Martyrs
d’Ouganda, il a obtenu de la Congrégation pour l’Education Catholique, le décret d’agrégation à la
Faculté de missiologie de l’Université Pontificale Urbaniana de Rome. L’IASMI évolue donc en plein
cœur de l’Afrique. Il avance dans la recherche missiologique animé d’un remarquable souci
d’inculturation aux réalités du continent africain et en communion avec l’Eglise entière. C’est à ce titre
qu’il saisit l’axe «Mission and unity Ecclesiology and mission» et la conscience de l’unité que ce
thème ravive à l’occasion du centenaire de la World Missionary Conference dEdinburgh 1910, comme
une opportunité à partir de laquelle redécouvrir la communion missionnaire en tant que source
d’énergies et de dynamisme renouvelé dans la mission de l’Eglise, en Afrique comme ailleurs dans le
monde ; car c’est aussi de l’universel acquis par l’osmose interculturelle que nous vient la lumière pour
connaître en profondeur et valoriser à sa juste mesure le particulier
1
.
Sans vouloir nous attarder sur la situation actuelle qui prévaut en Afrique, la littérature en la matière
est vaste et, dans la perspective missionnaire, elle est de bonne qualité
2
, le moins que l’on puisse dire,
c’est qu’avec et peut-être malgré ses multiples paradoxes par trop médiatisés, le continent noir peut
aussi être regardé comme un continent d’espérance. Par sa force démographique en plein essor et
régurgitant de jeunesse
3
, imprégnée d’humanisme solidaire et privilégiant les relations
interpersonnelles, ce continent conserve ses chances de former les jeunes aux valeurs humaines de
base dans un monde qui, de nos jours, frôle la dérive morale
4
. Lespérance de l’Afrique s’objective
encore, puisque l’Afrique est aussi celle des Africains qui, comme aux jeux olympiques, savent courir
mieux que tous les autres sur de longues distances, en endurant avec succès le « Long Walk to
Freedom »
5
. C’est l’Afrique des Africains qui, de plus en plus, prennent conscience que personne de
l’étranger ne les remplacera dans ce qui est leur devoir et qui, dans un surcroît d’amour envers leur
terre, se consacrent au bien de leurs pays et de leur continent
6
. En somme, c’est l’Afrique des Africains
de plus en plus conscients de leurs problèmes et de leurs responsabilités qui se préparent, par un effort
accru de formation
7
, à revisiter la démocratie comme «valeur universelle»
8
, à s’en approprier «les
vertus cardinales»
9
et à la réélaborer, selon leur génie propre, pour traverser une phase décisive de leur
histoire déjà en acte. Par là, guérie et réconciliée avec elle-même et avec son histoire souvent
douloureuse, l’Afrique sera prête à harmoniser, sans complexe et sans complaisance, les vecteurs
dynamiques de son patrimoine culturel avec les apports du monde moderne pour enrichir et donner
vivacité au concert des nations. Mais l’Afrique de l’espérance, c’est aussi ce continent où la semence de
l’Evangile a produit de fruits abondants
10
et des personnalités prophétiques
11
. L’Afrique de l’espérance,
1
Cf. MWANAMA Galumbulula, F., «Les relations, vrai laboratoire de l’interculturalité», in Spiritus, n°164, 2001, p. 277-282; VEDER J.-C.,
Dire Dieu jusqu’à le célébrer ensemble. Jalons pour une inculturation interculturelle dans la société de l’ Ile Maurice, Port Louis, 2004.
2
Cf. SANTEDI Kinkupu, L., Les défis de l’évangélisation dans l’Afrique contemporaine, Paris, 2005 et la bibliographie de la présente
contribution.
3
Cf. CAVALLOTTO, G., «Les données statistiques sur la situation des territoires de mission au cours du XXe siècle», in TSHIBANGU, T.,
(éd.), L’avenir de l’activité missionnaire ‘Ad Gentes’. Perspectives pour le XXI ème siècle. Actes du congrès, Kinshasa, 2005, p. 20-34.
4
Cf. PEETERS M. A., “La nouvelle étique mondiale: défis pour l’Eglise”, in Omnis Terra, p. 213-224.
5
Cf. Long Walk to Freedom. The Autobiography of Nelson Mandela, London, 1996.
6
Cf. MUMENGI D., La naissance du Congo. De l’Egypte à Mbanza Kongo, Paris, 2009.
7
Cf. SANTEDI, op.cit., p. 73-74.
8
Cf. NZEKOUE, J.-M., Afrique: faux débats et vrais défis, Paris, 2008, p. 167.
9
Cf. SALIFOU, A., Entretiens avec mes enfants sur la démocratie en Afrique, Paris 2005, p. 299.
10
Cf. BAUR, J., 2000 ans de Christianisme en Afrique, Paris/Rome /Lyon, 2001. A ce propos le Cardinal Wright, Préfet de la Congrégation
pour le Clergé en 1973 s’exprimait ainsi : « Je pressens que vers l’an 2000, c’est en Afrique que l’Eglise catholique réalisera ses plus
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c’est enfin cette terre progresse une Eglise qui suscite admiration et espoir, puisque dans presque
toutes les régions, la foi chrétienne s’est bien établie, elle est en plein essor
12
; et presque partout
l’Eglise est guidée par des évêques, des prêtres et des pasteurs autochtones, et depuis cinquante ans,
le continent propose sa propre théologie
13
. Au-delà des thématiques traditionnelles de nature plus
dogmatique, la théologie africaine, surtout en milieu francophone, veut inventer du nouveau
14
; elle
s’ouvre aux problèmes de la mission et de l’évangélisation
15
, avec intérêt pour les défis de
l’inculturation
16
. Elle se préoccupe de la promotion humaine et sociale
17
et de la reconstruction de
l’Afrique
18
tout en plaidant pour une Eglise missionnaire plus prophétique et plus engagée. Mais dans
tout cela, la théologie africaine respire aussi de la communion pour avancer «sur la voie d’une théologie
de la Fraternité»
19
et pour «penser l’universel»
20
d’où pourrait prendre le départ une théologie morale
communautaire
21
. Voilà pourquoi, en abordant la communion missionnaire à partir de l’esprit de famille
et de la spiritualité africaine de «l’être avec»
22
, la présente contribution ne risque ni d’en escamoter la
portée universelle qui lui est propre et qui tient au fondement trinitaire de la communion entre chrétiens,
ni d’en occulter la dimension ecclésiale qui en est l’expression visible, encore moins d’en atténuer la
référence christologique dans laquelle s’enracinent aussi bien sa valeur sotériologique que son intérêt
missionnaire. Bien au contraire, la référence culturelle et le départ anthropologique à partir de la
situation africaine se présentent comme la paraphrase d’une théologie devenue attentive à ce que
l’Esprit dit aux Eglises. De ce fait elle approfondit les multiples déterminations de la communion
grands progrès. J’ai même l’impression qu’au cours du XXI siècle, l’Afrique s’acquittera de sa dette d’évangélisation en envoyant des
missionnaires aux pays d’Europe et d’Amérique qui lui ont apporté l’Evangile à l’origine » : cité par LUNEAU, R.., «Et vous, que dites-vous
de Jésus Christ ?», in Chemins de Christologie africaine, Paris, 1986, p. 25. Ce présentement et ce processus sont confirmés par les
statistiques actuelles. Cf. CAVALLOTTO, op.cit., p. 20-34.
11
L’Eglise d’Afrique compte un bon nombre de figures prophétiques bien connues, comme le Cardinal Joseph Malula, l’évêque anglican
Desmond Tutu, l’abbé Jean- Marc Ela avec Baba Simon, le père Engelbert Mveng, et d’autres, peu connues, qui, sur la base d’une visée
évangélique se traduisant dans un témoignage de vie ont payé, parfois de leur sang le zèle pour la justice et la paix. Cela, sans compter
l’énorme tribut de vies humaines que les Eglises d’Afrique ont payé en subissant les violences des luttes armés qui dans le silence des
consciences résonnent comme un cris contre les injustices et les oppressions de toute sorte et une invocation innocente en faveur de la
paix (pensons aux Martyrs d’Ouganda, à la Bienheureuse Anuarite Nengapeta Clémentine et au Bienheureux Isidore Bakanja, ainsi qu’au
cortège nombreux, parmi le peuple de Dieu, de victimes innocentes de la violence en situation de conflit armé. Cf. Les saints d’Afrique,
Kinshasa, 2002 ; CONTRAN, N., Ils vous ont guettées. 230 Religieuses tuées en Afrique, Kinshasa, 2004.
12
“…le ‘magnifique mouvement’ se trouve confirmé au-delà de toutes les espérances. Plus de soixante millions de baptêmes par an : un
africain sur quatre, toutes confessions confondues, est chrétien ! Et comme le continent noir connaît aujourd’hui le taux de croissance
démographique le plus élevé du monde, pas besoin d’être grand clerc pour pressentir que l’Afrique chrétienne représentera dans une
génération, une part essentielle de l’avenir du christianisme»: LUNEAU, op.cit., p. 25.
13
Cf. BUJO, B. - ILUNGA, M. J., (éd.), Théologie africaine au XXI siècle. Quelques figures, Fribourg, 2002.
14
«L’Eglise d’Afrique est à la recherche d’elle-même. Cette quête d’identité n’aboutira que si elle consent à renoncer aux schèmes, aux
clichés et aux recettes d’antan pour inventer et créer du neuf sous la poussée des événements, fidèle à l’Evangile et aux liens qui
l’unissent à l’Eglise universelle, libre dans l’accueil et le don de la Miséricorde manifestée en toute circonstance par Celui qui dit :’ Voici
que je fais toutes choses nouvelles’(Ap 21, 5)»: Propos de S. Semporé: cité par MAWUTO Afan, R.,«Sibe Semporé. Itinéraire Spirituel
d’un Théologien Africain», in Ibidem, p. 87.
15
Une évangélisation qui serait le corollaire d’une théologie de l’invention et donc prophétique, sapientielle et poétique (Cf. SANTEDI
Kinkupu, L., «Quelle théologie pour quelle évangélisation en Afrique», in TSHIBANGU, op.cit.., p. 419-422.
16
Voir ici l’abondante bibliographie in : MAGESA, L., Anatomy of Inculturation. Transforming the Church in Africa, Nairobi, 2004, p. 292-
301.
17
Cf. ELA, J.M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris 2003; HITIMANA, J., «Evangile et libération. La pensée de Jean-
Marc Ela», in Chemins …, p. 257.
18
Cf. KA MANA, Théologie pour un temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique, Paris, 1993.
19
S. Semporé cité par: MAWUTO, op.cit., p. 80
20
«Réaffirmer la centralité de la notion de communauté dans la vision africaine de l’homme et du monde, ne revient certainement pas à
encourager le tribalisme, mais bien au contraire à poser les bases à partir desquelles on peut penser l’universel. En effet, la communauté
au sens africain ouvre à l’universel…On peut parler ici d’une ouverture de la relation clanique ou tribale sur l’universel. La relation à l’autre
et au cosmos est contemplée à partir de la transcendance, dans l’esprit de Dieu…Ces précisions sont utiles pour mettre en garde tous
ceux qui pensent que poser le lien familial au fondement de l’anthropologie africaine, voir de son ecclésiologie, serait une manière
d’encourager le tribalisme. La perspective vise ici tout le contraire : partir du lien familial pour monter comment de son intérieur même, la
culture africaine est ouverte sur l’universel»: ILUNGA Muya, J., «Bénézet Bujo. Eveil d’une pansée systématique et authentiquement
africaine», in BUIO - ILUNGA, op.cit., p. 120.
21
Cf. Ibidem, p. 115.
22
Cf. MATUNGULU Otene, Etre avec. Heurts et lueurs d’une communion. Une spiritualité bantu de l’être avec, Lubumbashi, 1981.
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missionnaire, et la présente comme une visée capable de soutenir les efforts pour le renouveau de
l’action missionnaire de l’Eglise au troisième millénaire. Ainsi, notre propos s’articule en six points :
- l’actualité de la communion comme valeur prisée à notre époque ;
- une approche théologique à la communion en rapport à l’œcuménisme ;
- un rappel du fondement trinitaire de la communion en relation à l’universalité de la mission ;
- une considération des repères anthropologiques de la communion missionnaire en rapport à
l’évangélisation ;
- une présentation de la communion missionnaire comme modalité primaire de la mission ;
- et une indication de perspectives pour l’approfondissement et la pratique de la communion
missionnaire dans l’aujourd’hui de l’Eglise, en Afrique et ailleurs dans le monde.
1. L’actualité et l’intérêt croissant pour l’unité et la communion
Le concept d’Eglise-Famille de Dieu devenu un paradigme ecclésiologique majeur depuis la première
Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique en 1994 évoque, de manière vivace et
inculturée, la perception même de la nature de l’Eglise comme communion
23
. Pour certains, ce concept
«est appelé à faire faire du chemin aux Eglises d’Afrique. Il traduit l’Afrique profonde, celle les
sociétés sont bien attachées aux valeurs d’alliance, et soucieuses de conserver ces liens de sang. Ceci
traduit une conception du monde et de la vie comme lieu d’interaction les êtres sont en communion
vitale... On voit par comment l’Afrique noire dans ces structures d’Eglise renoue avec ses racines
profondes et sa conception du monde. Et là il se révèle un défi: on n’évangélisera profondément
l’Afrique noire qu’en évangélisant les familles et les liens du sang, c'est-à-dire en les amenant à se
consolider dans l’accomplissement de la volonté de Dieu; et là, le concept de l’Eglise-famille peut jouer
un rôle catalyseur»
24
. Mais, tout compte fait, l’image africaine de l’Eglise-famille reprend un concept
central au concile Vatican II, elle reflète les mêmes traits essentiels du concept d’Eglise-Communion
élaboré par le Concile Vatican II
25
, qui, du point de vue de la théologie de la mission, avait donné le
coup d’envoi à une «ecclésiologie de communion et de mission»
26
. Et, même indépendamment de cet
enracinement dans l’ecclésiologie traditionnelle, le concept africain d’Eglise-Famille reste un concept
ouvert à la mission, comme le suggérait déjà Monseigneur Laurent Monsengwo Pasinya dans le
discours de clôture du Congrès Missionnaire International tenu à Kinshasa en 2004
27
. Le concept
d’Eglise - Famille peut donc être valablement considéré comme une appréciable contribution de l’Eglise
d’Afrique au «développement de la doctrine de l’Eglise sous l’aspect de communion ou de famille»,
23
Ce thème a été énormément étudié. Cf. NOTHOMB, D., «L’Eglise-famille: concept-clé du Synode des évêques pour l’Afrique. Une
réflexion théologique et pastorale», in Nouvelle Revue Théologique, n° 117, 1995, p. 44-63; BOKA DI MPASI, L., «Le Synode africain, un
nouveau départ sans retour», in Telema, 1, 1995, p. 13-20 ; Directives et Orientations pastorales pour une planification des priorités
apostoliques 1996-2000, Dakar, 1996; GANTIN, B., «Synode africain un grand bond en avant», in Telema, 3-4, 1996, p. 15. SOME,
J.M., «L’Eglise-Famille de Dieu», in Revue de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest, n° 14-15, 1996, p. 67-80, et les contributions de
DABIRE, J.-M., de Mgr MONSENGWO Pasinya, L., de YANOOGO, B.D., et MBARGA, J., dans le me volume. ROAMBA, B., «Pour
une ecclésiologie de ‘L’Eglise-Famille de Dieu’», in Telema, 1-2, 1997, p. 43-68. A toute cette production, on ajoute les autres
contributions du volume: SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, Eglise-Famille. Eglise fraternité. Perspectives post-synodales.
Actes de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Kinshasa, 1997. En plus de ces contributions,
le SCEAM a publié deux Lettres pastorales sur le sujet en 1998 et 2001. La Conférence Episcopale Nationale du Congo a publié, en 2001,
un ‘Directoire sur la nouvelle évangélisation et la catéchèse dans la perspective de l’Eglise-famille de Dieu’. Même l’Association
panafricaine des exégètes catholiques, dans son 8ème et 9ème congrès (Ouagadougou et Abuja), a travaillé sur le thème L’Eglise-famille
et perspectives bibliques’. Cf. MONSENGWO, L., «L’Eglise comme ‘Famille de Dieu’. Une contribution importante en ecclésiologie», in
TSHIBANGU, T., d.), L’avenir de l’activité missionnaire ‘Ad Gentes’. Perspectives pour le XXI ème siècle. Actes du congrès. Kinshasa,
2005, p. 101.
24
KABASELE Lumbala, F., «Ressorts et perspectives d’une ‘Eglise-Famille’ en Afrique», in Revue Africaine des Sciences de la Mission
(RASM), n°2, 1995, p. 28.
25
Cf. BISHWENDE, A. R., Eglise-Famille de Dieu dans la mondialisation. Théologie d’une nouvelle voie africaine d’évangélisation, Paris,
2006.
26
Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX/1, 1986, Vaticano, 1987, p. 1783.
27
Cf. Mgr MONSENGWO Pasinya, L., «Discours de clôture», in TSHIBANGU, op.cit., p. 474.
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comme le prévoyait Mgr Th. Tshibangu, alors évêque auxiliaire de Kinshasa en 1987, dans un petit
ouvrage intitulé La théologie africaine
28
.
D’autre part, plusieurs Africains, africanistes et africanologues ont montré la réceptivité de l’Afrique à la
valeur chrétienne de l’unité ou de la communion vitale, grâce notamment au substrat culturel
traditionnel de ce continent
29
. Cette profonde pensée de l’unité’ se reflète dans le vécu personnel et
social des Africains. «L’unité est la caractéristique essentielle de la pensée négro-africaine. L’Africain
connaît, atteint la vérité à travers l’unité de la conscience avec l’objet de la connaissance. La pensée de
l’unité a de très fortes racines en Afrique; elle peut être considérée, avec le concept de force et de vie,
comme l’un des concepts essentiels de la culture et de la civilisation africaine.»
30
Et même si, dans
l’actualité de la traduction existentielle, cet héritage ancestral peut aujourd’hui se heurter à des
contradictions de parcours (guerres, conflits interethniques, abus de pouvoir, violation des droits
humains, appropriation illicite du bien commun, corruption, etc.), par-delà la crise, la pensée elle-même
fait ressortir des paradigmes d’humanité tels qu’une saine circularité des relations entre les personnes,
l’accueil chaleureux de l’autre, la solidarité dans les moments difficiles, un esprit familial et associatif
fort, etc.
31
Ce sont «des valeurs de l’esprit et de l’intelligence, valeurs morales et religieuses que
l’Afrique doit sauver et dont elle a la tâche d’assurer la vitalité. »
32
Ce qui, en définitive, dessine tout un
ensemble culturel marqué du sens de communion et qui, en plus d’être un des apports plus spécifiques
de l’Afrique à la construction de la famille humaine
33
, facilite sa rencontre avec l’Evangile qui est aussi,
dans son fond, un message de communion
34
.
Cette structure culturelle de l’Afrique peut donc constituer un point d’attache entre d’une part l’Afrique
elle-même et ses modes de vie et de pensée et, d’autre part, l’Evangile et le message de communion
qu’il propose. En effet, même le magistère ecclésial reconnaît à l’Afrique cette disposition culturelle
d’ouverture à la communion, censée pouvoir devenir un don pour l’humanité toute entière. Ce qui
s’avère être de bon auspice pour une inculturation appropriée, en mesure de s’ouvrir aussi à une
interculturalité enrichissante sur la voie de la communion
35
. Selon l’Exhortation apostolique post-
synodale Ecclesia in Africa (EA), la civilisation africaine est «dotée d’une vaste gamme de valeurs
culturelles et de qualités inestimables qu’elle peut offrir aux Eglises et à toute l’humanité» dont «un
profond sens religieux» (42); un sens «de la famille, de l’amour et du respect de la vieun sens aigu de
la solidarité et de la vie communautaire» perçu comme «une préparation à la foi dans la communion
des saints» (43). Un ensemble de valeurs donc qui mettent l’Afrique en mesure de promouvoir et
d’établir, par le biais de l’Eglise-famille de Dieu, sa communion continentale ainsi que la communion
universelle.
Mais, au-delà de la sensibilité africaine et de ses échos en ecclésiologie inculturée, la réalité de la
communion est un paradigme de valeur universelle. On la retrouve dans plusieurs autres religions
36
, et
28
DE HAES, R., «L’Eglise comme communion selon Vatican II», in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, op.cit., p. 255. «En
écho avec le Concile Vatican II et avec son enseignement de ‘l’Eglise peuple de Dieu’, l’Eglise d’Afrique a approfondi dans les dernières
décennies l’ecclésiologie de ‘l’Eglise famille de Dieu’, et considère cette approche comme sa contribution à l’Eglise universelle»: NDI-
OKALA, J.- NTALU, A., (dir.), D’un Synode africain à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir: Eglises et société en Afrique,
Paris, 2007, p. 26.
29
Cf. HAMPATE BAA, A., Aspetti della civiltà africana, Bologna, 1975, p. 83 ; MULAGO, V., «Religions traditionnelles et christianisme», in
Actes Semaine Théologique, Kinshasa, 1975, p. 78; SENGHOR, L. S, La poésie de l’action, Paris, 1982, p. 80.
30
NDAW, A., La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, Dakar, 1997, p. 248.
31
«It has been established through many studies that the notion of community plays a determining role in the life of African person. Apart
from their community, African people are not fully person. A person’s personality and individuality are guaranteed only insofar as the
individual is integrated into the community on the one hand, and the community serves and strengthens the individual on the other”:
MAGESA, op.cit., p. 213.
32
SANTEDI, op.cit., p. 122.
33
«L’Afrique au sud du Sahara peut apporter au reste du monde son souci de communion avec l’environnement et sa tolérance religieuse,
peu expansionniste et peu prosélyte. En montrant aux autres peuples son style de vie sans prétention, et en leur apprenant la manière
d’être soi-même sans s’imposer aux autres, l’Africain est l’homme de la communion, d’accueil et d’hospitalité qui apportera à l’humanité la
paix de ceux qui chérissent le lien humain»: QUENUM, J.-M. H., Le Dieu de la solidarité qui vient à l’Africain, Abidjan, 2005, p. 155.
34
Cf. ARENA, D., "L'Evangile de la communion: dynamisme pour une inculturalité africaine promotrice de fraternité universelle" in Sedos,
n° 40, 2008, p. 249-256.
35
Cf. KAPUTA, L. J., L’identité africaine et l’occidentalité. Une rencontre toujours dialectique, Paris 2006.
36
Cf. FILORAMO, G., e.a., Manuale di storia delle religioni, Roma 2002; WIDENGREN, G., Fenomenologia della religione, Bologna, 1984.
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même en Egypte ancienne. «La pyramide qui marque si fortement la civilisation égyptienne au
point d’en être devenue la métaphore n’exprime-t-elle pas l’union finale de toutes les différences en un
tout unique?»
37
. Et, voilà qu’en ces derniers temps qui sont les tres, la communion fait encore l’objet
de plusieurs études. C’est ainsi qu’elle est devenue, par exemple, un principe éducatif
38
. Elle s’impose
comme facteur décisif au niveau d’une psychologie relationnelle, d’une sociologie humanisée et globale,
d’une politique avisée
39
et même d’une économie rentable
40
. De la communion apparaît comme
l’épicentre de la «civilisation de l’amour» que toute institution chrétienne devrait être heureuse de
promouvoir.
A cet égard, on comprend de plus en plus que les problèmes du monde et de l’Afrique appellent à des
formes de dialogue, comme le dialogue interreligieux, notamment, le dialogue avec l’Islam et avec les
religions traditionnelles africaines, et qu’ils sollicitent à des implications de forces solidaires formées de
préférence aux principes démocratiques
41
. Tout cela se comprend puisque l’unité-communion est, enfin
de compte, l’aspiration anthropologique la plus profonde de la personne humaine créée à l’image de
Dieu (Gn 1, 26-27), d’un Dieu qui est amour et qui, en son Fils Jésus-Christ, prie pour l’unité (cf. Jn 17,
21). C’est l’unité (surtout quand elle est parfaite, à savoir dans la phase où elle parvient à assumer
toutes les différences pour engendrer une nouvelle création) qui fait la joie et le bonheur de l’existence
humaine, car elle est aussi le bonheur eschatologique que l’être humain attend de tout son désir.
En plus, cette référence à la nature divine permet de faire remarquer la ressemblance ou l’affinité
sémantique qui existe entre l’unité-communion et d’autres réalités humaines et théologiques telles que
la paix-shalom, la réconciliation, la justice, la liberté, la vérité et la sainteté qui sont des valeurs du
Royaume de Dieu et des signes du salut en sus-Christ. En effet, on attribue de plus en plus à la
notion de communion une valeur sotériologique. «Pour la pensée biblique, telle que les premiers siècles
la comprennent, le salut s’appelle communion», a pu écrire, à ce propos, le professeur Léonard
Santedi.
42
D’autres auteurs vont jusqu’à concevoir la communion comme la réalité qui produit le salut
dans sa totalité (holistic salvation): «Salvation as such, however, is something that comes only through
Christ (again, explicitly or implicitly acknowledged), and consists in participation in God’s triune
communal life and mission»
43
. Et si l’on se souvient que la mission est, depuis toujours, finalisée à
transmettre le salut, un salut parfois associé à la guérison et à la libération physique et morale, on se
rend compte immédiatement que la communion en tant que salut total et complet devrait avoir une
place importante dans la praxis missionnaire et dans la pensée missiologique de toutes les Eglises.
Voilà pourquoi le thème de la communion attire de plus en plus l’attention des chercheurs en théologie
de la mission. En effet, un des tout derniers traités de théologie missionnaire produit par les professeurs
Bevans et Schroeder qu’on vient de citer, tout en prenant en considération les paradigmes les plus en
vogue (libération, proclamation, dialogue), traite précisément, en premier lieu, de la mission en tant que
participation à la communion de Dieu Trinité, à la lumière de la Missio Dei
44
. Cette perspective a comme
37
KAFFO, F. R., Demain sera l’Afrique, Paris, 2008, p.70.
38
Il parait d’après certains spécialistes du domaine psychopédagogique qui s’exprimaient au cours d’une réunion de professionnels
sensibles à la valeur de l’unité, que l’enfant est plus sensible et affecté par l’amour et donc la communion qui existe entre ses parents que
par l’amour que chacun d’eux peut lui montrer.
39
Cf. MERZOUG, M. S., L’Africanisme solidaire. Sur les quais de l’espérance, Paris. 2008.
40
C’est impressionnant de savoir qu’il y a en chantier des nouvelles disciplines, de droit de communion, d’architecture de communion
d’économie de communion (Caritas in veritate 46).
41
Cf. QUENUM, J.-M. H., «Conflit et réconciliation: enseignement des Evêques de la CERAO», in Revue de l’Université Catholique de
l’Afrique de l’Ouest, n° 27, 2006, p. 149. Cf. aussi : DIOUF, L., Eglise locale et crise africaine. Le diocèse de Dakar, Paris, 2001.
42
SANTEDI Kinkupu, L., «Unité de vocation et diversité des ministères. Perspectives pour une nouvelle relation entre prêtres et laïcs», in
MALOLO, F., e.a., Pour une institution des laïcs dans l’Eglise. Africains et Européens en quête de renouveau conciliaire, Paris, 2004, p.
37.
43
BEVANS, S. B., & SCHROEDER, R. P., Constants in Context. A Theology of Mission for Today, New York, 2005, p. 300.
44
A propos de la Missio Dei, on peut trouver plus de précisions dans BOSCH, D.J., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir
des modèles missionnaires, Lomé/Paris/Genève, 1995.
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