ETUDE DE L'EXTRAIT D'ANGELO TYRAN DE PADOUE DE V. HUGO Angelo tyran de Padoue est un drame romantique de Victor Hugo, datant de 1835. Angelo est un tyran : il a été nommé par le gouvernement de la République de Venise pour gouverner, avec tous les pouvoirs, la ville de Padoue. Dans cet extrait cet homme solitaire et cruel se confie à Tisbe, la comédienne dont il est éperdument et révèle qu'il est lui-aussi victime d'une oppression : la puissance implacable du Conseil des dix, tribunal secret de la ville de Venise. Il dévoile le véritable visage de ces deux villes jumelles : derrière une façade de fête se cache un pouvoir totalitaire. Chose nouvelle au théâtre, la ville devient un véritable personnage et ce personnage est monstrueux. Nous étudierons d'abord la situation paradoxale de cet homme de pouvoir puis les significations que l'on peut donner à cette description de la ville dans le cadre du drame romantique et dans une mise en scène actuelle, celle de Paulo Corréïa. Progression des idées Observation du texte et des procédés Explications UN HOMME ACCABLE a. PAR UN POUVOIR TOTALITAIRE Un tyran tyrannisé – Écoutez, Tisbe1. Oui, vous l'avez dit, oui, je puis tout ici, je suis seigneur, despote2 et souverain de cette ville, je suis le podesta3 que Venise met sur Padoue, la griffe du tigre sur la brebis. Oui, tout-puissant. Mais, tout absolu que je suis, Mais, tout absolu que je suis, au-dessus de moi, voyez-vous, Tisbe, il y a une chose grande et terrible, et pleine de ténèbres, il y a Venise. Et savez-vous ce que c'est que Venise, pauvre Tisbe ? Venise, je vais vous le dire, c'est l'inquisition4 d'état, c'est le conseil des Dix. Oh ! le conseil des Dix ! Le Conseil des dix Tyran de Padoue, esclave de Venise ! Une puissance mystérieuse, implacable, totalitaire et imprévisible - et pleine de ténèbres l. 5 ,signe mystérieux l. 12, le bourreau a un masque l. 19, couloir secret l. 26, corridor ténébreux, cette ombre. - Il est là peut-être quelque part qui nous écoute… - on disparaît. Il manque tout à coup un homme dans une famille. Qu'est-il devenu ? - . Des hommes que pas un de nous ne connaît et qui nous connaissent tous l. 8 - des hommes qui ne sont visibles dans aucune cérémonie et qui sont visibles dans tous les échafauds,l. 9 d - qui ont dans leurs mains toutes les têtes, la vôtre, la mienne, celle du doge5, et qui n'ont ni simarre, ni étole, ni couronne, Angelo met en valeur son pouvoir à travers les adjectifs « puissant » et « absolu » ; la gradation « seigneur, despote, souverain » souligne cette puissance. Ce pouvoir est décrit de manière étrange puisque le terme souverain se réfère à la légalité tandis que l'image « griffe du tigre » ne suscite qu'une idée de violence brutale ; la répétition de « tout »sous forme adverbiale ou pronominale accentue l'aspect absolu e ce pourvoir et celle de « je » son aspect personnel : tous les pouvoirs sont à la disposition d'une seule personne. Pourtant Angelo n'est pas tout puissant. La locution adverbiale « au dessus de moi » signale qu'il n'est qu'un élément d'une hiérarchie, dominée par le pouvoir de Venise : pouvoir d'une capitale, pouvoir de l'Etat, de la la Justice, et pouvoir secret concentré dans les main du Conseil des dix. L'éloignement de ce pouvoir par rapport à Angelo, son aspect transcendant et presque écrasant sont rendus sensibles par les adjectifs « grande et terrible » et par l'anaphore de « il y a » et l'anadiplose autour du nom Venise. Les questions oratoires, le rythme ascendant marqué par l'allongement des séquences, puis l'exclamation « Oh ! Le conseil des Dix ! » dramatisent la révélation de la véritable source du pouvoir. L'antithèse finale « Tyran de Padoue, esclave de Venise » exprime la situation paradoxale du tyran, tout puissant dans sa ville mais entièrement soumis aux autorités. Ce pouvoir est avant tout occulte. Un champ lexical du mystère parcourt le texte. La révélation d'un danger mystérieux est dramatisée par le questionnement oratoire d'Angelo. Le secret est le fondement même de ce pouvoir. - des agents partout, des sbires partout, des bourreaux partout - Une fois dénoncé, on est pris; une fois A Venise, tout se fait secrètement, mystérieusement, sûrement. Condamné, exécuté ; rien à voir, rien à dire ; pas un cri possible, pas un regard utile ; le patient a un bâillon, le bourreau un masque. Les antithèses soulignent la relation paradoxale entre l'aspect invisible du pouvoir et sa marque sur tout l'espace de la ville.Ce pouvoir s'étend partout et nulle part, pourtant personne ne lui échappe. C'est un pouvoir totalitaire. Preuve en est que tous les éléments de la société lui sont soumis fût-ce le doge sur qui les dix ont également droit de vie ou de mort et que pouvoir a investit tous les espaces. L'accumulation « des agents partout, des sbires partout, des bourreaux partout »souligne, avec la répétition de l'adverbe, que nul espace de la ville ne permet de leur échapper ; l'autre accumulation « un couloir secret, perpétuel trahisseur de toutes les salles, de toutes les chambres, de toutes les alcôves» traduit elle, à travers la dégradation, Un envahissement de l'espace intime . Ce pouvoir est bien un pouvoir totalitaire puisqu'il s'exerce partout et sur tous et à n'importe quel moment. C'est également un pouvoir violent et sanguinaire. La gradation « secrètement, mystérieusement sûrement » suggère que ce mécanisme est implacable du fait même qu'il est occulte. L'anadiplose dans « une fois dénoncé on est pris, une fois pris tout est dit » suivie de l'ellipse grammaticale dans « Condamné, exécuté, rien à voir, rien à dire » suscite une sensation d'accélération, comme si un piège se refermait puis claquait sur la victime. Cette formulation entre en résonance avec la métaphores des « bouches de bronzes, bouches fatales que la foule croit muettes » à travers l'idée de silence – rien à dire – et de mécanisme du destin que plus rien n'arrête : « bouches fatales » ; on peut également tisser un réseau de significations avec le bâillon du condamné qui l'empêche de parler et le masque du bourreau : « rien à voir ». Ce pouvoir du conseil des dix est ainsi comparable à celui des dieux dans la tragédie antique : un pouvoir transcendant, qui échappe radicalement au contrôle et même à la compréhension des êtres humains, et qui s'exerce partout de manière implacable et aléatoire. b. PAR SA PARANOÏA Et les vengeances personnelles qui se mêlent à tout cela et qui cheminent dans cette ombre ! Souvent, la nuit, je me dresse sur mon séant, j'écoute, et j'entends des pas dans mon mur. Voilà sous quelle pression je vis, Tisbe. Je suis sur Padoue, mais ceci est sur moi. l. 29-31 A cette oppression du pouvoir politique s'ajoutent les rivalités entre les personnes. Le vengeances personnelles sont ainsi personnifiées, ce qui amplifie leur aspect menaçant et imprévisible ; Je suis bien surveillé, allez ! Oh ! le conseil des Dix ! Mettez un ouvrier seul dans une cave et faites-lui faire une serrure ; avant que la serrure soit finie, le conseil des Dix en a la clef dans sa poche. Madame, madame, le valet qui me sert m'espionne, l'ami qui me salue m'espionne, le prêtre qui me confesse m'espionne, la femme qui me dit : je t'aime ! - Le personnage donne de lui l'image d'un homme hanté comme s'il entendait des fantômes ; le présent a valeur ici d'habitude, mais il rend aussi la scène vivante comme si Angelo la revivait mentalement en la racontant : « Je me dsresse, j'écoute, oui, Tisbe, - m'espionne ! Tyran de Padoue, esclave de Venise c. TISBE : UNE Oui, vous l'avez dit, j'entends des pas dans mon mur. ». L'expression dans mon mur pourrait même suggréer qu'en plus des murs de son palais Angelo est enfermé dans une prison intérieure, un mur qui le sépare à jamais des autres, du bonheur, de la sérénité. La dernière image est amusante, toutefois la gradation qui suit entre le prêtre, l'amil la femme, signale que toutes les formes d'amour et de confiance sont contaminées par la trahison et la suspicion, même les plus intimes, même les plus sacrées. Il la place sur un pied d'égalité CONFIDENTE AMBIGUË Tisbe, ma belle comédienne - Une femme dominante Flatterie Ne me demandez jamais la grâce de qui que ce soit, à moi qui ne sais rien vous refuser, vous me perdriez. Il déclare implicitement qu'il lui est entièrement dévoué, jusqu'à la mort : tradition du roman courtois dans un contexte de sauvagerie moderne. - Une femme dépendante Ecoutez Vous ne connaissez que ce côté-là : II. LA VILLE, PERSONNAGE MONSTRUEUX a. UNE SOCIETE DU SPECTACLE b. L'ENVERS FANTASTIQUE DU DECOR Usage de l'impératif. Il parle longuement. Il lui révèle son savoir secret or le savoir est une arme pour se valoriser. De plus Angelo parle longuement tandis que Tisbe l'écoute ce qui la met dans une situation de dépendance, rnfin Angelo associe Tisbe au plaisir et aux paillettes ; Du reste, bals, festins, flambeaux, musiques, gondoles, théâtres, carnaval de cinq mois, voilà Venise. Vous, Tisbe, ma belle comédienne, vous ne connaissez que ce côtélà ; moi, sénateur, je connais l'autre. des hommes qui ne montrent jamais au peuple de Venise d'autres visages que ces mornes bouches de bronze9 toujours ouvertes sous les porches de Saint-Marc, bouches fatales que la foule croit muettes, et qui parlent cependant d'une façon bien haute et bien terrible, car elles disent à tout passant : dénoncez ! / les plombs10, les puits, le canal L'accumulation et l'ellipse grammaticale suggèrent une impression de foisonnement mais aussi d'incohérence : tous les éléments sont présentés simultanément sans enchaînement logique. Ce ne sont que des métonymies (gondoles, carnaval) comme si Venise toute entière se ramenait pour le non initié à ces clichés. Le terme flambeau, associé à la lumière, contraste avec l'ombre des scènes nocturnes d'assassinat et des corridors secrets. Venise et Padoue, dans le discours d'Angelo, ne forment plus qu'une même entité. La ville est décrite comme une identité autonome, un véritable personnage. Cela tient d'abord aux personnifications qui désignent les objets inanimés comme s'ils étaient vivants et doués de conscience : les 'bouches de bronze » Orfano, le savent. ….. Voyez-vous, dans tout palais, dans celui du doge, dans le mien, à l'insu de celui qui l'habite, il y a un couloir secret, perpétuel trahisseur de toutes les salles, de toutes les chambres, de toutes les alcôves11, un corridor ténébreux dont d'autres que vous connaissent les portes, et qu'on sent serpenter autour de soi sans savoir au juste où il est, une sape12 mystérieuse où vont et viennent sans cesse des hommes inconnus qui font quelque chose. Et les vengeances personnelles qui se mêlent à tout cela et qui cheminent dans cette ombre ! // je suis la griffe du tigre, le posdesta que Venise met / « le patient a un bâillon, le bourreau un masque. » l. : « Quelquefois on entend quelque chose tomber dans l'eau la nuit. » c. UNE MISE EN ABYME DU RAPPORT ENTRE THEATRE ET POLITIQUE parlent -ici la personnification est renforcée par la métaphore – les canaux « savent », le corridor trahit. A l'inverse l'être humain est chosifié – en tant que griffe du tigre - et fait fonction d('objet dans la phrase. Notons que bourreaux et victimes sont eux-aussi chosifiés, ramenés à l'état de bâillon qui empêche de s'exprimer, de masque qui ôte la personnalité ; plus loin la personne assassinée et jetée dans le canal est désignée comme « quelque chose » : C'est une sorte d'inversion de l'ordre du monde. Cette ville secrète et menaçante acquiet ainsi une puissance de vie La ville par son double aspect de spectacle et de coulisses secrètes pourrait ressembler, dans son architecture même, a une scène de théâtre. Champs lexical du théâtre qui parcourt le texte, d'autant plus que Tisbe est elle même comédienne de théâtre. Mise en vache qui rit du théâtre dans le théâtre. Lui-même en jouant le rôle d'un tyran qui décide de tout alors qu'il ne fait qu'obéir agit comme un comédien et même un personnage de théâtre soumis a la volonté de l'auteur, il récite un rôle que d'autres ont écrit pour lui; «il m'est ordonné». Interprétation: le pouvoir politique est une mise en scène, cette mise en abîme démontre alors que le monde entier est une pièce de théâtre et que finalement nous serions les acteurs d'une pièce que nous ne comprenons pas nous même. Nous suivons donc aveuglément notre destin. Ce monologue tout entier apparaît alors monstrueux, non seulement car cette ville est monstrueuse mais aussi parce que, par le biais du théâtre, tout cela, montre, l'aspect le plus cruel de la vie humaine. En fait, c'est la confidence d'un monstre, qui met en lumière la monstruosité d'un pouvoir totalitaire. Le drame romantique: c'est un théâtre a hauteur d'homme. Tout d'abord la notion de divinité est effacée, et d'autre part, les aspects du cœur humain sont mises en avant a travers divers registres: le fantastique, le comique, le tragique et divers registres de langue familier et nobles. Ce mélange de tous les registres s'appelle le grotesque. Le grotesque créer un théâtre a hauteur d'homme qui permet a l’être humain d'exploiter toutes ses forces et sa dimension et sa complexité. Interprétation politique: le spectateur est associé au discours d'Angelo et est amené a juger la société de son temps, l'ordre politique dans lequel il vit. La société de 1935 est une société totalitaire. Dans la mise en scène de Paolo Choira, le labyrinthe était représenté par une ensemble d'échafaudages en hauteur et les bouches qu'il dénonce, par des écrans de télévision.