Le Japon à l`aube des élections

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Revue Commerce – Septembre 2006
Alors que Koizumi tire sa révérence,
le Japon perd un grand leader
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
29 juin 2006
Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur
Junichiro Koizumi arrive à la fin de
son troisième mandat à titre de chef
du Parti libéral démocrate et de
Premier ministre du Japon en
septembre 2006. Koizumi a été élu
pour un premier mandat de deux ans,
le 26 avril 2001. Il termine son
troisième mandat non renouvelable
en septembre 2006. Tout au long de
ces années, ses talents de négociateur
ont été mis à rude épreuve étant
donné que le Parti libéral démocrate
n’est pas homogène et qu’il faut sans
cesse négocier avec les différents
chefs de factions pour faire
progresser l’agenda législatif. Cet
article propose un portrait du
Junichiro Koizumi ainsi qu’une
brève
revue
des
principaux
changements
survenus
dans
l’économie japonaise sous son règne.
Feuille de route de Junichiro Koizumi
Né le 8 janvier 1942 à Yokosuka City, Préfecture de Kanagawa, Japon
Gradué en économie de l’Université de Keio en 1967
Élu à la chambre des représentants en 1972 et réélu pour une 12e fois consécutive
en septembre 2005
Président du comité des finances du LDP (Parti libéral démocratique) en 1980
Ministre de la santé et du bien-être social en 1988
Ministre des postes et des télécommunications en 1992
Président du LDP et Premier ministre d’avril 2001 à septembre 2006
L’homme
Koizumi a été un Premier ministre populaire, charismatique, photogénique
et qui a su pleinement mettre à profit sa maîtrise du petit écran. C’est un homme
de principe qui su maintenir le cap pour défendre ses principaux objectifs. Les
hommes qu’il admire le plus sont Winston Churchill (1874-1965) ainsi que
l’érudit et patriote Shoin Yoshida (1830-1859). Il respecte ce dernier pour ses
convictions inébranlables en période de grande turbulence, pour son altruisme et
pour ses qualités de grand éducateur.
Une de ses maximes favorites attribuée à Confucius précise que « si les
gens n’ont pas confiance en leurs leaders, ils ne peuvent pas se tenir debout ». Il
n’est donc pas étonnant qu’à l’été 2005, lorsque plusieurs factions de son parti
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s’opposaient à sa réforme du système d’épargne postal japonais, il ait déclenché
une élection surprise en vue d’écarter les parlementaires qui s’y opposaient. Il a
gagné son pari en obtenant une nouvelle majorité de 296 sièges sur 480 à la
chambre basse du parlement (Diète).
«Si les gens n’ont pas
confiance en leurs
leaders, ils ne peuvent
pas se tenir debout ».
Sa force de caractère et ses principes ne
comportent cependant pas que de bons côtés. En
effet, il s’est marié en 1978, mais divorça quatre ans
plus tard. Suite à ce divorce, il s’est juré de ne jamais
se remarier puisque son divorce lui a coûté dix fois
plus d’énergie que le mariage… Il a obtenu la garde
de ses deux garçons qui ont été élevés par sa sœur. Un troisième garçon
(Yoshinaga) a eu la malchance d’être né après le divorce et, en accord avec la
tradition japonaise, Koizumi a toujours refusé de le rencontrer. Il paraît que
Yoshinaga a assisté à l’un des rallyes politiques de son père sans pouvoir le
rencontrer. Koizumi a vraiment un cœur d’acier puisqu’il a même refusé de le
rencontrer à l’occasion de la mort de sa grand-mère. Rien d’étonnant à ce qu’on
lui ait attribué les surnoms de «Maverick» et «Cœur de lion».
Au moment de sa retraite à titre de chef du LDP, il deviendra le Premier
ministre japonais ayant servi le plus longtemps depuis la Seconde guerre
mondiale.
Une décennie perdue pour l’économie japonaise
Pour l’économie japonaise, les années 90 ont été une période de grande
noirceur, le taux de croissance annuel moyen du PIB réel n’a été que 1,2 %
comparativement à 3,9 % au cours de la décennie précédente. À la suite de
l’implosion du prix des actions et de l’immobilier (des terrains en particulier) au
début des années 90, la Banque du Japon a été trop lente à baisser les taux
d’intérêt. Ses dirigeants étaient échaudés puisqu’ils venaient d’être blâmés pour
ne pas avoir su maîtriser l’explosion des agrégats monétaires au cours des années
1987-1990 lorsqu’au même moment on assistait à une explosion des cours
boursiers et de la valeur des terrains. Leur lenteur à baisser les taux d’intérêt à la
suite de l’implosion de la bulle spéculative a aggravé le marasme économique du
début des années 90. Au sommet de la bulle spéculative en décembre 1989,
l’indice Nikkei atteignait 38 900 pour tomber graduellement à 7 800 en avril
2003, soit une perte de 80 % de sa valeur.
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Graphique 1
Indice boursier Nikkei 225
39000
35000
Indice Nikkei 225
31000
27000
23000
19000
15000
11000
7000
janv-89 janv-91 janv-93 janv-95 janv-97 janv-99 janv-01 janv-03 janv-05
Nikkei 225
La dégringolade des marchés boursiers et du prix des terrains a eu des
effets dévastateurs sur les banques, les entreprises et les consommateurs. Les
investisseurs qui avaient empruntés sur la plus value des terrains pour investir en
bourse ont été durement touchés puisque la valeur des actifs s’est effondrée alors
que les emprunts restaient dus. Les banques japonaises regorgeaient de prêts non
performants. Au début de la crise économique, le gouvernement japonais a utilisé
l’investissement public pour stimuler l’économie en utilisant le système d’épargne
postal pour financer des projets, plus souvent qu’autrement, motivés par le
favoritisme politique plutôt que par des motifs d’allocation efficace des
ressources. Des milliers de kilomètres d’autoroutes desservant des régions
éloignées à faible densité de population ont été construites. Au milieu des années
1990, l’investissement public s’élevait à plus de 8 % du PIB comparativement à
une moyenne inférieure à 4 % dans les pays industrialisés.
La lenteur des agents économiques (gouvernement, banques, entreprises) à
réagir aux forces du marché a conduit le pays en déflation. Pour éviter la faillite
des banques couvertes de prêts non performants, la Banque du Japon a finalement
abaissé le taux d’intérêt à court terme à zéro. Cette politique n’a fait que
prolonger l’agonie des banques et des entreprises en faillite. On peut donc dire
que les Japonais et leurs politiciens ont essayé par tous les moyens à leur
disposition d’éviter les réformes nécessaires pour donner davantage de place aux
mécanismes de marché dans l’allocation des ressources. C’est donc dans ce climat
de morosité économique qu’en avril 2001, Koizumi a été élu premier ministre en
promettant de remettre le pays sur pied.
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Le grand ménage à la japonaise
L’une des premières actions de Koizumi a été de nommer des réformistes
à la tête des principaux ministères, notamment Takenaka à la tête de l’Agence des
services financiers pour finalement s’attaquer au problème des prêts non
performants des banques japonaises et moderniser la réglementation des
institutions financières. En septembre 2001, le total des prêts classés non
performants selon la nouvelle loi sur la Reconstruction financière s’élevait à
36,8 billions de yens. Après quatre ans (septembre 2005) d’assainissement de la
situation financière des banques, le montant total des prêts non performants était
tombé à 15,9 billions de yens. On ne peut toutefois pas s’empêcher de noter la
lenteur du processus. C’est une des caractéristiques du Japon comme on le
constatera avec l’autre pilier du système financier japonais qu’est la Poste du
Japon.
La Poste du Japon est une entreprise publique née le 2 avril 2003 en
remplacement de l’Agence des services postaux plus que centenaire. Les 400 000
employés et les 24 700 bureaux de poste assurent non seulement la livraison du
courrier et des colis, mais recueillent également l’épargne des ménages sous
forme de dépôts garantis par le gouvernement et vendent des polices d’assurancevie. Les fonds accumulés servent à acheter des obligations du gouvernement et
des agences gouvernementales qui servent au financement des projets
d’investissement public. Cette institution publique a obtenu des avantages
concurrentiels importants par rapport aux autres banques. Par exemple, elle
bénéficie d’un réseau de distribution des produits financiers quasiment gratuit,
elle ne paie pratiquement pas d’impôts, elle ne contribue pas à l’assurance-dépôts
et finalement, elle jouit d’une réglementation moins contraignante que les autres
institutions financières. En contrepartie, elle a participé au financement des
projets d’investissement politiquement rentables mais de valeurs économiques
douteuses. La Poste du Japon est immense puisqu’elle détient pour près de
330 billions de yens (3 000 milliards de dollars américains) d’actifs, soit près de
65 % du PIB japonais.
Même si le projet de privatisation de la Poste du Japon vise à atteindre des
changements graduels dans sa structure, les politiciens de la vieille garde se sont
rebellés en votant contre la réforme. On réalise donc à quel point il est difficile de
faire évoluer les choses dans le système politique japonais. C’est grâce à sa
détermination sans bornes que Koizumi a déclenché une élection surprise à la
suite de sa défaite au parlement en avril 2005. Même si aux yeux des nordaméricains cette réforme paraît relativement marginale elle était l’une des pierres
angulaires de son programme pour rétablir la vitalité de l’économie japonaise. À
la suite de sa victoire électorale, le Parlement japonais a finalement adopté son
projet de loi en octobre 2005. Ce projet prévoit la séparation de la Poste du Japon
en quatre entreprises distinctes : une responsable du courrier, une pour l’épargne
postale, une pour l’assurance-vie postale et l’autre pour la gestion du réseau des
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bureaux postaux. Ces quatre entreprises seront contrôlées par un holding qui après
10 ans de transition (en 2017), vendra ses parts de la compagnie de l’épargne
postale et celle de l’assurance-vie, mais gardera au moins un tiers des parts. Les
employés perdront leur statut d’employé du gouvernement et les entreprises
seront taxées au même titre que les autres entreprises. De plus, l’entité d’épargne
postale devra contribuer au système d’assurance-dépôts.
Les changements prévus par la loi seront donc lents et marginaux, mais le
processus de réformes mis en place par l’administration Koizumi a bien des
chances de survivre. La performance de l’économie japonaise s’est améliorée au
cours des deux dernières années et, en validant son pari électoral de l’automne
2005, les Japonais reconnaissent les bienfaits de la privatisation et des réformes
visant à accroître le rôle des mécanismes du marché dans l’allocation des
ressources.
La place du Japon dans le monde
Koizumi ne s’est pas fait beaucoup d’amis parmi la population chinoise et
coréenne en visitant le sanctuaire de Yasukuni. Ce dernier, qui honore
2,5 millions de soldats morts au service du pays, est devenu l’objet d’une
controverse politique depuis 1978 lorsque 14 criminels de guerre y ont été
enchâssés. Les visites de Koizumi sont perçues comme une glorification du
militarisme passé et du nationalisme japonais par les pays voisins qui ont subi
l’occupation des troupes japonaises. Alors que la politique étrangère n’est jamais
un critère important dans le choix du chef de parti, l’isolationnisme du Japon
pourrait jouer un rôle dans le choix à la succession de Koizumi. Abe (51 ans),
considéré comme favori, envisage de continuer la tradition établie par Koizumi
alors que Fukuda (70 ans) prône plutôt une politique de réconciliation avec les
pays voisins.
Nous prévoyons que la jeune génération de politiciens gagnera grâce aux
réformes introduites par Koizumi. Maintenant que la confiance des Japonais dans
l’économie est revenue, les réformistes sont les mieux positionnés pour affronter
les nouveaux défis qui les attendent. Un immense travail de consolidation des
finances publiques par le truchement de la maîtrise des dépenses et de
l’augmentation du fardeau fiscal reste à faire. En 1990, l’endettement brut des
administrations publiques japonaises en pourcentage du PIB était quasiment le
même qu’aux États-Unis (graphique 2). En 2006, l’endettement brut des
administrations publiques s’élève à 160 % du PIB comparativement à 64,6 %
pour les États-Unis. De plus, il sera intéressant d’observer la façon dont les
Japonais réagiront aux défis posés par le vieillissement rapide de la population et
dans leur cas à la diminution absolue de la population à partir de 2006.
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Koizumi n’a pas résolu tous les problèmes du Japon, mais sa grande
détermination à réformer les institutions publiques est parvenue à redonner
confiance aux Japonais qui sont aujourd’hui bien mieux préparés pour relever les
défis qui les attendent.
Graphique 2
Endettement brut des administrations publiques
en pourcentage du PIB
170
150
130
110
90
70
50
1988
1990
1992
1994
1996
Japon
1998
2000
2002
2004
2006
États-Unis
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Attention : Faire un encadré avec le texte ci-dessous
Le Japon sur une nouvelle lancée
Les réformes de l’Administration Koizumi portent fruit puisque, si
l’expansion de l’économie japonaise qui commencé en février 2002 se poursuit
jusqu’à la fin de 2006, le Japon connaîtra sa plus longue période d’expansion
depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le taux de croissance annuel moyen
du PIB réel japonais, qui n’a été que de 1,2 % au cours des années 90, s’est élevé
à 2,5 % depuis le début du cycle d’expansion courant (graphique 1).
Graphique 3
PIB réel et dépenses de consommation réelles – Japon
(moyenne mobile d’un an des taux annuels de variation)
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
0.5
0.0
-0.5
-1.0
-1.5
-2.0
1998.1
1999.1
2000.1
2001.1
PIB réel
2002.1
2003.1
2004.1
2005.1
2006.1
Dépenses de consommation réelles
En 2003-2004, les exportations réelles nettes ont beaucoup contribué à la
reprise de l’économie, grâce notamment à l’importance grandissante du
commerce avec la Chine qui vient de supplanter les États-Unis comme premier
partenaire commercial du Japon. Notons cependant que contrairement à ce que
pense la plupart du monde, l’économie japonaise n’est pas une économie ouverte
puisqu’en 2005, les exportations de biens et de services s’élevaient seulement à
14,3 % du PIB comparativement à 38,4 % au Canada (tableau 1). Les
importations de biens et de services représentaient un pourcentage inférieur, soit
12,9 % du PIB comparativement à 34,2 % au Canada. Le pourcentage des
exportations de biens et de services étant supérieur à celui des importations et les
revenus nets de placement internationaux étant positif, il en découle qu’en 2005 le
Japon affichait un surplus de la balance courante de 3,6 % du PIB. Aux États-Unis
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la situation est inversée, la part des importations de biens et des services était plus
faible celle des exportations, ce qui explique le déficit de la balance courante qui
s’élevait à pas moins 6,4 % du PIB américain.
En 2005-2006, la fin de la déflation a redonné confiance aux
consommateurs et aux gestionnaires d’entreprises. Pendant la période de
déflation, les Japonais ne voulaient pas investir dans l’achat de maisons et de
biens durables dont les prix baissaient. Maintenant que l’immobilier reprend et
que les prix augmentent, ils sont prêts à investir. La demande intérieure est
stimulée par la reprise des dépenses de consommation, la construction
résidentielle et l’investissement des entreprises.
Les réformes de l’Administration Koizumi, même si elles paraissent bien
marginales à nos yeux, ont permis au Japon de sortir de son marasme
économique. Le retour à un taux d’inflation positif depuis quelques mois et la
reprise de la demande intérieure ont permis à la Banque du Japon d’annoncer une
première hausse de son directeur le 14 juillet 2006. Cette première augmentation
de 25 points de base est le début d’un processus de normalisation des taux
d’intérêt à court terme, même s’ils demeureront très bas comparativement à ceux
des États-Unis. Le Japon, qui est encore la deuxième économie mondiale, est le
pays le plus riche d’Asie avec un PIB par habitant évalué à près de 35 000 dollars
américains comparativement à 31 000 dollars américains au Canada et près de
40 000 dollars aux États-Unis (tableau 1).
Tableau 1
Japon, Canada et États-Unis en chiffres
Année 2005
Japon
PIB en milliards de dollars américains
4587
PIB par habitant en dollars américains
35914
Population en millions
127
Taux de chômage
4.4
Taux d'inflation (Indice des prix à la consommation)
-0.3
Balance courante en % du PIB
3.6
Déficit (-) ou surplus (+) budgétaire des admin. publiques
-5.8
Investissement brut en % du PIB
23.2
Épargne nationale brute en % du PIB
26.8
Exportations de biens et de services en % du PIB
14.3
Importations de biens et de services en % du PIB
12.9
Taux de croissance du PIB réel
2.7
Canada
993
31111
32
6.8
2.2
2.2
1.7
21.1
23.4
38.3
34.2
2.9
États-Unis
12278
39938
296
5.1
3.4
-6.4
-4.1
20.0
13.6
10.4
16.2
3.5
Source : Fonds monétaire international, Economic Outlook Database, Avril 2006
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