Ensembles invariants par 2 ou 3
18 janvier 2017
On s’intéresse ici à des parties fermées du tore T=R/Z, que l’on identifiera
souvent à l’intervalle semi-ouvert [0,1[. On fixe dans toute la suite deux entiers
positifs p<qmultiplicativement indépendants, i.e. tels que log p
log q6∈ Q, et on
considère les morphismes du tore associés
Tp:TT
x7→ px and Tq:TT
x7→ qx .
Les transformations Tpet Tqcorrespondent respectivement aux décompositions
en base pet qd’un élément de T. En effet, si x= 0, a1a2. . .p, alors Tpx=
0, a2a3. . .pen base p, et de même, si x= 0, b1b2. . .q, alors Tqx= 0, b2b3. . .q.
Dans les années 1960, Furstenberg a proposé diverses conjectures qui visaient
à exprimer l’idée que les expansions dans les bases pet qn’ont rien en commun,
si pet qsont multiplicativement indépendants. En voici quelques exemples :
Si Sest une partie fermée infinie invariante par Tpet Tq, alors S=T;
démontré en 1967 par Furstenberg furstenberg_disjointness
[3].
Si µest une mesure de probabilité borélienne diffuse (i.e. sans atome)
sur Tinvariante par Tpet Tqalors µest égale à la mesure de Lebesgue ;
cette conjecture encore ouverte aujourd’hui.
Si Aet Bsont deux fermés de Tinvariants respectivement par Tpet Tq,
alors dimH(A+B) = min(dimHA+ dimHB, 1), où A+B={a+b;a
A, b B}; démontré en 2012 par Hochman et Shmerkin hochmanshmerkin_projection
[4].
Si Aet Bsont deux fermés de Tinvariants respectivement par Tpet Tq,
alors dimH(AB)max(dimHA+ dimHB1,0) ; démontré en 2016
par Shmerkin shmerkin_furstenbergconjecture
[6] et Wu wu_furstenbergconjecture
[7], indépendamment.
C’est la résolution par Shmerkin de cette dernière conjecture que nous nous
proposons d’étudier ici. Plus précisément, le théorème qui nous intéresse est le
suivant.
but Théorème 0.1 (Shmerkin/Wu, 2106).Soient pet qdeux entiers multiplicati-
vement indépendants, et A,Bdeux fermés de [0,1[ invariants par Tpet Tq,
respectivement. Pour toute bijection affine g:RR,
dimB(Ag(B)) max(dimHA+ dimHB1,0).
1
L’énoncé ci-dessus fait intervenir deux notions de dimension. Tout d’abord,
la dimension de Minkowski supérieure, ou « box-dimension », définie par
dimBA= lim sup
ε0
log N(A, ε)
log(1),
N(A, ε)désigne le nombre minimal d’intervalles de longueur εnécessaire
pour recouvrir l’ensemble (relativement compact) A. Et ensuite, la dimension
de Hausdorff, notée dimH. Pour définir celle-ci, on définit d’abord, pour s[0,1]
et ε > 0,
Hs
ε(A) = inf{X
iN
|Ii|s;A[
iN
Ii,avec i, |Ii| ≤ ε}.
Ensuite, la mesure de Hausdorff de dimension sest donnée par
Hs(A) = lim
ε0Hs
ε(A)
et la dimension de Hausdorff par
dimHA= inf{s[0,1] | Hs(A)=0}= sup{s[0,1] | Hs(A) = ∞}.
On renvoie par exemple à falconer_fractalgeometry
[2] ou à mattila
[5] pour les propriétés générales de ces di-
mensions, et notamment l’inégalité, pour tout ensemble A,
dimHAdimBA.
1 Dimensions, exposants de Frostman, et straté-
gie générale.
section:strategy Tout d’abord, notons que l’étude de l’intersection Ag(B)se ramène à
celle de l’intersection de l’ensemble fractal A×Bavec la droite (`g)d’équation
x=g(y). D’après le théorème d’intersection de Marstrand, on a bien, pour
presque toute droite `,dimH(A×B)`gmax(dimHA+ dimHB1,0)
vérifier, exercice), mais cela ne suffit pas, car on désire un résultat valable pour
toute droite `.
On utilisera le lemma suivant, pour lequel on rappelle qu’une mesure µsur
un espace Xest dite α-Frostman s’il existe C0tel que pour tout xXet
tout r > 0,µ(B(x, r)) Crα.
Remarque 1. Même si nous n’en aurons pas besoin ici, rappelons le lemme de
Frostman, qui justifie la terminologie ci-dessus :
Si Aest une partie borélienne de R(ou d’un espace vectoriel euclidien)
telle que dimHA>α, alors il existe une mesure de probabilité µ α-
Frostman telle que Supp µA.
Si µest une mesure α-Frostman et Aune partie telle que µ(A)>0, alors
dimHAα.
2
Lemme 1.1. Soit µune mesure de probabilité borélienne sur X=A×Bet
telle que,
xX, rr0, µ(B(x, r)) rs.
Soit πune forme linéaire sur R2. Si la mesure image πµest α-Frostman, alors,
yR,dimBπ1(y)sα.
Démonstration. Soit C1une constante telle que πsoit C-lipschitzienne. Soit
(xj)1jMune famille de cardinal maximal d’éléments ε
C-séparés dans π1(y).
Comme les boules B(xj,ε
2C)sont disjointes et incluses dans π1(B(y, ε)), on a
Mε
2Csµ
M
[
j=1
B(xj,ε
2)
πµ(B(y, ε)) Cεα,
donc N(π1(y), ε)Mεs+α.
Pour démontrer le théorème but
0.1, il suffit donc de faire voir que :
1. L’ensemble X=A×Bsupporte une mesure de probabilité µtelle que,
pour tout xXet tout r > 0,µ(B(x, r)) rdimHA+dimHB.
2. Pour toute forme linéaire non nulle πet tout ε > 0, la mesure image πµ
est [min(1,dimHA+ dimHB)ε]-Frostman.
En effet, le lemme ci-dessus montre alors, en faisant tendre ε > 0vers zéro, que
pour toute droite affine `=π1(y),dimB(A×B)`max(dimHA+dimHB
1,0). Nous verrons plus tard, au §3, que la condition 1 se vérifie facilement dans
le cas où Aest un ensemble de Cantor p-adique et Bun ensemble de Cantor
q-adique, et qu’on peut toujours se ramener à ce cas. Pour la condition 2, nous
allons passer par la notion de dimension Lqd’une mesure, que nous rappelons
maintenant.
Soit νune mesure de probabilité sur R. Pour m1, on étudie la densité
de µà l’échelle 2m; plus précisément, on pose µm=µφm, où φmest une
approximation de l’identité de taille 2m, par exemple φm= 2m[0,2m]. On a
bien sûr
1≤ kµmkq
Lq2m(q1),
et les cas d’égalité à gauche et à droite correspondent respectivement aux cas
d’étalement maximal (Lebesgue) et de concentration maximale (Dirac). On dé-
finit donc naturellement la dimension Lqde la mesure µpar
Dµ(q)=1lim sup
m→∞
log kµmkq
Lq
m(q1) .
Remarque 2. Si Dmdésigne la collection des intervalles dyadiques de longueur
2m, on a Dµ(q) = lim infm→∞ log PI∈Dmµ(I)q
m(q1) .
3
Exercice 1. Vérifier que la fonction q7→ (q1)Dµ(q)est concave sur ]1,[,
et en déduire que q7→ Dµ(q)est continue décroissante sur ]1,[. Montrer par
ailleurs que dimHµlimq1Dµ(q), où dimHµ= inf{dimHA;µ(A)>0}.
Quand le paramètre qtend vers l’infini, la dimension Dµ(q)se rapproche
d’un exposant de Frostman pour µ.
Lemme 1.2 (Dimension Lqet exposant de Frostman).Soient s]0,1[,q
]1,[, et µune mesure de probabilité borélienne sur Rtelle que Dµ(q)> s.
Alors µest [(1 1
q)s]-Frostman.
Démonstration. Le fait que µest α-Frostman équivaut à l’inégalité kµmkL
2m(1α), pour tout m1. Comme on a toujours kµmkL2m
qkµmkLq, et que
l’hypothèse implique que pour massez grand, kµmkLq2m[1s(11
q)], le lemme
est démontré.
Pour démontrer le théorème but
0.1, les deux assertions que l’on cherche doré-
navant à obtenir sont donc :
1. L’ensemble X=A×Bsupporte une mesure de probabilité µtelle que,
pour tout xXet tout r > 0,µ(B(x, r)) rdimHA+dimHB.
2. Pour toute forme linéaire non nulle πet tout ε > 0, pour tout q > 1,
Dπµ(q) = min(1,dimHA+ dimHB).
2 Dimensions et invariance par Tp
Pour ramener la démonstration du théorème but
0.1 au cas où Aet Bsont des
ensembles de Cantor respectivement p-adique et q-adique, le point essentiel est
la proposition suivante, due à Furstenberg furstenberg_disjointness
[3, Proposition III.1]. Pour un résultat
un peu plus général, avec une démonstration analogue, on renvoie à Falconer falconer_subselfsimilarsets
[1,
Proposition 3.2].
Proposition 2.1 (Dimensions d’un ensemble invariant par Tp).Si Aest une
partie fermée de [0,1[ telle que TpAApour un certain entier p2, alors
dimHA= dimBA.
Démonstration. Quel que soit l’ensemble A, on a toujours dimHAdimBA,
donc seule l’inégalité réciproque nécessite une preuve. Supposons dimHA < s,
de sorte qu’on peut trouver un recouvrement fini (car Aest compact)
A[
iQ
Ii
par des intervalles p-adiques Ii={x= 0, i1. . . i`. . .p}, où i= (i1, . . . , i`), tel
que PiQps|i|<1. Soit L= max{|i|;iQ}. Pour k1, posons
Ak={i= (i1, . . . , ik)| ∃xA:x= 0, i1. . . ik. . .p}={k-préfixes de A}.
4
On a bien sûr
dimBA= lim sup
k→∞
log card Ak
klog p,
et il suffit donc de montrer que card Akpsk . Posons aussi, pour kL,
Qk={i1i2. . . ir;ijQ, |i1. . . ip1|< k ≤ |i1. . . ip|}.
Comme Aest stable par Tp, pour tout intervalle p-adique Ii, on a l’inclusion
AIiSjQAIij, et donc
A[
jQk
I(pk)
j,
I(pk)
jdésigne l’intervalle p-adique de longueur pkcorrespondant au préfixe
j(tronqué à longueur k). Cela montre que card Akcard Qk. Enfin,
1X
i1,...,i`Q
ps(|i1|+···+|i`|)X
jQk
ps|j|pLpks card Qk
et donc card Qkpks, ce qu’il fallait démontrer.
Remarque 3. L’invariance de Apar Tpimplique AkA`Ak+`et donc, d’après
le lemme sous-additif, la suite log(card Ak)
kconverge. Cela montre l’égalité entre
dimensions de Minkowski supérieure et inférieure.
Nous déduisons maintenant de la proposition ci-dessus un corollaire qui
montre qu’il suffit de démontrer le théorème but
0.1 dans le cas où Aest un p-
Cantor et Bun q-Cantor. Rappelons que si p2est un entier, un p-Cantor
A(ou ensemble de Cantor p-adique) est un ensemble défini par les chiffres
de ses éléments en base p: il existe une partie D⊂ {0, . . . , p 1}telle que
A={x= 0, a1a2. . .p;i, aiD.
Corollaire 2.2 (Approximation d’un fermé Tp-invariant par un Cantor).Soit
p2un entier, et Aun fermé de [0,1[ tel que TpAA. Pour tout ε > 0, il
existe N1et un pN-Cantor ˜
Atel que A˜
Aet dimH˜
AdimHA+ε.
Démonstration. Comme dimHA= dimBA, on peut trouver un entier Ntel que
card ANp(s+ε)N, où ANest l’ensemble des N-préfixes de A. On définit alors ˜
A
comme le pN-Cantor dont les blocs admissibles sont donnés par AN. L’inclusion
A˜
Adécoule de ce que ATpA, et bien sûr, dimH˜
A=log card AN
Nlog ps+ε.
Pour conclure cette partie, vérifions que si Aest un p-Cantor et Bun q-
Cantor, la condition 1 souhaitée à la fin de la partie précédente est satisfaite.
Cela découle du lemme suivant.
Lemme 2.3. Soit Aun p-Cantor, associé à une partie D⊂ {0, . . . , p 1}, et
µAla mesure de probabilité usuelle sur A. Alors, il existe c > 0tel que, pour
tout r]0,1[ et tout xA,
µA(B(x, r)) crdimHA.
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