De Hopenhagen à Flopenhagen

publicité
De Hopenhagen à Flopenhagen
Analyse de 2 ans de négociations sur le changement climatique par Benoit FARACO
La conférence de Copenhague s'est achevée samedi 19 décembre, après qu'un accord entre
28 Etats ait été présenté par Barack Obama et Nicolas Sarkozy dans la nuit de vendredi à
samedi. Si les négociations officielles se sont poursuivies plus de 12 heures après la
publication de cet accord, tout était déjà écrit. Les derniers échanges en plénière témoignaient
davantage de l'essoufflement du système onusien que de véritables négociations.
1. LE SUCCES DE BALI
L'histoire de Copenhague commence à Bali en décembre 2007. L'année a été marquée par
des événements importants : parution du 4° rapport du Groupe intergouvernemental d'experts
sur le climat (GIEC), succès du film d'Al Gore qui prépare l'opinion publique, et surtout
attribution du prix Nobel à ces acteurs venant consacrer la question climatique sur l'agenda
diplomatique. Par ailleurs, le contexte pré-électoral américain permettait aux négociateurs
d'envisager un changement de posture des Etats-Unis.
La conférence de Bali marque un tournant. Pour la première fois, les pays émergents et les
pays forestiers reconnaissent qu'ils devront eux aussi mettre en œuvre des actions de
réductions de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Plan d'Action de Bali en valide
le principe, en rappelant que les pays industrialisés doivent apporter un soutien économique et
financier aux pays les plus vulnérables.
Bali a donné deux ans pour préparer Copenhague avec le mandat suivant :



Se doter d'un objectif de réduction des émissions de GES au niveau mondial et fixer un
échéancier pour l'atteindre.
Elaborer un cadre institutionnel permettant de mettre en œuvre des actions de réduction
d'émissions partout sur la planète.
Construire un cadre financier permettant de financer les réductions d'émissions de GES et
l'adaptation des pays les plus vulnérables au changement climatique.
Au cours des deux années suivantes, beaucoup de choses ont bougé. D'abord, l'élection de
Barack Obama aux Etats-Unis a permis de placer les questions environnementales très haut
sur l'agenda politique américain. Ensuite, d'autres grands pays industrialisés, comme
l'Australie ou le Japon ont basculé : le climat est devenu chez eux aussi une priorité. Malgré
quelques difficultés, ces pays sont en passe d'adopter des objectifs ambitieux. Enfin, les
grands émergents comme la Chine, le Brésil, l'Indonésie, l'Afrique du Sud ou le Mexique ont
tous élaboré des plans de lutte contre le changement climatique, incluant des objectifs
sectoriels de réductions d'émissions (sur la forêt notamment).
1
Bali et la préparation de Copenhague ont donc permis ce fabuleux changement dans les
politiques internes des Etats. Cela ne s'est pas fait sans heurts (tensions en Inde, difficultés
aux Etats-Unis à faire voter la loi au Congrès, rejet par le Sénat Australien du plan climat...),
mais la dynamique était clairement positive.
2. QU'ATTENDIONS NOUS DE COPENHAGUE ET QU'AVONS NOUS OBTENU ?
La conférence de Copenhague devait aboutir à un accord donnant suite au protocole de Kyoto
qui arrivera en échéance en 2012. En effet, malgré les progrès accomplis, la situation reste
préoccupante. Ainsi, Hervé Le Treut, climatologue français spécialiste de la modélisation du
climat explique à l'AFP qu'« en termes d'émissions de CO2, on est au-delà du pire scénario
qui avait été imaginé dans les projections du GIEC".
Nous attendions 4 éléments des résultats de Copenhague :
2.1 Réduction des émissions de GES
Nos attentes : Division par deux des émissions mondiales d'ici 2050. Cela implique pour 2020


Une réduction de 40% pour les pays industrialisés (par rapport à 1990)
Une réduction de 15% a 30% pour les émergents (par rapport à la tendance actuelle)
Les résultats :
L'accord ne mentionne que l'objectif de limiter le réchauffement en deçà de 2°C par rapport
aux températures pré-industrielles. C'est, déjà, une bonne nouvelle car, pour la première, un
accord international adopte cet objectif et surtout fait explicitement référence à la science et
aux recommandations du GIEC. Cependant, cet objectif avait déjà été retenu par le G8 en
Italie en juillet 2009 et repris quelques jours plus tard par le forum des grandes économies
(MEF), qui regroupe une vingtaine d'Etats collectivement responsables d'environ 80% des
émissions de GES. Ce forum avait affirmé que Copenhague serait l'occasion de trouver un
accord sur un objectif à 2050, qui ne figure pas dans le texte négocié le 19 décembre.
Concernant 2020, le système mis en place est très flou. Les Etats devront, d'ici fin janvier
2010, transmettre leurs objectifs de réduction des émissions. Pour l'instant, les engagements
annoncés sont les suivants :


Les annonces des pays industrialisés se situent entre 10% et 19% de réduction des émissions en
2020 par rapport à 1990, alors même que le GIEC recommande une fourchette comprise entre
25% et 40%
Les annonces des grands émergents sont par contre cohérentes avec les recommandations du
GIEC. Même si la Chine semble en dessous de ce qu'elle pourrait faire, la réduction cumulée des
grands émergents par rapport à la tendance est aujourd'hui autour de 25%, soit dans le haut des
recommandations des scientifiques qui préconisent une réduction de 15% à 30%.
2
Ce déséquilibre a largement contribué à l'échec de Copenhague sur ce point. Les Etats-Unis
ont exercé une forte pression sur la Chine en lui demandant de pouvoir vérifier l'ensemble de
ses engagements, alors même que l'engagement américain est en deçà de ce qui serait
nécessaire. Aujourd'hui, la somme des engagements annoncés de réduction des émissions de
gaz à effet de serre nous conduit à un réchauffement d'au moins 3°C.
2.2 Financement de la lutte contre le changement climatique et de l'adaptation
Nos attentes :


10 milliards d'euros par an entre 2010 et 2012 pour lancer la machine
Ensuite, 100 milliards d'euros de financement public pour réduire les émissions de GES et
l'adaptation
Les résultats :
Un financement de 10 milliards de dollars par an entre 2010 et 2012 est prévu dans l'accord
de Copenhague. Les Etats-Unis se sont engagés à verser 1,3 milliards de dollars par an et
l'Europe 2,4 milliards d'euros par an (sans que cela soit inscrit dans l'accord).
Le chiffre de 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 pour aider les pays en développement à
faire face aux impacts du réchauffement est également mentionné dans l'accord de
Copenhague. Un groupe de travail devrait être créé pour étudier les sources de ces
financements.
Cette prise en compte des questions de solidarité et de partage est un des points positifs de
l'accord de Copenhague. Ces sujets, laissés de côté par Kyoto, sont maintenant au cœur de la
négociation. Cependant, plusieurs interrogations demeurent. Quelle sera la part du
financement public ? Rien n'est précisé dans le texte de Copenhague, et il y a fort à parier que
les Etats vont tout faire pour minimiser cette part. Le montant annoncé sera-t-il effectivement
versé ? Rappelons simplement qu'en matière d'aide publique au développement, les
financements promis ne sont jamais arrivés.
2.3 Lutte contre la déforestation
Nos attentes : Un objectif de réduction de 50% de la déforestation en 2020 et d'arrêt en 2030
ainsi que des financements dédiés.
Les résultats :
Sur ce point, la déception est très importante. Le texte de l'accord y fait référence mais de
façon très imprécise alors que les deux dernières années avait permis de préparer un cadre
d'action assez ambitieux. S'il est prévu qu'une partie de l'argent débloqué aille à la lutte contre
la déforestation, nous sommes très loin de l'ambition affichée au début de Copenhague.
3
2.4 Création d'un cadre juridique pour contrôler le respect des engagements
Nos attentes : La création d'un système de contrôle et de vérification du respect des
engagements de réduction des émissions et des engagements financiers s'appliquant aux
pays industrialisés et aux pays émergents.
Certes, un accord juridiquement contraignant apporte peu de garantie formelle quant au
respect des engagements puisque les Etats ne font pas l'objet de sanction. Il a, cependant,
une vertu essentielle : la transparence. Le contrôle par un tiers, une institution internationale,
est un élément clé de la démocratie environnemental qui permet d'exercer à la fois un contrôle
mutuel (les Etats entre eux) et un contrôle citoyen (via les ONG notamment) sur le respect des
engagements pris.
Les résultats :
L'absence d'un cadre juridique contraignant dans l'accord de Copenhague montre que les
Etats n'ont pas envie que l'on vérifie le respect de leurs engagements. Ce point rapproche
d'ailleurs la Chine et les Etats-Unis.
La structure de la négociation qui s'est esquissée dans les derniers jours de Copenhague est
assez révélatrice, dans la mesure où un petit groupe de 28 Etats, relativement représentatif de
la diversité du monde, s'est réuni pour construire le consensus, mettant à mal un processus
onusien à 192 pays. Cette forme de gouvernement restreint est intéressante car efficace,
contrairement au processus lancé à Bali qui n'avait pas permis d'aboutir à un accord, mais elle
demeure opaque, à l'image des G8, relativement insensible aux avis et positions des acteurs
de la société civile.
3. POINTS POSITIFS, POINTS NEGATIFS
3.1 Points positifs
Au-delà des points positifs déjà relevés à savoir l'adoption de l'objectif de 2°C au niveau
international et l'émergence des questions de solidarité, on peut noter :

La présence des Chefs d'Etats
La mobilisation de plus de 120 chefs d'états des quatre coins de la planète témoigne de
l'importance prise par la question du changement climatique. C'est un signe important, qui
montre qu'au XXIe siècle, le changement climatique occupe une place réelle dans les relations
diplomatiques. Même si aujourd'hui tout reste à construire, les conditions sont réunies pour
que dans les prochaines années, des accords puissent être trouvés.

La mobilisation des citoyens
4
Copenhague a, ensuite, été un véritable succès de mobilisation citoyenne. L'appel Tcktcktck
de Kofi Annan a rassemblé 11 millions de signatures à travers le monde. En France, plus de
550 000 personnes ont répondu présent à l'appel de l'Ultimatum Climatique. Copenhague a,
ainsi, montré l'engagement, la détermination et la volonté d'agir des citoyens du monde sans
lesquels les chefs d'Etat ne se seraient pas mobilisés. A leur côté, les villes, les régions, mais
aussi les entreprises ont montré qu'un nouveau modèle de société était possible et désirable.

La reconnaissance de la nécessité de trouver des sources de financements innovantes
On attendait beaucoup à Copenhague sur la question des financements innovants. La France
s'était notamment engagée avec le Royaume-Uni à porter le débat sur la création d'une
taxation des transactions financières internationales. Par ailleurs, la proposition d'une mise à
contribution du transport aérien et maritime suivait son chemin. Ces options ne sont pas
mentionnées dans le texte final de l'accord de Copenhague, ce qui marque un net recul.
Cependant, un groupe de travail de haut niveau va être créé pour étudier les nouvelles
sources de financement. Si son mandat n'est pas précisé, c'est là l'opportunité de travailler
pour concrétiser des propositions permettant de répondre aux besoins de financements
estimés à 100 milliards de dollars par an en 2020.
4.2 Points négatifs

La faillite du modèle Onusien
Le schéma onusien a montré ses limites. En deux ans de discussions et de négociations, il n'a
pas permis d'avancer et de construire un consensus. Les négociations traditionnelles sont
entrées dans une impasse dont on n'a pu sortir qu'en constituant un petit groupe d'Etats plus
ou moins représentatif de la diversité du monde. Mais celui-ci n'a finalement permis aucun
progrès, puisque le texte final ne contient rien de plus qu'une somme d'engagements déjà pris
au niveau national par les différents Etats ou groupes d'Etats. De plus, ce texte a seulement
été « pris en compte » par le système onusien. Nous sommes donc dans la construction de
quelque chose de nouveau d'un point de vue diplomatique, dont le mode de fonctionnement
reste à définir.

L'absence d'avancées sur les sujets techniques
Si les négociations entamées à Bali n'ont pas abouti à un accord sur des objectifs globaux de
réduction d'émissions et sur les financements, elles avaient permis des avancées sur certains
points techniques : la lutte contre la déforestation, l'intégration de l'agriculture, l'adaptation au
5
changement climatique... Sur ces sujets, nous étions pendant Copenhague assez proche d'un
consensus. Mais les trois derniers jours de négociations ont finalement renvoyé à plus tard
toutes décisions sur ces sujets, ruinant deux ans d'effort pour construire un consensus.
http://www.fondation-nicolas-hulot.org/blog/de-hopenhagen-flopenhagen
6
Téléchargement