CHAPITRE 5
Propriétés de finitude et (g, K)-modules
Dans ce chapitre, on s’intéresse aux propriétés de finitude des espaces de formes
automorphes A(G; Γ). Ces espaces sont munis d’actions naturelles de Ket gcompa-
tibles en un certain sens : c’est un exemple de (g, K)-module (ou module de Harish-
Chandra). Dans une première partie, nous étudierons abstraitement ces (g, K)-
modules et introduirons trois notions de finitude naturelles les concernant : admis-
sibilité, engendrement fini, longueur finie. Un résultat dû à Harish-Chandra affirme
l’équivalence de ces trois notions pour un (g, K)-module donné si ce dernier est
annulé par un idéal de codimension finie de z(gC). Dans la seconde partie, nous dé-
montrerons cet énoncé dans le cas G= GL2(R), et nous classifierons essentiellement
les (g, K)-modules admissibles irréductibles dans ce cas, un résultat fameux dû à
Bargmann qui est un ingrédient important dans la classification du dual unitaire de
GL2(R).
Fixons Γun sous-groupe d’indice fini de GLn(Z)et Iun idéal de codimension
finie de z(gC). Un résultat central dû à Harish-Chandra est l’admissibilité du (g, K)-
module A(GLn(R); Γ)[I]constitué des formes automorphes fA(GLn(R); Γ) an-
nulées par I. Cet énoncé peut être vu comme une vaste généralisation du fait que les
espaces Mkétudiés au chapitre 2 sont de dimension finie. Nous en donnerons une dé-
monstration complète (et au chapitre suivant) que dans le cas n= 2 et Γ = GL2(Z),
cas qui présentera toutefois déjà de nombreuses difficultés et idées du cas général.
Un énoncé intermédiaire qui jouera un rôle important est le théorème “d’harmoni-
cité” de Harish-Chandra, étudié ici en section 3. Il permet notamment de montrer
que les formes automorphes sont à croissance uniformément modérée (et d’affaiblir
substantiellement l’hypothèse (A4)).
Références :
[BK], T. Bailey, A. Knapp ed., Representation theory and automorphic forms, Edin-
burgh, AMS P.S.P.M. 61 (1996),
[B], A. Borel, Automorphic forms on SL2(R), Cambridge Tract in Math. 130 (1997),
W. Casselman, Analysis on SL(2),notes de cours,
Harish-Chandra, Automorphic forms on semisimple Lie groups (1968),
L. Hörmander, The analysis of linear partial differential equations (1983),
A. Knapp, Representation Theory of semisimple Lie groups, Princeton University Press
(1986), Chapitres I, III et VIII.
73
74 5. PROPRIÉTÉS DE FINITUDE ET (g, K)-MODULES
1. (g, K)-modules et énoncés de finitude
Si Gest un groupe, on rappelle qu’une représentation linéaire de Gsur un C-
espace vectoriel Vest la donnée d’un morphisme de groupes ρ:GGL(V), ou ce
qui revient au même d’une structure de C[G]-module sur V. Si gGet vVon
note aussi g.v pour ρ(g).v. Les représentations de Gforment une catégorie de manière
évidente : celle des C[G]-modules. Une représentation (ρ, V )est dite irréductible (ou
simple) si l’on a V6= 0, et si les seuls sous-espaces de Vstable par ρ(G)sont {0}et
V, autrement dit si le C[G]-module associé est simple.
On suppose désormais que Gest un groupe topologique. On rappelle que tout C-
espace vectoriel de dimension finie est muni d’une topologie canonique (équivalence
des normes). Une représentation (ρ, V )de Gavec dim V < est dite continue si
ρl’est en tant qu’application GGL(V), où GL(V)est vu comme un ouvert de
l’espace de dimension finie End(V). Il est équivalent de demander que pour tout
vV, l’application “orbite" g7→ g.v,GV, est continue. En effet, cette propriété
est évidemment nécessaire, et pour la réciproque il suffit de l’appliquer aux vecteurs
vd’une base donnée de V. On note Irr(G)l’ensemble des classes d’isomorphisme de
représentations continues et irréductibles de Gsur des espaces de dimension finie
(c’est évidemment un ensemble car on peut supposer que l’espace sous-jacent est Cn
pour un entier n0).
Pour tout τIrr(G), et toute représentation linéaire (ρ, V )de G, on note VτV
le sous-espace engendré par les sous-représentations de Vqui sont isomorphes à τ.
Un argument à la Zorn montre que la représentation Vτest isomorphe à une somme
directe (éventuellement infinie) de représentations isomorphes à τ. L’égalité évidente
HomC[G](Vτ, V 0
τ)=0pour τ6=τ0entraîne que les sous-espaces Vτavec τIrr(G)
sont en somme directe dans V. Cette somme est toutefois strictement incluse dans
Ven général (donner un exemple avec G=Ret dim V= 2).
Proposition 5.1. Soient Gun groupe topologique compact et (ρ, V )une représen-
tation de G. On a équivalence entre :
(i) V=LτIrr(G)Vτ,
(ii) Vest réunion de sous-représentations de dimension finie et continues,
(iii) pour tout vV, l’application g7→ ρ(g).v prend ses valeurs dans un sous-
espace de dimension finie Wde V, et induit une application continue GW.
Démonstration — Les conditions (ii) et (iii) sont trivialement équivalentes, et (i)
implique (ii). Supposons (ii) vérifiée et montrons VPτIrr(G)Vτ(la seule chose
restant à monter par les rappels ci-dessus). Par le (ii), il suffit de voir que si UV
est une sous-représentation de dimension finie et continue, on a UPτIrr(G)Uτ
(car on a UτVτ). On peut donc supposer que Vest de dimension finie.
Rappelons que Gétant compact, il possède une unique mesure borélienne de
volume total 1invariante par translation des deux côtés, notée dg: c’est la mesure
de Haar. 1Cette mesure permet de munir Vd’un produit hermitien (défini positif)
1. Nous n’utiliserons pas son unicité ici, et en ce qui concerne son existence, le seul exemple
que nous considèrerons sérieusement ici est le cas ridiculement simple du groupe G= SO(2).
Dans ce cas, le morphisme de groupes π:RSO(2),x7→ se2iπx , est un revêtement surjectif de
1. (g, K)-MODULES ET ÉNONCÉS DE FINITUDE 75
pour lequel on a GU(V)(groupe unitaire de V). En effet, on part d’un produit
hermitien hx, yiarbitraire et on observe que la fomule
x.y =ZGhg.x, g.y idg
est bien définie et convient. Il en résulte que tout sous-espace Ude Vqui est G-
stable admet un supplémentaire G-stable, à savoir l’orthogonal de Upour le produit
hermitien ci-dessus. En particulier, Vest somme directe de sous-représentations
irréductibles, ce qui conclut.
Considérons le cas du groupe compact G= SO(2). Il sera commode de noter
: SO(2) C×le morphisme de groupes vérifiant (sλ) = λpour λC×avec
|λ|= 1, c’est un isomorphisme (topologique) sur son image qui est le cercle unité S1.
C’est un groupe commutatif, donc ses représentations irréductibles de dimension finie
(continues ou non) sont de dimension 1(noter que si ρest de dimension finie alors
ρ(G)est “co-trigonalisable", donc possède une droite stable). L’ensemble Irr(SO(2))
est donc en bijection avec l’ensemble des morphismes continus SO(2) C×(ou
“caractères”). C’est un exercice classique de vérifier que les caractères de S1sont les
λ7→ λmavec mZ, on a donc
Irr(SO(2)) = {m, m Z}.
Si Vest une représentation linéaire de SO(2), et si mZ, on notera
Vm:= Vm={vV, g.v =(g)mvgSO(2)}.
On a démontré le corollaire suivant (qui s’applique en particulier aux représentations
linéaires de O(2) qui sont réunion de sous-représentations continues de dimension
finie) :
Corollaire 5.2. Si Vest une représentation linéaire de SO(2) qui est réunion de
sous-représentations continues de dimension finie, alors on a V=LmZVm.
La définition ci-dessous aurait un sens (et un intérêt) pour tout groupe de Lie G
et tout sous-groupe fermé KG. Nous ne l’utiliserons que dans le cas G= GLn(R)
et K= O(n), ce que l’on suppose désormais pour fixer les idées. On pose g=gln(R)
et note kgle sous-espaces des matrices XMn(R)avec etX Kpour tout
tR, i.e. des matrices antisymétriques (c’est l’algèbre de Lie de K). On pose aussi
gC=gRC=gln(C).
Définition 5.3. Un (g, K)-module (ou module de Harish-Chandra) est la donnée
d’un C-espace vectoriel Vmuni à la fois d’une structure de U(gC)-module et d’une
représentation linéaire de Ktelles que :
(HC1) en tant que représentation de Kon a V=LτIrr(K)Vτ,
groupe Z. Ainsi, si λdésigne la mesure de Lebesgue sur Rtelle que λ([0,1[) = 1, l’invariance par
translation de λentraîne immédiatement que la mesure borélienne sur SO(2) définie par µ(X) =
λ( [0,1[ π1(X) ) est une mesure de Haar sur SO(2) (c’est ce que l’on fait en analyse de Fourier
traditionnelle !). Si Gest un groupe de Lie, comme G= O(n)ou (d’après Cartan) tout sous-groupe
fermé de GLn(R), on dispose également d’un construction assez simple de la mesure de Haar à
l’aide des formes volumes.
76 5. PROPRIÉTÉS DE FINITUDE ET (g, K)-MODULES
(HC2) pour tout Xket tout vV, l’application t7→ etX .v est dérivable en
t= 0 et de dérivée X.v,
(HC3) pour tout Xg,kKet vVon a k·(X·v) = adk(X)·(k·v).
La condition (HC2) a bien un sens car d’après (i) l’application t7→ etX .v prend
ses valeurs dans un espace de dimension finie. En fait, l’existence de la dérivée en
question est automatique : c’est un exercice 2de voir que tout morphisme de groupes
continu RGLn(C)est de la forme t7→ eAt pour un unique AMn(C).
Les (g, K)-modules forment une catégorie de manière évidente : un morphisme est
une application C-linéaire commutant aux actions de Ket gC, on a des sommes di-
rectes évidentes, une notion de sous-(g, K)-module (=un sous-espace vectoriel stable
par Ket g), etc.. C’est une catégorie abélienne, qui est même munie d’un produit
tensoriel (voir l’exemple (d) ci-dessous). Un (g, K)-module Vest dit irréductible s’il
est non nul et s’il ne possède pas de sous-(g, K)-module autre que 0et V.
Exemple 5.4. (a) Le sous-espace C(G)Kfini des éléments K-finis de C(G)
pour les translations à droite est un (g, K)-module (bien entendu, pour la
représentation de gdonnée par les RXet la Proposition 4.1 ). Pour vérifier
l’axiome (HC2), on pourra observer que si WC(G)est un sous-espace
vectoriel de dimension finie, on peut trouver un nombre fini d’éléments giG
tels que les formes linéaires f7→ f(gi)engendrent W.
(b) Pour tout sous-groupe discret ΓG, l’espace des formes automorphes
A(G; Γ) est un sous-(g, K)-module de C(G)Kfini (Proposition 4.18).
(c) Soit Vun espace vectoriel de dimension finie et ρ:GGL(V)une repré-
sentation de classe C. Alors l’espace Vest muni d’une structure naturelle de
(g, K)-module noté dV: l’action de Kest celle donnée par ρ, et l’action dρde
gest définie par dρ(X)v=
t |t=0etX .v. La Proposition 4.1 appliquée aux coef-
ficients matriciels de ρ, i.e. aux fonctions g7→ ϕ(ρ(g).v)avec vVet ϕV,
montre que dρest une représentation de get que dVest un (g, K)-module.
(d) Si V1et V2sont des (g, K)-modules, il existe une unique structure de (g, K)-
module sur V1CV2telle que pour tout Xg, tout kK, et tout v, w V
on ait k.(vw)=(k.v)(k.w)et X.(vw)=(X.v)w+v(X.w).
Remarque 5.5. (Remarques informatives mais non utilisées dans la suite)
(i) On peut montrer la réciproque suivante de l’exemple (c) : tout (g, K)-module
Wde dimension finie provient d’une et une seule représentation GGL(W)
de classe C(plutôt que seulement du revêtement simplement connexe de
GLn(R)+comme le donnerait la théorie de Lie). Un fait trivial mais utile est
l’égalité G= GLn(R)+K.
2. En effet, soit fun tel morphisme. On choisit ϕ:RR0une fonction de classe C, à
support compact telle que l’intégrale I=RRϕ(t)f(t)dtest dans GLn(R). On a alors pour tout
xRla relation f(x)I=RRϕ(t)f(x+t)dt=RRϕ(tx)f(t)dt, qui montre que fest de classe
C. On peut donc dériver l’égalité f(t+x) = f(t)f(x)en t= 0, et on obtient f0(x) = Af(x)avec
A=f0(0) Mn(C), puis f(x) = eAx.
1. (g, K)-MODULES ET ÉNONCÉS DE FINITUDE 77
(ii) La construction donnée au (c) s’étend avec peu de modifications aux repré-
sentations unitaires ρ:GU(V)sur un espace de Hilbert V(rappelons
que cela signifie que pour tout vVl’application g7→ ρ(g).v est continue).
On prend dans ce cas pour espace sous-jacent à dVle sous-espace V0V
constitué des vecteurs vqui sont K-finis et tels que g7→ ρ(g).v est de classe
C(en tant que fonction sur Gà valeurs dans V), et les mêmes actions de K
et de g. Un argument basé sur de la convolution montre que V0est dense dans
V(Gärding, Peter-Weyl). Harish-Chandra montre que V7→ dVest une bijec-
tion entre classe d’isomorphisme de représentations unitaires de Get classes
d’isomorphisme de (g, V )-modules unitaires (en un sens assez évident). Nous
renvoyons à l’introduction de l’article de Casselman sus-cité, à l’article de W.
Baldoni dans le livre [BK] référencé pour un survol de la théorie, et aux cha-
pitres I,III, et VI du livre de Knapp référencé pour un exposé complet. La
Proposition 5.21 de ce chapitre est un énoncé clef dans ces directions.
Définition 5.6. Un (g, K)-module Vest dit admissible si on a dim Vτ<pour
tout τIrr(K).
On véifie aisément qu’un sous-module (resp. un quotient) d’un (g, K)-module
admissible est encore admissible (voir l’exercice 5.2). Avant d’énoncer le premier
théorème de finitude dont nous aurons besoin, nous devons faire deux observations.
Soient Vun (g, K)-module et vV.
(a) La propriété (HC3) montre que le sous-espace U(gC)·C[K]·vest stable par
K(et évidemment par gC) : c’est le sous-(g, K)-module engendré par v. Le plus
petit sous-(g, K)-module de Vcontenant une famille d’éléments vide Vest donc
PiU(gC)·C[K]·vi("sous (g, K)-module engendré par les vi").
(b) Il est équivalent de demander que vest z(gC)-fini, et de demander qu’il existe
un idéal de codimension finie Iz(gC)tel que I.v =. En effet, on a un isomorphisme
z(gC).v 'z(gC)/IvIv={zz(gC), zv = 0}est l’idéal annulateur de vdans z(gC).
En utilisant d’une part que l’action de z(gC)commute à Ket à U(gC), et d’autre
part qu’une intersection finie d’idéaux de codimension finie est de codimension finie,
on constate que si Vest engendré par un nombre fini d’éléments z(gC)-finis, alors
il existe un idéal Iz(gC)de codimension finie tel que IV = 0 (i.e. Iannule tout
élément de V).
Théorème 5.7. (Harish-Chandra) Soit Vun (gln(R),O(n))-module annulé par un
idéal de codimension finie de z(gln(C)). Les assertions suivantes sont équivalentes :
(i) Vest de longueur finie : il existe une suite finie de sous-(gln(R),O(n))-module
V0= 0 V1⊂ ··· ⊂ Vm=Vavec Vi/Vi1irréductible pour i= 1, . . . , m,
(ii) Vest engendré par un nombre fini d’éléments,
(iii) Vest admissible.
La seule implication évidente dans ce théorème est (i) (ii). De plus, le théorème
tout entier est facile et laissé en exercice au lecteur dans le cas n= 1. Nous le
démontrerons pour n= 2 dans la section suivante.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !