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MATTHIEU 8/14.15 et MARC 1/21.31
Deux textes apparemment semblables et pourtant différents. Lequel a été écrit
le premier, Marc ou Matthieu, personne n’en sait rien à ce jour, mais peu
importe…
Le récit de Marc
- Il est long, détaillé, contextualisé : l’épisode s’inscrit dans une journée de
Jésus, on sait ce qu’il a fait avant et ce qu’il fera après, et ça permet de
« lire » les faits tels que Pierre et son frère les ont vécus et que Marc
rapporte sans autre souci que de témoigner de ce qu’ils ont vu.
Le contexte :
- Jésus vient de manifester son autorité dans la synagogue de Capharnaüm
et de chasser un « démon » d’un homme possédé pour lequel les prêtres
visiblement ne pouvaient rien. On n’est pas loin de la parabole du bon
Samaritain dans laquelle prêtre et lévite pour diverses raisons ne portent
pas secours au blessé allongé sur le bord de la route. Ici, le possédé appelle
Jésus le « saint de Dieu », terme inhabituel mais juste, que les disciples
reprendront d’ailleurs dans Jean 6/69. Les notables quant à eux s’étonnent
de son autorité. Cette dernière est en fait double : par sa parole (les prêtres
et le Talmud ne parlent pas comme ça), et par ses actes. C’est après cette
première manifestation de « puissance » que se situe notre passage.
- Restons un instant sur cette « parole d’autorité » de Jésus : quand nous
lisons ces passages, nous avons tendance à prendre les choses à l’envers.
Nous disons que c’est une parole d’autorité parce qu’il est fils de Dieu et
Dieu lui-même. Nous lions cette autorité au fait qu’il EST la parole
incarnée…
- Mais ce n’est sans doute pas cela seulement que les textes veulent dire,
même s’ils ont aussi cette affirmation en tête. Pour bien comprendre, il faut
avoir une idée de ce qu’étaient les commentaires de la Torah par les
rabbins : il n’y avait jamais parmi eux d’affirmation péremptoire ni
définitive ! Chaque texte était soumis à plusieurs interprétations parfois
discordantes et même incompatibles et personne ne tranchait jamais… Ils
tiraient même un certain orgueil de cette diversité mais, en un mot, loin
d’être lumière, cette « lumière sur le sentier » dont parlent les Psaumes, les
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rabbins vivaient dans l’ombre de l’Ecriture qu’ils obscurcissaient encore,
plus qu’ils ne la révélaient, s’abritant souvent derrière ce qu’ils appelaient
l’autorité des textes qui n’était souvent que celle de la tradition. Quoi qu’il
en soit, il n’était pas question de mettre en avant leur propre autorité.
- Jésus tranche sur cette manière prudente de lire les textes : là où les scribes
et les pharisiens tergiversent, il affirme et ne laisse place à aucune autre
interprétation que la sienne : il est véritablement la « lumière » qui éclaire
et chasse les ombres accumulées par des siècles d’exégèses tatillonnes !
Voilà pourquoi il fait scandale : non seulement il rompt avec les traditions
savantes de son temps, mais son autorité est jugée comme une prétention
insupportable et blasphématoire puisqu’elle le met au niveau de Dieu lui-
même… Nous savons que c’est bien ce qu’il est, mais pas les pharisiens ni
les scribes. Pour l’heure, ils ne sont que « saisis » dit Marc, pas encore
hostiles, mais cela viendra !
- C’est sans doute à cette même difficulté que se heurte Paul qui met un
point d’honneur à toujours ou presque commencer son évangélisation par
les synagogues. Généralement, on l’écoute d’abord avec plaisir car ce doit
être un bon docteur et il a des références… Mais si on est prêt à intégrer
ses explications comme « une possibilité parmi d’autres », il est exclu de la
prendre pour la seule vraie… Immanquablement, il se fait chasser des
synagogues dans lesquelles il ne rallie que quelques nouveaux croyants. Il
connaîtra, et pour les mêmes raisons, un échec semblable devant
l’aréopage d’Athènes et ses philosophes…
- Nous pouvons dire que c’est aujourd’hui sur ces mêmes écueils que
trébuchent les gens à qui nous parlons : ouverts à tout, parce que c’est
désormais, dans notre pays du moins, politiquement correct, ils ne sont pas
décidés à accepter que la parole évangélique soit « la vérité » et encore
moins qu’elle soit portée par « les vases d’argiles » que nous sommes
- Il ne faut pas s’en étonner : comme dans le début de Marc, ce n’est que
Jésus seul qui peut donner sens à la parole. J’en fais trop souvent la triste
expérience, la Bible, même prise au sérieux, reste une contrée obscure pour
quiconque, quelle que soient son intelligence et sa culture, sa bonne volonté
et son honnêteté, ne la reçoit pas comme un témoignage au Christ, fils de
Dieu crucifié et ressuscité. Il tente de la lire dans l’obscurité…
- C’est pourquoi Paul, le grand savant, l’exégète inspiré, le lettré tant dans la
culture juive que grecque ou romaine, affirmera aux Corinthiens, au
risque de passer pour un fou, qu’il ne veut connaître que Jésus Christ et
Jésus Christ crucifié. Ca ne l’empêchera pas, plus tard, quand les
nouveaux convertis passeront du « lait » à la « viande », de traiter des
textes de la Torah, mais il savait qu’ils ne pouvaient avoir de sens et qu’ils
ne pouvaient donner la vie qu’à ceux qui l’avaient déjà reçue en Christ.
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La position des disciples :
- Ils sont loin d’avoir tout compris et ils s’attachent sans doute au
« merveilleux » thaumaturge qu’est Jésus. L’invitant chez eux, ce qui n’est
pas rien dans l’esprit d’un oriental, Pierre et son frère André doivent être
plutôt embarrassés de l’indisposition de la belle-mère de Pierre : qui va
servir ? Pas les hommes en tout cas ! C’est elle la « maîtresse de maison » et
c’est tout naturellement qu’ils demandent à sus de faire un petit
supplément pour « la remettre d’aplomb »… Il le fait et tout rentre dans
l’ordre : la belle-mère se met à « les » servir. Sous la plume de Marc,
l’épisode a un air de quotidienneté sur lequel il ne s’attarde pas. Non pas
qu’il n’y ait rien à en apprendre… On pourrait le faire, mais je préfère
prendre le même épisode dans l’évangile de Matthieu.
Le récit de Matthieu
- Ce qui est intéressant, ce sont bien sûr les différences d’avec le texte de
Marc. Non qu’elles mettent en évidence une quelconque contradiction.
Seuls des esprits hostiles et superficiels en restent à ces apparences. En
réalité, Matthieu tire de l’anecdote (mais rien n’est anecdotique avec Jésus)
ce que Rabelais appelait la « substantifique moelle ». Il centre son récit sur
Jésus. Marc mettait tout au pluriel, les disciples jouent leur rôle, Jésus
intervient à leur demande et la belle-mère « les » sert. On a chez Matthieu
une simplification du schéma, on passe au singulier.
- Chez lui, c’est Jésus qui a l’initiative du début à la fin : il « entre », il
« voit », il « touche » et guérit. Trois actions fondamentales et qui
dépassent de loin le simple cas de la belle-mère de Pierre. C’est ce que
Jésus veut faire en chacun, c’est le schéma narratif du salut, dans sa
simplicité : « voici, je me tiens à la porte et je frappe ». C’est aussi ce que
font les disciples envoyés sur les routes par Jésus : ils frappent et si on leur
ouvre, ils entrent et annoncent la bonne nouvelle ; si on ne leur ouvre pas,
si on ne les reçoit pas, ils « secouent la poussière de leurs sandales » et
partent plus loin…(Matthieu 10/11 et suivants).
- On a parfois appelé Jésus, dans les écrits piétistes du XIX° en particulier,
le « divin médecin ». Mais on « va » chez le médecin : ici, c’est lui qui vient.
Nous ne saurions trouver le chemin qui mène chez lui ; c’est lui qui trouve
le chemin qui mène à nous. Il est allé chercher ses disciples, il est allé
chercher Paul, il n’a cessé de marcher dans son ministère itinérant, et il est
venu nous chercher. Nous de même, à son imitation, nous devons aller
chercher les autres : c’est la finale de Marc, « allez », n’attendez pas que les
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gens viennent, ils ne viendront pas forcément, prenez les devants, mais
sachez que Jésus est déjà passé avant vous, qu’il a préparé les choses.
- La belle-mère de Pierre est une « figure » de tous ceux que Jésus va trouver
et sauver. On s’aperçoit dans Matthieu qu’immédiatement, elle se met à
« le » servir : « si nous l’aimons, c’est qu’il nous a aimés le premier » dira
Jean.
Conclusion
Faut-il opposer les deux textes, ne considérer l’un, celui de Marc, comme
exclusivement narratif et l’autre, celui de Matthieu, comme plus profond et plus
« spirituel », ou faut-il substituer l’un à l’autre ?
Il ne me semble pas que ce soit de bonne théologie. Ils sont en réalité
complémentaires et Marc possède lui aussi des richesses insoupçonnées. En
mettant les disciples en scène, quelles que soient leurs motivations et leur peu de
connaissances d’alors, il nous met en scène d’une certaine façon. Dans la fin de ce
même évangile, Jésus dit « voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde »… En
tant que disciples à notre tour, que nous allions, chaque fois que nous entrons
quelque part, chez quelqu’un, près d’un proche, au travail ou ailleurs, jamais
nous ne laissons Jésus à la porte : c’est avec lui que nous entrons, c’est lui que
nous faisons entrer quand ce n’est pas lui qui nous pousse à entrer. Et entrant
chez « l’autre » avec lui, la moindre des choses est de le présenter… Au moins
cela ! C’est notre partie à jouer, c’est notre rôle. Nul besoin de s’inquiéter,
comme dans Matthieu, c’est ensuite lui qui prend les choses en mains, pas nous.
Nous ne le guidons pas comme on ferait d’un aveugle, c’est lui, la lumière qui
éclaire le sentier, qui nous guide… S’il parle « en nous », il parlera « par nous ».
Et peut-être y a-t-il, dans ces lieux nous pénétrons, quels qu’ils soient, chez
nous, chez nos proches, dans nos lieux de travail ou de réunion, dans notre église
même, des « belles-mères » qui attendent non pas notre visite, mais celle du
Sauveur.
C’est une responsabilité énorme, angoissante peut-être, que de présenter celui
qui « entre avec nous », qui ne nous quitte pas : s’il demeure en nous et que nous
demeurons en lui (Jean 15), que nous allions, nous n’y allons jamais seuls… Si
on s’en souvient chaque fois, c’est déjà un pas de fait dans l’accomplissement des
œuvres auxquelles Dieu nous appelle chaque jour, dans les grandes comme dans
les petites choses.
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