À la multiplication des pains, la tradition évangélique joint la marche de Jésus sur
les eaux selon une symbolique aisément décelable: celui qui nourrissait son peuple au
désert est aussi le Dieu de la sortie d'Égypte loué par le psalmiste en ces termes: « Sur
la mer fut ton chemin » (Ps 77,20); et cette victoire sur les eaux de la mort appartient au
Seigneur ressuscité, comme le suggèrent maintes allusions du texte. Matthieu ajoute au
récit une séquence de son cru, la marche de Pierre sur les eaux, qui oriente le sens de
l'ensemble. Quatre parties se succèdent: une situation initiale de séparation entre Jésus
et les siens (vv. 22-24); l'apparition de Jésus (vv. 25-27); l'aventure de Pierre (vv. 28-
32); la reconnaissance du Fils de Dieu (v. 33).
Vv. 22-24 : Comme lors de la transfiguration (cf. 17,1), Jésus se trouve en haut, à
l'écart, dans l'intimité de son Père. Puis, alors que Marc évoque les difficultés des
rameurs, Matthieu s'intéresse à la bar- que même, symbole de l'Église qui affronte la
nuit et la tempête.
Vv. 25-27 : «Vers la fin de la nuit », comme avant l'aube d'une résurrection, Jésus
« vint», un verbe typique des apparitions pascales (cf. Jn 20,19) ; et il marche en
vainqueur sur les eaux de la mort. Comme à Pâques, les disciples sont « bouleversés »
et croient voir « un fantôme » (comparer Lc 24,37-38). Comme à Pâques encore, Jésus
se fait reconnaître; mais ici, il dit : « C'est moi », plus littéralement: « Je suis »,
l'expression par laquelle, dans la Bible, Dieu se fait reconnaître de son peuple.
Vv. 28-32 : La déclaration de Pierre, « si c'est bien toi », incarne par avance le
doute des disciples devant le Ressuscité (cf. Mt 28,17). Mais Pierre obéit à l'ordre de
Jésus. Puis le sentiment du danger l'emporte sur la foi, laquelle reste suffisante pour
que la peur devienne prière: « Seigneur, sauve-moi! »Jésus sauve Pierre et sa présence
dans la barque de l'Église ramène le calme (v. 32). L'aventure de l'apôtre s'inspire peut-
être d'une tradition orale que Jn 21,7 traite différemment. En tout cas, l'évangéliste met
pour la première fois Pierre en vedette, et c'est pour souligner la fragilité de celui à qui le
Seigneur va confier son Eglise, mais pour assurer aussi que Jésus vient et viendra au
secours de cette faiblesse.
V. 33 : Au lieu du constat d'incompréhension qui clôt le récit de Marc, Matthieu
conclut par une scène d'adoration liturgique, difficile à imaginer sur une embarcation
instable; mais, dans la logique du symbole de la barque, voici donc par avance l'Église
qui confesse son Seigneur, « le Fils de Dieu » vainqueur des forces du mal. Dans la
logique de la section elle-même, voici les disciples parvenus à une justesse de vue sur
l'identité de Jésus, même s'ils ne perçoivent pas encore toute la portée de leur
déclaration dont bientôt Pierre complétera la formulation (cf. 16,16).
Commentaires, Claude Tassin
L’Evangile de Matthieu – Bayard Editions / Centurion ; pp 160-161