même de cette langue. Cela est tout à fait fondamental. En fait, il apparaît que chaque bébé est
doué de capacités linguistiques qui vont aller en décroissant avec l'âge.
Tout enfant vient au monde prêt à communiquer avec n'importe quelle communauté verbale. C'est,
semble-t-il, le renforcement linguistique apporté par la parole entendue qui va fonder en quelques
mois, en deux ans, en trois ans, le développement de la langue maternelle. Il y a donc perte de
capacité innée au départ, et cela se comprend très bien dans la théorie générale de la stabilisation
sélective des neurones, mise en évidence et illustrée par Changeux. Des différences vont
apparaître à partir de quatre, cinq mois.
Le deuxième élément fondamental à considérer est que le bébé s'entend et s'écoute gazouiller. Il va
jouer avec les sons, il va jouer avec les débuts de sa parole. C'est pour cela que les bébés sourds,
qui ne s'entendent pas gazouiller, vont cesser peu à peu de gazouiller. Ils vont finir par ne plus
parler, en quelque sorte, à partir de l'âge de quatre ou cinq mois, et ne vont pas passer au stade du
babil. Je me souviens d'un cas, vu il y a un an et demi, d'un bébé de huit ou dix mois, qui se
présentait presque comme un enfant débutant une psychose, comme un enfant psychotique. Ce
bébé avait des otites sérieuses importantes : il ne s'agissait pas d'une perte auditive congénitale,
héréditaire, par déficit neurologique, mais d'une perte auditive par déficit de transmission et non pas
par manque d'intégration du langage. Ce bébé entendait très peu. Il avait une perte de 40 % ou
50 % de chaque côté. Il a suffit de le soigner, de le traiter, de l'opérer, faire ce qu'il fallait pour qu'il
récupère son langage, et un bon comportement.
Mais il est probable que ces enfants vont développer leur langage plus difficilement qu'un enfant qui
n'aurait pas eu de déficit, car il y a des périodes sensibles, où on apprend des choses, et des
périodes où on les apprend moins facilement. Il y aura chez cet enfant, c'est sûr, un certain degré
de difficultés dans le développement du langage, si on s'est rendu compte tardivement du déficit
auditif.
Ensuite, il y a le fameux stade du babil, avec apparition de voyelles, puis de consonnes ; à partir de
ce stade, semble-t-il, le babil est différencié. À ce sujet, j'ai rencontré Mme Boysson qui travaille sur
des bébés parlant le français, l'arabe, le cantonnais, trois langues très différentes. Je ne suis pas
linguiste, mais on peut dire que le bébé va produire de moins en moins de sons étrangers au
système phonétique de sa langue. Son répertoire devient de plus en plus conforme à celui de la
langue qu'il entend.
Dans cette période, que l'on appelle le babil sauvage, l'enfant va roder toutes ses capacités, ses
possibilités d'articulation : il va s'exercer, jouer, s'amuser, s'écouter. Il prend un plaisir infini à
émettre des sons divers.
" Seuls les sons de la langue maternelle vont être l'objet de renforcement
par les adultes, d'imitations, d'approbation, au point que le bébé va
peu à peu développer un langage qui va devenir de plus en plus conforme
à celui de la langue parlée autour de lui. "
C'est une phrase que je tire du très beau livre de Paule Aimard, qui travaille à Lyon, et a écrit "
L'enfant et la magie du langage ". Dans mon exposé, je vais beaucoup emprunter à ses travaux.
Ainsi peut-on dire que l'acquisition de la langue maternelle se produit par la perte de capacités
innées qui auraient sans aucun doute permis au bébé d'apprendre n'importe quelle langue.
L'expérience et l'observation montrent que l'acquisition de deux langues en même temps dans les
premiers mois de la vie donne des capacités très importantes.
Au stade de huit, dix mois, on a des dialogues vraiment intenses avec les bébés. A dix, douze mois,
apparaissent les premiers mots qui ont un sens, les " ma ", les " ba ", les " pâ "…Puis le langage se
développe jusqu'à l'âge de deux ans.
Pour résumer, on peut dire que le bébé va d'abord dire un mot, qui a une signification, puis deux,
puis trois mots qui vont reproduire, remplacer, représenter une phrase très complexe et très
importante. J'ai une petite-fille de deux ans, que j'ai beaucoup observée, plus que je ne le faisais