L’Encéphale, 2006 ;
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48-50, cahier 2 Troubles affectifs bipolaires et dégénérescence cérébrale : à propos d’une observation
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troubles du comportement sexuel. La question est de
savoir si ces manifestations comportementales relèvent
d’une hypomanie chronique ou du registre dégénératif. Il
y a également la notion d’une personnalité prémorbide
que la famille et le patient qualifient de cyclothymique.
La première prise en charge a eu lieu lorsque le patient
était âgé de 60 ans pour un épisode dépressif majeur
caractérisé. Le patient exprime facilement qu’il a eu
« l’impression de couler », « de laisser filer ». Très vite le
psychiatre qui le soigne à ce moment-là lui propose des
sels de lithium qu’il va poursuivre jusqu’à l’hospitalisation
actuelle.
Ensuite il y a eu de nombreux épisodes thymiques, plus
souvent dépressifs et hypomaniaques mais aussi proba-
blement des épisodes maniaques plus sévères mais limi-
tés dans leur expression par des auto-prescriptions
d’halopéridol et par le souci familial d’éviter absolument
les hospitalisations en psychiatrie. Le patient n’a jamais
fait de tentatives de suicide, et il n’a jamais été hospitalisé
avant l’hospitalisation actuelle.
Sur le plan des antécédents psychiatriques familiaux :
une sœur qui s’est suicidée à l’âge de 40 ans en se noyant
dans sa baignoire après avoir ingéré des psychotropes et
cela dans un contexte de séparation conjugale ; un frère
âgé de 75 ans a un syndrome parkinsonien pour lequel il
est hospitalisé. On avait initialement parlé de maladie de
Parkinson idiopathique mais que ce diagnostic a évolué
et l’on parle maintenant de syndrome parkinsonien, répon-
dant mal à la Dopa, extrêmement invalidant et rapidement
évolutif. Par ailleurs, le père du patient est décédé dans
le grand âge d’une démence de type Alzheimer mais là
également le diagnostic est incertain.
Depuis 2 ans, le patient manifeste un dérèglement
chronique de l’humeur qu’il qualifie d’état mixte parce qu’il
intrique une jovialité alternant avec des moments de moro-
sité, une grande apathie (son épouse décrit de longs
moments au domicile assis sur un fauteuil), une logorrhée,
des idéations suicidaires, une insomnie nocturne (il ne dort
que quelques heures par nuit), une désinhibition instinc-
tuelle modérée que le patient et sa famille essaient de con-
tenir, une intolérance à la frustration bien décrite par
l’épouse ainsi que des bouffées d’agressivité. Le patient
se décrit comme un « clown triste ». Quand on lui pointe
en effet qu’il est assez jovial, il répond bien sûr mais dit
qu’il se défend contre des moments plus dépressifs et con-
tre un pessimisme foncier. En dehors de ce dérèglement
de l’humeur, le patient se plaint de troubles mnésiques
également remarqués par la famille. De plus, la fille signale
des épisodes de désorientation temporelle transitoire. Il
existe par ailleurs une très mauvaise tolérance aux neu-
roleptiques instaurés depuis deux ans : l’halopéridol avec
lequel il s’auto-médicait, entraîne un syndrome extrapy-
ramidal majeur, de même que le sulpiride et l’olanzapine
ont entraîné des symptômes extra-pyramidaux. Un essai
récent de traitement par valproate de sodium a également
suscité l’apparition d’un syndrome extrapyramidal néces-
sitant l’interruption rapide du traitement.
Finalement, ce dérèglement chronique de l’humeur
retentit depuis deux ans de manière majeure sur les acti-
vités de la vie quotidienne que ce soit l’habillage, les soins
d’hygiène, les déplacements en transports suscitant un
épuisement de l’entourage majoré par les errances dia-
gnostiques et aléas thérapeutiques.
Quand il est reçu à la consultation du service, le patient
apparaît jovial, ironique avec une hypersyntonie évoca-
trice d’un état hypomaniaque. Il existe également une
désinhibition contrôlée. Il évoque aussi une hypersexua-
lité installée dans les dernières années qui est allée en
croissant et lui a valu la prescription par un psychiatre
d’acétate de cyprotérone. Il a une conscience de ses trou-
bles même s’il minimise ses troubles cognitifs.
Quel bilan réalise-t-on dans ces cas intriquant trouble
bipolaire et vieillissement ? Le bilan comprend un bilan
biologique standard, un bilan thyroïdien, des sérologies
syphilitiques et VIH, un électroencéphalogramme, une
imagerie structurelle par tomodensitométrie ou par réso-
nance magnétique (IRM) couplée avec des imageries de
perfusion, soit une tomoscintigraphie cérébrale. Pour ce
patient, nous n’avons pas encore les résultats de la tomos-
cintigraphie cérébrale. Par contre, il a eu deux IRM, une
en janvier 2004 sur son lieu de résidence et plus récem-
ment une deuxième à l’hôpital Sainte-Anne. Les deux IRM
mettent en évidence une atrophie cérébrale marquée pour
l’âge, des modifications discrètes de la substance blanche
à l’arrière des cornes occipitales ; par contre les noyaux
gris centraux sont sans anomalie.
Pour évaluer la dimension comportementale, deux
grandes échelles sont utilisées : l’Inventaire de neuropsy-
chiatrie (NPI) (2) comportant 12 items qui évaluent l’apa-
thie, la dysphorie, le suicide, les hallucinations, le com-
portement moteur et l’Échelle de Dyscomportement
Frontal (EDF) (4). Ces deux échelles mettent en évidence
des scores élevés pathologiques.
Pour évaluer l’atteinte cognitive, on réalise un
Mini Men-
tal State Evaluation
(MMSE), pour lequel le patient obtient
un score de 28/30 donc un bon score. On lui demande de
faire le test du cadran de l’horloge (il s’agit dans ce test
de donner un cadran d’horloge vierge au patient et de lui
demander d’inscrire les horaires de l’horloge et d’indiquer
quatre heures moins vingt avec les aiguilles) : le patient
le réussit parfaitement avec cependant une certaine len-
teur. Dans ce contexte d’hypomanie et de vieillissement,
on suspecte toujours une dégénérescence frontale que
l’on évalue par la réalisation de la Batterie Rapide d’Éva-
luation Frontale (BREF) qui a été développée par l’équipe
de Bruno Dubois à la Pitié-Salpêtrière (3) : des anomalies
à l’évocation lexicale sont retrouvées chez ce patient ;
lorsqu’on lui demande de dire en moins de 1 minute le
maximum de mots commençant par la lettre S, il produit
les mots suivants : souris, en disant « je suis bloquée sur
la souris », la soif, la saleté et sinécantrope. Quatre mots
est un score largement inférieur au score habituel surtout
chez un patient de bon niveau intellectuel.
Un bilan neuropsychologique a été réalisé mettant en
évidence un quotient intellectuel verbal supérieur à la nor-
male avec un score de 117, des fluences dissociées, avec
une chute des performances pour la fluence évoquée. Le