donner une idée générale de l’ouvrage et de permettre une lecture plus agréable et plus
efficace.
Le contexte : l’ouvrage paraît en 1959 aux Etats-Unis. C’est un moment de l’histoire de la
sociologie où cette dernière commence à accéder à une certaine reconnaissance sociale :
elle devient progressivement une discipline universitaire à part entière, elle est mobilisée
par la politique pour nourrir le débat, les bureaucraties encouragent ses recherches et en
attendent des résultats. La sociologie, qui prend la société pour objet et tâche d’en
produire une analyse aussi rigoureuse que possible, ne peut plus se poser la question de
l’influence de ses théories sur le réel de la même façon qu’on le faisait 50 ans auparavant.
Les conceptions d’un Durkheim ou d’un Weber sont celles d’une science pour ainsi dire
neuve, en train de d’émerger, dont l’implication sociale est encore faible (qu’elle veuille
ensuite influencer l’action des hommes, et comment, est un autre problème). Si nous
regardons maintenant la sociologie contemporaine, un siècle après, nous nous apercevrons
qu’il s’agit d’une discipline qui, sans avoir pour autant une identité claire, est pleinement
reconnue en tant que cursus universitaire, comme source d’information pour l’Etat, les
entreprises, les associations et les citoyens en général. Les analyses qu’elle produit font
l’objet d’une demande et elle ne se fait pas prier pour en fournir. Le fait que la sociologie
participe dorénavant à la conscience qu’ont les sociétés sur elles-mêmes fait problème,
qu’on le veuille ou non. Sur cette question, Mills, qui se situe à mi-chemin entre les
sociologues classiques et nous, figure à sa manière un tournant de l’histoire de la
sociologie. Il entend montrer que ce savoir, ou plutôt cette démarche, ne peut pas – ne
peut plus – faire comme si elle pouvait se constituer à l’écart du monde social, comme si
elle pouvait rester parfaitement neutre et, par ailleurs, comme si elle pouvait rester
incompréhensible. Sa thèse la plus singulière est que la sociologie doit servir l’idéal
démocratique. Sur ce point, rien ne vaut la lecture du chapitre 10.
L’argumentation de L’imagination sociologique comprend deux types d’analyses :
certaines sont explicitement critiques, d’autres plus « positives » : elles présentent plus
directement la conception que se fait l’auteur de la sociologie et de son rôle. Le premier
type d’analyse n’est pas facile à saisir par le débutant en sociologie, dans la mesure où les
sociologues qui font l’objet des critiques de Mills, Parsons et Lazarsfeld, sont très
rarement lus dès la première année. Par ailleurs, ce sont des auteurs peu connus en France
aujourd’hui, rarement discutés, y compris chez les professionnels de la sociologie eux-
mêmes. Peu importent les raisons de cette ignorance plus ou moins voulue. Reste que
vous n’avez pas à connaître intimement les œuvres de ces deux auteurs pour comprendre
le propos de Mills. Au demeurant, lui-même n’entend n’en faire que des exemples, ou
plutôt des contre-exemples, de tendances majeures de la discipline sociologique qui lui est
contemporaine. Si les auteurs en question sont bien moins influents qu’ils ne l’ont été,
même de l’autre côté de l’Atlantique, les tendances en question (que Mills désigne
notamment par « Suprême théorie » et « empirisme abstrait ») sont toujours présentes
actuellement. C’est l’argumentation que Mills mène contre l’un et l’autre qui importe. Par
ailleurs, on ne comprendra pas grand-chose au discours de Mills sans connaître sa propre
conception du rapport entre la sociologie et le monde social. Cette conception se dégage
déjà, en négatif, dans la polémique qu’il mène contre Parsons et Lazarsfeld, mais la
meilleure manière de s’en approcher consiste encore à lire ce qu’écrit Mills au-delà de ces
critiques, dans la deuxième partie de l’ouvrage, c’est-à-dire grosso modo à partir du
chapitre 6. Certes, ce livre a été conçu pour être lu dans un ordre particulier, mais rien ne
vous empêche, si, au bout de 50 ou 100 pages, vous éprouvez une certaine lassitude, celle
de ne pas comprendre malgré des efforts conséquents, de parcourir des chapitres