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01/05/2011
Rizicultures asiatiques
Permanence d’une céréale essentielle sur un continent en mutation
Guy Trébuil
Riz irrigué - Planage manuel d’une minuscule pépinière au cœur du delta du Fleuve rouge, nord du Vietnam (© Juillet 1986 /
G. Trébuil)
Plante domestiquée sur le continent asiatique il y a environ 8 000 à 10 000 ans, le riz (espèce
Oryza sativa) constitue toujours au début du XXIème siècle la première céréale de
l’alimentation humaine et la principale source d’énergie et d’une part significative des
protéines pour quelques trois milliards d’hommes. Si sa consommation atteint jusqu’à 200 kg
de riz blanc par personne et par an dans certains pays en développement d’Asie, elle n’est plus
que d’environ 50 kg/tête/an de grain, mais de haute qualité, dans les pays les plus riches
comme le Japon. La production mondiale annuelle de riz dépasse 600 millions de tonnes de
paddy (le grain entier, avant mouture) et demeure située à 90% en Asie où les grands pays
producteurs sont toujours la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Bangladesh, le Vietnam et la
Thaïlande.
Importance relative en Asie de la riziculture irriguée de saison humide (% des superficies rizicoles nationales)
(© 2003 / IRRI GIS laboratory)
La production cruciale de ce « grain de vie » repose encore sur une myriade de minuscules
exploitations agricoles familiales, disposant très souvent de moins d’un hectare de rizière par
ménage en Chine et d’environ 4 ha en moyenne en Thaïlande, bien mieux dotée en terres
agricoles. Les rizicultures occupent environ 150 millions d’hectares dans le monde (15% de la
superficie cultivée et près d’un quart du total des surfaces en grains) et mobilisent plus de 200
millions de riziculteurs, parmi lesquels la part des pluriactifs augmente rapidement sur les
traces du précédent japonais. Il s’agit donc de la plus importante activité humaine à la surface
du globe ! La production est très largement autoconsommée par les ménages rizicoles, qui
écoulent leurs surplus sur les marchés locaux et nationaux. Bon an mal an, seulement 6 à 7%
du riz produit sont échangés sur le marché mondial, les principaux exportateurs étant la
Thaïlande, le Vietnam, les États-Unis, l’Inde et le Pakistan. Si les pays industrialisés
importent quelques millions de tonnes de riz aromatiques basmati ou thaïs à haute valeur
commerciale, des volumes bien plus importants sont écoulés dans le monde tropical en
développement, notamment en Afrique sub-saharienne et au Moyen-Orient. Mais, activité
humaine hautement identitaire et profondément enracinée dans les cultures asiatiques qu’elles
contribuent à rapprocher (voir la gerbe de riz du logo de l’ASEAN – Association des nations
d’Asie du Sud-Est), il est très fréquent que la petite production familiale des différents socioécosystèmes rizicoles se perpétue en dehors de tout objectif de rentabilité économique. Ainsi,
l’empereur du Japon demeure un riziculteur sacré, et les semailles royales de début mai
continuent de marquer le démarrage du cycle rizicole de mousson humide en Thaïlande. Et
c’est un fait remarquable dans cette partie du monde abonnée aux taux de croissance à deux
chiffres lors des dernières décennies, mais même là où aujourd’hui « les rizières sont sous le
béton […] le riz a laissé son empreinte sur nous » écrit S. Rushdie.
Riz d’altitude - Riz rouge traditionnel sur terrasses irriguées, à 2400 m d’altitude dans le district de Paro à l’ouest du Bhoutan
(© Octobre 2002 / G. Trébuil)
Cette céréale essentielle est produite dans des écologies extrêmement variées, depuis les
grandes plaines côtières jusqu’aux terrasses montagnardes à 2 700 mètres d’altitude dans
l’Himalaya, et de l’équateur jusqu’à 53 degrés de latitude Nord dans la province chinoise du
Heilongjiang. L’écosystème à riz irrigué, où deux ou trois cycles culturaux peuvent se
succéder par an sur le même casier, est caractérisé par un meilleur contrôle de l’eau en
surface, le meilleur herbicide ici. Avec plus de la moitié des surfaces rizicoles et les trois
quarts de la production totale, c’est le domaine des grands « bols de riz » nourriciers des
deltas et plaines alluviales densément peuplées (plus de 10 habitants par hectare de rizière)
qui domine largement en Asie orientale, où la Chine doit notamment nourrir plus du
cinquième de la population mondiale avec 9% des terres arables. Si le rendement moyen en
paddy y est de 5 à 6 tonnes/ha/cycle cultural en saison humide, il peut atteindre 10 voire12
t/ha en saison sèche à nébulosité réduite, notamment dans les régions chinoises plantées en
« super hybrides » précoces synthétisant plus de 100 kg de paddy par hectare et par jour !
C’est ici que la révolution verte rizicole (1965-1990), en combinant innovations
technologiques (variétés productives semi-naines répondant à l’azote) et politiques incitatrices
(infrastructures hydrauliques, prix et marchés, recherche et vulgarisation), a permis un
triplement de la productivité physique, la mécanisation intermédiaire des opérations culturales
(le petit motoculteur multi-usages ubiquiste y a joué un rôle clef), l’augmentation de l’emploi
agricole, la baisse tendancielle du prix du riz qui a grandement facilité le décollage industriel,
mais aussi la montée des atteintes à l’intégrité du milieu (eau, pesticides, fin de la pisciculture
en rizière, etc.). Ces dégradations doivent être limitées au moyen de nouveaux systèmes de
culture productifs mais reposant beaucoup plus qu’auparavant sur les régulations biologiques
que sur une artificialisation encore plus poussée du milieu rizicole. Le challenge est
impressionnant, car ces systèmes irrigués devront à terme nourrir environ 4 milliards de
consommateurs avec moins de terres (urbanisation, salinisation des sols, diversification
agricole), moins de bras (industrialisation et services absorbant la main d’œuvre rurale),
moins d’intrants chimiques (engrais minéraux plus coûteux et arrêt de la surconsommation de
pesticides) et moins d’eau agricole (compétition croissante avec les autres usages de cette
ressource). Car produire un kilogramme de paddy avec jusqu’à cinq mètres cubes d’eau ne
sera plus possible dans la plupart des régions!
Riz inondé – Parcelles de riz traditionnel aromatique « à odeur de jasmin » à Ubon Ratchathani au nord-est de la Thaïlande
(© Novembre 1994 / G. Trébuil)
Avec un quart des surfaces, la riziculture inondée en casiers également endigués et étagés,
mais dont la submersion dépend de la pluviométrie en l’absence d’apport d’eau par irrigation,
ne permet pas le plus souvent un contrôle satisfaisant de l’hydrologie de surface, ni la double
ou triple culture annuelle. Cependant, très répandue en Asie du Sud et du Sud-Est, elle est
sujette aux déficits hydriques en début et fin de cycle, ainsi qu’aux inondations profondes lors
du pic de la mousson humide. Ignorées par la révolution verte qui a aussi été source de fortes
disparités interrégionales, ces conditions de culture ne permettent pas l’adoption de variétés
modernes et productives à pailles courtes, et les rendements de ses cultivars rustiques restent
de l’ordre de 2 à 3 t/ha. La riziculture d’eau profonde, côtière ou à riz flottants (aux tiges
pouvant dépasser 5 mètres de longueur) constitue un écosystème plus marginal et en
contraction, et à faible productivité physique (rendements de l’ordre de 1-1,5 t/ha de paddy),
souvent converti en fermes aquacoles (poissons, crevettes, crabes, etc.). Il en est de même de
la riziculture pluviale, non endiguée et sans submersion des parcelles, souvent pratiquée sur
des hautes terres en pente au moyen de l’abattis-brûlis. Au fil de l’intégration de ces régions
reculées au marché et face à la pression croissante de conservation de la couverture forestière,
elle laisse largement la place à une palette diversifiée de cultures commerciales (maïs, fruits et
légumes, hévéa, etc.).
Rizière à submersion profonde – Récolte panicule par panicule de riz traditionnels très tardifs dans une dépression inondée au
sud de la Thaïlande (© Février 1983 / G. Trébuil)
Le riz était déjà cultivé dès le néolithique supérieur dans la moyenne vallée du Yangtse (où la
présence d’un système d’irrigation et de drainage datant de 7 000 ans a été mise à jour à
Chengtoushan) et la haute vallée du fleuve Huai en Chine méridionale, puis un peu plus tard
dans l’Uttar Pradesh au nord-est de l’Inde. Les autres plantes alimentaires de l’époque
pouvant être l’orge, le millet, le sarrasin ou des tubercules. Les sélectionneurs admettent
qu’Oryza sativa a été domestiquée, de manière indépendante en Chine et en Inde, à partir de
formes annuelles de l’espèce sauvage O. rufipogon en donnant naissance aux deux principaux
groupes, indicas et japonicas, clairement distingués par leur origine géographique, leurs traits
morphologiques et agronomiques, ainsi que par les marqueurs biochimiques et moléculaires,
ce qui rend leur recombinaison difficile (pour plus de détails sur la structure complexe de
l’espèce Oryza sativa, voir notamment B. Courtois, 2007. Une brève histoire du riz et de son
amélioration génétique. Cirad, France. 13p. disponible sur l'archive ouverte). Des travaux
récents montrent que les génomes indicas et japonicas auraient divergé bien avant cette
domestication, il y a au moins 200 000 ans et probablement 2 ou 3 millions d’années avant, en
lien avec la surrection de la barrière himalayenne. Si la sous-espèce indica est largement
répandue dans les rizicultures tropicales irriguée ou inondée, les japonicas sont plutôt utilisés
en riziculture irriguée tempérée et d’altitude ainsi qu’en régime pluvial. En Chine, la culture
des fonds de vallées et des deltas avec mise en boue et repiquage de la rizière aurait précédé la
production de riz pluvial, alors que l’inverse serait vrai dans le cas de l’Asie du Sud-Est, Mais
au-delà de la bipolarité simplificatrice entre les deux sous-espèces, la diversité génétique
actuelle du riz est considérable, fruit de croisements entre espèces ou interne à O. sativa par
sélection naturelle ou conduite par l’homme (en stations depuis plus d’un siècle en Chine, au
Japon et en Inde). On estime à 150 000 le nombre total de variétés cultivées, et la banque de
gènes de l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) à Los Baños, au sud de Luzon
aux Philippines, recèle 107 000 accessions, dont 5 000 provenant d’espèces sauvages.
Riz pluvial – Sarclage manuel un mois après semis en poquets au Laos (© Juillet 1985 / G. Trébuil)
Choisie comme plante modèle en génétique végétale au niveau international, à cause de son
petit génome (comparé aux autres grandes céréales) complètement séquencé depuis 2005,
c’est à partir de ce vaste réservoir de diversité naturelle que la sélection assistée par
marqueurs moléculaires tente notamment de sélectionner des riz plus tolérants au déficit
hydrique, à la submersion profonde, ou à l’excès de sel. Si un tel matériel végétal pouvait être
créé et largement adopté dans l’écosystème à riz inondé, où d’importantes poches de pauvreté
demeurent, notamment en Asie du Sud, il contribuerait à gagner le pari d’une augmentation
de 40% de la production rizicole d’ici 2030 afin de ne pas perdre la poursuite entamée avec la
courbe démographique il y a un demi siècle et satisfaire les besoins alimentaires de 4 milliards
de consommateurs au niveau actuel, que l’on sait toutefois insatisfaisant en bon nombre
d’endroits défavorisés. De la réussite de ce pari dépendra la stabilité politique de nombre
d’états car « sans assez de grains, c’est le chaos » disait Deng Xiaoping. Au-delà des volumes
produits, leur stabilité d’année en année devra donc être assurée en accordant plus d’attention
aux moyens de renforcer la résilience des systèmes rizicoles face à la combinaison de stress
environnementaux (notamment d’origine climatique) et de chocs économiques (cf. le
triplement du prix du riz en quelques mois en 2008). Pour relever ce défi, le très profond
ancrage social des rizicultures et leurs structures toujours largement dominées par une
multitude de petites exploitations familiales très adaptatives constituent deux atouts de poids.
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