Créer de l`espace pour le Dharma

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Créer de l’espace pour le Dharma
Lama Thoubtén Yéshé
Rendre efficace la pratique du Dharma
Cet enseignement a été donné par Lama Thoubtén Yéshé au Tushita Mahayana Meditation Centre à New Delhi,
le 31 octobre 1979. Il a été publié une première fois dans Teachings at Tushita, édité par Nicholas Ribush avec
Glenn H. Mullin, Mahayana Publications, New Delhi, 1981. Il a été réédité en 2005 dans Enseignements du Tibet,
publié par LYWA.
L'antidote aux émotions perturbatrices, à l'ego et à tous les autres problèmes auxquels nous
sommes confrontés est la sagesse du Dharma ; la sagesse du Dharma apporte la solution la plus
profonde à tous les problèmes humains. Tous ceux qui ont des problèmes ont besoin du
Dharma ; la sagesse du Dharma est la lumière qui élimine l’obscurité de l'ignorance, principale
source de tous les malheurs des êtres humains.
La philosophie du Dharma n'est pas le Dharma ; la doctrine n'est pas le Dharma ; l'art religieux
n'est pas le Dharma. Le Dharma n'est pas cette statue du Seigneur Bouddha sur votre autel. Le
Dharma c’est la compréhension profonde de la réalité qui nous conduit au-delà de l’obscurité
de l'ignorance, au-delà de l'insatisfaction.
Il ne suffit pas d'accepter simplement le Dharma comme étant la vérité. Nous devons aussi
comprendre notre réalité personnelle, nos besoins spécifiques, et comprendre le propos du
Dharma dans son rapport avec nous, en tant qu’individus. Si nous acceptons le Dharma
uniquement pour des raisons de coutumes ou de culture, il n’aura pas de véritable effet sur
notre esprit. Par exemple, il ne serait pas correct que je pense : « Je suis Tibétain, donc, je suis
mahayaniste ». Je suis sans doute à même de parler de la philosophie du mahayana, mais être
mahayaniste, avoir le Dharma du mahayana dans mon cœur, c'est autre chose.
Vous pouvez être né dans un pays où le Dharma existe, dans un environnement où la religion
est acceptée, mais si vous n’utilisez pas cette religion pour obtenir une compréhension de la
réalité de votre propre esprit, être croyant n'a guère de sens. Le Dharma ne peut résoudre vos
problèmes si vous ne l’abordez pas d’un point de vue pragmatique. Il vous faut faire appel à la
connaissance du Dharma afin de faire cesser vos problèmes, pour votre bonne santé spirituelle,
pour parler en termes religieux, pour découvrir le bonheur éternel, la paix et la félicité.
C’est nous, et nous seuls, qui avons la responsabilité de découvrir notre paix et notre libération.
Nous ne pouvons pas dire qu’une quelconque autre puissance, Dieu par exemple, est
responsable – si nous le faisons, nous faisons preuve de faiblesse et ne prenons pas la
responsabilité de nos actions physiques, verbales et mentales. Les bouddhistes comprennent
qu'ils sont personnellement responsables de tout ce qu'ils font : tout est entre leurs mains, que
leurs actions soient positives ou négatives. C'est pourquoi, même si nous nous trouvons dans
un environnement spirituel – en Inde, au Tibet ou encore en Occident –, devenir croyant, c’est
quelque chose d’autre.
Les aspects culturels extérieurs n'indiquent pas la présence du Dharma. Le Dharma est ce qui
nous conduit au-delà des émotions perturbatrices, au-delà de l'ego, au-delà des problèmes
habituels des humains. Si nous l'utilisons pour atteindre ces objectifs, nous pouvons dire : « Je
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pratique le Dharma », sinon il n'y a guère de bienfait à réciter même le plus puissant des
mantras.
L'un des plus essentiels des enseignements bouddhiques est le renoncement au cycle des
existences (skt. samsara). Cela ne veut pas dire que nous ne devons plus boire d'eau lorsque
nous avons soif. Cela signifie que nous devons avoir une compréhension du samsara telle que,
même lorsque nous sommes pris dans une situation samsarique, il ne s'ensuit aucune réaction
karmique. L'application d'une méthode habile et de la sagesse est le véritable renoncement ;
aussi longtemps que résident dans notre esprit la saisie et la haine, nous n’avons pas renoncé au
samsara.
Vous pouvez changer de vêtements et vous raser la tête mais, si en vous demandant : « A quoi
ai-je vraiment renoncé ? », vous découvrez que votre esprit est exactement le même qu'avant
votre transformation extérieure, vous n'avez pas mis un terme à vos problèmes.
C'est pourquoi nous donnons le nom de « cycle » au samsara ; le cycle des existences. Nous
faisons des choses – nous changeons, changeons, changeons, changeons – nous apprécions la
nouveauté de chaque changement, mais dans les faits, tout ce que nous faisons c’est créer
davantage de karma. Chaque fois que nous faisons quelque chose, il y a une réaction qui
resserre encore plus qu’auparavant les liens qui nous attachent au cycle des existences. C'est
cela, le samsara. Pour détendre ces liens, nous avons besoin de la sagesse qui illumine l'obscurité
de l'ignorance. Il ne suffit pas de penser : « Je suis bouddhiste ; Bouddha prendra soin de moi » ;
« Je suis chrétien ; Dieu prendra soin de moi ». Croire ne suffit pas ; c’est la réalité de notre
esprit qu’il nous faut comprendre.
A cette fin, le Bouddha a enseigné de nombreuses techniques de méditation pour nous sortir
de l’ignorance. Nous devons tout d’abord comprendre nos besoins en tant qu’individus ;
d’après les enseignements du Bouddha, chacun de nous a des besoins différents. Généralement,
nous les ignorons et, sans aucune sagesse discriminante, nous acceptons simplement tout ce qui
se présente. En conséquence, nous nous retrouvons dans une situation dont nous ne pouvons
nous échapper. C'est le samsara.
Nous comprendre nous-mêmes
De plus, il est important pour nous de reconnaître que, même si aujourd'hui certaines de nos
habitudes et de nos attitudes ne sont pas bonnes, il est possible de les changer et de les
transformer. La saisie de la permanence nous fait croire que nous ne pouvons pas changer. Ce
schéma de pensée négatif est très fort et nous empêche de nous épanouir ou d'agir selon la voie
du Dharma. Afin de nous aider à dépasser nos conceptions fausses, le Bouddha a enseigné les
Quatre Nobles Vérités. [Voir l'enseignement de Sa Sainteté le Dalaï-Lama sur les Quatre Nobles
Vérités]. En tant que première caractéristique de la noble vérité de la souffrance, il a enseigné
l'impermanence.
Il est extrêmement important de comprendre l'impermanence. Lorsque nous avons cette
compréhension de la nature impermanente des choses, de leur changement incessant, nous
nous donnons le temps et l'espace pour accepter toutes les situations qui se présentent à nous.
Alors, même si nous sommes dans une situation de souffrance, nous pouvons faire quelque
chose pour nous-mêmes ; nous pouvons appréhender la situation sans perdre pied. Dans le cas
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contraire, notre irritation ou notre culpabilité nous maintiennent dans la confusion, nous
empêchent de voir notre propre clarté.
La clarté existe toujours en nous. La nature de notre conscience est clarté. Il s'agit simplement
de la voir. Si vous vous sentez toujours pollué, négatif et désespéré, si vous vous voyez comme
quelqu’un dont il est totalement impensable qu’il puisse jamais trouver la paix intérieure et la
libération, vous répondez à un esprit qui se leurre, un esprit négatif, un concept figé. Vous êtes
loin de la réalité, loin de la nature des phénomènes. Vous n'êtes pas en contact avec la réalité.
Vous devez éliminer ces idées préconçues si vous voulez cultiver la paix et la tranquillité, que
votre intelligence puisse toucher la réalité.
Faisons le test, dès maintenant. Posez-vous la question : « Que suis-je ? » « Qui suis-je ? » Même
du point de vue relatif, lorsque vous vous interrogez ainsi, vous découvrez que vous avez une
conception permanente de votre « je », celui d’hier, celui d’avant-hier, de la semaine dernière,
du mois dernier, de l'année dernière… Cette idée du soi n'est pas correcte. C'est une
préconception qui doit être démantelée et reconnue comme peu réaliste. Alors, vous pourrez
concevoir la possibilité d’un développement et d’une croissance spirituelle incessants et infinis.
La beauté d’être humain est que l’on peut développer à l’infini des qualités intérieures telles
que la paix, l'énergie de l'expérience de l'éveil et la félicité, pour finalement transcender l’esprit
dualiste. Lorsque vous en arriverez à comprendre cette beauté intérieure, vous arrêterez de faire
une saisie sur les objets extérieurs qui ne peuvent jamais apporter une satisfaction durable. Ceci
est un signe important de progrès spirituel. Vous ne pouvez pas à la fois être spirituel et être
accroché aux objets matériels ; les deux sont incompatibles.
Nous voyons des personnes qui, plus elles ont de possessions, plus elles deviennent confuses et
insatisfaites jusqu’à finir par se suicider. Parfois, les pauvres ne comprennent pas cela. Ils
pensent que ceux qui vivent dans l'opulence matérielle doivent être heureux. Ils ne sont pas
heureux. Ils sont insatisfaits, émotionnellement perturbés, confus et noyés dans la souffrance.
Les tentatives de suicides sont plus fréquentes dans les sociétés riches que dans les sociétés
économiquement sous-développées. Ce n'est pas là un point philosophique du Dharma – c'est
la réalité actuelle, la situation de ce 20ème siècle ; cela se passe maintenant. Je ne suis pas en train
de vous suggérer d’abandonner votre confort matériel ; le Seigneur Bouddha n'a jamais dit qu’il
fallait abandonner ses plaisirs. Plutôt, il a enseigné que nous devons éviter de nourrir notre
confusion en nous accrochant avec saisie aux plaisirs du monde.
L'attitude sous-jacente qui nous pousse à courir après des objets qui n’en valent pas la peine est
l’émotion perturbatrice par laquelle nous pensons : « Cet objet me donnera satisfaction ; sans
lui, la vie serait impossible. » Ces préconceptions nous rendent incapables de gérer les situations
nouvelles qui apparaissent inévitablement jour après jour. Nous nous attendons à ce que les
choses se passent d'une certaine façon et, lorsqu'il en est autrement, nous ne pouvons y faire
face correctement. Au lieu de faire face efficacement aux situations inattendues, nous devenons
tendus, frustrés et psychologiquement perturbés.
Développer notre expérience du Dharma
La plupart d’entre nous sommes émotionnellement instables, avec des hauts et des bas. Lorsque
tout va bien dans la vie, nous adoptons une attitude très spirituelle mais quand les choses vont
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mal, nous la perdons totalement. Cela montre que nous n'avons pas de conviction intime, que
notre compréhension du Dharma est très limitée et précaire.
Les gens disent : « J'ai pratiqué le Dharma durant des années mais j'ai toujours tant de
problèmes. Je ne pense pas que le bouddhisme soit une aide. » alors, je leur pose la question
suivante : « Avez-vous développé la concentration en un point ou la vue pénétrante ? » Voilà le
problème. Dire simplement : « Oh oui, je comprends ; je prie tous les jours ; je suis une bonne
personne » ne suffit pas. Le Dharma est un mode de vie à part entière. Ce n'est pas juste pour le
petit déjeuner, pour le dimanche, ou quand on est dans le temple. Si vous êtes discipliné et
calme dans le temple mais agressif et incontrôlé à l'extérieur, votre compréhension du Dharma
n'est ni constante ni indestructible.
Etes-vous satisfaits de votre état d'esprit actuel ? Probablement non et c'est pourquoi vous avez
besoin de méditer, c’est pourquoi vous avez besoin du Dharma. Les possessions du monde ne
vous apportent pas de satisfaction ; vous ne pouvez compter sur des objets éphémères pour
assurer votre bonheur.
Lorsque nous, réfugiés, avons fui le Tibet, nous avons laissé derrière nous un environnement et
un style de vie magnifiques. Si mon esprit était resté fixé sur la croyance que mon bonheur et
mon bien-être dépendaient uniquement du fait d'être dans mon pays natal, je n'aurais jamais pu
être heureux en Inde. J'aurais pensé : « Il n'y a pas de montagnes enneigées, ici ; je ne peux être
heureux. » Le principal problème est l'attitude mentale ; les problèmes physiques sont
secondaires. C'est pourquoi, évitez de vous accrocher avec saisie aux objets matériels et
recherchez plutôt une compréhension indestructible de la nature suprême de l'esprit.
Développer la concentration et la vue pénétrante
La pratique du Dharma ne dépend pas de conditions culturelles. Que nous voyagions en train,
en avion ou en voiture, nous pouvons toujours pratiquer le Dharma. Toutefois, afin de
complètement détruire la racine de l'esprit dualiste, une compréhension partielle de la réalité de
notre esprit ne suffit pas. La pratique du Dharma demande un effort soutenu et continu ; juste
quelques « éclairs » de compréhension ne suffisent pas. Pour pleinement pénétrer la réalité
insurpassable de notre esprit, nous devons développer la concentration en un point. Lorsque
cela est fait, notre compréhension devient continuelle et indestructible.
Les enseignements du Seigneur Bouddha sur la concentration en un point sont très importants
car ils nous montrent comment transcender les conceptions du monde. Néanmoins, la
concentration en un point, seule, ne peut suffire. Nous devons l'associer à la vue pénétrante.
Quelle est la différence entre l'une et l'autre ? Tout d'abord, nous développons la concentration,
qui nous mène au-delà des problèmes émotionnels du monde et nous procure un degré de
satisfaction plus élevé. Mais il reste un certain niveau d'obscurité dans notre esprit. Afin
d'atteindre les profondeurs de la conscience humaine, il nous faut également cultiver la vue
pénétrante, qui est pour nous la seule manière de dépasser complètement la vue dualiste de
tout ce qui existe. D'un point de vue bouddhiste, la pensée dualiste est d’une nature
conflictuelle. La concentration méditative peut nous apporter un certain degré de paix, mais si
la vue dualiste subsiste, il reste encore un conflit dans notre esprit
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Le but de la méditation de la vue pénétrante, à savoir l'expérience de la vacuité, est la réalisation
de la non-dualité, quand l'apparence des objets des sens et des images disparaît, et que nous
faisons l’expérience de l'union totale de la réalité absolue. Il y a une différence entre l'expérience
de la vacuité et sa philosophie. D’un point de vue philosophique, les objets des sens existent, les
plaisirs des sens existent et il y a une relation entre les sens et le monde extérieur. Mais dans
l'expérience elle-même, il n'y a aucune conscience de dualité, aucune perception du monde des
sens et aucune impression de conflit pour irriter l'esprit. Généralement, lorsque nous voyons
des objets dans le monde sensoriel, nous percevons deux choses : nous voyons l'objet lui-même
et immédiatement nous le comparons à quelque chose d’autre. La société est construite sur
l’esprit dualiste. En fin de compte, cela nous conduit à la situation : si mon voisin de palier
achète une voiture, je vais en vouloir une aussi. Deux forces sont à l’œuvre et l'une devient la
raison de l'autre.
Du point de vue bouddhiste, toute information reçue par les cinq consciences sensorielles est
toujours déformée par la saisie dualiste. C'est comme une illusion d'optique. Cela s'inscrit dans
notre conscience et nous croyons que ce que nous voyons est véridique. En fait, c'est une
déformation irréelle qui donne naissance à toutes les autres perturbations.
Par conséquent, l'attitude bouddhiste face aux informations reçues des cinq consciences
sensorielles est la méfiance. Vous ne pouvez pas vous fier aux jugements de « bon » et de
« mauvais » qui proviennent de vos sens. Ils vous donnent toujours une impression dualiste
déformée. Il vaudrait mieux vous promener les yeux fermés !
Quoi qu'il en soit, mettez toujours en doute les informations venant de vos sens et soyez
toujours critiques à leur égard. C'est le moyen d’arriver finalement à transcender la banalité, les
actions créées karmiquement et les inévitables réactions de l’insatisfaction.
Q. Etes-vous en train de dire que nous sommes capables de pleinement réaliser la vacuité ?
Lama. Absolument ! Comment ? En examinant la nature de votre esprit, en vous demandant
sans relâche : « Que suis-je ? » « Qui suis-je ? » Finalement, vous vous rendrez compte de
l’imposture que constitue votre ego instinctif et vous verrez comment il se projette dans votre
vie, ce qui vous fait interpréter incorrectement chacune de vos expériences. Lorsque vous
découvrez cette vue erronée, vous vous rapprochez de la compréhension de la vacuité. Tant que
vous ne découvrez pas comment la saisie de l'ego fonctionne en vous, le chemin sera long
jusqu'à la réalisation de la vacuité.
Q. Quel rapport y a-t-il entre la vacuité et la conscience ?
Lama. La conscience n'est pas la vacuité. Mais lorsque vous comprenez la nature de la
conscience, la clarté de l'esprit, vous faites une expérience très similaire à celle de la perception
de la vacuité. C'est pourquoi, dans la tradition tibétaine du bouddhisme mahayana, nous
insistons sur la contemplation de notre conscience comme étape préliminaire à l'expérience de
la vacuité absolue.
Q. Vous avez parlé de la conscience sensorielle qui disparaît dans l'expérience de la vacuité.
Comment est-il possible de percevoir le monde sans les cinq consciences sensorielles ?
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Lama. Bon, il y a à la fois un monde relatif et un monde absolu. Au début, vous méditez sur la
nature du monde relatif ; ce qui devient la méthode par laquelle l’on découvre le monde
absolu. Observez le monde sensoriel, mais ne vous laissez pas embarquer. Soyez constamment
dans l'analyse, vérifiant toujours que votre perception est claire et dégagée de toutes les
exagérations créées par l'ego. La réalité relative n'est pas le problème ; le problème vient de votre
perception des choses qui vous amène à exagérer et déformer les divers aspects d'un objet. C'est
pourquoi, vous devez continuellement remettre en question tout ce qui vous arrive. Vous ne
pouvez simplement dire : « C'est vrai car je l'ai vu et c'est faux parce que je ne l'ai pas vu. » Vous
devez creuser plus profond.
Q. Lorsque l’on pose une question à l’esprit, à qui l'adresse-t-on ?
Lama. Lorsque vous posez une question à votre conscience, vous mettez en doute vos
conceptions fausses, votre croyance en des entités qui n’existent pas. Lorsque vous voyez un
verre rouge, vous le reconnaissez en tant que verre rouge, mais vous vous interrogez : « Peut-être
est-il rouge, peut-être est-il blanc. » Chaque fois que vous vous interrogez, des réponses viennent.
Normalement, nous acceptons simplement tout ce qui arrive sans nous poser de question. En
résultat, nous nous trompons et nous polluons. Poser des questions c'est chercher, et les
réponses sont en vous. Nous avons l’impression que notre conscience est limitée, mais elle est
semblable à un vaste océan où tout peut être trouvé. Pendant que je parle, vous êtes peut-être
en train de penser : « Peut-être que ce Lama va m’octroyer des réalisations. » Mais il n'y a aucune
réalisation à donner. Parler du Dharma c’est pousser ici et là sur des boutons en espérant
réveiller les gens. Croire en Bouddha, Krishna ou qui que se soit n'est pas suffisant ; vous devez
prendre la responsabilité de votre corps, de votre parole et de votre esprit. Nous avons tous un
certain degré de sagesse ; elle doit être cultivée. Toutes les religions se servent de cloches, y
compris le bouddhisme et l’hindouisme. La cloche symbolise la sagesse. Pour le moment, la
cloche de la sagesse repose en nous, inutilisée. Le tintement de la cloche rituelle est un rappel :
« Utilisez votre sagesse ! »
Q. Il est vrai que nous ne devons pas être trop passifs par rapport à nos responsabilités, mais
parfois, prendre la responsabilité du karma semble renforcer notre ego. Il semble qu'il y ait un
choix entre responsabilité et énergie extérieure par opposition à la sagesse intérieure passive.
Lama. Intellectuellement, nous comprenons qu'il y a le Bouddha, le Dharma et la Sangha. C'est
positif. Bouddha est OK ; Dharma est OK ; Sangha est OK. Mais qu'est-ce que le Bouddha pour
moi ? Lorsque je développe complètement mon esprit, je deviens un bouddha ; voilà mon
bouddha. Le Bouddha Shakyamouni est son bouddha, pas le mien. Il n’est plus là. Mon éveil
total est mon bouddha. Comment vous éveillez-vous à votre propre bouddha ? Le premier pas
est simplement d’être attentif aux actions de votre corps, de votre parole et de votre esprit. Bien
sûr, il ne faut pas tomber dans l’égotisme et vous dire : « Bouddha et Dharma sont OK, mais je
n'ai que faire d'eux – je suis responsable. » De même, attention à l'orgueil : « Je suis un
méditant. » Tout l’intérêt est d’éradiquer l'ego – ne vous souciez pas de savoir si vous êtes un
méditant ou non. Placez simplement votre esprit dans la bonne voie, n'intellectualisez pas et
laissez faire. Vous avez posé une très bonne question : nous devons savoir comment gérer cet
esprit. Merci.
Q. Vous avez dit que les tentatives de suicide sont plus fréquentes en Occident qu'en Orient.
Mais il est aussi vrai que mourir de faim est plus répandue en Orient qu’en Occident. Il semble
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qu'il soit instinctif pour les Orientaux de renoncer, alors que le matérialisme apparaît comme
naturel pour les Occidentaux. Aussi puis-je suggérer, avec des réserves, que le renoncement a
mené l'Orient à la pauvreté, alors que le matérialisme a mené l'Occident à l’abondance ?
Lama. Voilà encore une très bonne question. Mais rappelez-vous ce que j'ai dit auparavant :
renoncer au verre ne veut pas dire le jeter, le casser ou le donner à quelqu'un d'autre. Vous
pouvez manger votre riz et votre dhal (lentilles) avec un esprit empreint de renoncement. Il est
très important que vous sachiez cela.
Il est vrai que la plupart des Orientaux sont de par leur culture influencés par leur doctrine
religieuse. Par exemple, même lorsque nous n'avons que trois ou quatre ans, nous acceptons la
loi du karma. Et pourtant, là encore, bien des Orientaux ont aussi une compréhension erronée
du karma. Une personne peut par exemple penser : « Oh, je suis pauvre, mon père est balayeur
– je dois moi aussi devenir balayeur. » « Pourquoi ? » « Parce que c'est mon karma – cela doit
être ainsi. »
Ceci est une conception complètement erronée et n'a rien à voir avec les enseignements aussi
bien hindouistes que bouddhistes ; c'est un parti pris qui est en totale opposition avec la nature
de la réalité. Voici comment il faudrait voir les choses : « Je suis un être humain – ma nature est
impermanente. Peut-être suis-je malheureux maintenant, mais je peux changer – je peux
développer en moi un esprit de paix éternelle et de joie. » C'est ça, l'attitude que nous devons
avoir.
Les changements incroyables auxquels nous assistons dans le monde aujourd'hui proviennent
de l'esprit humain, non du monde lui-même ; l’abondance de l’Occident matérialiste résulte de
l'esprit occidental. Si nous, Orientaux, voulons que notre niveau de vie égale celui des
Occidentaux, nous pouvons y parvenir. Toutefois, en même temps, il est possible de renoncer
au samsara.
Afin de développer le renoncement, vous devez comprendre la valeur réelle des biens matériels
et le rapport qu’ils ont avec le bonheur. La plupart des Occidentaux exagèrent de façon
flagrante la valeur des choses matérielles. Ils sont bombardés de publicité : « Cet [objet] vous
donnera satisfaction » ; « celui-ci vous donnera satisfaction » ; « cet autre vous donnera
satisfaction ». Alors, ils sont psychologiquement convaincus : « Je dois acheter ceci, je dois
acheter cela, sans quoi je ne serai pas heureux. » Cette conviction les pousse vers les extrêmes du
matérialisme – et en fin de compte au suicide. De même, les Orientaux interprètent mal les
enseignements que donne la religion et tombent dans les extrêmes de la passivité, de la paresse
et de l'apathie : « Karma – c'est mon karma. »
Q. Quelle est la différence entre moksha et nirvana ?
Lama. Il y a plusieurs niveaux de moksha, ou libération. L'un d'eux est le nirvana, qui est au-delà
de l'ego et consiste en une paix et une félicité sans fin. Plus haut que le nirvana est l’éveil, que
l’on appelle parfois « grand nirvana » et qui est le fruit de la bodhicitta, la détermination
d'atteindre l'éveil dans le seul but d'y amener l'infinité des êtres. Vous pouvez perdre tout intérêt
pour le samsara, entreprendre un entraînement spirituel et atteindre le nirvana, mais il vous
faut encore développer la bodhicitta et réaliser le plein éveil.
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Q. Vous avez parlé de non-dualité. L'amour et la haine existent-ils encore dans cet état ?
Lama. L'expérience de la non-dualité elle-même est de la nature de l'amour. L'aspect
émotionnel de l'amour est moindre durant l'absorption méditative dans la non-dualité, mais en
essence la nature de l’amour est présente. Chez la plupart des gens, l'amour est partial et
dualiste. L'amour caractérisé par la non-dualité est impartial. Le lam-rim nous apprend à
méditer sur la manière dont chaque être vivant – y compris les animaux, les oiseaux, les
poissons et les insectes – ont été à de nombreuses reprises une mère pour nous durant l'infinité
de nos vies précédentes. De plus, sans la moindre exception, tous ces êtres veulent être heureux
et cherchent à éviter la souffrance. Si dans notre méditation, nous faisons grandir l’éventail de
nos objets de connaissance, nous pourrons connaître la nature des autres êtres et notre amour
deviendra spacieux.
Q. Le nirvana semble être une dualité puisqu'il implique le non-nirvana.
Lama. Du point de vue linguistique, cela est vrai. Si nous désignons quelque chose « nirvana »,
nous ouvrons la porte au label « non-nirvana ». Mais dans l'esprit de ceux qui perçoivent la nondualité, il n'y a pas de label. Ils font simplement l’expérience du nirvana et se laissent absorber
dans cette expérience.
Q. J'imagine toujours le nirvana comme un trip de LSD.
Lama. Alors, je suppose qu'il n'y a guère de nirvana, ici en Orient.
Traduction française : Muriel Barraud Revue par Eléa Redel et la vénérable Ténzin Ngueunga en mai 2007.
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