Comme ces souvenirs sont par ailleurs vécus indirectement, on peut également
s’interroger sur la façon dont se construit le souvenir en fonction du rapport à la source.
Je vous donne à cet égard deux exemples de recherches pertinentes.
Premièrement, l’une a été menée par Marcia Johnson et al., qui s’intéressait aux
témoignages. Dans quels cas considère-t-on qu’un témoignage correspond à une
expérience réelle ou imaginée ? Pour le savoir, elle a élaboré des témoignages fictifs
qu’elle a manipulés selon plusieurs dimensions et soumis à ses sujets. Elle constate ainsi
qu’un témoignage détaillé et incluant des aspects émotionnels est perçu comme plus
susceptible d’être la description d’une expérience réelle qu’un témoignage ne comportant
pas ces informations. En revanche, dans une seconde expérience, on constate que cet effet
dépend du crédit accordé à l’audience. Lorsqu’une audience apparaît comme non fiable,
le fait d’inclure des détails et des éléments à caractère émotionnels réduit la fiabilité du
souvenir. La distinction que propose Johnson et al. est particulièrement intéressante :
celles-ci suggèrent que selon que l’on soit dans une perspective critique, selon que l’on
cherche à croire ou ne pas croire, on pourra adopter une perspective plutôt heuristique
(« il y a des émotions donc ça doit être vrai ») ou systématique. Cette distinction s’avère
particulièrement intéressante lorsqu’on la confronte à la critique historique, qui par
définition se place dans une perspective critique. Selon que l’on soit dans une posture
critique ou non, différents mécanismes pourraient donc être mis en jeu.
Un second exemple concerne l’influence des photographies. Une grande partie de la
mémoire historique passe par les photographies. On sait que la photographie est un
indicateur particulier de faux souvenirs et qu’elle paraît souvent plus « vraie » que les
textes. Notre critique historique intuitif serait donc moins critique avec les photos qu’avec
les textes. Comme si elle ne pouvait être trafiquée. Ainsi une étude menée aux Etats-Unis
(Kelly & Nace, 1994) montre que les articles du New York Times sont perçus comme
moins crédibles que ceux d’un magazine à scandale (le National Enquirer). En revanche,
on n’observe aucune différence en ce qui concerne le jugements des photos . De même on
constate que la présentation d’une photo transforme notre mémoire du texte qui
l’accompagne. Ainsi, Garry et al. (2005) ont demandé à leur sujet de prendre le rôle de
« rédacteur » en chef. Ils devaient lire différents articles décrivant un ouragan près d’une
ville côtière. Dans une condition, on avait soit ajouté une photo décrivant la ville avant la
venue de l’ouragan, dans l’autre condition, une photographie postérieure au passage de
l’ouragan. Pour les amener à faire attention aux photographies, les sujets devaient choisir
où ils placeraient la photos dans l’article. Quelques semaines plus tard, ils devaient
répondre à un test de mémoire : ils devaient indiquer pour une série d’affirmations si
celles-ci étaient présentes dans le texte ou non. Les sujets de la condition « après »
« reconnaissaient » avoir vu des extraits signalant des blessures subies par des habitants
de la ville alors que le récit ne mentionnait que les dommages matériels.
C’est important car les photographies, et plus encore les films, sont un de nos principaux
moyens d’accès au passé. Les photographies et, plus encore, les films contribuent à
définir notre vision du passé. Il est donc particulièrement intéressant de s’intéresser au
processus mnésique, en partie, de monitorage de la source selon que les représentations
du passé nous proviennent par l’intermédiaire de photographies ou de textes.
5