Progrès en urologie (2015) 25, 888—891 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Les nouveaux greffons rénaux New kidney transplants S. Bergerat Service d’urologie, nouvel hôpital civil, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France Disponible sur Internet le 31 août 2015 Résumé Le nombre de patients insuffisants rénaux chroniques au stade d’hémodialyse est en constante augmentation, essentiellement à cause de la prévalence croissante des néphropathies diabétiques. La transplantation rénale est un traitement de suppléance de l’insuffisance rénale chronique à son stade terminal. Il existe actuellement en France et dans le monde une pénurie de transplants rénaux. L’évolution de la législation tente de répondre à cette pénurie par l’évolution du prélèvement chez le donneur vivant, puis les prélèvements maintenant possibles chez les donneurs après arrêt circulatoire, y compris après limitation et arrêt des thérapeutiques. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Chronic kidney failure and patients that require haemodialysis is increasing, mainly because of the increasing prevalence of diabetic nephropathy. Kidney transplantation is an alternative therapy for chronic renal failure in its terminal stage. Currently, in France and in the world, there is a shortage of kidney transplants. The evolution of the French legislation allows the organ donation from living donor, including awaiting cardiac arrest. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2015.07.002 1166-7087/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. La première greffe rénale a été réalisée en 1959, depuis, en France, un total de 70 242 greffes rénales a été enregistré. Le rein est actuellement l’organe le plus greffé avec un peu Les nouveaux greffons rénaux plus de 3000 greffes annuelles en augmentation constante. Mais la demande annuelle en greffon ne cesse d’augmenter, avec un nombre de prélèvements sur donneurs qui ne suit pas l’intensification de cette demande : en 2013, 3074 greffes ont été réalisées pour 14 336 candidats (données de l’Agence de biomédecine), révélant une pénurie d’organe. La majorité des donneurs sont actuellement les donneurs en état de mort encéphalique, en raison des réticences au don par cœur arrêté pour des motifs d’ordre éthique, notamment en raison de l’incertitude sur l’irréversibilité des arrêts cardiaque. Depuis un décret de 2005 appliqué en 2006, la greffe à partir de donneur à cœur arrêté est autorisée mais limitée à quelques centres experts. Se développent parallèlement ces dernières années, les donneurs particuliers à cœur arrêtés par limitation et arrêt des thérapeutiques (LAT) ainsi que les bigreffes, afin de pallier la pénurie. La pénurie d’organe En 2013, 1680 donneurs décédés ont été recensés (mort encéphalique ou après arrêt circulatoire non contrôlé) dont 1558 prélevés d’au moins un rein, au total 3022 greffons ont été prélevés. Sur près de 3000 greffes de reins réalisées, 90 % des greffons provenaient de donneurs décédés par mort encéphalique. Mais on enregistre une diminution des greffes avec donneur en mort encéphalique (2595 greffes), une diminution des greffes avec donneur après arrêt circulatoire non contrôlé (78 greffes) mais une augmentation de greffes effectuées à partir de donneur vivant (401 greffes). Cependant la pénurie demeure car la liste nationale d’attente se rallonge chaque année. Environ 4000 nouveaux malades inscrits en 2014 alors que 10 000 patients y sont déjà répertoriés. Le bilan actuel rapporte une globale stabilité du nombre de donneurs prélevés par million d’habitants en France avec 16 prélèvements par millions d’habitants (versus 34 en Espagne). On observe un nombre croissant de patients entrant en dialyse dont la majorité de plus de 60 ans. Le temps médian d’attente avant greffe pour les malades inscrits a progressivement augmenté, il est actuellement de 28,6 mois, contre 14,5 mois il y a 20 ans (durée d’attente variable selon le groupe sanguin, l’immunisation et l’âge). Pour pallier cette pénurie, une solution engagée est le prélèvement d’organes sur donneurs décédés par arrêt circulatoire (DDAC), autorisé sous certaines conditions. Ces décès par arrêt circulatoire peuvent survenir dans deux circonstances : lorsque l’arrêt survient de manière « non contrôlée », en dehors de l’hôpital, et lorsque l’arrêt est « contrôlé » qui signifie qu’il est décidé l’arrêt des thérapeutiques chez un patient hospitalisé. Cette dernière pratique existe depuis 15 ans en dehors de France (Angleterre, Belgique, États-Unis et Pays-Bas) aidée par une législation plus ancienne sur la fin de vie, mais souvent limitée à ces prélèvements après arrêt des thérapeutiques puisqu’ils représentent 90 % de l’activité DDAC dans le monde. En France, elle a débuté dans le cadre d’un programme Plan Greffe 2012 lancé par l’Agence de biomédecine (ABM). À l’heure actuelle, deux prélèvements ont été réalisés qui ont conduit à quatre greffes de rein et une greffe de foie. En effet, le prélèvement d’organes sur donneurs 889 décédés par arrêt contrôlé soulève des questionnements éthiques et les prélèvements de reins étaient limités jusqu’à peu aux donneurs en mort encéphalique irréversible. Par ailleurs, il existe une détérioration de la qualité des greffons, le nombre des donneurs décédés d’un AVC en France ne cessant d’augmenter contre un nombre de donneur décédé au cours d’un accident de la voie publique ne cessant de diminuer depuis 1998. La principale conséquence de ces modifications des causes de décès est une augmentation de la moyenne d’âge des donneurs recensés et prélevés, les équipes de transplantation se trouvant confrontées à de plus en plus d’organes de qualité limite qui n’auraient pas été greffés auparavant. Les stratégies pour lutter contre la pénurie sont les prélèvements sur donneur vivant, le prélèvement de reins marginaux provenant de donneurs plus âgés, avec de multiples pathologies cardiovasculaire (évolution du profil des donneurs) dits à critères élargis, la réalisation de bigreffe selon certains critères du donneur, et les prélèvements sur donneurs décédés par arrêt circulatoire. Une autre solution envisagée pour pallier la pénurie des greffons est de renforcer le consentement présumé au don d’organes, en se passant de l’avis des proches du défunt, le taux de refus des familles étant en moyenne de 30 % en France. Si cette disposition était votée, à partir du 1er janvier 2018, seules les personnes qui se seront explicitement inscrites sur le registre national des refus seront exclues des prélèvements. Classification dite de Maastrich La classification de Maastrich, élaborée en 1995 révisée en 2013, classe les décès après arrêt cardiorespiratoire en 4 catégories et distingue les personnes ayant fait un arrêt cardiaque en présence (catégorie II) ou non (catégorie I) de secours qualifiés, les personnes pour lesquelles la mort survient dans les suites d’une décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques en réanimation (catégorie III) et enfin les personnes chez qui survient un arrêt cardiaque inopiné lors de la réanimation d’un donneur en mort encéphalique (catégorie IV) : • catégorie I : arrêt circulatoire en dehors de tout contexte de prise en charge médicalisée, déclaré décédé à la prise en charge (« dead on arrival ») ; • catégorie II : arrêt circulatoire avec massage cardiaque et ventilation mécanique efficace, sans récupération d’une activité cardiaque efficace (« unsuccessful resuscitation ») ; • catégorie III : décision de limitation ou d’arrêt programmé des thérapeutiques en raison du pronostic des pathologies ayant menées à une prise en charge en réanimation (« awaiting cardiac arrest ») ; • catégorie IV : personnes décédées en mort encéphalique qui font un arrêt cardiaque irréversible au cours de la prise en charge en réanimation (« cardiac arrest while braindead »). Les catégories I, II, IV sont dites non contrôlées, le prélèvement est délicat par la brièveté du temps imparti (degré d’incertitude sur la durée d’ischémie chaude). La catégorie III est dite contrôlée, l’arrêt circulatoire étant connu de 890 l’équipe, mais elle implique la décision de LAT, actuellement controversée en France. Donneurs décédés après arrêt circulatoire (hors catégorie III) Depuis 2005, les prélèvements sur donneur à cœur arrêté sont autorisés mais seuls les donneurs décédés par arrêts cardiaques des catégories I, II et IV, dites non contrôlées, de la classification de Maastricht [1] sont éligibles au prélèvement d’organes. Ce type de donneur rentre dans un cadre juridique selon l’article R. 1232-4-1 et son arrêté d’application qui stipulent que les prélèvements de rein et de foie peuvent être réalisés sur les personnes présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant. La première greffe sur donneur à cœur arrêté a été réalisée en 2006 à Lyon puis 43 greffes sur 7 sites en 2007, le prélèvement étant possible dans tous les établissements sous réserve de remplir les autorisations requises pour les prélèvements sur donneur à cœur arrêté. Le programme a été étendu en 2010 aux prélèvements et greffe hépatiques. En 2013, 53 donneurs décédés après arrêt circulatoire ont abouti à 78 greffes rénales et 2 greffes hépatiques ont été réalisées sur 16 sites. Donneurs décédés après arrêt des thérapeutiques (catégorie III) Jusqu’à présent, les organes destinés à être transplantés étaient prélevés sur des donneurs décédés après arrêt cardiaque ou mort encéphalique. Depuis la fin de l’année 2014, les organes peuvent être prélevés sur des donneurs décédés pour lesquels une décision de limitation et d’arrêt des thérapeutiques en réanimation (LAT) a été prise en raison de leur pronostic. La procédure de LAT est établie selon les recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation et de la Société de réanimation de langue française. Elle entre dans le cadre de l’obstination déraisonnable ou d’acharnement thérapeutique dans lequel il est légitime d’envisager une LAT. L’extension du programme de don d’organes après arrêt circulatoire aux donneurs de la catégorie III de Maastricht [2] est un projet longuement réfléchi, s’intégrant dans l’amélioration de l’accès à la greffe des nombreux malades en attente. En 2015, l’Agence de Biomédecine a lancé une phase pilote dans quelques établissements de santé, les autorisant à prélever des organes sur des donneurs décédés suite à une LAT. Après un an de fonctionnement, en automne 2015, un élargissement des centres autorisés sera envisagé. Le cahier des charges exigeant en termes de moyens et d’implications explique que peu d’établissements soient susceptibles de rejoindre le dispositif. L’éventualité d’un don d’organes ne doit en rien interférer dans la décision de LAT. Les filières sont ainsi séparées entre réanimation (décision et mise en œuvre de la LAT indépendamment de toute éventualité de don d’organes) et en S. Bergerat toute indépendance de la coordination et des équipes de greffe (procédure de don d’organes). La démarche différencie des temps entre discussion et décision de LAT, d’une part, et l’abord des proches pour l’information éventuelle sur le don possible, d’autre part. Dans le but d’optimiser les résultats post-greffes à partir de ces donneurs, l’âge maximal a été fixé à 60 ans. Les contre-indications absolues au don d’organes dans le cadre d’une procédure de prélèvement sur donneurs de la catégorie III de Maastricht sont également : l’absence d’identité, les états septiques non contrôlés, l’absence de diagnostic sur la pathologie initiale, la défaillance multiviscérale avec atteinte rénale, hépatique et pulmonaire, certains cancers, les sérologies ou virémies positives faisant l’objet d’une interdiction (décret de sécurité sanitaire) : VIH, HTLV, hépatite virale C14, une tuberculose active, la rage, une suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob et les malades dont l’évolution vers la mort encéphalique est prévisible. Bigreffe de rein Il s’agit d’une double greffes rénales, c’est-à-dire de transplanter deux reins qualifiés limites provenant de sujets âgés chez le même receveur dans la mesure où la fonction séparée des deux reins n’aurait pas permis d’assurer une fonction rénale acceptable chez deux receveurs différents [3]. Elle ne représente que moins de 5 % des transplantations mais représente un outil pour lutter contre la pénurie et permettre la greffe d’un plus grand nombre de receveurs notamment âgés. Ainsi, la bi-transplantation donne des résultats comparables à la mono-transplantation à partir de donneurs marginaux, alors que les greffons utilisés sont de moins bonne qualité. Mais sont observés, associé à la réduction néphronique (différence entre le nombre de néphrons fonctionnels et les besoins physiologiques du receveur), plus de rejets aigus (augmentation de l’immunogénicité). Une optimisation de la prévention des facteurs d’agression surajoutés est donc indispensable. Ces résultats sont obtenus au prix d’une majoration du taux de complications médico-chirurgicales, l’association donneur âgé—receveur âgé augmentant incontestablement la difficulté et le risque opératoire. La progression du donneur vivant Avant 2004 : le receveur devait avoir la qualité de père ou de mère, de fils ou de fille, de frère ou de sœur du donneur, ou de conjoint en cas d’urgence. À partir de 2004 : sans condition d’urgence, au conjoint du receveur, à ses frères ou sœurs, à ses fils ou filles, ses grands-parents, ses oncles et tantes, ses cousins germains et cousines germaines ainsi qu’au conjoint du père et de la mère du receveur ou bien encore à toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur. À partir de 2011 : toute personne ayant un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur, ce qui rend possible le don provenant d’un ami proche Les nouveaux greffons rénaux et autorise le don croisé d’organes intervenant en cas d’incompatibilité entre proches. En 2013, 401 greffes à partir de donneurs vivants ont été réalisées représentant 13 % de l’activité de greffe rénale. Prélèvement chirurgical des reins Lorsque les conditions sont réunies pour un prélèvement de rein chez un donneur décédé par arrêt circulatoire, la technique de prélèvement mise en œuvre est la même que celle d’un prélèvement de reins sur un sujet décédé en mort encéphalique. Le prélèvement est un acte chirurgical effectué au bloc opératoire dans les mêmes conditions et avec le même soin que pour un patient vivant. Les incisions sont suturées t, mises au propre et recouvertes par des pansements, comme dans toute opération chirurgicale. Les organes sont ensuite acheminés dans les centres où des receveurs attendent d’être greffés, les greffons sont placés en hypothermie afin de les protéger. Le temps est compté, entre le moment où le rein est prélevé et le moment où il est greffé, il ne faut pas dépasser 24 à 36 heures. Après l’opération, il est important d’assurer la restitution ad integrum du corps à la famille. Aucun frais n’est demandé à la famille du défunt. Préservation des reins Depuis 2011, un programme national de mise des reins prélevés sous machine à perfusion en remplacement de la méthode classique de préservation, où les reins sont placés dans un liquide de conservation dans des glacières hermétiques où la température ne dépasse pas 4 ◦ C, s’est développé pour les reins de donneurs à critères élargis, définis comme les donneurs âgés de plus de 60 ans, ou de 50 à 59 ans avec au moins deux des facteurs de risques suivants : cause de décès cérébrovasculaire, hypertension artérielle, créatinémie supérieure à 133 mol/L. La perfusion des reins sur machine à perfusion permet une réduction du taux de retard de reprise de fonction du greffon grâce à la diminution de la vasoconstriction intra-rénale, l’amélioration de la perfusion du cortex rénal, l’expulsion de microthrombi du cortex rénal et de la microcirculation médullaire, le maintien du pH intracellulaire, la diminution de l’œdème tissulaire, l’apport de substrats métaboliques et l’élimination des produits du catabolisme. 891 La qualité du liquide de préservation est un facteur essentiel dans la survie du greffon et est impliquée dans les causes de non-fonction primaire du greffon. La perfusion et le lavage des reins se font maintenant à l’aide d’une solution de conservation de 4e génération. L’utilisation d’une machine à perfusion des reins prélevés est donc à respecter dans le cadre d’un protocole sur donneur à cœur arrêté [4]. Conclusion La lutte contre la pénurie d’organes a fait évoluer et élargir les conditions du prélèvement d’organes. Le prélèvement sur donneur à cœur arrêté est déjà bien évalué et les résultats sont comparables à ceux sur donneur en état de mort encéphalique. L’élargissement du prélèvement chez les donneurs après limitation et arrêt des thérapeutiques est effectif depuis le début de l’année. La bigreffe de rein permet d’élargir les indications de greffes avec une meilleure adéquation entre donneurs et receveurs âgés. Par ailleurs, les progrès en cours améliorent les conditions de conservation des reins avant transplantation (machines à perfusion, réduction des temps d’ischémie). Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Ortega-Deballon I, Hornby L, Shemie SD. Protocols for uncontrolled donation after circulatory death: a systematic review of international guidelines, practices and transplant outcomes. Crit Care 2015;19(1):268. [2] Jousset N, Jacob JP, Gaudin A, Mauillon D, Penneau M, RougéMaillart C. Recovery of transportable organs after cardiac arrest. Presse Med 2009;38(5):740—4. [3] Al-Mamari SA, Jourdan J, Boukaidi S, Quintens H, Marsaud A, Carpentier X, et al. Bi-transplantation rénale par abord ipsilatéral : expérience d’un centre à propos de 15 patients opérés consécutivement et revue de la littérature. Prog Urol 2014;24(2):87—93. [4] Bon D, Delpech P-O, Chatauret N, Hauet T, Badet L, Barrou B. Does machine perfusion decrease ischemia reperfusion injury? Prog Urol 2014;24(Suppl. 1):S44—50.