actualité, info Dr House existerait-il dans la «vraie vie» ? D epuis qu’ils existent en tant que tels, les docteurs en mé­ decine jouissent de bien des privilèges, à commencer par celui d’être la cible privilégiée de caricatures multi­ ples. Nous connaissons tous ce chemin de croix dont les étapes principales sont, dans l’espace de la francophonie, si­ gnées Molière ou Jules Romains. Le théâtre et l’écriture furent longtemps les seules voies utilisées pour ces mé­ chantes mises en scène. Puis, bien évi­ demment, vinrent les images. Nous gardons pour notre part en mémoire cette étrange et première transcription cinématographique du (trop ?) célèbre Knock ;1 croisement du livre et du film pour, enfin, mettre en scène ce qu’allait devenir (ce qu’est devenu ?) le triom­ phe de la médecine dès lors que cette dernière croise une «réclame» qui ne s’était pas encore auto-proclamée pu­ blicité. Pourquoi un tel acharnement ? Et plus encore pourquoi un acharnement à ce point croissant quand les autres cibles traditionnelles (prêtres, militaires, «bourgeois») ont progressivement quitté les estrades ? Ni le temps ni la place ne nous permettent d’approfondir une ques­ tion à ce point complexe et qui mérite­ rait à l’évidence les phosphorescences d’un thésard en médecine et/ou littéra­ ture. Et si une telle thèse avait déjà été soutenue, elle mériterait d’être rafraî­chie et complétée par l’analyse de ce nou­ veau phénomène qu’est l’usage du doc­ teur en médecine dans les – très regar­ dées – émissions télévisées. Nous par­ lons ici de ces programmes rangés sous le bandeau «séries» et qui ne sont rien d’autre au fond que la transfiguration inverse, imagée et numérisée, des anti­ 0 ques feuilletons qui ont amplement con­ tribué à l’aura des journaux «papier» de notre XIXe siècle et aux recettes finan­ cières de leurs auteurs. Les postulants à un tel sujet pren­ dront avec bonheur connaissance de cette dépêche mandée par l’Agence France-Presse datée du 2 septembre. «Les médecins qui font des miracles dans les séries télévisées en soignant des patients atteints de maladies mys­ térieuses ont une influence sur les vrais patients qui s’attendent à se faire pres­ crire des traitements illusoires, mettent en garde des experts. Les millions de téléspectateurs de la série Dr House, dans laquelle le docteur Gregory House ordonne des batteries d’examens et des traitements mé­dicaux peu orthodoxes, peuvent avoir le sentiment qu’ils ont be­ soin, une fois patients, d’une rafale d’ana­ lyses et de traitements lourds.» Certes, mais encore ?«Mais dans la vraie vie, les hôpitaux sont incapables de fournir les remèdes "vus à la télé", et les études montrent que les traite­ ments lourds peuvent faire plus de mal que de bien. Ces émissions ont ten­ dance à être très interventionnistes et agressives dans les traitements admi­ nistrés… parce que c’est l’action qui inté­resse les gens», explique Andrew Holtz, journaliste médical et auteur d’un livre sur le Dr House. «Vous avez la pres­ sion pour montrer des opérations lour­ des qui marchent presque toujours, ce qui est complètement illusoire, continue M. Holtz pour qui ces programmes ali­ mentent l’idée fausse selon laquelle toute maladie peut être guérie. Les gens sont persuadés que si vous cherchez suffisamment, si vous dépensez suffi­ samment d’argent, si vous trouvez le Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 12 janvier 2009 bon docteur, alors vous serez sauvés.» La vraie vie ? C’est aussi celle où des médecins patentés alimentent en réfé­ rences médicales les auteurs des «sé­ ries» pour que ces dernières soient crédibles. C’est le cas de Allan Hamil­ ton, consultant pour Grey’s Anatomy. «Ces auteurs vous disent : "on veut un patient qui va vraiment bien jusqu’à ce qu’un petit truc tourne affreusement mal", confie-t-il. Je rigole souvent avec les auteurs en leur disant "ceci ou cela, ça ne pourrait pas vraiment se passer en vrai" ; et là, en général, ils me répon­ dent "oui mais on est à Hollywood, tout peut arriver".» Le Dr Hamilton n’est pas, et c’est heureux, sans s’inquiéter des consé­ quences délétères que pourraient avoir les expérimentations thérapeutiques mises en scène à Hollywood. «Après avoir vu ça, les gens se demandent : "est-ce qu’on peut trouver des méde­ cins pareils, y a-t-il un Dr House pour s’occuper de moi ?"», dit-il avec ou sans fausse naïveté. On pourrait aussi, comme le fait l’Université de Californie du Sud user des «séries médicales» pour éduquer les futurs patients. Mais ceci est une autre histoire. Jean-Yves Nau [email protected] 1 «Knock, ou le Triomphe de la médecine» de Roger Goupillières et Louis Jouvet, 1933. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 septembre 2009 1957