Revue Médicale Suisse
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30 septembre 2009 1957
Dr House existerait-il dans la «vraie vie» ?
Depuis qu’ils existent en tant
que tels, les docteurs en mé-
decine jouissent de bien des
privilèges, à commencer par celui d’être
la cible privilégiée de caricatures multi-
ples. Nous connaissons tous ce chemin
de croix dont les étapes principales sont,
dans l’espace de la francophonie, si-
gnées Molière ou Jules Romains. Le
théâtre et l’écriture furent longtemps
les seules voies utilisées pour ces mé-
chantes mises en scène. Puis, bien évi-
demment, vinrent les images. Nous
gardons pour notre part en mémoire
cette étrange et première transcription
cinématographique du (trop ?) célèbre
Knock ;1 croisement du livre et du film
pour, enfin, mettre en scène ce qu’allait
devenir (ce qu’est devenu ?) le triom-
phe de la médecine dès lors que cette
dernière croise une «réclame» qui ne
s’était pas encore auto-proclamée pu-
blicité.
Pourquoi un tel acharnement ? Et
plus encore pourquoi un acharnement
à ce point croissant quand les autres
cibles traditionnelles (ptres, militaires,
«bourgeois») ont progressivement quitté
les estrades ? Ni le temps ni la place ne
nous permettent d’approfondir une ques-
tion à ce point complexe et qui mérite-
rait à l’évidence les phosphorescences
d’un thésard en médecine et/ou littéra-
ture. Et si une telle thèse avait déjà été
soutenue, elle mériterait d’être rafraîchie
et complétée par l’analyse de ce nou-
veau pnomène qu’est l’usage du doc-
teur en médecine dans les – très regar-
dées – émissions télévisées. Nous par-
lons ici de ces programmes rangés sous
le bandeau «séries» et qui ne sont rien
d’autre au fond que la transfiguration
inverse, imagée et numérisée, des anti-
ques feuilletons qui ont amplement con-
trib à l’aura des journaux «papier» de
notre XIXe siècle et aux recettes finan-
cières de leurs auteurs.
Les postulants à un tel sujet pren-
dront avec bonheur connaissance de
cette dépêche mandée par l’Agence
France-Presse datée du 2 septembre.
«Les médecins qui font des miracles
dans les séries télévisées en soignant
des patients atteints de maladies mys-
térieuses ont une influence sur les vrais
patients qui s’attendent à se faire pres-
crire des traitements illusoires, mettent
en garde des experts. Les millions de
téléspectateurs de la rie Dr House,
dans laquelle le docteur Gregory House
ordonne des batteries d’examens et des
traitements médicaux peu orthodoxes,
peuvent avoir le sentiment qu’ils ont be-
soin, une fois patients, d’une rafale d’ana-
lyses et de traitements lourds.»
Certes, mais encore ?«Mais dans la
vraie vie, les hôpitaux sont incapables
de fournir les remèdes "vus à la télé",
et les études montrent que les traite-
ments lourds peuvent faire plus de mal
que de bien. Ces émissions ont ten-
dance à être très interventionnistes et
agressives dans les traitements admi-
nistrés… parce que c’est l’action qui
intéresse les gens», explique Andrew
Holtz, journalistedical et auteur d’un
livre sur le Dr House. «Vous avez la pres-
sion pour montrer des opérations lour-
des qui marchent presque toujours, ce
qui est complètement illusoire, continue
M. Holtz pour qui ces programmes ali-
mentent l’idée fausse selon laquelle
toute maladie peut être guérie. Les gens
sont persuadés que si vous cherchez
suffisamment, si vous dépensez suffi-
samment d’argent, si vous trouvez le
bon docteur, alors vous serez sauvés
La vraie vie ? C’est aussi celle où des
médecins patentés alimentent en réfé-
rences médicales les auteurs des «sé-
ries» pour que ces dernières soient
crédibles. C’est le cas de Allan Hamil-
ton, consultant pour Grey’s Anatomy.
«Ces auteurs vous disent : "on veut
un patient qui va vraiment bien jusqu’à
ce qu’un petit truc tourne affreusement
mal", confie-t-il. Je rigole souvent avec
les auteurs en leur disant "ceci ou cela,
ça ne pourrait pas vraiment se passer
en vrai" ; et là, en général, ils me répon-
dent "oui mais on est à Hollywood,
tout peut arriver"
Le Dr Hamilton n’est pas, et c’est
heureux, sans s’inquiéter des consé-
quences délétères que pourraient avoir
les expérimentations thérapeutiques
mises en scène à Hollywood. «Après
avoir vu ça, les gens se demandent :
"est-ce qu’on peut trouver des méde-
cins pareils, y a-t-il un Dr House pour
s’occuper de moi ?"», dit-il avec ou
sans fausse naïveté. On pourrait aussi,
comme le fait l’Université de Californie
du Sud user des «séries médicales»
pour éduquer les futurs patients. Mais
ceci est une autre histoire.
Jean-Yves Nau
1 «Knock, ou le Triomphe de la médecine» de Roger
Goupillières et Louis Jouvet, 1933.
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