Actualité de Cicéron Cours INTRODUCTION : La justice. Un thème difficile et conflictuel qui met aux prises deux catégories de personnels : philosophes et les juristes. Le problème d’un tel thème, c’est le divorce communément admis entre, d’une part, les philosophes, spécialistes d’utopies et de modélisations, et, d’autre part, les juristes, techniciens du droit, qui seraient davantage préoccupés par le montant de leurs honoraires que par la justice. Une histoire drôle met d’ailleurs en scène un avocat. Lors d’un dîner mondain, un chirurgien est accablé de questions médicales par sa voisine de table. Agacé, il demande à son vis-à-vis, avocat de son métier, s’il est en droit de considérer, juridiquement, la conversation comme une consultation et, donc, de demander des honoraires. L’avocat répond alors « oui, il s’agit bien d’une consultation et quant à vous, Docteur, vous me devez 200 Euros ». Derrière cette blague assez méchante pour les professions libérales, il y a une véritable problématisation juridique : quelle est la différence entre une conversation et une consultation ? D’ailleurs, il faut distinguer la consultation, qui, juridiquement, a lieu lorsqu’une question purement technique ne requiert pas d’investigation complexe. Le juge peut alors charger une personne qu’il commet de fournir une simple consultation. La consultation juridique, elle, se définit comme l’avis donné par un juriste professionnel dans un litige donné. La consultation médicale, elle, est définie dans l’article 55 du Code de la Santé publique. En procédure civile, la consultation désigne donc la mission confiée par le juge où le tribunal à un technicien et qui consiste, quand l’examen des faits ne nécessite pas des investigations complexes, à donner son opinion verbalement ou éventuellement par écrit, après examen contradictoire des faits litigieux. Revenons à notre reproche initial : les philosophes revendiquent souvent une ignorance et un mépris juridique et les juristes s’accommodent fort bien de leur ignorance philosophique. Que peut-on dire de ce divorce ? 1) il est ancien 2) il est au fondement d’importantes erreurs pas tant juridiques que philosophiques. Pourquoi ce divorce est-il ancien ? Parce qu’il est revendiqué par le Platon du Protagoras. Lors de son procès, le Socrate personnifié refuse ou revendique son ignorance de la rhétorique et prétend parler au nom de la recherche de la vérité. Mon but n’est pas ici de refaire le procès de Socrate, mais d’analyser les conséquences du divorce qu’il revendique. Nous verrons plus tard ce que Cicéron pense de ce divorce. Les conséquences qu’il entraîne sont dommageables. Citons pêle-mêle : le mépris de beaucoup de professeurs de philosophie vis-à-vis des sophistes qui sont pourtant leurs véritables ancêtres puisque, après tout, les enseignants de philosophie sont salariés. Cette erreur persiste. Je me souviens d’un collègue soutenant que Socrate a tenu la meilleure défense. Cela paraît pour le moins discutable. Un divorce droit/ philosophie qui explique que juristes et philosophes, souvent, ne s’entendent pas. D’importantes erreurs sur la philosophie romaine. Je soutiens pour ma part qu’il y a une philosophie romaine et que les Romains ne se sont pas contentés de produire une contrefaçon de philosophie grecque. Le droit de la propriété intellectuelle n’existant pas dans l’antiquité, notre représentation qui attribue aux Grecs les maths, la philosophie, la médecine et aux Romains le droit paraît discutable. Les Romains ont certes inventé la science du droit. Faut-il donc prendre acte de ce divorce et reconnaître comme inconciliables l’interrogation philosophique et les sciences juridiques ? En tout cas, dans l’état actuel, 1) la philosophie est largement ignorante du droit et 2) le droit revendique une ignorance de la philosophie. Le problème se pose alors de l’inflation du judiciaire : la plupart des chefs d’Etat sont avocats maintenant : N.Sarkozy, T. Blair, A.Merkel, Zappatero, F.Fillon, B.Obama… on assiste au développement d’un droit communautaire et international éminemment problématiques. On assiste à un processus de judiciarisation des rapports sociaux : recours divers/ procédures d’arbitrage/ problèmes de propriété intellectuelle/ droit des affaires/ droit des brevets, des dessins et modèles, des bases de données. Aujourd’hui, nous donnerons la parole aux juristes. Quels sont les principaux reproches formulés par les juristes à la philosophie ? Reproche 1) D’après Hauriou, la philosophie du droit n’existe pas. Le droit naît de l’Etat et la compréhension du droit nécessite donc une philosophie de l’Etat. On peut facilement objecter que le droit peut exister indépendamment de l’Etat, notamment dans la coutume. Le danger de ravaler le droit à la seule volonté du prince, c’est de tomber dans le positivisme. Reproche 2) Selon Carbonnier, la philosophie du droit est une discipline originale qui articule des jugements de valeur et doit donc se distinguer de la sociologie du droit, qui privilégie quant à elle les énoncés empiriques. On répondra qu’il n’est après tout pas évident que la sociologie n’utilise que des énoncés descriptifs. Reproche 3) argument ad hominem : la philosophie du droit concerne les philosophes et non pas les juristes. D’après cette position, le juriste s’attache à la personne et le philosophe à l’essence du droit. Cette position ne tient pas. La philosophie du droit nécessite un bagage en droit. Il ne faut pas, dit M Villey, tailler une part trop large aux philosophes. La science du droit suppose admise une conception du droit, de son objet, de son essence. Or, on a du mal à trouver chez Descartes, Pascal, Kant, Hegel, Nietzsche, Kierkegaard, Freud, Sartre, Heidegger une réelle expérience du droit. D’où le diagnostic de M Villey : nous n’avons pas de philosophie juridique. Si, dit M Villey, au –dessus de la poussière d’idéologies successives qu’étudient les historiens, il y a une philosophie juridique, elle reste à réinventer. Pourquoi parler de réinvention ? Le préfixe laisse en effet entendre que cette philosophie juridique existe. C’est celle de Cicéron. On peut distinguer plusieurs figures de Cicéron : le classique qui nous a fait éventuellement souffrir en cours de latin lors de traductions épiques des Tusculanes le politique, consul des Verrines ou du Pro Murena, ami-ennemi de César/ Antoine/ Caton. Le théoricien de l’éloquence, auteur du De l’invention, du De Oratore, du Brutus, de l’Orateur L’enseignant qui forma au patronat judiciaire plusieurs jeunes gens de l’aristocratie équestre ou sénatoriale. Le philosophe ? C’est toujours en discussion. Les Lois, après tout, s’apparentent à une copie de la République mais Cicéron a rhétorisé la philosophie. Il a , d’une part, introduit une dimension philosophique dans la rhétorique et, d’autre part, introduit la rhétorique dans la philosophie en développant un langage philosophique original qui mêle démonstration et persuasion. Un avocat passionné par la défense. C’est la figure qui m’intéresse le plus. Cicéron prononça 150 discours dont 58 sont conservés. On peut les classer en deux grandes catégories, celles des harangues, ou discours politiques prononcés devant le peuple ou le Sénat et celle des discours judiciaires, pour l’accusation ou la défense devant les tribunaux. D’après les études livrées par J.E.Granrud dans The Classical Journal, 1912-1913, Cicéron eut gain de cause dans 82% des cas. Cicéron ne rédigeait pas ses discours. Les textes que nous avons sont des versions révisées, réécrites, augmentées ou abrégées pour publication par son secrétaire Tiron. De ce point de vue, il partage l’opinion de Maître Henry Torrès qui refusait de voir en Poincaré un avocat sous prétexte qu’il « écrivait ses plaidoiries ». Cf : Robert Badinter, L’Exécution p 41-45. De plus, Cicéron a la passion de la défense comme Torrès. Cicéron est donc le seul philosophie occidental qui est aussi avocat. Sa philosophie de l’art oratoire, de la rhétorique, est au centre de sa pensée et constitue une véritable expérience de philosophie juridique. Avec Cicéron se dégage une conception du droit comme visant la justice et qui constitue le point focal autour duquel s’orientent et s’articulent toutes les dimensions de sa réflexion. On peut objecter que Cicéron est dépassé et ne présente rien de plus qu’un intérêt historique. Je ne prétends pas ici faire de l’histoire du droit puisque je ne suis pas romaniste. J’ai deux objectifs : donner des éléments factuels, procéduraux et jurisprudentiels exploitables dans une épreuve sur la justice. Pour ce faire, je me fonderai sur les plaidoiries. Montrer l’actualité de la théorie de Cicéron pour comprendre les problèmes contemporains en matière de justice. Je me fonderai sur le De Oratore. S’agit-il donc de faire du neuf avec du vieux ? Non. Aucune philosophie juridique n’a été véritablement élaborée en Occident depuis Cicéron et je pense que c’est d’elle qu’il faut partir. Je répondrai donc dans un premier temps à l’objection historicisante en déterminant les éléments qui font la romanité de la philosophie cicéronienne pour exposer ensuite la philosophie du De Oratore . La romanité de Cicéron : Je voudrais ici prendre en compte une objection a priori indépassable : celle d’après laquelle Cicéron serait dépassé. Que faut-il entendre par la notion de romanité ? Il convient de distinguer la rhétorique romaine de la rhétorique grecque pour comprendre l’originalité de Cicéron et de Rome. Chez les Romains, pas de héros beau-parleur. Le modèle archaïque romain est plutôt celui de l’orateur qui parle à bon escient, qui compte sur son statut, sur son âge, sur sa noblesse, sur son prestige qui doivent garantir le poids et l’autorité des paroles. Celui qui parle est écouté, non pas tant à cause de ses paroles, qu’à cause de sa position dan la cité, qui donne à ses paroles la valeur nécessaire. La parole, à Rome, est une affaire sérieuse, elle est à l’origine sacrée et engage l’ordre du monde. Elle est performative, comme cela se voit d’ailleurs dans la procédure formulaire. Dans l’ancien droit romain, c’est la plaideur lésé qui, poursuivant la restitution de son droit, dirige la procédure. Le plaideur poursuit personnellement et par sa force personnelle l’objet qu’il réclame. Cependant, l’Etat l’oblige à faire contrôler la régularité de son action. Les magistrats chargés de ce contrôle seront successivement le roi, le collège des pontifes, les consuls puis les préteurs à partir de 367.Le citoyen romain doit se plier à des rites. ex : Soit un propriétaire souhaitant reprendre son esclave à un voleur. Il amène l’esclave au tribunal, pose sur sa tête une baguette et prononce une formule : Gaius Institutes IV 6 : Je dis que cet esclave est mien en vertu du droit quiritaire. Conséquence : pour intenter un quelconque procès, il faut pouvoir couler sa prétention dans l’une de ces formules admises par la coutume et acceptées par le préteur. Performative la parole est par elle-même une action qui possède une efficace et produit une situation nouvelle. La parole sert à ordonner, permettre, énoncer des règles. Le but n’est donc pas de prononcer des discours brillants ou subtils mais des paroles appropriées auxquelles on peut se fier. La parole doit susciter la confiance et être à la fois énergique et brève. La seule école à laquelle on peut apprendre cet usage de la parole, pour les Romains, c’est celle de la coutume ancestrale (mos majorum). Etant donnée l’importance de la structure gentilice et l’omnipotence juridique du Pater familias, la famille constitue le premier lieu de l’éducation. Le père prend son fils en charge et lui enseigne à lui ressembler en imitant ses paroles et ses comportements. L’éducation oratoire était donc intégrée dans un processus plus complet, qui consiste à former l’être social par les leçons et l’exemple, ainsi qu’à transmettre les valeurs de la classe et de la famille. Tacite, explique ainsi dans le Dialogue des orateurs : « Chez nos ancêtres, le jeune homme qui se destinait à l’éloquence judiciaire et politique, après avoir reçu chez lui un commencement de formation et l’esprit nourri de bonnes études, était conduit par son père ou ses proches à l’orateur qui occupait le premier rang dans la cité. Il devait s’habituer à fréquenter sa maison, à l’accompagner au dehors, à entendre tout ce qu’il disait, soit au tribunal, soit dans les assemblées ; c’était au point qu’il assistait même aux plaidoiries par courtes répliques, qu’il était présent aux discussions violentes, et qu’il apprenait pour ainsi dire à combattre au milieu même de la mêlée. »Or, dans cette éducation, l’apprentissage du droit est essentiel. Quid de Cicéron ? Il fut formé par deux grands jurisconsultes : son père le conduisit auprès de Quintus Mucius Scaevola l’Augure et auprès du cousin de celui-ci, Quintus Mucius Scaevola le Pontife. ce modèle idéologique de la rhétorique fait écho à un vieux fonds pragmatique, paysan, militaire dont les Romains étaient fiers et qu’ils revendiquaient volontiers. Qui sont donc les grands prédécesseurs de Cicéron ? Leurs discours sont perdu ou bien transmis par Cicéron dans le Brutus, ou bien par Salluste, Tite-Live, Denys d’Halicarnasse, Plutarque et les érudits de l’Empire comme Aulu-Gelle. Le premier discours important est prononcé, d’après la légende , en -494 : c’est l’apologue des membres et de l’estomac qu’aurait prononcé Menenius Agrippa pour calmer la plèbe. Cette éloquence possède deux caractéristiques : 1) elle se déploie dans le contexte des luttes sociales et 2) il s’agit d’une éloquence pré-technique qui repose sur une simple narration et non pas sur une démonstration argumentée. Suit au tournant des IV et IIIè siècle le travail du consul Appius Claudius Caecus, qui réforme l’alphabet et divulgue le droit. Prochaine grande figure : Caton l’ancien (234-149) : le premier orateur à publier. Dans le Brutus, Cicéron prétend avoir lu plus de 150 discours de Caton. Son style se marque par l’efficacité, la variété des tons et des formes ( surtout l’invective), un style raide, rugueux, peu rythmique. C’est aussi le premier théoricien de la rhétorique lorsqu’il dit à son fils que « l’orateur est un homme de bien, habile à parler ». Autrement dit, la simple compétence oratoire ou la maîtrise technique se suffisent pas à définir l’orateur. Celui-ci est surtout dépositaire de qualités morales et sociales qui appartiennent aux bon citoyens, c’est-à-dire aux hautes classes, attachées aux structures et valeurs de la société humaine. Une deuxième sentence de Caton nous est parvenue : « Possède le sujet, les mots suivront » Caton distingue ici la maîtrise du cas dans sa dimension factuelle et jurisprudentielle de la simple maîtrise des mots qui permettra de plaider. Il ne refuse pas la rhétorique mais il condamne bel et bien une rhétorique qui en serait que technique et langage. Caton est un traditionaliste et non pas un archaïque. Il se réclame ses valeurs traditionnelles, réaffirme la légitimité du patronat, le rôle du Bonus Vir, l’importance de la fides tout en intégrant des nouveautés, en parlant sans relâche, en publiant et en conceptualisant. Cicéron se montre plus nuancé à l’égard des Gracques et de leur éloquence. Dans le Brutus, il déclaire : « Si seulement Tibérius Gracchus et Caius Carbo avaient eu la volonté de bien gérer l’Etat comme ils eurent le talent de bien parler… »Cette rhétorique révolutionnaire des Gracques suscita d’ailleurs un regain de la rhétorique des Boni dans la rhétorique sénatoriale des IIè et Ier siècles. Marcus Antonius, grand père du triumvir et Lucius Licinius Crassus, deux des interlocuteurs du De Oratore, fournissent des exemples typiques de l’orateur romain, avec la dimension politique que cela comporte. Ils parcourent le cursus honorum jusqu’ au consulat et à la censure, exercent le pouvoir proconsulaire dans une province. Antonius remporte le triomphe et Crassus le manque de peu. D’après Cicéron, Antonius excelle dans le genre judiciaire. Il est d’une efficacité redoutable grâce à la force de ses démonstrations, à l’action persuasive et à sa mémoire. Antonius ne recherche pas le style, il ne publie d’ailleurs pas pour ne pas avoir « un jour à nier avoir dit ce qu’il lui faudrait n’avoir pas dit » ( Cf : Cicéron, Pour Cluentius). Antonius entend garder les mains libres pour défendre par tous les moyens chacun de ses clients successifs. Il croit à la pratique et à l’expérience. Crassus, lui possède une vaste culture générale et des connaissances particulièrement étendues en matière de jurisprudence. Il excelle dans le style, la forme, l’art de la réplique. Il s’est illustré notamment dans la causa curiana : une difficile affaire de succession. En -93, un citoyen romain avait fait établir un testament en faveur d’un enfant dont la naissance était présumée. Une clause prévoit que si l’enfant devait mourir avant sa majorité, l’héritage irait à son tuteur. Pb : le citoyen meurt et l’enfant ne naît pas. Le tuteur réclame donc son héritage, conformément à la lettre du testament. On lui oppose que puisque la naissance n’a pas eu lieu, la clause n’a pas lieu d’être. Scaevola fait jour la lettre du testament. Crassus, lui , fait jouer la volonté du testateur, que le testament manifeste. Crassus a certes le droit contre lui, mais fia tusage de la rhétorique pour remporter le procès. Un peu de droit romain C’est la procédure, par opposition au légalisme, qui caractérise le droit romain. Tout citoyen, pourvu qu’il réponde à des conditions d’âge et de fortune peut se trouver inscrit sur la liste des juges. Il est alors susceptible d’avoir à trancher dans un procès civil. Pour être titulaire d’un droit, il est essentiel que celui-ci soit reconnu en justice : il faut donc que le préteur accorde une action. Cela diffère singulièrement, contrairement à ce que l’on a coutume de penser, du droit français dans lequel un droit découle du stipulation législative, réglementaire, décrétée, arrétée ou conventionnelle. Le procès se divise en deux phases : Phase 1 : devant le consul, puis devant le préteur : le préteur reçoit les plaintes des deux adversaires ; devant lui se déroulent les rite les plus formalistes. Il examine ensuite la validité des prétentions avancées par chaque adversaire. il s’agit de la phase in jure Phase 2 : Apud judicem : examen devant le juge des preuves (serments/actes/ témoins) et déroulement des plaidoiries. Le juge tranche en faveur de ces preuve ou peut s’abstenir de rendre une sentence en déclarant que l’ensemble n’est pas clair. Les actions de loi : Il s’agit de la procédure la plus ancienne. Elles possèdent un caractère très formaliste. Il faut veiller à prononcer les paroles rituelles et à accomplir les gestes prescrits. Toute altération du rite entraîne la perte du procès. Ex : Gaius, Institutes IV 11 : « Supposons donc un procès portant sur une coup de vignes où le demandeur parle de vignes. Il a perdu son procès, car il aurait dû parler d’arbres, parce que la loi des douze tables relative aux coupes de vignes parle d’une façon générale d’arbres coupés. » La loi des 12 tables prévoit quatre actions : faire établir un droit sacré/ la demande d’un juge ou d’un arbitre/ la demande d’exécution d’une décision de justice/ la prise de gage et la saisie privée. Gaius décrit notamment la première, ou legis actio per sacramentum : l’objet sur lequel porte le litige doit être réellement présent en justice. Ainsi, les bien immeubles seront présents par l’intermédiaire d’une représentation symbolique. Le demandeur touche l’objet avec une baguette et dit « j’affirme que cet objet m’appartient en vertu du droit quiritaire. » Le défendeur répète les mêmes termes. Le rite crée donc le droit et les deux adversaires affirment donc leur maîtrise sur l’objet au moyen de déclarations parallèles. Le magistrat intervient et demande aux deux parties de lâcher l’objet. Les deux parties s’engagent alors à payer sous serment une certaine somme s’ils sont affirmé à tort leur droit sur l’objet. Les deux plaideurs prennent à témoin les assistants puis le juge intervient pour examiner les preuves. Celui qui l’emporte doit en tirer les conséquences cr il n’existe pas de contrainte publique contre l’adversaire jugé et condamné. Le gagnant devra donc contraindre personnellement le perdant s’exécuter. Pour ce faire, il engage une nouvelle procédure, la manus interjectio ou mainmise du créancier sur le débiteur qui ne s’acquitte pas d’une dette reconnue en justice. 30 jours plus tard, le demandeur fait comparaître son adversaire et pose la main sur lui en prononçant la formule « Puisque tu as été condamné pour x sesterces en ma faveur et que tu n’as pas payé, pour cette raison, je me saisis de toi. » Deux possibilités, alors : 1) soit le défendeur s’exécute et les choses en restent là 2)soit le défendeur est remis par le magistrat à son adversaire pour 60 jours. Pendant ce temps, le demandeur doit conduire à plusieurs reprises le condamné au tribunal et déclarer publiquement le montant de sa condamnation afin de trouver un ami ou un parent susceptible de secourir le débiteur qui, à défaut, sera vendu au-delà du Tibre. Au IIè siècle, les actions de lois prescrites par le préteur sont remplacées par la procédure formulaire, au sein de laquelle les deux adversaires n’ont plus à prononcer de paroles toutes faites ni à accomplir de gestes. Les deux parties énoncent en commun leurs revendications devant le préteur, qui, à partir de ces données, accorde l’action et rédige la formule qui permettra au juge de trancher. Dans le document doivent figurer les prétentions des adversaires, et des instructions pour le juge sur les points à vérifier. Le demandeur commence souvent par indiquer quelle action il entend utiliser parmi celles qui figurent sur l’édit du préteur. Celui-ci peut accorder l’action, ou la refuser, voire en créer une nouvelle et transmet au juge un programme d’instructions conduisant à l’examen des preuves. L’acceptation de la formule par les deux parties aboutit à la litis contestation, c-à-d à la prise à témoin des assistants pour permettre de constater que les plaideurs sont d’accord pour faire trancher le litige par un juge. Cela éteint le droit du demandeur, qui, ensuite, ne plus intenter de nouveau procès. En contrepartie, il acquiert le droit d’obtenir une condamnation pécuniaire si ses prétentions sont admises. La formule du préteur articule trois parties : 1) la nomination du juge 2) les prétentions du demandeur 3) l’invitation faite au juge à condamner le défendeur ou à l’absoudre s’il apparaît que la prétention du demandeur n’était pas fondée. Exemple de formule : « Que Lucius Titius soit juge. S’il paraît que Numerius Nigidius doive donner 10 000 sesterces à Aulus Agerius condamne-le, s’il ne le paraît pas, absous-le ». On distingue deux types d’actions : les actions civiles : elles protègent les droits garantis par la loi ou le jus civile. Dans ces actions, le demandeur affirme qu’un bien lui appartient en vertu du droit quiritaire. Le préteur conserve ces actions dans son édit, qui comporte des actions de droit strict et des actions de bonne foi qui organisent, par exemple, les contrats consensuels comme la vente/ le louage. Les actions prétoriennes : ce sont des actions civiles dont le préteur a étendu le champ d’application. Ce sont aussi des innovations du préteur : il décrit la situation qui appelle protection et l’a soumet à l’appréciation du juge. Il peut s’agit d’une action directe, c-à-d appliquée dans le cas pour lequel elle est prévue, ou bien encore d’action utile, c-à-d étendue audelà de son domaine. Les actions utiles sont elles-mêmes de deux types. On trouve premièrement les actions à transposition de personnes, pour lesquelles l’intentio contient un nom et la condemnatio un autre. Par ex, il en va ainsi de la formule d’action dont l’intentio mentionne le nom du fils ou de l’esclave et la condemnatio celui du père ou du maître. Enfin, on trouve les actions fictives qui consistent en l’utilisation d’une action civile qu’on adapte par l’intermédiaire d’une fiction. Par ex, pour juger un peregrin, on prescrit de le juger « comme s’il était citoyen romain » le préteur joue donc un rôle très important dans la procédure. A ces formules d’actions s’ajoutent également les possibilités dont il dispose en vertu de son imperium. L’envoi en possession permet par ex de reprendre un bien souvent détenu à tort par un autre. En matière de contentieux, la restitutio in integrum annule un acte et ses effets : tout se passe donc comme si l’engagement pris à tort ou frauduleusement n’avait pas eu lieu. Le droit romain trouve ses sources dans les actions de lois et dans la loi des douze tables. Pomponius, dans son Traité sur les origines du droit romain affirment que les décemvirs composèrent 10 lois vers -450 et les firent graver sur des tables d’ivoire, disposées près des rostres afin que chacun puisse en avoir connaissance. L’année suivante, il en ajoutèrent deux. D’après Tite-Live, les XII tables disparurent en -390 quand les Gaulois incendièrent Rome. Puis, Cn.Flavius divulgue un recueil de formules en -390. Caractéristiques de l’ancien droit romain : Le père de famille jouit d’un pouvoir quasi complet sur la famille (esclaves/ femmes/ enfants/ enfants d’autres familles vendus comme ouvriers/ enfants soumis à la tutelle). Il a aussi un pouvoir sur les chefs de famille qui sont ses débiteurs à la suite d’un contrat ou bien à cause de délits. Le droit organise ainsi rigoureusement la poursuite des dettes à condition de respecter la procédure, le créancier pourra mettre le débiteur à mort. S’il y a plusieurs créanciers, le cadavre sra divisé. Cependant, les mœurs et la religion tempèrent grandement la rigueur du seul droit archaïque. Pour être reconnues en justice, les créances contractuelles doivent avoir été nouées solennellement et devant témoins selon des formes reconnues comme la sponsio. La sponsio, c’est la promesse verbale et réciproque entre deux parties de payer une certaine somme si telle condition n’est pas remplie. Les délits ouvrant à une action en justice sont ceux décrits dans la loi des douze tables, plus la violence grave qui entraîne une fracture et les dommages exercés en coupant les arbres d’autrui. Ce droit, dit M Villey, est un droit de la véritable liberté : chaque père de famille doit posséder une sphère d’activité indépendante. Le Romain est seul responsable de la façon dont il exerce ses droits sur sa ppté et sa famille. De plus le jus civile quiritum est un droit précis qui ne fait pas de place à l’arbitraire dans la répartition des biens. Par ex, pour que j’aie droit à telle somme que m’a promise mon débiteur, il faut que soient intervenus solennellement els rites non ambigus de la sponsio. Ou bien encore, pour que je sois propriétaire d’une terre qu’on m’a vendue, il faut que soit intervenue devant témoins la cérémonie de la mancipatio ou que j’aie possédé cette terre paisiblement pendant 10 ans. Dans la procédure formulaire, ensuite, on observe que la justice de la Rome classique reste appuyée sur les bases du droit quiritaire et en conserve les qualités de certitude et de précision. Le Romain est sûr de son droit là où il trouve une formule. Cependant, les préteurs enrichissent le nombre des formules, y ajoutent des fictions et des interdits, des stipulations prétoriennes. Le catalogue en est affiché par chaque préteur à son entrée en charge. Ce faisant, les préteurs élargissent considérablement le champ de la justice qui, par le biais des fictions, s’étend aux péregrins et à tous les hommes sauf aux esclaves. En créant des formules, le préteur donne leur existence juridique à de nouveaux délits ouvrant pour la victime droit à réparation. En même temps a surgi une gamme de nouvelles créances. Pour être créancier, il n’est plus nécessaire de recourir à la sponsio. Les jurisconsultes ont ainsi fait recevoir des formules qui sanctionnent la promesse simple et qui constituent les actes de naissance de la vente, du louage, des contrats de commerce. Cette justice se soucie de juger suivant l’équité : une égalité qui tient compte des conditions spéciales où se trouvent les parties. Quelques créations du droit romain : les personnes : la personne se définit comme l’individu en tant qu’il joue un rôle sur la scène juridique. Dans l’ancien droit, les esclaves (= les étrangers pris à la guerre plus leurs descendants) les étrangers ne sont pas des personnes. Exceptions faite des Latins, qui ont le droit de contracter mariage avec des Romains, celui d’accomplir avec les Romains des actes juridiques comme l’aliénation et l’acquisition et le droit d’agir selon les rites de l’ancienne procédure. A quoi il faut ajouter plusieurs traités attribuant telle ou telle prérogative à certains peregrins. Seul le père de famille a le statut de sujet autonome de droit. Les fils, les filles, les épouses, les serviteurs : toutes ces personnes ne sauraient avoir de biens ni d’autres droits individuels. Le droit civil quiritaire n’est tout simplement pas fait pour eux. Cependant, ces personnes trouvent des dispositifs de protection dans les mœurs, la morale, la religion, la réputation. En ce qui concerne le cas du fils de famille, les jurisconsultes romains ont imaginé l’émancipation, grâce à laquelle le père de famille peut libérer son fils de son autorité. Autre invention : le pécule. Celui-ci concerne les enfants non émancipés : ils jouissent d’une somme qui leur vient de leurs travaux personnels, ou du père, sur laquelle ils peuvent effectuer des actes juridiques comme l’achat, la vente, l’emprunt. La coutume institue également l’usage de constituer un pécule pour certains esclaves (d’ailleurs, le Digeste 1, 5, 4 voit dans l’esclavage une institution du droit des gens contraire à la nature) et les contrats de mariage crée la dote, bien spécial, provenant de la femme, et destinée à lui revenir, mais administré par le mari. Les personnes morales : A Rome, l’Etat n’agit pas avec les mêmes moyens que les particuliers. Ses bien sont res publicae et reçoivent un régime spécial. Cependant, la conquête projette peu à peu le droit privé dans les municipes. Un municipe, c’est une cité englobée dans l’Etat, habilitée à agir en justice, dotée d’un patrimoine et de droits propres. Elle est représentée par un magistrat et agit en son nom, conformément à l’édit du préteur. On trouve d’autres personnes morales : les sociétés de publicains et les associations comme les collèges d’artisans et les premières églises chrétiennes. Les incapables : Cf Gaius, Institutes 1, 192 à 199 la femme : dans l’ancien droit, elle est incapable. A l’époque classique, cette incapacité paraît difficile à justifier. Cf Gaius, I, 190 : « La croyance commune, suivant laquelle les femmes auraient besoin des directives du tuteur en raison de la légèreté de leur esprit, est une raison plus spécieuse que valable. En fait, c’est couramment qu’on voit à Rome les femmes conduire elles-mêmes leurs affaires. » Le fou et le prodigue ; la loi des douze tables prévoit que le « furiosus » sera placé sous la puissance des plus proches membres de la famille. La loi romaine n’attache pas d’incapacité aux autres maladies (exception faite de la prodigalité). Les impubères : cette catégorie regroupe les enfants qui n’ont pas atteint la puberté et revêtu la toge virile. Ils sont privés d’accès aux assemblées publiques et d’accès aux comices. La question de la détermination de l’âge exact de la puberté divise les jurisconsultes. Pour les sabiniens, cela doit rester une question de fait. Pour les proculiens, en revanche, l’âge de la puberté est fixé à 12 ans pour les filles et à 14 ans pour les garçons. les mineurs de 25 ans : La loi Laetoria ( IIIè-IIè) condamne les hommes qui ont circonvenu un adulte de moins de 25 ans. les choses : le livre II des Institutes distingue 3 types de choses qui se situent hors du droit privé et du commerce. les choses sacrées, qui appartiennent aux Dieux et les tombeaux des morts qui appartiennent aux Mânes. Les choses publiques : elles appartiennent à l’Etat et à Rome et sont soustraites à l’emprise du droit privé ( une catégorie juridique malheureusement perdu aujourd’hui…) Les choses communes comme la mer ou l’air Puis, Gaius distingue en II 12 à 14 : les choses corporelles : un champ, un esclave, de l’or les choses incorporelles : le patrimoine héréditaire, càd l’ensemble des dettes et des droits, l’usufruit, les créances, les servitudes. Autre distinction fondamentale : res mancipi/ res nec mancipi Les res mancipi désignent un fonds de terre plus une maison en Italie, des esclaves, les animaux que l’on dompte par le cou ou le dos comme les bœufs, les chevaux, les ânes. Constitutifs d’une petite exploitation rurale, ils sont plus difficiles à aliéner. Les res nec mancipi : désigne toutes les autres choses, pièces, animaux sauvages…Ces biens sont susceptibles d’être transférés suivant la procédure de mancipation, le mancipium, qui désigne la maîtrise, le pouvoir concret de commandement de la chose. Peu à peu, la distinction res mancipi/ res nec mancipi cesse d’être pertinente car l’argent et les créances vont progressivement former une part croissante des fortunes. Cette conception du mancipium semble toutefois antérieure à la théorie de la propriété. Les Romains ne semblent pas valoriser la propriété pusque lespouvoirs du propriétaire reçoivent à Rome d’importantes limitations, d’origines familiale, censoriale, morale. Les jurisconsultes ne définissent d’ailleurs pas la propriété parce qu’à Rome le droit a pour rôle de répoartir les choses et non pas de mesurer les pouvoir. Exemple : le Romain qui cultive l’une des nombreuses terres prises à l’ennemi cultive une terre publique où la cité tolère qu’il s’installe. La terre en question est bel et bien sa possession mais pas sa ppté. Il y a encore des citoyens romains qui ont reçu un domaine à cultiver d’un riche patricien propriétaire sans qu’aucune mancipatio n’ait été faite. Le patricien a donc concédé sa terre sans forme juridique et sans engagement de sa part. Pour protéger le cultivateur, en situation précaire, le préteur use de l’interdit. Pour acquérir la possession, il faut le faire par le corps et l’âme. Le droit exige un acte d’intelligence ( parcourir du regard la terre devant témoins). L’enfant et l’idiot ne peuvent pas posséder. Les obligations : Le droit romain distingue deux sources d’obligations. Première source ; le délit : nous devons à x un réparation pour un acte délictueux que nous avons causé. Deuxième source : le contrat : nous sommes engagés par un contrat à verser de l’argent à x, à lui vendre ou à lui louer notre maison, notre champ ou autre. Nulle part d’apparaît en droit romain le pp mis en œuvre dans l’article 1382 du Code civil d’après lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé,à le réparer. »Les Institutes distinguent 4 délits principaux : le vol/ la rapine/ la violence et l’injure/ le dommage causé sans droit aux esclaves et aux animaux. A quoi les préteurs ajoutent le dol et la violence faite pour forcer autrui à accomplir un acte désavantageux. L’obligation du coupable, en droit romain, n’est donc pas une obligation à réparer. La victime réclame non pas l’indemnité égale au préjudice, mais une peine. La loi des douze tables connaît encore le Talion : « Si le coupable l’a blessé, et n’a pas fait compromis avec elle, que la victime exerce le Talion »/ La loi permet ainsi à la victime d’un vol nocturne de tuer le voleur. En droit classique, le voleur manifeste sera puni d’une amende du quadruple de la chose volée. Le voleur simple, lui, devra s’acquitter d’une amende du double de la chose volée. L’amende est due à la victime et le paiement est l’objet propre de l’action du délit, appelée action principale. Les contrats : On désigne par là les opérations de transfert de bien et/ ou de services. Gaius distingue 4 contrats : 1) celui qui naît des paroles : la sponsio devenue stipulatio. L’obligation prend sa source dans les paroles solennelles échangées entre les parties. 2)contrat par les lettres : une inscription suivant certaines formes dans les livres du père de famille. 3)Les contrats re : par la remise d’une chose : prêt d’une somme d’argent, d’une chose comme le blé, l’huile, le vin ou le prêt d’un corps certain ( dépôt, mandat, gage). Le préteur accorde l’action parqu’en fait une chose a été remise par son propriétaire ; à titre provisoire, à l’emprunteur, au créancier-gagiste, au dépositaire. Elle doit donc être restituée. 4)Par le consentement : la vente/ le louage/ la société ( mise ne commun de biens ou d’individus pour partager les bénéfices et les pertes selon l’article 1832 du Code civil)/ le mandat. Aucune formalité n’est requise.Le droit romain voit dans le contrat une opération de transfert de biens ou de services, une affaire où d’autres facteurs intervenant que la volonté des parties. En revanche, dans le droit moderne, le contrat n’est qu’une convention légalement formulée qui tien lieu de loi à ceux qui les ont faites d’après l’article 1134 du Code civil. Il faut donc que la personne ne soit pas incapable de contracter et que la convention ne soit contraire ni aux bonnes mœurs ni à l’ordre public. Après tout, il n’est pas sûr que la cité soit obligée de prêter son concours à toutes les conventions que passent entre eux les simples particuliers. Elles peut réserver sa justice pur celles qui paraissent bonnes et économiquement utiles. L’imposition dans notre société de contrats tout faits pour protéger les particuliers paraît donc un curieux retour au droit romain. La doctrine moderne du consensualisme en droit des contrat (Code Civil : art.1101 tout contrat est une convention basée sur le consentement/ 1109 et s : Pour qu’il soit valable, il faut que le consentement soit valable/ 1110-1117 : Si le consentement est vicié par erreur, violence ou dol, le contrat est annulable). Un semblable exposé manque en droit romain. Les Romains ne définissent pas le contrat par le consentement des parties. Dans l’ancien droit, les obligations naissent automatiquement parce que les paroles solennelles ont été échangées, parce qu’une somme d’argent a été remise. Peu importe que le débiteur ne se soit engagé que par erreur ou sous l’emprise de la contrainte. Il a rempli des formes qui le rendent débiteur. Ces formes entraînent automatiquement et surtout pour le créancier le droit à une action. Ainsi, vers l’époque de Cicéron, nous voyons le préteur protéger les débiteurs victimes de violence ou de tromperie. Ex : le créancier a obtenu l’engagement du débiteur par une violence ou une machination caractérisées. Il y a délit. Le préteur donne à la victime une action principale, appelée metus, grâce à laquelle celle-ci peut obtenir une peine égale au quadruple du dommage causé. L’action de dol, quant à elle, aboutit à une restitution du dommage causé ainsi qu’à une déclaration d’infamie du délinquant. Ex : soit une fraude moins caractérisée qui ne donne pas naissance à l’action principale. Le créancier vient réclamer devant le juge la prestation dont il a obtenu promesse par le contrat. Le préteur donne au débiteur une exception, exceptio metus ou doli, par laquelle est rejetée la prétention du demandeur. Ex : pour corriger les erreurs du vieux droit, il peut utiliser la restitution en entier. Il peut casser, après examen, l’acte juridique ou le contrat entâché de vices. Il ordonne alors d’en annuler tous les effets et de faire restituer au débiteur ce qu’il aurait déjà versé en vertu de son engagement. Cette restitution est promise dans l’édit. De plus, pour les contrats récents inventés à l’époque classique comme la vente, le louage, la société, le préteur n’a promis d’action au créancier que sur la base de la bonne foi. Soit un vendeur qui mystifie un acheteur en lui mentant sur la qualité de la chose. La bonne foi ne veut pas qu’on oblige l’acheteur à exécuter le contrat. Le juge se fonde sur la clause de la formule qui l’invite à juger selon la bonne foi « ex fide bona » et donnera tort au vendeur, sans qu’une intervention spéciale du préteur soit nécessaire. Quelques conclusions à propos du droit romain : L’arbre comporte bien quelques branches mortes : l’esclavage/ la stipulation (contrat unilatéral de droit strict formée par une question et une réponse)/ la mancipation/ la tutelle des femmes. Du droit romain, on a cependant hérité la distinction des personnes, le système des droits réels, celui du droit des obligations. Les nouveaux problèmes qui se posent de nos jours ne trouvent pas d’équivalents en droit romain : les conflits salariés/ capital, actionnaires/ dirigeants, promoteurs/ protecteurs de grands ensembles, producteurs/ consommateurs. Les Romains ont inventé l’art du droit, comme recherche qui vise à rendre à chacun le sien, qui n’set pas une science, càd un système de règles bâti à partir de l’individu, ses droits subjectifs, ses libertés dont il jouit par hypothèse dans l’état de nature. Le droit romain, dit Michel Villey, est à redécouvrir. Les soidisant notions romaines de propriété, de contrat, d’obligation, de droit sont plus propres à l’époque contemporaines que véritablement romaines. Pour les Romains (Suum cuique tribuere) le rôle du droit est d’attribuer à chacun le sien. La bonne proportion dans le partage des biens entre membres d’un groupe en constitue le but. Le droit est une affaire d’attribution ou de distinction : de biens, de dettes, d’honneurs, de fonctions publiques, de compétences, de sphères d’activités disputée devant le tribunal. Pratique et théorie judiciaires : la philosophie juridique de Cicéron : L’analyse de la romanité de Cicéron nous a permis de poser d’une part le référentiel au sin duquel se déroule son activité d’avocat et, d’autre part de dégager les branches toujours vives du droit romain. Comment Cicéron concilie-t-il la pratique et la théorie ? Comment vit-il l’alliance du droit et de la philosophie au sein de la rhétorique et comment en rend-t-il compte ? Les plaidoiries : plaidoyer pour Murena : Il s’agit d’un procès pour corruption électorale. Restituons le contexte : soutenu par Jules César qui veut briser l’opposition du Sénat, Catilina se présente aux élections consulaires. Il est opposé à Décimius Julius Silanus, à Servius Sulpicius Rufus et Publius Licinius Murena. Qui est Murena ? Un vaillant soldat de la guerre contre Mithridate et un magistrat qui fut successivement questeur, préteur, propréteur en Gaule cisalpine. Murena et Silanus remportent les élections. Catilina, lui,part préparer une révolte en Etrurie. Servius Sulpicius Rufus, « le premier juriste de tous les temps » aux dires de Cicéron, poursuit Murena. Il reçoit le soutien de Caton d’Utique, à propos duquel Cicéron écrira dans sa correspondance qu’ « avec la plus grande honnêteté, il fait parfois du tort au pays ». Que peut-on dire de Murena ? Il a respecté scrupuleusement les usages d’une campagne électorale à Rome : on l’a vu serrer des mains au forum, offrir des banquets, organiser des fêtes, distribuer de l’argent et des places de théâtre. A Rome, en période d’élections, il était courant de voir des sociétés se former pour donner leurs voix aux candidats les plus offrants. En -358, une loi avait supprimé les tournées électorales. Les coupables encoururent d’abord une peine d’inéligibilité de 10 ans puis l’exclusion du Sénat et l’inéligibilité perpétuelle. Lorsqu’il fut consul, Cicéron renforça ce dispositif législatif de lutte contre la corruption par la loi Tullia qui interdit de payer des gens pour grossir les cortèges des candidats ainsi que d’offrir des banquets et des fêtes sous peine d’être exilé 10 ans. Cicéron prend pourtant la défense de Murena et soutient la thèse que les principes doivent, dans certaines circonstances, plier devant la raison d’Etat. Catilina menace l’ordre et les fortunes. On ne saurait, dit Cicéron, se permettre , au nom de l’honnêteté, d’arracher à la République un de ses soutiens. Quid de l’argumentation de Cicéron ? Dans l’exorde, Cicéron ressent le besoin de justifier son intervention. D’après Caton, en effet, un consul comme Cicéron, auteur d’une loi contre la corruption électorale ne doit pas intervenir dans le procès de Murena. Cicéron répond au moyen d’une analogie : « Si des les revendications touchant la propriété, la garantie contre les risques d’une procès est fournie par celui qui l’a proclamé consul soit là de préférence comme sûr garant de la faveur accordée par le peuple et son défenseur dans le péril qu’il court. » Il y a donc obligation de consul sortant à consul désigné, de la même façon qu’il existe une obligation entre le vendeur et l’acheteur et c’est à un consul de défendre un consul. Il n’y a donc pas contradiction. Suit l’analyse de la loi Tullia. Celui qui a fait la loi Tullia peut-il intervenir dans un procès pour corruption ? Il y aurait donc un conflit entre la loi Tullia, que Cicéron-consul a mise en œuvre et la loi qui oblige Cicéron-avocat à défendre un citoyen en péril. Les devoirs de l’amitié, dit Cicéron, l’emportent sur la loi. De plus, Cicéron entend établir que Murena n’a pas enfreint la loi. Caton reproche ensuite à Cicéron son inconséquence quand, d’une part, il chasse Catilina et, d’autre part, il défend Murena. Pour répondre, Cicéron distingue son naturel, (càd sa nature et ses habitudes qui le portent à la pitié et à l’humanité et donc à la défens) de l’intérêt publique, quand celui-ci réclame de la vigueur et de la sévérité, Cicéron prétend savoir faire preuve d’une vigueur contrainte. Nouvelle objection : en défendant Murena, Cicéron manque aux devoirs de l’amitié envers Rufus. Ce à quoi Cicéron répond en redéfinissant les devoirs de l’amitié : il était de son devoir de faire campagne en faveur de Rufus, ce qu’il a fait. Une fois les élections passées, les devoirs de l’amitié l’oblige à défendre Murena. Cicéron : « Mon opinion, ma conviction, c’est que je t’ai dû contre le succès de Murena tout l’appui que tu as pensé pouvoir me réclamer ; contre son acquittement, je ne te dois rien. » « Murena et moi, messieurs les jurés, nous sommes liés par une profonde et vieille amité et lorsqu’il s’agit d’un procès capital, Rufus ne parviendra pas à al détruire, sous prétexte que c’est lui qui l’a emporté sur cette amitiés dans la compétition électorale. » Refuser la défense à un ami est criminel dit Cicéron. La refuser à un malheureux est cruel. La refuser à un consul est arrogant.Cicéron passe ensuite en revue les trois chefs d’accusation portés contre Murena : la vie privée de Murena est répréhensible les titres de Murena au consulat sont moindres que ceux de Rufus Murena a enfreint la loi Premier chef d’accusation : On reproche à Murena d’avoir vécu en Asie. Faux, répond Cicéron. Il est allé en Asie pour des campagnes militaires au cours desquelles il s’est distingué. En Asie, Murena, a servi dans la seule guerre que Rome y ait menée, a respecté les ordres de son père et fait montre de piété filiale et a remporté la victoire et le triomphe personnel, ce qui prouve qu’il est favorisé par la fortune. la gloire a donc envahi le séjour de Murena Objection : Murena a dansé en Asie. Réponse de Cicéron : cela est impossible à circonstancier : la danse n’est que l’ombre de la débauche, que Caton mobilise à défaut de pouvoir établir la réalité de la débauche. Deuxième chef d’accusation : les titres de Murena au consulat sont moindres que ceux de Rufus .Rufus entend se prévaloir de sa naissance, de sa vie irréprochable et de son activité. Cicéron fait valoir que les titres de Muréna sont égaux. Il n’est pas patricien ? Cicéron caricature la position et soutient qu’à trop pousser la distinction des patriciens et des plébéiens, on ferait tout aussi bien de ramener la plèbe sur l’Aventin. De plus, il existe des familles considérables et hnorables dasn la plèbe et, également, que plusieurs aïeux de Murena ont été préteurs. Rufus argumente ensuite qu’il a été élu questeur avant Murena. Pour Cicéron, l’antériorité chronologique ne remet pas en question l’égale dignité de Murena et de Rufus. L’ordre de proclamation ne correspond pas forcément à celui du mérite. Suit l’examen de leurs activités respectives après la questure. Rufus a fait son service militaire à Rome, puis a mené une carrière juridique en proposant des consultations. Il a apppris le droit civil et s’est consacré aux services de ses clients. Il a donc vécu au gré des autres. Quid de Murena ? Il fut membre de l’Etat-major de Lucullus, a commandé une armée, a remporté des succès militaires et Lucullus atteste personnellement des grandes qualités de Murena. Cicéron soutient ensuite que la gloire militaire donne plus de titre au consulat que l’exercice du droit : « Vous veillez en pleine nuit, toi pour des consultations de tes clients, lui pour arriver au but qu’il veut atteindre. Ce qui te réveilles, c’est le chant des coqs, lui, le son des trompettes. Tu arranges une action en justice, lui range son armée en bataille ; tu as soin de mettre tes cliens à l’abri d’une surprise, même préoccupation chez lui pour les villes et les camps. Vous possédez les moyens par lesquels on écarte, lui les troupes ennemies, toi les eaux de pluie. Vous êtes maîtres dans l’art, lui d’étendre les territoires, et toi, de le s borner. » La valeur militaire l’emporte donc sur toutes les autres parce qu’elle a fait la gloire de Rome, parce qu’elle donne la gloire éternelles, parce qu’elle a fait l’Empire et parce qu’elle protège toutes les autres professions et occupations. L’apprentissage du droit civil n’est pas la bonne route qui mène au consulat car elle n’attire de plus ni sympathie ni reconnaissance. Or, u consul doit savoir entraîner le peuple et le Sénat ; il faut du charisme et la chose militaire en donne. Bien au contraire, soutient Cicéron la science du droit civil est une science mesquine, dont la réputation passée ne reposait que sur les mystères aujourd’hui révélés. Une science faite d’imagination et de fantaisie qui ne saurait mener au consulat. « Personne ne peut être considéré dans une science qui n’a de valeur nulle part, pas plus en dehors de Rome, qu’à Rome, au moment des vacances judiciaires ; personne ne peut être regardé comme un expert, dans une matière que tout le monde connaît et où il ne peut y avoir par suite sujet de contestation…Si vous m’échauffez la bile, avec toutes mes occupations, je vous déclarerai qu’il me faut trois jours pour être jurisconsulte. » Cicéron va plus loin : la carrière de jurisconsulte ne regroupe en son sein que des avocats ratés. Si on demande le salut à son avocat, dit Cicéron, au jurisconsulte on ne demande que des remèdes salutaires. De plus, décisions et conseils du jurisconsulte sont menacés par l’orateur et ont de toute façon besoin d’être soutenus pour l’orateur. Et Cicéron de conclure : deux carrières peuvent mettre les hommes au plus haut des rangs : celle d’un grand orateur et celle d’un grand avocat.Cicéron répond ensuite à Caton qui soutient que la guerre contre Mithridate fut une « guerre de femmelettes . » Cicéron répond en instrumentalisant une confusion pour soutenir que les guerres contre les Grecs ne sont pas dignes de mépris. Ici, Cicéron fait passer Mithridate pour un Grec pour répondre à Caton. De toute façon, le mépris pour l’ennemi asiatique n’est pas acceptable. Après tout, Caton l’Ancien a fait la guerre contre Antiochus, roi de Carthage (on remarquera la géographie hésitante et large de Cicéron). De toute façon, Mithridate fut un ennemi redoutable, trois choses le prouvent : le Sénat l’a longtemps préparée elle a duré longtemps le Général Lucius Lucullus en a tiré beaucoup de gloire le peuple a confié à Cneus Pompée et le soin de la terminer. Quant à l’objection chronologique selon laquelle Rufus fut préteur avant Murena, Cicéron fait valoir que c’est le propre des suffrages populaires que d’être changeants comme la mer. Ce n’est pas, après tout, la première fois dans l’histoire de Rome, que le peuple change d’avis. Pourquoi, cpdt, Murena a-t-il donc échoué à la préture ? Deux choses lui ont fait défaut pendant la campagne, d’après Cicéron : la possibilité de faire donner des jeux et l’absence d’amis pour être témoins de ses libéralités et de son courage. De plus, le bilan de la préture de Murena est meilleur que celui de la préture de Rufus. Il a exercé la juridication civile ; il s’agit d’un emploi important qui procure gloire, esprit d’équité, reconnaissance. Il a admiré une province et l’a bien fait. Rufus, lui, devait poursuivre les concussionnaires : fonction lugubre et affreuse. Rufus a de plus refusé d’aller en province. Bilan : 1) Murena et Rufus ont des titres égaux au consulat Murena a eu plus de fortunes dans l’exercice de ses charges. En quoi Rufus est-il donc inférieur à Murena ? Premier défaut : Rufus ne sait pas mener une candidature car il effraie ses adversaires et perd la confiance des électeurs en s’acharnant à poursuivre ses adversaires comme Murena. Deuxième défaut : Rufus se disperse. En poursuivant inlassablement, et en concentrant son attention sur l’accusation, il néglige sa campagne. Il est impossible de préparer et de faire marcher de front une accusation et une campagne électorale. Au cours de cette accusation, Rufus a trop demandé. Il a demandé, dit Cicéron qui feint d’avoir légiféré pour Rufus, une loi sur la corruption électorale : la loi Tullia, complétée par la loi Calpurnia. Il a demandé également une peine plus grave contre les plébéiens, l’exil des sénateurs, la totalisation des suffrages, le vote de la loi manilia, l’égalité du crédit, du rang et du suffrage dans l’élection du candidat. toutes ces mesures qui lui frayaient la voie pour accuser fermaient à Rufus la porte de l’élection. Cicéron dresse un bilan implacable de cette action de Rufus : « Tu as fait naître chez le peuple la crainte que Catilina ne devînt consul pendant que tu négligeais ta campagne au profit de ton accusation. » Ce faisant, Rufus a fait le jeu de Catilina qui dédaigne Murena, compte Rufus comme un accusateur plus disposé à lui intenter un procès qu’à lui disputer sérieusement le consulat. Conséquence : tous ceux qui craignaient Catilina votèrent Murena. Murena, en revanche, a pour lui : -un père et des ancêtres très considérés - une jeunesse tout à fait correcte -sa carrière d’aide de camps -sa justice comme préteur - les jeux qu’il a fait donner -son gouvernement provincial -le sérieux de sa campagne : il ne menace personne et ne cède pas aux menaces - il a trouvé une aide dans la peu suscitée par Catilina Troisième chef d’accusation : Murena s’est rendu coupable de corruption électorale Cicéron voit en Caton la clé de l’accusation dont il craint « beaucoup plus le prestige que les attaques »Or, dit Cicéron, il n’est pas légitime qu’un accusateur puisse user de son crédit dans un procès. Et l’on aura beau objecter que Caton n’est pas homme à accuser sans s’être fait une opinion. Cette objection, dit Cicéron, procède de l’argument d’autorité. On ne saurait estimer légitimement que le jugement de l’accusateur sur l’accusé puisse avoir valeur de jugement préalable. Il conviendrait donc, dit Cicéron, non pas de corriger la nature de Caton mais de l’adoucir. La nature de Caton correspond d’après Cicéron correspond à la doctrine la stoïcienne de la façon la plus rigoureuse : pas de modération, pas de douceur. La nature de Caton est toute d’honorabilité, de sérieux, de tempérance, de grandeur d’âme et de justice. C’est une critique de l’idéal stoïcien que propose ensuite Cicéron : « Les qualités divines, hors pair, messieurs les jurés, que nous constatons chez Marcus Caton, lui sont, sachez-le, personnelles, l’absence de celles que nous aimerions quelquefois à trouver chez lui vient toujours non de sa nature, mais de son maître. Suit un petit portrait cicéronien et donc critique du sage stoïcien : le sage ne se laisse jamais émouvoir par la faveur le sage ne pardonne jamais une faute il n’y a de miséricordieux que l’homme sot ou inconstant c’est manquer de virilité que de se laisser fléchir ou apaiser les sages, fussent-ils complètement difformes, sont beaux les derniers des mendiants , riches en esclavage, rois ceux qui ne sont pas des sages sont des esclaves fugitifs, des exilés, des ennemis, des insensés toutes les fautes sont égales tout délit est un crime abominable ce n’est moins coupable d’étrangler sans nécessité un coq que son père le sage ne hasarde pas d’opinion, ne regrette rien, ne se trompe en rien, ne change jamais d’avis. Contre les stoïciens, Cicéron se réfère à des philosophes prônant la douceur et la modération : Platon et Aristote Petit portrait cicéronien du philosophe idéal dont Caton devrait s’inspirer : la faveur joue un rôle dans le monde un homme de bien a pitié il existe des genres de fautes et des peines différentes la fermeté n’exclut pas le pardon le sage lui-même se fait souvent une opinion sur ce qu’il ne sait pas le sage s’irrite parfois il se laisse fléchir et apaiser il revient parfois sur ses déclarations s’il trouve mieux, il abandonne au besoin sa décision toutes les vertus se règlent sur un juste milieu. Si Caton, avec son naturel, avait eu d’autres maîtres, dit Cicéron, il aurait été enclin à la douceur. Là où les stoïciens disent ne pardonne rien, il faut dire Non, pardonne quelquefois, pas toujours. Là où ils disent ne fais rien par faveur, il faut dire non, résiste à la faveur lorsque devoir et loyauté l’exigeront. Là où ils disent ne te laissent pas émouvoir par la pitié, il faut dire oui, elle aboutit au relâchement de la discipline mais pourtant il y a quelque mérite à être humain. Là où ils disent persiste dans ta décision, il faut dire, certainement, à moins que sur cette décision, une autre, meilleure, ne l’emporte. Une question demeure : Murena a-t-il enfreint la loi ? Cicéron n’entend pas défendre les manœuvres électorales. D’après la loi Tullia : « Si des électeurs ont été payés pour aller au-devant des candidats, si on les a enrôlés poru leur faire escorte, si des places ont été données à des tribus pour les combats de gladiateurs et de même si des festins ont été donnés à la masse, ceci constitue des infractions à la loi Calpurnia. » Or, dit Cicéron, on n’a pas prouvé que l’acte a été commis. Certes, il y a eu une escorte, des billets de spectacle, des banquets, mais après tout, beaucoup de gens,à son retour de province, se sont rendus à sa rencontre. C’est l’usage pour un candidat au consulat. A charge, pour l’accusation, de prouver que ces gens ont bel et bien été payés. L’accusation affirme que des billets de spectacle ont été répartis par tribus et on a fait des invitations en masse à un festin. Réponse de Cicéron : c’est une coutume historique. -Ce n’est pas un crime, d’après le Sénat, d’aller au-devant des personnes ;ç’en est un si l’on est payé pour le faire -Ce n’est pas un crime, d’après le Séant, de faire escorte ; ç’en est un si l’on a été enrôlé. -Ce n’est pas un crime de donner des festins et des billets de spectacle ; ç’en est un de le faire à tous sans exception. Caton reproche à Murena de demander le pouvoir suprême en excitant la sensualité des hommes. Réponse de Cicéron : ce sont là des coutumes, des institutions héritées des Anciens. « La haine du peuple romain va au luxe des particuliers, il estime la magnificence dans l’Etat ; il n’aime pas les festins somptueux : bien moins dans la ladrerie et l’incorrection ; il veut qu’on tienne compte des devoirs à remplir et des circonstances, qu’on fasse alterner le travail et le plaisir. » Autrement dit, les Romains ne sont pas des Spartiates. Il existe des usages, condamnables du oint de vue des pures et simples principes philosophiques, mais justes du pint de vue des principes de la vie politique. Après tout, Caton se soumet lui aussi aux usages notamment lorsqu’il emploie un nomenclatureur. Il ne faut donc pas enlever aux citoyens les jeux, les combats, les banquets. Il ne faut pas non plus enlever aux candidats les marques de bienveillance établies par l’usage : c’est une preuve de générosité et non pas de largesse répréhensible. Enfin, Cicéron rappelle l’utilité de Murena : n’oublions pas que l’ennemi est dans l’Urbs. En l’espèce Caton se trompe lorsqu’il prétend soutenir Rufus pour le bien de l’intérêt public. Les partisans de Catilina souhaitent bel et bien que Murena, un consul sans reproche, bon général, lié par son caractère et sa situation au salut de la République , soit exclu de la défense de Rome. Or, malheureusement, le mandat de Cicéron a pris fin. Les partisans de Catilina souhaitent n’avoir à Rome qu’un seul consul qui ne pourra pas exercer sa charge avant l’élection d’un nouveau consul et donc un gouvernement sans appui. Au contraire, conserver Murena, c’est disposer d’une aide, d’un défenseur, d’un allié du gouvernement, d’un consul désintéressé, d’un consul exigé par les circonstances, doté d’une heureuse fortune, sachant faire la guerre, doté d’une valeur intellectuelle, doté d’expérience. le jugement que rendront les jurés concernera Murena et Rome elle-même. Péroraison Cicéron demande aux jurés de veiller à l’ordre, à la paix, au salut et à la vie des personnes et des citoyens. Cicéron recommande donc Murena comme un consul occupé de l’ordre, partisan des gens de bien, énergique contre la sédition, intrépide à la guerre, hostile à la conjuration qui ébranle le régime. 2)Plaidoyer pour Archias Contexte : Rome, lutte depuis longtemps contre l’invasion d’étrangers qui se réclament indûment du titre de citoyen romain. La loi Pappia condamne à l’exile ceux qui usent illégalement du droit de société. Qui est Archias ? Il est natif de Syrie. Un grand poète qui voyage en Asie mineure, en Grèce ; il accompagne un Lucullus en Sicile et obtient le titre de citoyens de la ville d’Héraclée qui avait le privilège du droit de cité romaine. Archias peut ainsi prendre un nom romain et jouir du privilège d’être citoyen romain : Aulus Licinius (du nom de son protecteur) Archias. Le problème, c’est que Gratius, au nom de la loi Pappia, intente un procès pour l’expulser. Depuis 89 la loi Plautia Papiria reconnaît le titre de citoyen romain une fois remplies diverses formalités, aux citoyens de certaines villes d’Italie, appelées, « fédérées ». Archias doit donc prouver qu’il a été naturalisé dans l’une de ces villes. Il ne peut pas invoquer le droit de cité, purement honorifique, que plusieurs villes lui avaient accordé avant sa majorité. Il peu t se réclamer de sa qualité de citoyen d’Héraclée Malheureusement , les registres d’Héraclée ont été perdus dans un incendie Lucius Lucullus lui avait fait obtenir ce droit de cité…mais est décédé. Marcus Lucullus, fils du premier, pourrait témoigner mais son témoignage, en faveur d’un protégé de sa famille, n’es pas recevable. Une délégation d’Héraclée vient témoigner. Le problème, c’est qu’il est difficile de déterminer la véritable valeur à donner à ce témoignage portant sur des faits vieux de plus de trente ans. Conformément à la loi , Archias a fait sa déclaration au préteur de l’époque, Qunitus Metellus. Malheureusement, celui-ci est décédé. Il y avait certes des registres sur lesquels les censeurs établissaient la liste des citoyens…le nom d’Archias n’y apparaît cepdant pas. Dans l’exorde , et intentionnellement, Cicéron donne à Archias son nom romain. Il a pour but de prouver qu’il ne faut pas retrancher Aulus Licinius du nombre des citoyens et, également, que s’il ne l’était pas, il faudrait l’inscrire. Sur la question de fait ; Cicéron montre que grâce à son talent, Archias se vit accorder le droit de cité par les villes de Tarente, Regium, Naples. Il vient à Rome en -102 et est accueilli, encore mineur, par les Lucullus. Il développe un réseau de relations avec des gens honorables : les Catulus, Lucius Crassus, les Lucullus, Caton, les Hortensius. De plus, Archias obtient le droit de cité à Héraclée. Il accompagne Lucius Lucullus en Sicile. Héraclée jouit d’une complète égalité de droit et d’alliance avec Rome. Il souhaite appartenir aux citoyens d’Héraclée et obtient cela des habitants grâce au prestige et à l’influence de Lucullus. Enfin, Archias obtient le droit de cité à Rome. En -89, la loi Plautia Papiria donne le droit de cité « à tous ceux qui se trouvaient inscrits dans les cités fédérées, pourvu qu’au moment où la loi était portée, ils eussent leur domicile en Italie et que dans les soixante jours ils eussent fait une déclaration devant le préteur. » Or, Archias est domicilié à Rome depuis plusieurs années et fait sa déclaration dans les temps au préteur Quintus Metellus. » Critique de arguments adverses : Gratius fait valoir qu’Archias n’est pas citoyen inscrit à Héraclée. Cicéron répond en deux temps : Marcus Lucullus sait et à assisté à l’inscription La délégation d’Héraclée et les personnes les plus en vue de la cité déclarent qu’Archias a été inscrit à Héraclée. Gratius exige les registres de la ville. Cicéron explique que d’une part, les registres en question ont brûlé et que, d’autre part, la démarche est ridicule : Gratius renonce à réfuter les preuves qu’a fourni la défense pour en demander d’autres. Après tout, dit Cicéron, la charge de la preuve n’incombe pas à la défense. Gratius se montre incohérent car il passe sous silence les relations orales des témoins et réclame des écrits. Il rejette un citoyen considérable, le serment et la bonne foi d’un municipe et des preuve inaltérables pour réclamer des registres qui, il le reconnaît luimême, sont couramment falsifiés. Quand Gratius fait valoir qu’Archias n’avait pas son domicile à Rome, la mauvaise foi est manifeste car il a établir à Rome le siège de toutes ses affaires avant qu’on lui donne la citoyenneté. Gratius soutient ensuite qu’Archias n’a pas fait sa déclaration. Si, il l’a faite sur les seuls registres du préteur qui conservent une autorité officielle. Quintus Metellus était consciencieux au point d’avoir confirmé au Préteur Lentulus et aux juges qu’il avait inscrit le nom d’Archias. Ce ne fut pas un préteur négligent. Or, sur ce registre, le nom d’Aulus Licinius (Archias) n’est pas raturé. On ne saurait donc douter des droits d’Archias. Gratius réclame ensuite les registres du cens. Or, le cens n’assure pas le droit de cité : il prouve que le recensé s’est déjà comporté en citoyen. Archias a souvent fait son testament selon nos lois et hérité de citoyens romains et a vu son nom inscrit sur des listes fiscales. Les mérites d’Archias Cicéron s’engage ensuite dans un véritable plaidoyer pour les lettres et la carrière littéraire. Les lettres l’ont souvent délassé. « On doit me le concéder, d’autant plus que ces études littéraires fortifient mon talent d’orateur qui, aussi petit soit-il, n’a jamais fiat défaut à mes amis en danger. » La littérature, par les exemples qu’elle fournit, nous invite à rechercher la gloire et l’honneur. Les études littéraires contribuent particulièrement à la formation des élites. Elles ont formé le génie des plus grands personnages de Rome comme le second Scipion l’Africain, modèle de modération et de sagesse, et Caton, le plus énergique et le plus savant. De plus, les lettres sont précieuses en toutes circonstances d’après Cicéron. -Elles servent d’aliment à l’adolescence - elles distraient la vieillesse -elles parent le bonheur -elles fournissent un refuge et une consolation au malheur -elles charment à la maison -elles ne gênent pas au-dehors - elles veillent avec nous la nuit -elles nous suivent dans nos voyages à la campagne. -elles sont chères à ceux qui n’écrivent pas personnellement En ce sens, l’habileté d’Archias est digne d’admiration. Le caractère des poètes est comme sacré. Or, Archias, poète de talent, a contribué à la gloire de Rome par ses œuvres. Sa volonté et les lois de Rome l’ont fait romain et il a mis toute son application, tout son talent, tout son génie à célébrer la gloire et les louanges du peuple romain. Pourquoi le refuser ?Ayant, comme Ennius, illustré les grandes actions des généraux romains, il mérite le même traitement que lui. Parce qu’il a écrit en grec, il a de plus répandu la gloire de Rome dans le monde entier. De plus, Alexandre et Pompée le Grand ont reconnu l’utilité des poètes. Pompée le grand a accordé le droit de cité devant ses soldats assemblés à Théophane de Mytilène, qui avait écrit ses actions d’éclat dans Histoire des Romains sous le commandement de Pompée. Ainsi, Sylla ou Métellus auraient pu donner comme récompense le droit de cité à Archias, si celui-ci ne l’avaient pas déjà possédé. « nous sommes tous entraînés par l’amour de la louange et (…) ce sont les meilleurs surtout qui se laissent conduire par la gloire. Les philosophes eux-mêmes inscrivent leur nom jusque dans les livres qu’ils écrivent sur le mépris de la gloire ; dans le livre même où ils expriment leur mépris pour la réclame et la notoriété, ils veulent qu’on parle d’eux et qu’on cite leur nom. Aussi, dans une ville où les généraux pour ainsi dire revêtus de leurs armes ont honoré le nom des poètes et les temples des Muses, il ne faut pas que des juges en toge montrent de l’aversion pour le culte des Muses et le salut des poètes. » Cicéron reconnaît éprouver lui-même un amour pour la gloire, amour trop vif peut-être, mais pourtant honorable. Archias projette d’ailleurs d’écrire et de commenter les actes accomplis par Cicéron pendant son consulat. En effet, l’âme s’attache à la postérité : « Mais en réalité, il y a dans tous les cœurs une certaine énergie qui nuit et jour excite l’âme par l’aiguillon de la gloire et l’avertit qu’il ne faut pas laisser se perdre le souvenir de notre nom avec les moments de notre vie,mais qu’il faut le faire durer aussi longtemps que la postérité. » Il faut donc travailler comme pour l’immortalité. Dans la péroraison, Cicéron insiste sur les mérites d’Archias qui répondent à la justesse de sa cause. Archias est un homme que Rome doit préserver parmi ses citoyens du fait de sa délicatesse, de son prestige, de l’ancienneté de ses amies et de son génie. C’est aussi un homme dont la cause présente de nombreuses garanties : le bénéfice d’une loi l’autorité d’un municipe le témoignage de Lucullus les registres de Métellus Enfin, la république ne saurait se priver d’un homme qui projette de célébrer l’échec de Catilina ( donc, par conséquent la réussite de Cicéron…). Elle ne saurait davantage se priver d’un homme qui appartient à la classe sacrée des poètes. Plaidoyer pour Milon : Le 20 janvier -52 aux alentours de 15 heures une bagarre éclate entre les esclaves de deux cortèges qui se croisent sur la voie appienne. L’un des maître est tué. Le cadavre de Clodius est exposé le lendemain matin dans l’atrium. Les manifestants déposent ensuite le corps à la tribune aux harangues puis sur le forum où ils improvisent un bûcher funèbre. Le feu se communique aux bâtiments voisins et les manifestants attaquent la maison de Milon, le meurtrier de Clodius. Depuis -60 Rome vit sous le premier triumvirat. Deux bandes s’affrontent régulièrement ; celle de Clodius, un révolutionnaire qui projette la répartition des biens et souhaite des mesures favorables aux esclaves et à la plèbe. L’autre bande est dirigée par Milon, qui bénéficie du soutien du Sénat. César est en Gaule et Pompée a laissé l’anarchie se développer. Pompée obtient d’être nommé seul consul et fait décider par le Sénat des lois exceptionnelles avec un tribunal spécial composé de jurés par lui-même désignés. Milon sera jugé coupable par 38 voix contre 13 et devra s’exiler à Marseille. Cicéron a une dette envers Milon qui l’avait rappelé d’exil. Son argumentation articule trois dimensions : pour réaliser ses projets politiques, Clodius devait se débarrasser de Milon, assuré d’être élu consul ; c’est donc lui l’agresseur l’agresseur a été tué en état de légitime défense ; Milon mérite donc l’acquittement. Milon a sauvé le pays en le délivrant d’un révolutionnaire odieux : il a droit aux plus hautes récompenses. Dans sa traduction du Pour Milon, Georges Chapon présente une étude comparative des deux versions des faits qui se sont déroulés sur la voie appienne. Tout d’abord le récit de Quintus Asconius Pedianus, commentateur du Pro Milone Clodius revenait naturellement du bourg d’Aricia ; il y a des témoins Clodius rencontre Milon vers 15 heures Clodius est escorté de gens armés comme c’était l’habitude sur la route En plus de ses esclaves, plusieurs gladiateurs accompagnaient Milon Des esclaves en queue du cortège de Milon se sont battus avec ceux de Clodius Clodius revient sur ses pas pour soutenir ses esclaves et est blessé. Milon, je jugeant « moins dangereux mort que vivant » le fait achever. Et voici la version de Cicéron : -Clodius s’est mis en route car il avait organisé un guet-apens - vers 5 heure à peu près - Si Clodius avait réellement eu l’intention de rentrer à Rome, il se serait mis en route plus tôt pour ne pas marcher de nuit. -Clodius avait posté sur une hauteur des individus armés pour attaquer Milon -Dans sa suite, Milon avait sa femme, des servantes, de jeunes esclaves -Les gens embusqués sur les hauteurs attaquent de face le conducteur du chariot de Milon - Les esclaves de Milon, croyant leur maître mort, tuent Clodius de leur propre initiative. Commençons par l’Exorde : Quelle est la position de la défense ? Clodius a dressé un guet-apens à Milon. Il s’agira d’implorer les jurés de nous laisser le droit, de défendre impunément notre vie contre l’imprudence et les armes de nos ennemis. Il s’agissait donc de légitime défense. Suit une série de réponses à des objections : Milon a avoué le meurtre Certes, mais l’aveu de meurtre n’implique pas la culpabilité. Après tout, dit Cicéron, Horace a tué sa sœur, a reconnu le meurtre et a été absout par l’assemblée du peuple. Cicéron se fend ici d’un peu de méthodologie judiciaire : comment se défendre dans un procès d’homicide ? Deux solutions. on nie formellement avoir commis l’homicide. On montre que le crime était juste et légitime. Cicéron s’attache à la légende de l’Orestie et mobilise aussi le droit : la loi des 12 tables permet de tuer dans tous les cas un voleur de nuit et, de jour, s’il est armé. Pour tuer un homme, un glaive nous est parfois tendu par les lois elle-même. il y a donc plusieurs cas où tuer est un droit. Il y en a d’autres où tuer est un droit et une nécessité : quand on repousse la violence par la violence. « Car un jeune homme vertueux aime mieux commettre un acte périlleux que de subir un outrage. » La mort, dit Cicéron, ne peut pas être injustement infligée à un assassin. Autre argument : la loi ne permettrait pas aux citoyens de s’armer si l’on ne leur permettait pas de se défendre. « Il y a donc , messieurs les jurés, une loi non écrite, mais innée, que nous n’avons pas apprise de nos maîtres, reçue de la tradition, étudiée dans nos livres, mais que nous avons empruntée à la nature elle-même, puisée en son sein, tirée de ses leçons ; nous n’en avons pas été instruits ; nous sommes faits pour elle ; elle n’est pas l’effet de l’éducation, nous en sommes imprégnés, c’est celle-ci : si nous risquons de périr dans quelque guet-apens, si notre vie est exposée à la violence, aux coups de brigands ou d’ennemis, tout moyen est honorable pour assurer son salut. » La loi n’interdit pas d’être armé, mais de l’être avec l’intention de tuer. C’est donc l’intention et non pas l’arme qui est en question. Le défenseur qui s’est servi d’une arme n’est pas considéré comme détenteur d’une arme en vue d’un assassinat. L’accusation fait alors valoir que le Sénat a jugé ce massacre contraire à l’ordre public. Là encore, Cicéron débusque une erreur de focalisation. Le Sénat a approuvé ce massacre par ses votes et ses manifestations. Cicéron a arraché l’approbation lors de séances et les sénateurs ont approuvé Milon. Le Sénat n’a jamais été d’avis de constituer un jury spécial. En revanche, le Sénat a bel et bien jugé contraire à l’ordre public l’incendie de la curie et l’attaque de la maison de Milon. Dans un Etat républicain, aucune violence ne s’est jamais produite entre citoyens sans être contraire à l’ordre public. Objection de l’accusation : Pompée a pris parti contre Milon avec sa loi concernant « le massacre qu’il y avait eu sur l avoie Appienne et dans lequel Clodius avait été tué. » Réponse de Cicéron : Pompée a prescrit une information ( quaestio) alors que Milon avait avoué. IL ne considère pas pour autant Milon comme coupable. De plus, en choisissant Lucius Domiticus pour présider le jury, il montre qu’il recherche la justice, la pondération, l’humanité, la loyauté. Bilan : -) le fait de l’aveu n’implique rien d’illicite -) le Sénat n’a pas encore pris de décision ni de position -) Pompée a souhaité un débat sur le droit -)le président choisi est sage et juste Une seule chose fait problème : qui fut le premier agresseur. Suit la narration Premier argument de Cicéron : la consulat de Milon ne pouvait que gêner Clodius Clodius craignait la concurrence de Milon au consulat. Il s’engage donc en faveur de ses opposants et répète à l’envi devant témoins qu’ « on ne pouvait enlever à Milon le consulat mais qu’on pouvait lui ôter la vie. » Il l’a dit au Sénat en réunion publique, il a dit de plus à Favonius que Milon serait mort sous 3 jours, et Favonius a rapporté cela à Caton. Deuxième argument : la conduite anormale de Clodius Clodius a appris que Milon serait à Lanuvium. Il quitte brusquement Rome pour organiser un guet-apens. Au contraire, le comportement de Milon plaide pour lui. Il est resté au Sénat jusqu’au bout de la séance. Il rentre chez lui se changer. Il attend un moment pendant que sa femme s’apprête, c’est l’habitude, ajoute Cicéron. Puis il rencontre Clodius en vêtements légers, à cheval, sans chariot, sans bagage, sans femme. Milon, lui, voyage en chariot, encapuchonné, avec une grosse escorte de servantes et de jeunes esclaves. Le guet-apens : Milon rencontre Clodius devant la propriété. Il est attaqué. Milon se défend. La légitime défense : L’assassin a eu le dessous ; la violence a été vaincue par la violence, ou plus exactement l’audace par le courage. « S’il n’a pas eu le droit de le faire, je n’ai aucun moyen de défense ; mais si la raison a dicté aux hommes cultivés la nécessité aux barbares, la coutume aux peuples, la nature même aux bêtes sauvages, le principe de toujours repousser de leurs corps, de leur tête, de leur vie par tous les moyens un acte de violence, vous ne pouvez pas juger cet acte inadmissible sans prononcer en même temps que ceux qui sont tombés sur les brigands sont dans l’alternative de périr sous leurs coups ou par votre verdict. » Le problème n’est donc pas de savoir sir Clodius a été tué mais s’il l’a été justement ou pas. Rappel : il y a un fait contraire à l’ordre public d’après le Sénat : un guet-apens a été tendu Pb : par qui l’a-t-il été ? Là-dessus, il y a enquête Bilan : *) le Sénat a flétri l’acte, pas l’homme *) Pompée a proposé une question de droit, et pas de fait. Confirmation Première partie Le pb est donc : qui a été l’agresseur ? Soit, c’est Milon, qui ne devra pas rester impuni. Soit, c’est Clodius et il faudra décharger Milon de l’accusation. Clodius avait intérêt à se débarrasser de Milon : Pour argumenter, Cicéron emploie le sophisme classique du complot : la mort de Milon était profitable à Clodius Clodius a monté un guet-apens contre Milon. Autre argument : la réciproque n’est pas vraie : Milon n’avait pas intérêt supprimer Clodius. Clodius ne faisait pas obstacle à Milon dans on espoir d’obtenir le consulat. Milon, dit Cicéron, n’avait pas de meilleur agent électoral involontaire que Clodius. Il se faisait une gloire de brider Clodius. En ce sens, politiquement, la mort de Clodius est une perte pour Milon dans sa course au consulat. Cicéron : « Vous avez gagné de ne plus craindre aucun citoyen ; lui, a perdu l’occasion d’exercer son courage, un appui pour le consulat, une source éternelle de gloire. C’est pourquoi le consulat de Milon, auquel on ne pouvait porter de coups du vidant de Clodius, a commencé à devenir plus hasardeux maintenant que l’autre est mort. Non seulement donc la mort de Clodius ne sert pas Milon, mais elle lui fait tort. » Clodius haïssait Milon alors que Milon ne haïssait pas Clodius. Clodius avait des raisons de haïr Milon car Milon s’est défendu, il a entravé sa fureur et il l’avait auparavant mis en accusation en vertu de la loi Plotia. Objection : Clodius n’était pas un homme violent. Réponse : Cicéron a dû quitter Rome pour éviter d’être tué par Clodius. Cicéron fait même passer, à tort, Clodius pour un partisan de Catilina qui lui aurait confié un poignard. En outre, Milon n’a jamais profité des circonstances qui lui auraient permis de tuer Clodius. Milon pouvait profiter du rappel de Cicéron pour tuer Clodius. Ce faisant, il aurait, après tout, disposé de l’aval du consul Centulus et de celui de Pompée CPDT « Milon s’abstint de tout cela et appela deux fois Clodius en jugement, sans jamais le provoquer à des actes de violence. » Comment donc comprendre que Milon renonce à exécuter Clodius lorsqu’il pouvait le faire en toute impunité et qu’il l’assassine lorsqu’il n’était plus protégé ? Autre argument : Clodius avait annoncé la mort de Milon pour le jour même du guet-apens. Caton et Favonius en témoignent : Clodius leur avait annoncé que Milon serait périrait dans les trois jours, soit le surlendemain de la rixe. De plus, Clodius savait que Milon quitterait Rome ce jour-là car, dictateur de Lanuvium, Milon devait assister à des sacrifices dans cette ville. Or, ce jour-là, le tribun de la plèbe avait provoqué une réunion publique et Clodius ne l’aurait pas quittée comme il l’a fait s’il ne s’était hâté d’aller commettre un forfait. Clodius, contrairement à Milon, n’avait donc aucune raison objective de se mettre en route. Autrement dit, Clodius savait que Milon serait en route, alors que Milon ne pouvait pas soupçonner que Clodius serait en route.Clodius a donc quitté sa propriété pour attaquer Milon. Objection : Clodius non plus n’a pas songé à un attentat puisqu’il devait rester dans sa villa d’Albe. Réponse : le courrier qui l’a conduit à sortir ne lui annonçait pas la mort de Cyrus mais l’approche de Milon. En effet, Cyrus a rédigé publiquement son testament pour Clodius devant Cicéron et Clodius avait quitté Rome en laissant Cyrus mourrant et en le sachant. Il n’y a donc pas de surprise.Clodius n’avait donc aucune raison de voyager car sa situation d’héritier ne le pressait pas de rentrer et, de toute, façon, il ne pouvait rien faire de nuit qu’il ne pût faire le matin. Résumé de l’argumentation : du point de vue des mobiles : il était indifférent à Milon que Clodius fût vivant la mort de Milon comblait les désirs de Clodius du point de vue des sentiments -Clodius hait Milon -Clodius est indifférent à Milon C) Du point de vue de la conduite - Clodius st un homme violent - Milon se contente de repousser les attaques -Clodius a menacé publiquement Milon -Milon n’a rien fait de tel du point de vue des faits -Clodius connaissait le jour du départ de Milon -Milon ne savait pas quand Clodius rentrerait à Rome -Milon devait faire ce voyage -Clodius a effectué un voyage contraire à ses intérêts avouables -Milon a fait savoir qu’il quitterait Rome ce jour-là -Clodius a dissimulté qu’il reviendrait ce jour -Milon n’a pas modifié son projet -Clodius a trouvé un prétexte pour changer ses plans. Hypothèses -Milon, pour dresser un guet-apens aurait dû attendre la nuit près de la ville -Clodius aurait dû redouter d’arriver à Rome de nuit. -l’emplacement du guet-apens était plus favorable à Clodius. Si Milon n’était pas équipé pour se battre, comment expliquer que Clodius ait eu le dessous ?Réponse de Cicéron : après tout, ce n’est pas toujours le brigand qui tue le voyageur : « Clodius était bien préparé contre des gens qui ne l’étaient pas, mais c’était une femme qui était tombée sur des hommes. » Objection : si Milon n’a rien à se reprocher, pourquoi s’est-il empressé d’affranchir ceux de ses esclaves qui avaient participé à la rixe ? Réponse : C’est un simple point de procédure : le témoignage des esclaves n’étant reconnu juridiquement valable que sous la torture, Milon a craint les limites de la résistance physique de ses esclaves. Et Cicéron de bien distinguer les domaines : « La question de fait se pose sur le chevalet ; la question de droit, au tribunal. » De plus, et Caton ne désapprouverait pas : ces esclaves, pour avoir défendu leur maître, méritaient la liberté. Milon, dit Cicéron, se trouvait donc devant un faux dilemme : Soit : affranchir ses esclaves, et, par là-même, se livrer au soupçon de les avoir récompensé pour le meurtre de Clodius. Soit : ne pas les affranchir et les livrer à la torture alors qu’ils l’avaient sauvé.Cicéron va même plus loin : les dépositions des esclaves de Clodius n’ont aucune valeur. Qui a demandé qu’ils subissent la torture de ces esclaves en effet ? Appius, neveu de Clodius. D’où viennent les esclaves ? Précisément de chez Appius. Or, Cicéron se fend d’un petit rappel juridique : la loi n’autorise pas l’emploi de la question sur des esclaves contre leur maître.Cicéron conteste même le texte même de la question posée : « Clodius a-t-il tendu un guet-apens à Milon ? » Que peut répondre l’esclave ? Oui ? Il sera crucifié. Non ? Il sera libéré. Cicéron aborde ensuite la conduite de Milon après la rencontre. Milon est rentré à Rome, n’a pas tenté de fuir et a obtenu l’appui du Sénat. De plus, Cicéron montre que les soi-disant inquiétudes de Pompée à l’égard de Milon n’étaient pas fondées : Pompée est cher à Milon Il a lutté pour la gloire de Pompée, y compris contre Clodius Tribun, Milon a écouté Pompée qui lui conseillait de rappeler Cicéron Pompée a défendu Milon dans un procès intenté par Clodius en -56. Pompée a appuyé la candidature de Milon à la préture Milon espérait avoir deux grands amis : Pompée et Cicéron Meilleure preuve de cela : Pompée a déféré Milon devant la justice. Ce choix montre bien qu’il n’a pas condamné Milon d’avance. Quant aux mesures exceptionnelles prises, elles doivent assurer la sécurité des jurés. Confirmation Deuxième partie Nouvel argument de Cicéron : les crimes de Clodius justifiaient son assassinat. En ce sens, le meurtre de Milon s’inscrit dans la lignée des meurtres justes et profitables à Rome, comme l’exécution de Spurius Melius, et celle de Tibérius Gracchus. Qui est Clodius ? Un adultère, un sacrilège, un incestueux ( rumeur), qui fit bannir Cicéron, qui a commis des exactions pendant son tribunat, coupable de plusieurs meurtres et de tentatives de meurtre sur Pompée, qu a incendié le temple des nymphes pour détruire des listes électorales, qui a volé des terres et de l’argent. cet homme, pas un Romain, pas un juré, ne souhaiterait le ressusciter s’il en avait le pouvoir. Cicéron : « Vous siégez donc pour venger la mort d’un homme à qui vous ne voudriez pas redonner la vie, si vous en aviez le pouvoir ; sur la mort d’un homme un tribunal a été établi par une loi qui, si elle était capable de le faire revivre, n’aurait jamais été votée. Donc, si Milon était vraiment le meurtrier de Clodius, aurait-il, en avouant, à redouter le châtiment de ceux qu’il aurait délivré ? »Si Milon avait prémédité l’assassinat de Clodius, il faudrait le récompenser. « Celui qui, ayant sous les yeux l’impopularité, la mort, le châtiment, défend le pays avec non moins d’ardeur, c’est celui-là qui doit être considéré véritablement comme un homme. Il appartient à un peuple reconnaissant de récompenser ceux qui ont bien mérité du pays, à un homme courageux de ne pas se laisser émouvoir par les supplices au point de regretter d’avoir agi courageusement. » Autre argument : Milon serait l’instrument de la Providence Th : Il y a une puissance divine, une providence attachée à : -la grandeur de l’Empire - au mouvement des astres -au soleil brillant -au changement des saisons - à la sagesse de nos anciens qui observèrent pieusement le culte, les cérémonies religieuses, ls auspices et en ont transmis les règles. Th : cette puissance a supprimé Clodius en lui donnant l’idée d’exciter et de provoquer Milon et en le faisant battre. CCL : ce n’est pas le dessein d’un homme, mais la providence des dieux immortels, juges, et particulièrement attentive, qui a mené cette affaire à bonne fin. Clodius : - a souillé les cultes a abrogé les décrets les plus catégoriques du Sénat a acheté son acquittement aux juges a bafoué le Sénat pendant son tribunat a annulé des décisions prises unanimement pour le salut de Rome a expulsé Cicéron d’Italie a pillé les biens, a incendié la maison, a persécuté la femme et les enfants de Cicéron. a déclaré la guerre à Pompée a tué des magistrats et des particuliers a incendié la demeure de Quintus Cicero a ravagé l’Etrurie a chassé des gens avait pour projet de loi de nous assujettir à nos esclaves. Th : Seul Milon le gênait. les dieux ont fait disparaître Clodius en utilisant Milon car jamais l’Etat n’eût usé de son droit pour le punir. Suit un raisonnement hypothétique : -Milon tué, Clodius aurait été préteur, aurait eu les consuls à sa discrétion -il aurait persécuté Cicéron -il aurait tout opprimé, possédé, occupé -il aurait fait de nos esclaves ses affranchis. Cicéron : « Est-ce que, vivant, enfin, il n’aurait rien fait de mal, lui qui, mort, sous la direction d’un de ses satellites, a mis le feu à la curie ? » (…) « Ressuscitez-le, si vous le pouvez, ressuscitez-le ; vous briserez les assauts d’un homme vivant, quand vous avez de la peine à contenir la furie de ce mort sans sépulture ? » Péroraison Cicéron justifie ensuite l’attitude de Milon pendant le procès : celui-ci s’est montré hautain. Pour ce faire, Cicéron compare Milon à un gladiateur qui ne recherche pas la compassion et mérite donc davantage de pitié. il emportera avec lui la bienveillance du Sénat, l’empressement à lui faire des honneurs, les marques de sympathie, les éloges. Les hommes courageux et sages s’intéressent moins aux récompenses des belles actions, qu’aux belles actions elles-mêmes. Autre argument : la condamnation de Milon frapperait Cicéron lui-même. Etant donnés les services rendus par Milon, Cicéron estime légitime d’engager ses biens, son talent, son réseau, sa réputation pour lui ; Rome, l’Italie, les provinces conserveront le souvenir du bienfait de Milon. il serait incohérent que Rome ne conserve pas sa personne en son sein. Cicéron a vu son salut assuré par Milon et ne saurait assurer le salut de Milon ? Insupportable. D’autant plus qu’il s’agissait de le soutenir dans une cause agréable aux peuples et d’obtenir le salut d la part de ceux qui ont trouvé le repos dans la mort de Clodius. Les jurés, d’accord avec Pompée, permettront à Milon d’avoir son tombeau dans sa patrie. Incohérence : le verdict qui bannirait celui que toute ville de l’Empire accueillerait avec honneur. Rome ne doit pas se montrer ingrate. Le salut de Milon, dit Cicéron, est une question de gratitude.