Cette éloquence possède deux caractéristiques : 1) elle se déploie dans le contexte des luttes
sociales et 2) il s’agit d’une éloquence pré-technique qui repose sur une simple narration et
non pas sur une démonstration argumentée. Suit au tournant des IV et IIIè siècle le travail du
consul Appius Claudius Caecus, qui réforme l’alphabet et divulgue le droit.
Prochaine grande figure : Caton l’ancien (234-149) : le premier orateur à publier. Dans le
Brutus, Cicéron prétend avoir lu plus de 150 discours de Caton. Son style se marque par
l’efficacité, la variété des tons et des formes ( surtout l’invective), un style raide, rugueux,
peu rythmique. C’est aussi le premier théoricien de la rhétorique lorsqu’il dit à son fils que
« l’orateur est un homme de bien, habile à parler ». Autrement dit, la simple compétence
oratoire ou la maîtrise technique se suffisent pas à définir l’orateur. Celui-ci est surtout
dépositaire de qualités morales et sociales qui appartiennent aux bon citoyens, c’est-à-dire
aux hautes classes, attachées aux structures et valeurs de la société humaine. Une deuxième
sentence de Caton nous est parvenue : « Possède le sujet, les mots suivront » Caton distingue
ici la maîtrise du cas dans sa dimension factuelle et jurisprudentielle de la simple maîtrise des
mots qui permettra de plaider. Il ne refuse pas la rhétorique mais il condamne bel et bien une
rhétorique qui en serait que technique et langage. Caton est un traditionaliste et non pas un
archaïque. Il se réclame ses valeurs traditionnelles, réaffirme la légitimité du patronat, le rôle
du Bonus Vir, l’importance de la fides tout en intégrant des nouveautés, en parlant sans
relâche, en publiant et en conceptualisant. Cicéron se montre plus nuancé à l’égard des
Gracques et de leur éloquence. Dans le Brutus, il déclaire : « Si seulement Tibérius Gracchus
et Caius Carbo avaient eu la volonté de bien gérer l’Etat comme ils eurent le talent de bien
parler… »Cette rhétorique révolutionnaire des Gracques suscita d’ailleurs un regain de la
rhétorique des Boni dans la rhétorique sénatoriale des IIè et Ier siècles.
Marcus Antonius, grand père du triumvir et Lucius Licinius Crassus, deux des interlocuteurs
du De Oratore, fournissent des exemples typiques de l’orateur romain, avec la dimension
politique que cela comporte. Ils parcourent le cursus honorum jusqu’ au consulat et à la
censure, exercent le pouvoir proconsulaire dans une province. Antonius remporte le triomphe
et Crassus le manque de peu. D’après Cicéron, Antonius excelle dans le genre judiciaire. Il
est d’une efficacité redoutable grâce à la force de ses démonstrations, à l’action persuasive et
à sa mémoire. Antonius ne recherche pas le style, il ne publie d’ailleurs pas pour ne pas avoir
« un jour à nier avoir dit ce qu’il lui faudrait n’avoir pas dit » ( Cf : Cicéron, Pour Cluentius).
Antonius entend garder les mains libres pour défendre par tous les moyens chacun de ses
clients successifs. Il croit à la pratique et à l’expérience. Crassus, lui possède une vaste
culture générale et des connaissances particulièrement étendues en matière de jurisprudence.
Il excelle dans le style, la forme, l’art de la réplique. Il s’est illustré notamment dans la causa
curiana : une difficile affaire de succession. En -93, un citoyen romain avait fait établir un
testament en faveur d’un enfant dont la naissance était présumée. Une clause prévoit que si
l’enfant devait mourir avant sa majorité, l’héritage irait à son tuteur. Pb : le citoyen meurt et
l’enfant ne naît pas. Le tuteur réclame donc son héritage, conformément à la lettre du
testament. On lui oppose que puisque la naissance n’a pas eu lieu, la clause n’a pas lieu
d’être. Scaevola fait jour la lettre du testament. Crassus, lui , fait jouer la volonté du
testateur, que le testament manifeste. Crassus a certes le droit contre lui, mais fia tusage de la
rhétorique pour remporter le procès.
Un peu de droit romain