Compte-rendu

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IEP Paris, samedi 22 janvier 2005
FAIRE DES EUROPÉENS
L’ÉTAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT DE L’EUROPE EN
HISTOIRE, GÉOGRAPHIE ET EDUCATION CIVIQUE
Introduction
R. Descoings, directeur de l’IEP de Paris
L’école : un creuset. Elle l’a été pour la nation, mais attention à l’usage actuel de l’intégration,
terme qui peut paraître vexatoire pour des jeunes Français de droit.
L’école : un creuset pour l’Europe des citoyens, pour combler le déficit démocratique de la
construction européenne ; pour mieux connaître nos voisins en revisitant les enseignements de
l’histoire et en puisant dans l’histoire longue, en particulier à propos des frontières de
l’Europe, en se gardant du spontanéisme de l’opinion ; dans cet esprit il faut essayer de
comprendre la liesse des pays entrants le 1er mai 2004 et d’expliquer le traité constitutionnel,
texte de compromis.
M. Hagnerelle, doyen du groupe histoire et géographie de l’IGEN
L’IG entend prendre appui sur les programmes en cours de rénovation, sur les réflexions sur
l’Europe (1999-2000), les séminaires inter-académiques sur les nouveaux territoires, la
collaboration avec le Centre d’histoire de Sc.Po Paris.
Faire des Européens relève fondamentalement de nos responsabilités d‘historiens géographes, invite à considérer la place accordée à l’Europe dans nos disciplines, ce qui
revient à chacune spécifiquement (H, G, EC-ECJS).
Eveiller une conscience citoyenne européenne, donner un sens à l’Europe, autant d’objets de
débats.
Les deux journées proposent un état des lieux prospectifs.
Jean-Pierre Wytteman, IA-IPR, dresse un tableau très fouillé des programmes d'histoire
dans l'Europe des 25 : il se dégage des contenus très divers, en raison du statut de la
discipline (obligatoire dans la plupart des cas, optionnelle au Royaume-Uni, évaluée à
l'examen ou non) et d'une résistance inégale de l'histoire nationale (ou de son exhumation
récente dans les pays de l'Est). L'histoire de l'Europe est plus présente qu'en France en Italie,
en Autriche, au Luxembourg, au Portugal et dans des Länder allemands.
Jean-Claude Boyer, directeur de l’Institut d’études européennes de Paris VII, en s'appuyant
sur une analyse des manuels par l'APHG avec l'Institut Georg-Eckert, compare
l'enseignement de la géographie de l'Europe en France et en Allemagne et présente des
suggestions.
En Allemagne, les programmes sont fixés par les Länder, qui ont refusé la recentralisation en
déc. 2004. Il y a 15 manuels, avec des modules communs conçus par les éditeurs, qui ne sont
que 4 ou 5. Les IO sont moins contraignantes, les changements de programmes non
simultanés. Les manuels sont peu volumineux et peu mis à jour.
L'Europe est étudiée à divers niveaux. La France est abordée partout, sauf dans 3 Länder, une
fois au début du collège et deux fois en classe terminale.
En abordant l'Europe plus tôt qu'en France, l'étude est plus simple.
L'étude de cas régionale paraît pertinente : à partir d'un jumelage, d'une comparaison (ex.
Ruhr-Lorraine), d'une eurorégion. Suggestion : éditer une brochure pour la région.
Il faudrait éviter les documents journalistiques, les livres d'images sans problématique
d'ensemble.
Quelles limites au continent ? Chypre est intégrée, mais les IEM la classe en Asie. Pour F. et
All., l'Oural est la frontière orientale admise depuis le XVIIIe siècle. Au sud-est, l'Europe
s'arrête au Caucase pour les F., à la dépression ponto-caspienne pour les Allemands. Les
Tchétchènes sont en Europe pour la F., en Asie pour les All..
L'Europe comme construction politique :
Les auteurs de manuels s'en tiennent aux données « sûres » : frontières étatiques, institutions,
politiques et programmes communautaires. Les structures économiques et sociales sont
négligées. On parle plus d'Airbus ou d'Ariane que des FMN, des banques et des bourses. Les
sources officielles sont reprises sans recul critique.
Les auteurs de manuels s'interrogent peu sur l'identité européenne, les critères
d'appartenance. Le gradient d'européanité de Jacques Lévy est rarement repris. Les images de
l'Europe relève du collage.
Les Français parlent de construction européenne à partir de « briques » nationales. L'Europe
se construit comme l'Etat. Pour les Allemands, l'Europe préexiste : ils parlent d'unification et
d'intégration. Mais les différences de points de vue s'estompent : l'Europe est conçue comme
un espace de civilisation sans frontières bien marquées.
Une subjectivité nationale consciente ou non : l'Europe est plus un contexte qu'un objet
d'étude. La formule « la France dans l'UE » est ambiguë. Le centrage national est plus marqué
aujourd'hui en Allemagne, avec le sentiment d'occuper une position centrale en Europe :
marché de consommation, de matières premières, de main-d'oeuvre, espace touristique... La
géographie all. distingue espaces passifs et espaces actifs (avatar de la « banane bleue »).
L'immigration est plus abondamment traitée en All. qu'en F..
Les anciens pays communistes sont plus loin des Français (« nouvelle périphérie ») que des
Allemands (« notre voisine, la Pologne »).
Les manuels allemands offrent une représentation traditionnelle des pays étrangers, à travers
le prisme des loisirs et du folklore : agro-alimentaire et gastronomie françaises, « pays du
Club Med »... Les Allemands sont fascinés par le vide français, le centralisme (par référence
au modèle implicite). Les Français ont abandonné les clichés sur l'Allemagne. La fascination
inquiète des années 1980 (« un géant au cœur de l’Europe ») fait place à une perception
nuancée : « la puissance ébranlée ».
L’enseignement tend à délaisser l’Europe-continent pour l’Europe – construction politique ;
est insuffisant sur les limites et le contenu de l’Europe ; conserve une vision centrée sur l’Etat,
tout en introduisant des points de vue régionaux.
Il est difficile d’élaborer un manuel franco-allemand.
Table ronde animée par Bertrand Badie, professeur à l’IEP de Paris : à Sc. Po, le savoir des
étudiants français est bien supérieur à celui des étudiants étrangers et surtout américains.
Mais…
L’histoire comparée des nations est insuffisamment enseignée (ignorance de la Grande
Charte, des révolutions anglaises, des enclosures…), avec l’histoire des interactions, des
conflits, des diplomaties antagonistes, des asymétries temporelles (ex. cité, fait impérial,…).
Le programme de 4e est catastrophique et celui de géographie de 1ère S est déprimant.
La notion de territoire doit être critiquée : ce n’est pas l’instrument monopolistique du
pouvoir. Il faut réfléchir à la déterritorialisation, à la régionalisation ou de réseau informel.
Des frontières disciplinaires à lever : on ne peut raisonner sur la mondialisation sans
l’économie (même si les économistes ne sont pas commodes…) et le droit.
L’H. et la G. de l’Europe doivent être replacées dans le monde : l’Europe n’est plus au centre
des relations internationales ; elle est « à côté du cratère »…
L’intelligence des périphéries de l’Europe est insuffisante :

L’histoire de la Russie,qui pose un gros défi (pourquoi s’est fermée à l’Europe ?) est
désertée par les manuels.

Les collégiens n’entendent jamais parler de la Chine, de l’Inde ou de Meiji. [Il est vrai
que l’historiographie française est pauvre à ce propos.]
Les étudiants ont besoin de repères chronologiques (mesure du temps, contemporanéités…) et
cartographiques.
Table ronde :
Laurent Wirth, IGEN, constate, d’une part, la crise de la fusion des sciences sociales et
revient sur le saucissonnage du programme Braudel puis du programme Haby ; évoque,
d’autre part, la crainte d’une dérive européocentriste (le professeur petit télégraphiste de
Maastricht) et l’influence du schéma lavissien sur notre conception de la construction
européenne.
Marc Vigié, IA-IPR : l’Europe ne s’est pas souciée de l’éducation, avant deux articulets du
traité de Maastricht, contre 30 pour la forêt. L’idéologie n’est jamais absente de l’histoire
enseignée en France (de « faire des Républicains » à « faire des Européens ». Une histoire
intégrée de l’Europe est impossible : un « Tour d’Europe par deux enfants » risque la dérive
téléologique.
L’histoire rectrice de la mémoire européenne ? le projet européen n’est pas le passé cautionné,
mais un sentiment de partage à forger. On emboîte dans une nouvelle échelle.
Jacqueline Jalta, IA-IPR : l’enseignement de la géographie est aujourd’hui problématisée.
Elle dégage des lignes de force, des acteurs, la diversité des territoires, des dynamiques et des
logiques spatiales, une vision éclairée et critique de l’objet et non une accumulation de
données.
L’UE en terminale est traitée en relation avec d’autres aires de puissance. En 1ère, l’Europe est
définie par l’unité dans la diversité, une mosaïque héritée et un objet de débat, l’UE.
Le territoire est au centre des programmes de lycée, dans une démarche multiscalaire ;
l’espace régionale est réévalué à l’aune des nouveaux territoires, des euro-régions.
Hubert Néant, IA-IPR, est confiant, quant à l’histoire comparée, dans la capacité des
professeurs à innover, à tisser des liens, sur les Balkans par exemple. Il y a des reculs, ainsi
sur l’Angleterre (système parlementaire, révolution industrielle) mais les problématiques sont
renouvelées sur la PGM, la crise des années trente...
Amal Azzouz, U de Nantes (?) : l’identité européenne est le résultat d’une culture commune,
fondée sur l’héritage judéo-chrétien, des convergences apparues au XIXe siècle
(industrialisation, urbanisation, éducation) et des valeurs communes (démocratie, égalité,
tolérance). La construction européenne répond à une demande sociale. L’Europe est une
réalité vécue pour des enfants qui n’auront pas connu le franc.
Marc Vigié considère que, sur l’Europe, on ne peut pas tout dire, que des choix s’imposent,
contestables mais logiques et que des repères sont nécessaires au collège (dates et documents
patrimoniaux non exclusivement français, cartes). Les fondements de la civilisation
européenne sont présentés en 2e avec une nouvelle conception de la causalité.
L’Europe échappe au déterminisme disciplinaire. Là, se situe l’atout pédagogique des sections
européennes (DNL, autre manière de pensée, échanges).
M. Hagnerelle admet que nos paradigmes scientifiques et politiques sont faibles et qu’il n’est
pas question de manuel unique ; sur les projets de binômes d’éditeurs il n’y a pas de
précipitation.
Nous avons à enseigner une Europe qui se fait, en faisant des choix, dans une approche
globale, croisant l’H, la G et l’EC.L’ÉVOLUTION DES INSTITUTIONS
EUROPÉENNES ET LA QUESTION DE LA CONSTITUTION
Jean-Louis Quermonne, professeur émérite des universités
Le traité du 29 octobre 2004 n’est ni un commencement ni un aboutissement, mais une étape
stratégique dans un processus inscrit dans le temps long.
5 thèses
1. Le mythe fondateur du plan Schuman (9 mai 1950)
Trois organisations intergouvernementales existaient déjà : OECE, UO et Conseil de
l’Europe.
Le plan Schuman introduit un changement de perspective avec
1° la reconnaissance de l’égalité des Etats, vainqueurs et vaincus, ce qui lui vaut l’adhésion
enthousiaste d’Adenauer ;
2° une initiative concrète, sans fédéralisme à tous vents : l’unification des marchés du charbon
et de l’acier qui alimentaient les industries d’armement, scelle l’irréversible réconciliation
franco-allemande ;
3° des institutions supranationale : Haute Autorité, Cour de justice, Assemblée consultative.
Ainsi est créée la matrice de la construction européenne, l’œuvre du fonctionnalisme, à
l’encontre du réalisme traditionnel des relations interétatiques.
Le processus engagé est fondé sur l’expertise plutôt que sur l’adhésion démocratique, porté
par le dynamisme d’un groupe de pression, à défaut de parti européen.
2. L’Europe communautaire, une entité singulière.
Cet « objet politique non identifié » (J. Delors) n’a pas de précédent théorique ou historique.
Le processus de décision, la « méthode communautaire », est en contradiction avec les
principes des chancelleries (le Quai d’Orsay a été tenu à l’écart au début et, selon M. Barnier,
a besoin de s’européaniser).
La méthode communautaire associe supranationalité et intergouvernementalité : le monopole
du pouvoir de proposition appartient à la Commission ; la délibération au sein du conseil ds
ministres doit déboucher sur un compromis, après consultation de l’Assemblée (dont le rôle
s’est renforcé avec la co-décision).
L’Europe s’est construite avec des tâtonnements par le dialogue entre organisations
communautaires et Etats.
Cette méthode perd de sa singularité avec l’avènement du concept de gouvernance, d’origine
américaine, qui conjugue :
-
multiplicité des acteurs ;
-
flexibilité des éléments de décision ;
-
quête de la performance et de solutions rationnelles, par appel à l’expertise, au risque
de dérive technocratique.
L’apogée de cette méthode est l’établissement du marché unique au début des années
1990. Elle se limite à des considérations économiques. Mais la recherche de l’unité
monétaire va au-delà, touchant à un domaine régalien.
3. La longue marche intergouvernementale vers l’union politique
- échec de la CED (1954) et la structure fédérale qui devait coiffer la CECA et la CED ;
- échec du plan Fouchet (1962) de coopération interétatique et rejet de la candidature
britannique ; crainte du Benelux de voir abandonner toute supranationalité ;
- relance de la coopération politique en marge de la CEE (1969)
- impulsion intergouvernementale (Conseil, 1975) puis communautaire (Acte unique,
1986) ;
- traité de Maastricht (1992) sur trois piliers et deux logiques : communautaire (UEM), et
intergouvernementale (PESC, JAI).
Les dysfonctionnements et les élargissements rendent le bateau ingouvernable
(Amsterdam 1997, Nice 2000). Le système se complique, sans assise culturelle.
4. La Constitution, mythe nostalgique
Le Congrès de la Haye (1948) a lancé le projet fédéral. En 1979 Spinelli propose une
Constitution. C’est la difficulté du passage de 15 à 25 qui contraint à changer de méthode,
en associant les Parlementaires nationaux (2 par Etat membre) aux travaux d’une
Convention, avec les représentants des gouvernements, de la Commission et du Parlement
européen. Méthode qui a eu un précédent pour élaborer la Charte des droits
fondamentaux.
5. Forces et faiblesses du TCE :
1° il clarifie, explicite et consacre des principes :
-
personnalité juridique de l’UE
-
égalité des droits des Etats, y c. droit de sécession
-
partage des compétences
-
primauté du droit européen
-
reconnaissance juridique de la Charte des droits fondamentaux
Le texte contient des références à la civilisation européenne,
-
à ses valeurs (distinctes de celles de l’Occident ; sur la peine de mort par ex.) : respect
de la dignité humaine, des droits fondamentaux, de l’égalité homme-femme
-
et à ses objectifs : recherche de la paix, de la sécurité intérieure, poursuite de
l’intégration européenne, plein emploi et protection sociale
2° il innove, sans créer de gouvernement européen, en renforçant
-
la légitimité des Etats membres : président du Conseil élu pour 2ans et demi,
simplification des votes (majorité qualifiée de 55% des Etats, 65 % de la population),
ministre des affaires étrangères ;
-
la légitimité des citoyens : renforcement du rôle du Parlement, possibilité de loiscadres, élection du président de la CE par le PE, plus de droit de contrôle sur la
composition de la Commission que n’en a le Parlement français sur l’investiture du
gouvernement ; mesures de démocratie participative (dialogue social institutionnalisé,
droit d’initiative populaire ignoré dans la Constitution française…), possibilités certes
très encadrées.
3° il actualise les politiques publiques, la masse des traités antérieurs, mêlant textes
réglementaires et textes constitutionnels, sans que la Convention ait eu le temps d’en
délibérer : cette parte du TCE aurait dû faire l’objet de lois organiques. Aucun recul par
rapport à l’acquis communautaire et insertion de « l’économie sociale de marché ».
Le TCE communautarise la politique de sécurité intérieure et de justice ; développe la
politique étrangère ; officialise la politique européenne de défense (coopération structurée,
moyens militaires, agence de l’armement, clauses de solidarité face aux menaces,
terroristes en particulier…).
Un bon compromis vaut mieux qu’une crise…
CULTURES, RELIGIONS, LAÏCITÉ : DIVERGENCES ET CONVERGENCES
DES MODELES NATIONAUX
Jean-Paul Willaine, directeur d’études à l’EPHE
L’Europe est laïque à condition de ne pas identifier la laïcité à la définition française.
1. Un lien très fort entre politique et religion
La croyance religieuse est un prérequis culturel pour un sentiment d’unité nationale.
Les forces religieuses ont contribué à la démocratisation en Pologne et en Allemagne, a
sortir de deux dictatures.
L’UE respecte la compétence des Etats en matière de relations avec les Eglises. Le TCE, à
la demande de la Belgique, ajoute le dialogue avec les organisations philosophiques et non
confessionnelles.
2. La diversité des relations entre religion et Etat :
La référence à Dieu figure dans la loi fondamentale de la RFA et dans la Constitution
polonaise, à la Trinité en République d’Irlande et en Grèce.
Des liens privilégiés existent avec l’Etat pour l’Eglise luthérienne au Danemark et l’Eglise
orthodoxe en Grèce.
Des relations de partenariat assure la reconnaissance des cultes, des cours de religion…
En Allemagne, les groupes religieux sont intégrés de droit dans les missions publiques.
En Belgique, l’Etat est pluraliste et non laïque, avec un pilier laïque à côté du pilier
catholique. La laïcité est conçue comme alternative philosophique, 7ème « culte » reconnu.
En Italie, la laïcité est un principe suprême. L4Etat est déconfessionnalisé mais nonindifférent. La liberté religieuse est garantie dans le pluralisme confessionnel.
En ce qui concerne la laïcité, la chose importe plus que le mot (le président Rau reproche
aux Français leur laïcisme) : liberté religieuse, neutralité de la puissance publique , égalité
des droits et des devoirs quelles que soient les convictions.
La séparation des Eglises et de l’Etat n’interdit pas des formes de coopération. Même,
sous le régime concordataire, la pluralité est prise en compte. La République italienne qui
considère, en vertu du Concordat (révisé en 1984), les principes chrétiens comme
patrimoine national et collabore avec le Vatican pour le bien commun, entretient des
relations de bonne entente avec le judaïsme, les Eglises protestantes, l’Union bouddhiste
et les Témoins de Jéhovah.
3. (De réelles convergences vers une sécularisation des sociétés européennes)
-
à l’échelle individuelle, d’ap. les enquêtes sur les valeurs : homogénéisation des
attitudes vers plus d’autonomie des individus qui prennent ce qu’ils veulent de l’offre
religieuse, vers plus de complexité et de brouillage dans les identités, vers une
déconfessionnalisation chez les jeunes ;
-
au niveau du droit (recours à la CEDH)
-
quant au traitement scolaire des religions (cf. rapport Debray ; en GB, le cours de
religion est devenu séance d’éducation multiconfessionnelle).
L’Europe est plus laïque qu’il n’y paraît et la France est plus européenne dans ses
pratiques que dans l’affichage idéologique. Il y a une généralisation de l’autonomie
relative du religieux et du politique, sans que disparaisse les relations de coopération –
concertation.
La querelle du préambule de la Charte des droits fondamentaux a été levée par la
substitution de la référence spirituelle à la religion. Dans le TCE, l’héritage religieux (et
humaniste) n’est pas occulté mais sans mention de Dieu ni du christianisme. Ce texte est
bien un compromis laïque qui reconnaît la pluralité des héritages.
La dialectique politique-religion n’est pas effacée ; elle est propre à l’Europe, lieu de la
rationalité et du libre examen.
Cependant, le TCE, dans son art. 52, en reconnaissant la nécessité d’un dialogue ouvert,
transparent et régulier avec les Eglises et les organisations non confessionnelles, est bien
un texte de compromis, établissant une laïcité de reconnaissance dans un contexte de
sociétés démocratiques sécularisées. ENJEUX GÉOPOLITIQUES, pour conclure
Laurent Wirth, IGEN, reprend les deux aspects de la problématique actuelle de l’UE :
approfondissement et élargissement et évoque en particulier la question de l’adhésion de
la Turquie en relevant les arguments de l’opposition à l’entrée de ce pays : l’hypothèque
politique n’est pas levée, le retard de développement persiste et le problème
« civilisationnel » est posé en des termes où l’arbre de la géographie cache mal la forêt.
A contrario la volonté politique peut être déterminante et l’économie suit (les précédents
élargissements l’attestent). Dans un contexte de tensions identitaires, de crise de la
démocratie, le calendrier de ratification du TCE est mal venu.
Alain Bergounioux, IGEN, invite à dynamiser l’enseignement de l’Europe sans craindre
les tensions, car il s’agit d’une question d’avenir.
En 1992, le débat portait sur la souveraineté ; en 2005 sur l’élargissement. Les lignes de
clivage ont bougé à droite et à gauche. On perçoit en France la nostalgie de la période
antérieure à l’adhésion de la GB et d’une visée fédérale de l’Europe. L’élargissement
s’inscrit comme conséquence logique de la fin de la dictature, avec le problème des
relations avec les voisins de l’UE, et comme élargissement du marché dans le contexte de
la mondialisation.
Se pose la question de la nature de la puissance européenne : puissance fondée sur
l’attractivité plutôt que sur la force, « soft power », contrepoids à la superpuissance
américaine ( ?)
Philippe POMMIER
IEP Paris, samedi 19 mars 2005
FAIRE DES EUROPEENS
L’ETAT DE LA RECHERCHE (2ème partie)
Sous la présidence de Maurice Quenet, recteur de l’académie de Paris
EUROPE ET MONDIALISATION (Brigitte GIBLIN)
Remarques préliminaires de l’universitaire suite à la l’analyse des manuels d’histoiregéographie utilisés dans les classes :
- la qualité des nouveaux manuels du secondaire (surtout de terminale)
- la complexité des thèmes et du vocabulaire compte tenu de l’âge des élèves à enseigner
S’agissant de l’Europe, l’approche géopolitique est double :
- l’Europe enjeu de pouvoir interne et externe ?
- l’Europe, quelles représentations ?
De façon schématique, face à l’Europe, trois « grandes » attitudes françaises :
- le refus de l’Europe (et de la mondialisation) au nom du modèle français (« arrogance »)
- l’acceptation de l’Europe pour affronter la mondialisation
- l’altermondialisme comme substitut du tiers-mondisme
1. La mondialisation économique et son influence sur l’Europe
Quelques éléments de réflexion portant sur trois moments de l’histoire européenne
¤ Le contexte du début de la construction des années cinquante :
- deux objectifs : travailler à la paix et lutter contre le communisme (plan Marshall)
- la mission des démocrates chrétiens et des socialistes contre le PC et les gaullistes
¤ Des éléments nouveaux dans les années soixante
- le phénomène des eurodollars consécutifs au déficit des paiements américains (guerre
du Vietnam entre autres)
- la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier
¤ Les années quatre-vingt
- la vigueur du libéralisme et de l’anticommunisme anglo-saxons (Reagan – Thatcher)
- la France à contre-courant économique puis la « conversion à l’Europe » (Delors)
- 1989, l’éclatement de l’empire soviétique
=> Etats-Unis et Union européenne = le couple de la mondialisation avec une très forte
interdépendance des deux acteurs
2. Quel projet pour l’Europe ? Un modèle, un contrepoids ?
¤ Une Europe, des Europe ?
- des niveaux d’intégration très différents
- le problème de la réunification allemande
- des tensions liées à des approches différentes : Royaume-Uni et Europe continentale
¤ Les limites de l’Europe
- les Balkans, ils en sont
- le Maghreb, plus compliqué en raison de l’islamisme
- l’Ukraine à terme mais problème de la Russie
- la Turquie : en 1963 contexte de guerre froide, aujourd’hui plutôt pour récupérer une
influence au Moyen-Orient dont la sphère caucasienne (la Tchétchénie)
=> Un processus dynamique qui met en valeur la complexité de la relation Europemondialisation
POLITIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES EUROPEENNES (Elie COHEN)
Trois sujets dans l’agenda européen
- la directive Bolkenstein sur les services c’est-à-dire l’achèvement du marché unique
- le pacte de stabilité et de croissance c’est-à-dire les politiques macroéconomiques des pays
- l’agenda de Lisbonne c’est-à-dire le problème de la croissance et des réformes structurelles
Selon une approche économique synonyme de « désenchantement » avec 3 questions :
pourquoi, comment, enjeux ?
1. Directive Bolkenstein
¤ En mars 2000 à Lisbonne dans un contexte de décrochage avec les Etats-Unis, un double
engagement :
- investir dans les technologies
- réaliser l’intégration complète du marché européen, (le marché unique décidé en 1985 pour
1993 !) mettant en œuvre les 4 libertés : biens, personnes, capitaux et services avec pour
principe fondamental : le pays d’origine (arrêt cassis de Dijon 1979)
¤ Dans la lancée, la directive portant sur des services de nature économique et excluant
expressément les finances, transport, autorité publique, santé, intérêt général, jeux d’argent.
- un double objectif : la liberté d’établissement et la liberté de prestation de service
- un double principe : le pays d’accueil pour la liberté d’établissement ; le pays d’origine
pour la prestation de service
¤ Aujourd’hui une directive en difficultés :
- un champ d’application large et imprécis
- une « insécurité juridique » liée au risque procédural potentiel créé par la concurrence des
législations nationales
- un risque de dumping juridique et fiscal consécutif au comportement opportuniste
- un risque social lié à l’interprétation « large » de la directive : ex les travailleurs détachés
=> aujourd’hui, pour ces raisons et dans le contexte politique actuel, la directive est
condamnée
2. Le pacte de stabilité et de croissance
¤ Au départ, une règle du jeu budgétaire dans une zone monétaire intégrée (pacte de
stabilité seulement)
et une préoccupation politique : contraindre les pays du « club med » (Italie..)
¤ 2001-2003, différents chocs et des pays dans la zone dangereuse avec possibilité de
sanction
¤ Un bilan largement négatif
- pas de discipline budgétaire : France, Allemagne, Italie
- un dispositif procyclique
- un mécanisme de surveillance défaillant (Commission européenne) en terme de véracité
du désendettement (ex la Grèce)
- une incitation faible aux réformes structurelles
¤ Trois pistes de réflexion
- améliorer les propriétés cycliques du pacte
- revoir les indicateurs : pour le déficit budgétaire (3 %) de en retirer les investissements de
R&D, les dépenses militaires
- réformer les institutions de surveillance
=> Des défauts de conception et avec la crise, des difficultés structurelles chez les « gros »
génératrices de tensions avec les « petits » vertueux. Seule la discussion politique !
3. Agenda de Lisbonne (exposé rapide par épuisement du temps de parole)
¤ Trois engagements majeurs
- construire une économie de la connaissance
- favoriser une politique macroéconomique plus dynamique
- encourager les réformes structurelles : retraites, services publics et marché unique
¤ Des moyens limités
- la définition de 100 critères avec une notation des pays sur le degré de réalisation
- une coordination ouverte « faire circuler les expériences » mais éducation et recherche
échappent à la compétence européenne
¤ Un bilan en 2005 : une réalisation nulle
- pas les 3 % de croissance, pas les 3 % pour la recherche, pas les 70 % d’actifs
- aujourd’hui, révision de l’agenda : objectifs, critères et politiques (plus précises).
=> des objectifs très ambitieux mais sans moyens réels d’où échec et révision.
LA DEMOCRATIE A L’EPREUVE EN EUROPE AU XXeme SIECLE (Marc
LAZAR)
Deux précisions : XXème siècle = de 1945 à nos jours et en Europe occidentale
: à l’épreuve en Europe et non de l’Europe.
Il s’agit de questionner 2 évidences : l’Europe, « synonyme de démocratie » (H. Mendras)
: le XXème politique en Europe = affrontement des
totalitarismes (communisme et fascisme)
Mais le 20ème en Europe, c’est, aussi importante, l’institutionnalisation de la démocratie par
les réformistes
1. Quelques éléments de la refondation de la démocratie en 1945
(fondation en Italie, en Allemagne, consolidation en France, au Royaume-Uni.. )
¤ Les mythes fondateurs de l’après 45
- l’antifascisme, parfois inscrit dans la constitution, comme point cardinal des sociétés
démocratiques
- la nation, un renouveau plus ou moins marqué selon les pays
- l’Europe pour certaines forces politiques (démocrates-chrétiens et socialistes)
¤ Une réalité forte de l’après guerre : l’Etat social jusqu’au milieu des années 70 avec des
effets pluriels :
- citoyenneté civile, politique et sociale
- transformation de l’imaginaire de l’Etat (massivement valorisé)
- renforcement de l’Etat nation, « meilleur système »
- consolidation de la démocratie politique
¤ Les grands défis de la démocratie
- une refondation contestée par la décolonisation (ex la France) avec son prolongement : le
tiers-mondisme
- le communisme dans le cadre de la guerre froide avec l’ « ennemi intérieur » en France et
en Italie. Le PCF, au cœur de la République, un mouvement totalitaire par sa participation au
communisme mondial, son mode d’organisation (structures clandestines), son rapport ambigu
à la démocratie, son inclination à la radicalisation visant la rupture, sa volonté d’installer « un
monde parfait » avec création d’un nouvel homme
- face à ces défis, succès des démocraties car grande vigueur de l’anticommunisme et capacité
à acculturer le communisme par le suffrage universel, la compétition, la représentation :
« l’ennemi devenant l’adversaire »
2. Analyse de 2 situations
¤ 1960-70 : développement économique, société de consommation, abondance et pourtant
montée des critiques de la démocratie représentative avec deux variantes
- remise en cause des rapports d’autorité
- contestation, parfois violente, de la démocratie bourgeoise, par l’extrême gauche
: dans un contexte fortement politisé
- participation politique élevée
- forte répression avec cycle révolution/répression
- abandon du recours à la violence devenue illégitime
¤ aujourd’hui : 2 symptômes de crise
- une participation électorale en baisse (à nuancer selon les pays : encore forte en
Scandinavie)
- une insatisfaction à l’égard des institutions démocratiques : ex les partis
3. Réflexions sur la crise actuelle
¤ Quatre transformations en cours
- la démocratie échappe aux partis pour une démocratie du public
- le poids croissant des médias
- le poids du pouvoir judiciaire (juges constitutionnels, juges..)
- l’influence de l’Europe avec une renonciation à certains pans de souveraineté mal assumée
politiquement par les dirigeants
Pourtant chacun des points demanderait à être nuancé.
¤ Trois lignes d’interprétation
- théorie de l’indifférence par l’exclusion sociale, la télécratie, l’individualisme narcissique
- théorie de la fausse démocratie avec sociologie du complot
- théorie du décalage entre attentes des citoyens et réponses des dirigeants (demande et offre
politiques)
Au total, dans le dernier demi-siècle, un lent processus d’installation de la démocratie et de
son acceptation. Mais une démocratie qui reste toujours fragile et incertaine.
LES ACTEURS ET LES COMPORTEMENTS POLITIQUES
TABLE RONDE SUR L’EUROPE POLITIQUE (modérateur A. Toscano)
LE SYSTEME POLITIQUE EUROPEEN (Alain BERGOUNIOUX)
¤ Deux systèmes imbriqués mais relativement autonomes
- des systèmes nationaux constitués sur des clivages fondamentaux multiples : religieux,
campagne/industrie, centre/périphérie, classes sociales
- un système européen assis sur des clivages plus nombreux et complexes avec pour résultat
une polarisation plus faible.
¤ L’exemple du socialisme européen.
- aujourd’hui un parti socialiste européen mais une approche de l’Europe très diverse selon
les traditions socialistes : SPD rallié en 1959, le travaillisme dans les années 80, socialisme
scandinave encore plus récemment
- un socialisme aujourd’hui sur la défensive face au décrochage de l’économique et du social
d’où le clivage enter les adaptateurs (Blair) et les réfractaires à la mondialisation => une
brutalité des débats
- un PSE = un cartel et non un parti tant que le débat national l’emportera sur la dimension
européenne des enjeux (les élections européennes = consultation de second ordre).
LE NON DE GAUCHE A L’EUROPE POLITIQUE (Philippe BUTTON)
¤ Le non de gauche
- le nom de gauche mène un double combat : contre le oui et contre le non de droite.
- quelques remarques à partir des eurobaromètres
* dans aucun pays le non de droite n’est supérieure au non de gauche
* le non de gauche en Europe est marginal sauf dans 4 pays : Portugal, Hongrie, Italie et
France
* seuls 2 pays ont un nom de gauche se présentant comme une alternative : le Portugal et la
France.
- le non de gauche tente de s’organiser au niveau européen : constitution de réseaux (FSE..),
thématique commune du discours de la gauche proeuropéenne, mai 2004 réunion des
communistes orthodoxes créant le parti de la gauche européenne
¤ L’extrême gauche et l’Europe
- dans les années 70 les maoïstes étaient proeuropéens par dénonciation du double
impérialisme américain et soviétique. Aujourd’hui, ils sont devenus antieuropéens.
- les trotskystes sont internationalistes : la LCR est très majoritairement mais pas
unanimement antieuropéenne ; LO n’est pas intéressée par l’Europe sur le fond mais participe
au débat pour des raisons tactiques
- chez les communistes orthodoxes, on note une baisse de la tonalité antieuropéenne
Aujourd’hui, on assiste à une alliance des 2 nons de gauche avec un lieu de convergence : le
mouvement altermondialiste.
L’EUROPE ET LE POPULISME (Pascal PERRINEAU)
Depuis 10 ans, le clivage gauche/droite connaît une crise d’identité.
Le débat européen installe un autre clivage : société ouverte/société nationalocentrée.
Le nouveau clivage : Maastricht 1992
¤ Uu défi :
- un défi triple : culturel, économique, politique
- face au défi, deux attitudes : ouverture/fermeture (protectionnisme, moralisme..)
- deux attitudes très nettement inscrites dans des territoires et dans des groupes précis :
sociaux - ouvriers, indépendants-, d’âge et de culture
¤ Un national-populisme très diversement présent en Europe :
- absent dans certains pays : ex l’Espagne
- très vigoureux dans d’autres : France, Pays-Bas, Belgique, Danemark, Pologne, Autriche,
Royaume-Uni sur 3 malaises, situation économique, société multiculturelle et modernité
politique, fusionnés dans l’Europe
¤ Des thèmes séquents entre extrême gauche et extrême droite
- notamment la conviction forte que l’Europe est un poste avancé
- et même une tête de pont de l’impérialisme culturel des Etats-Unis.
L’EUROPE ET LA POLITIQUE (Jean-François SIRINELLI)
Quelques réflexions sur les retombées dans la vie politique française de la construction
européenne.
¤ Les sensibilités politiques françaises préexistent au problème et aux enjeux européens.
¤ Aujourd’hui l’enjeu européen fait clivage
- joue-t-il dans le sens du brouillage ? sans doute mais est-ce bien nouveau (CED pour les
socialistes)
- aide-t-il à la gestation de nouvelles forces ? sans doute plus sur le clivage ouverture
fermeture que sur celui de pragmatisme (Toscano)/populisme
¤ S’agissant de la vie politique commune européenne : des cadres certes mais des cultures
politiques communes, c’est une autre affaire.
GRAND TEMOIN : Olivier Duhamel
Quelques réflexions, remarques et anecdotes sur :
¤ Le difficile combat pour l’idée de constitution européenne
- de fortes résistances : les gouvernements, la (s) classe (s) politique (s)
- mais activisme d’un petit groupe de députés européens dont D. Cohn Bendit avec l’oreille de
bienveillante de J. Fischer
- surtout le « calamiteux » traité de Nice (décembre 2000)
=> Conseil européen de Laeken (décembre 2001) relance du processus avec une Convention
européenne installée en février 2002.
¤ La Convention au travail
- les relations parfois tendues entre le triumvirat présidentiel (président V. Giscard d’Estaing,
les deux vice-présidents G. Amato et J-L Dehaene), les autres membres du praesidium et les
autres conventionnels.
- la mise en éclairage des travaux par le rejet irlandais du traité de Nice (juin 2002), par
l’arrivée de poids lourds comme D de Villepin pour la France)
- les débats : Dieu et l’Europe, la présidence de l’Union...
=> après 16 mois de travaux, le projet de constitution adopté par consensus le 13 juin 2003
est remis dans sa version définitive au Conseil européen en juillet 2003.
¤ L’espoir d’une ratification française en dépit des difficultés de l’épreuve référendaire.
- la nature du texte et son volume (la partie III nécessaire ? : « moralement » indispensable)
- la fragilité du compromis (traité constitutionnel)
- la difficulté à débattre (contexte et arguments « émotionnels »)
Daniel BERNUSSOU
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