
Médecine palliative
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N° 3 – Juin 2004
Prise en charge médicamenteuse de la douleur cancéreuse en médecine
générale
ÉTUDE ORIGINALE
tées étaient classées en trois catégories en nous appuyant
sur l’article de Serlin et Cleeland [14]. Ainsi nous avons
groupé les EVA en douleurs dénommées « faibles » pour des
valeurs inférieures ou égales à 4, « moyennes » ou « modé-
rées » entre 4 et 7, et « fortes » à partir de 7. Concernant
les antalgiques, la classification utilisée est celle des paliers
de l’OMS [10]. L’analyse statistique a été réalisée avec le
logiciel SAS. Les comparaisons de moyennes sur les varia-
bles quantitatives ont été faites par des tests non paramé-
triques de Wilcoxon. Les coefficients de corrélation ont été
mesurés par le coefficient de Spearman et les comparaisons
de fréquences entre différents groupes par des tests de Chi2.
Résultats
Description des médecins participants
Sur les 1 113 médecins contactés, 398 (35,7 %) ont ré-
pondu. Parmi ceux-ci, 248 (62,3 %) ont envoyé un ques-
tionnaire valide. Les 150 autres réponses se répartissaient
en 120 médecins déclarant n’avoir
pas vu de patient éligible, et 30 ré-
ponses inexploitables, la majorité
étant l’expression de refus soit par
manque de temps, soit pour cause de
grève des médecins généralistes
(2002). L’enquête téléphonique auprès
de l’échantillon de médecins non-ré-
pondants montre que la première
cause évoquée de non-réponse est
l’absence de patient éligible dans 44 % des cas (22/50).
Viennent ensuite le manque de temps dans 40 % des cas,
et un émoussement de l’intérêt pour les enquêtes dans 8 %
des cas. Le pourcentage de patients éligibles qu’auraient pu
voir ces médecins n’est pas connu.
La répartition des 248 médecins répondants selon cinq
grandes zones géographiques françaises était la suivante :
23,5 % provenaient du Nord-Ouest, 20 % du Nord-Est,
16 % de l’Ile-de-France, 17 % du Sud-Ouest, et 23,5 % du
Sud-Est. La distribution des médecins répondeurs ne dif-
férait pas de l’ensemble des médecins du réseau. Parmi les
248 questionnaires, 148 généralistes (60 %) déclaraient
prendre seuls en charge la douleur de leur patient, 79
(32 %) conjointement avec un spécialiste le plus souvent
hospitalier. Vingt et un médecins (8 %) partageaient la
prise en charge avec une consultation spécialisée en dou-
leur ou en soins palliatifs. Le nombre de cancéreux aux-
quels les généralistes ont prescrit des opiacés de niveau
III durant l’année écoulée a fluctué entre 0 et 25, avec
une moyenne à 5,1 (
±
4,7) (moyenne
±
ds). Ce nombre doit
cependant être pris avec prudence, puisque son estimation
a été réalisée auprès de médecins qui ont eu au moins un
patient éligible.
Description des cas
Sur les 248 patients, 161 (64,9 %) étaient des hom-
mes, se répartissant entre 30 et 89 ans (65,5
±
12,1). Les
87 femmes se situaient entre 36 et 89 ans (63,9
±
12,3).
La différence d’âge entre les sexes n’est pas significa-
tive. En revanche il existe un fort excès d’hommes dans
notre échantillon (p<0,001), par rapport à la proportion
dans l’ensemble des patients atteints de cancer en
France, qui serait de 51 % selon les estimations l’IARC
sur des données de prévalence [15] (http://www-
dep.iarc.fr/eucan/eucan.htm). Le
tableau I
présente la
répartition des sites primitifs de cancer en fonction des
sexes. On observe que les proportions des cancers des
voies aéro-digestives supérieures (17 %) et broncho-
pulmonaires (16 %) sont particulièrement élevées. En
effet, selon l’IARC, les proportions estimées de ces mê-
mes tumeurs parmi les cancéreux en France sont res-
pectivement de 10 % et 6 %. Ces cancers, liés au tabac,
sont à forte prédominance masculine (73/84 cas dans
notre échantillon). Or notre enquête a naturellement re-
cruté les cancers entraînant fréquemment ou rapidement
des douleurs, plus souvent que les cancers permettant
une bonne qualité de vie du fait d’un dépistage précoce
ou d’une survie habituellement longue. L’excès d’hom-
mes est donc vraisemblablement lié aux types de can-
cers recrutés. Nous notons également que la proportion
d’atteintes pancréatiques, localisation fréquemment res-
ponsable de douleurs intenses, est plus élevée dans notre
population (5 %) que celle estimée dans la population
des patients atteints de cancer en France (1 %).
Description des douleurs
La distribution de l’intensité de la douleur rapportée
par les 248 patients au moment de la consultation, est
présentée dans la
figure 1
sous forme d’un histogramme.
Les moyennes (déviation-standard) des valeurs d’EVA ob-
servées sur l’ensemble des patients étaient respectivement
les suivantes : 3,58 cm (
±
2,5), 3,92 cm (
±
2,16), et
4,06 cm (
±
2,11). Pour aucun des trois temps, il n’y a de
différence significative entre les sexes pour les moyennes
d’intensité douloureuse. Après catégorisation en trois
classes de l’EVA
(tableau II)
, au moment de la consulta-
tion, 152 (61,3 %) malades avaient une douleur faible, 58
(23,4 %) une douleur moyenne, 38 (15,3 %) une douleur
forte.
Il existe une forte dépendance entre les évaluations de
douleur aux différents temps. Lorsque les EVA sont con-
sidérées de manière quantitative, les coefficients de cor-
rélation entre les différents temps, comparés deux à deux,
sont très significatifs (p<10
–6
), compris entre 0,55 et 0,75.
Parallèlement, lorsque les douleurs sont catégorisées en
trois niveaux (faible, moyen, fort), plus de 90 % des pa-
tients rapportent une intensité de douleur concordante en-
L’excès d’hommes
est donc
vraisemblablement lié
aux types
de cancers recrutés.