LA LETTRE du Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne
-------------------------------------------------------------------------- N°35 Novembre 2010
- "Les amis de Dieu " contre tous les terrorismes -
62 morts, dont 46 chrétiens, 7 policiers, musulmans sans doute, venus à leur secours et les
9 assaillants, semeurs de terreur. 60 blessés. Bagdad, la ville des célèbres "cercles de controverse"… J’ai
appris la nouvelle alors que je lisais "Un signe sur la montagne - Que vit-on à Notre Dame de l’Atlas ?"
(Raymond Mengus, prêtre du diocèse de Strasbourg), un livre sur cette petite communauté trappiste au
Maroc, avec laquelle j’ai eu la joie de passer quelques heures et qui prolonge l’expérience spirituelle et de
vivre ensemble de nos frères de Tibhirine.
Les terroristes sont bien renseignés, ils suivent l’actualité et connaissent leur "catéchisme" : une
semaine après la clôture du synode des évêques d’Orient, à la veille de la fête catholique de la "Toussaint",
à l’avant-veille de ce lendemain de Toussaint où les catholiques font mémoire de leurs défunts, de ceux que
nous avons aimés, mais aussi "de tous les hommes qui ont quitté cette vie". Deux jours après, dix bombes
font encore des dizaines de morts et des centaines de blessés, cette fois dans les quartiers chiites de Bagdad.
S’il fallait le prouver, ces nouveaux attentats démontrent que c’est tout le peuple irakien qui est martyr… Je
me suis senti découragé. À quoi bon ? À quoi bon les efforts, de ces petits groupes de chrétiens et
musulmans réunis, à Chambéry, Toulon, Montpellier, Lyon, Bordeaux, Poitiers, Châtenay, Evry, Nevers,
Gennevilliers, au Mans, à Leicester, Bruxelles, Barcelone, Sarrebrück, Alger et dans tant d’autres lieux en
France, en Europe et ailleurs ? Je voyais les questions, les reproches : "Vous et votre utopie", "Vous voyez
bien, on vous l’avait dit".
Je m’attristais de l’exploitation qui pouvait être faite de ces attentats pour un regain d’islamophobie
et de nouveaux ennuis pour mes frères et sœurs musulmans de France. Je voyais l’inquiétude resurgir pour
mes frères et sœurs, chrétiens de ces pays où les « collègues » des terroristes de Bagdad agissent aussi. Je
me décourageais d’imaginer nos frères chrétiens d’Irak, qui peut-être seront tentés, et l’on ne peut le leur
reprocher depuis la France, de rejoindre en exil les 4,2 millions d’Irakiens (15 % de la population !),
chrétiens, sunnites, chiites, kurdes, qui ont préféré quitter leur pays pour protéger leur famille. Et, comme
pour me décourager plus encore, pas un mot dans la paroisse catholique où je me suis rendu pour la fête de
la Toussaint… Pas une prière, pas un chant pour intégrer nos frères et sœurs d’Irak dans la longue litanie en
l’honneur des saints, pas un mot lorsqu'à la fin de la prière eucharistique nous faisons mémoire des morts…
Cela aurait peut-être chamboulé le bel ordonnancement de la messe préparée plusieurs jours à l’avance…
Le réconfort est venu des messages de soutien du Président du Conseil Français du Culte Musulman,
du recteur de la mosquée de Paris, du bureau de "la maison islamo chrétienne", et de quelques autres,
notamment de Myriam Bouregba, qui coordonne pour la France la Semaine de Rencontres Islamo
Chrétiennes. Elle a aussitôt appelé Mgr Petrus Yussif, vicaire du patriarche chaldéen en France, pour lui
faire part de son émotion et organiser une rencontre « Passé, Présent et Avenir des chrétiens d'Irak » le
16 novembre (cf. la programmation de la SERIC dans les pages intérieures).
"Comment peut-on, au nom de Dieu, tuer des personnes justement réunies pour prier Dieu ?" se
pose aujourd’hui comme question le directeur de "Aide à Eglise en Détresse". Au risque de perdre sa propre
vie, Mohammed, le gardien musulman de Tibhirine, a sauvé plusieurs vies, en ne contredisant pas le chef du
groupe armé qui lui posait la question : « Ils sont bien sept ? » (En réalité, ils étaient neuf moines) et en ne
parlant pas des religieux et religieuses qui se trouvaient être à l’hôtellerie. Cet ouvrier bosniaque musulman
travaillant en Algérie a pu sauver trois de ses compagnons, chrétiens croates ; pour prouver sa foi
musulmane, il a récité la profession de foi (la shahâdâ) et, sans hésitation, a ajouté : "Eux aussi sont
musulmans". L’émir Abd El Kader, avec sa suite, a sauvé de la mort puis protégé 12.000 chrétiens à Damas,
acte pour lequel il reçut la grande croix de la Légion d’honneur et les remerciements du pape…
Et je me suis souvenu. Mon ami Khaled, musulman, parle de la Toussaint comme de la fête des
"Amis de Dieu", pour lesquels nous devons nous réjouir "de tout ce que Dieu leur a offert". La Toussaint, ce
jour où "Mamie Jemma", arrière grand-mère musulmane de Meknès au Maroc, apporte des fleurs sur les
tombes de ses voisins français décédés ; si jamais elle oubliait, le gardien musulman du cimetière saurait le
lui rappeler ! Ce lundi, j’ai appelé Fatima, une des filles de "Mamie Jemma" et quand je lui ai dit que ce jour