Revue Entreprise Ethique – avril 2008
Dossier spécial : Principes éthiques et pratique de la RSE
Kierkegaard
qui opposait une vision esthétique de l’existence, faite de non choix pour ne
renoncer à aucun plaisir, à une vision éthique faite d’engagements concrets dans la vie
sociale. Dans ce sens, « esthétique » signifie une pratique abstraite et superficielle de la RSE,
alors qu’« éthique » signifie une pratique concrète et enracinée de la RSE.
L’objet de l’article est d’étudier au travers du cas EADS la tension entre pratiques éthiques et
esthétiques de RSE. Dans un premier paragraphe, l’article revient sur les causes qui peuvent
conduire une organisation à privilégier des pratiques esthétiques de RSE, notamment la
complexité et le coût de la mise en œuvre de pratiques enracinées de RSE. Dans un second,
l’article propose des solutions organisationnelles, fondées sur les résultats de recherches-
interventions réalisées par l’Iséor
, pour stimuler des pratiques concrètes de RSE.
1. Les impacts de la « Tétranormalisation » sur les pratiques de RSE
Depuis la fin des années 1990, les entreprises sont confrontées à un phénomène de
normalisation internationale, lié à la mondialisation du commerce et de l’économie, que
Savall et Zardet (2005) ont appelé « Tétranormalisation ». Ces auteurs montrent que quatre
grands domaines de l’environnement des entreprises font l’objet d’une normalisation
internationale auxquels les normes peuvent se rattacher : la qualité et l’environnement avec
par exemple la norme ISO ; la comptabilité et la finance avec par exemple les normes IAS-
IFRS ; les échanges commerciaux avec par exemple les règles de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) ; le social et la gestion des ressources humaines avec par exemple les
règlements de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). La « Tétranormalisation »
oblige désormais les dirigeants à respecter une multitude de normes, de règlements, de lois, de
bonnes pratiques parfois contradictoires, qui rendent de plus en plus complexe la gouvernance
de leur entreprise. La « Tétranormalisation » contribue en particulier à une normalisation de
l’éthique, de la gouvernance et de la RSE dans les organisations comme l’attestent les
rapports d’activité des grandes entreprises (Renault, Peugeot, L’Oréal…) qui comportent tous
des descriptions détaillées de leurs bonnes pratiques, de leur déontologie, de leur contrôle
interne, et de leur qualité.
La problématique pour les organisations, comme pour les auditeurs en charge de les contrôler,
est que la mise en œuvre de ces multiples normes, et singulièrement celles touchant le champ
de la RSE, est complexe et coûteuse (Jacquemard, 2007). Cela peut conduire à l’apparition
« d’organisations hypocrites » selon l’expression de Brunsson (1989), qui mettent en œuvre
les normes de façon apparente sans modifier leurs pratiques opérationnelles. Ces
organisations privilégieraient des pratiques esthétiques et non pas éthiques de la RSE. Il est
vrai que les concepts d’éthique, de RSE et de gouvernance d’entreprise sont enchevêtrés. La
RSE signifie qu'une entreprise doit non seulement se soucier de sa rentabilité et de sa
croissance, mais aussi de ses impacts environnementaux et sociaux. Une entreprise
socialement responsable vise une performance qui bénéficie à l’ensemble des parties
prenantes de l’entreprise et non pas simplement aux actionnaires. Une des premières
tentatives de conceptualisation de la RSE est le modèle de Caroll (1979) dont s’est inspirée la
Commission Européenne. Celle-ci a publié le 18 juillet 2001 un Livre Vert pour promouvoir
la RSE qui en donne la définition suivante : « L’intégration volontaire des préoccupations
La tension entre l’éthique et l’esthétique a été étudiée par le philosophe danois Kierkegaard en particulier dans
son ouvrage intitulé « Ou bien… Ou bien… » paru en 1842.
Institut de Socio-Economie des Entreprises et des Organisations, centre de recherches en gestion associé à
l’IAE de Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3, et à l’EM Lyon (Ecole de Management de Lyon).