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La Russie
Après 10 ans de "transition", en dépit des efforts pour asseoir la démocratie dans un pays qui ne l'a
jamais connue, malgles tentatives d'insertion dans l'économie et les marchés financiers mondiaux,
alors même que sa dépendance de l'aide occidentale demeure très forte, la Russie continue de
proclamer sa vocation à être une puissance écoutée et respectée.
Au-delà de la rhétorique, il est cependant manifeste que la Russie n'est plus en mesure de jouer sur la
scène internationale un rôle, toute comparaison gardée, à la mesure du rôle qui fut celui de l'URSS
pendant plus de 40 ans. Le délitement de son économie, de ses structures sociales, l'incurie de l'Etat
fédéral, la faible crédibilité de son potentiel militaire sont autant d'obstacles insurmontables, pour
l'heure au moins.
Rappel : depuis la disparition de l'URSS, on peut schématiquement distinguer trois "périodes" de
la politique étrangère russe, notamment dans ses relations avec "l'Occident" (et peut-être une 4ème
depuis le 11 septembre) :
1/ une première période (1991-1994) caractérisée par la coopération consensuelle avec
"l'Ouest" : volonté de rupture avec le passé soviétique, pragmatisme, adhésion aux valeurs
occidentales (pol et éco), entrée au FMI et BM, pas d'opposition au CSNU pour sanctions contre
Belgrade au début du premier conflit yougo, reconnaissance des nouveaux Etats (Croatie, Bosnie,
Macédoine...). Cette "ouverture" et cette posture pro-occidentale de la Russie est symbolisée par son
ministre des affaires étrangères d'alors, Andreï Kozyrev.
2/ Une deuxième période (1995-1998) : réorientation progressive, sous la pression de l'opposition
nationale-communiste. Au centre des préoccupations : la nouvelle architecteure européenne de
sécurité avec les perpectives d'élargissement de l'OTAN à l'Est. Affirmation que les intérêts
occidentaux et russes ne se recouvrent pas forcément (personnalité et pensée du MAE d'alors,
Evgueni Primakov). La Russie essaie de retrouver une certaine autonomie sur la scène
internationale (notamment, mais en vain, à la fin du premier conflit yougo).
3/ Depuis 1998 : la coopération conflictuelle : radicalisation de Moscou et tensions russo-
occidentales (élargissement de l'OTAN, gestion de la crise Kosovare, opération OTAN contre la
RFY, aboutissement de projets d'oléoducs permettant d'acheminer le pétrole de la Caspienne sans
passer par le territoire russe, etc.
4/ Depuis le 11 septembre 2001, la Russie semble avoir réorienté sa politique étrangère, dans le sens
d'une plus entière coopération avec les Etats-Unis et l'Ouest en général : critique très modérée de la
dénonciation d'ABM, coopération intense sur le terrorisme et à l'occasion de l'opération US en
Afghanistan, attitude coopérative sur l'OTAN...même si ce revirement n'est évidemment pas dénué
d'arrière-pensées.
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I - En dépit de ses proclamations, la Russie a adapté ses ambitions internationales aux
moyens dont elle dispose.
A. La Russie dispose de moyens limités.
1. L'effondrement économique et social
La Russie est aujourd'hui dans une situation économique très précaire : PIB inférieur au PIB
espagnol (310 milliards €). Avec environ 4700 USD, son PIB/hab est inférieur à celui de la
Turquie (7000 USD) mais également à la moyenne mondiale (5600).
Les inégalités se sont creusées, l'économie informelle représenterait plus de 40 % du PIB.
L'économie est en partie "démonétisée" : le troc représenterait désormais 50% des échanges
industriels, contre 20 % en 1995.
Développement considérable de la criminalité (organisée) et de la corruption.
La reprise de l'activité économique depuis 1999 (2% en 1999, 9% en 2000, 5% en 2001, 4% en
2002), après la crise révélatrice de l'été 1998, ne remet pas en cause ce constat. Cette repise s'explique
d'ailleurs pour beaucoup par des facteurs conjoncturels (hausse des cours des matières premières,
singulièrement des hydrocarbures, dont le Russie est l'un des premiers producteurs et exportateurs
mondiaux). Les faiblesses structurelles de l'économie russe demeurent.
2. L'incurie de l'Etat
Nouvelle Constitution "autoritaire" (12 décembre 1993) qui accorde la prééminence à
l'exécutif (surtout Président et Conseil de sécurité + gouvernement) sur le législatif (Douma -
chambre basse- et Conseil de la Fédération représentant les 89 sujets de la Fédération de Russie).
Mais un système politique malade à l'image de son ancien Président : instabilité
gouvernementale avant Poutine. Dissolution puis assaut militaire contre le Parlement en octobre
1993. Au-delà des discours et de la volonté affichée de "remettre de l'ordre" en Russie (illustrée par le
retour en force du FSB-KGB dans les rouages de la vie administrative et économique). L'arrivée de
Poutine a permis le retour à une certaine forme de stabilité politique (au prix il est vrai d'entorses
nombreuses aux libertés démocratiques), mais il est encore trop tôt pour dire si celui-ci sera en
mesure de restaurer effectivement l'autorité de l'Etat
1991-1993 ; "thérapie de choc"; 1993-1995 : gel des réformes ; 1996-1998 : reprises sélectives
des réformes. La crise de 1998 ne trouve pas ses racines dans une libéralisation excessive ou
prématurée de l'économie, mais dans l'insuffisance de portée et d'approfondissement des réformes,
tant dans leurs dimensions économiques que juridiques. Dans un contexte de grande incertitude
quant aux droits de propriété, de corruption et de favoritisme, le fonctionnement de l'économie
russe a reposé sur un système de crédit forcé généralisé. L'interpénétration des groupes financiers et
des responsables politiques -souvent confondus (les "oligarques")- a paralysé les réformes.
Les réformes n'ont pas véritablement repris depuis lors : la réforme de la fiscalité, le régime de la
terre, la restructuration bancaire, la reconversion de l'appareil industriel (largement obsolète) sont loin
d'être achevés, même si Poutine s'est engagé à les poursuivre.
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3. Un affaiblissement considérable dans le domaine politico-militaire
En tant qu'Etat continuateur de l'URSS dans l'ordre international, la Russie occupe le siège de
membre permanent au CSNU. Après le rapatriement ou la destruction des armes nucléaires
soviétiques stationnées en Ukraine, en Biélorussie ou au Kazakhstan, la Russie hérite en outre
seule du statut de puissance nucléaire de la défunte URSS. Même après l'exécution du traiSTART
II (que la Douma a ratifié au début de l'année 2000, après 7 ans d'obstruction), la Russie demeurera
une puissance nucléaire de premier plan. La doctrine miltaire russe publiée en 1993 replaçait déjà
d'ailleurs le nucléaire au centre du dispositif de défense russe. Cette inflexion résulte cependant
autant de la déliquescence des forces conventionnelles que d'un choix délibéré.
1992 : 2,8 M d'hommes. 2000 : 1,2 M. L'armée russe est toujours la plus importante
d'Europe mais le nombre cache un état réel très dégradé : carences en matière d'encadrement,
fuites massives devant la conscription (qui expliquent que le service militaire ait été porté de 18 à
24 mois en 1994), équipement obsolète, retard de salaires pouvant atteindre plusieurs mois. La
première guerre de Tchétchénie (décembre 1994-août 1996) a administré la preuve que les
capacités opérationnelles de l'armée russe sont très limitées ("défaite de Grozny" en décembre
1994-janvier 1995) et que l'armée russe n'est pas en mesure de mener une guerre d'envergure. Le
second conflit tchétchène (depuis septembre 1999), en dépit des communiqués victorieux, confirme
cet état de fait. L'armée russe est enlisée en Tchétchénie.
La réforme des armées, qui vise notamment à la professionnaliser (500 000 hommes) et à la
doter de capacités de projection importantes, est annoncée depuis 1993 mais repoussée chaque
année depuis, faute de moyens. La nouvelle "doctrine militaire russe" (cf.supra) tire les conséquences
de l'évolution de la donne géostratégique et des moyens militaires russes : la Russie ne se reconnaît
plus d'ennemi, adopte une stratégie défensive et entend développer sa participation dans des forces de
maintien de la paix, principalement en CEI. Privée du Pacte de Varsovie (1991), de l'essentiel de ses
moyens militaires, l'armée russe ne constitue pas une menace pour la sécurité internationale. Par
l'Acte fondateur OTAN-Russie signé à Paris en 1997, les deux parties ont reconnu qu'elles
n'étaient plus des adversaires.
Au-delà des performances de l'armée russe, c'est la réduction drastique de l'espace d'influence
de la Russie qui obère son poids militaro-stratégique : extension de l'OTAN à l'Est (Pologne, RT,
Hongrie en 1999. Bulgarie, Roumanie, pays Baltes, Slovénie, Slovaquie en 2004). Même dans son
étranger proche, et notamment en Asie centrale et en Transcaucasie, l'influence de Moscou est
contestée et parfois même battue en brèche (voir infra). Illustration : en juin 1999, le refus de
l'Ukraine, de la Hongrie, de la RT, de la Roumanie et de la Bulgarie d'ouvrir leur espace aérien
aux avions russes, empêche Moscou de dépêcher 2500 parachutistes au Kosovo et de parachever
ainsi le "coup de Pristina" (envoi, depuis la Bosnie, d'éléments blindés qui prennent le contrôle de
l'aéroport peu avant l'arrivée des forces de l'OTAN) pour imposer aux Occidentaux l'octroi à la Russie
d'un secteur au Nord-Est de la province.
B. Si la Russie tient un discours de puissance, ses ambitions restent limitées.
1. Préserver son influence dans l'"étranger proche".
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La dissolution de l'URSS marque l'inversion d'un mouvement d'extension des "frontières" et de
l'influence russes amorcé au XVIème siècle et qui s'était poursuivi jusqu'à l'invasion de l'Afghanistan.
La Russie représente aujourd'hui 75% du territoire de l'ex-URSS et abrite un peu plus de la moitié de
sa population (150 M). Privée d'accès terrestre immédiat à l'Europe centrale, de ses débouchés
maritimes essentiels sur la Baltique et la Mer Noire, la Russie s'efforce depuis lors de se
désenclaver en maintenant son influence dans une zone attirée à l'Ouest par les perspectives
d'intégration européenne, notamment en matière de sécurité (OTAN), et convoitée au sud par des
puissances rivales (Turquie, Iran, Pakistan, mais aussi, Etats-Unis).
25 millions de Russes ou russophones vivent hors de Russie dans les Etats ex-soviétiques
(Ukraine 11, Kazakhstan 6, Biélorussie 1,5) + intérêts pétroliers en Transcaucasie et en Asie
centrale + CEI premier débouché pour les produits russes = zone stratégique pour la Russie.
Ces tentatives de préserver ou de reconstituer un espace économique et de sécurité commun se
sont traduites par la multiplication de traités bi ou multilatéraux entre la Russie et les anciennes
Républiques soviétiques. Les réalisations les plus significatives -bien que leurs résultats ne soient pas
toujours tangibles- sont :
- en matière politique et économique, la CEI : constituée en 2 temps : accord de Minsk du 8
décembre 1991 entre la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, puis étendue aux autres ex-Républiques
soviétiques moins les pays baltes et la Géorgie par les accords d'Alma-Ata le 21 décembre. Ces
accords prévoient l'institution de mécanismes communs en matière de coopération économique, de
douanes, de sécurité nucléaire, etc. En 1996 a été signé un accord quadripartite entre la Russie,
le Kazakhstan, la Biélorussie et le Kirghizstan destiné à appronfondir l'intégration et à
déboucher sur la création d'une communauté des Etats intégrés.
- En matière de sécurité, traité de sécurité collective de Tachkent de 1992 signé par 9 Etats,
complété par l'accord de Minsk de 1995 portant sur la création d'un système unifié de défense
aérienne (auquel toutefois l'Ukraine, l'Ouzbékistan et l'Azerbaïdjan se sont opposés) et par un autre
signé à Almaty en 1995 sur la défense commune aux frontières (opposition Az, Mold, Ouz, Turk,
Uk), en vertu desquels a Russie dispose de bases et de facilités militaires dans plusieurs des Etats de
la CEI et qui ont servi de fondement aux interventions russes en Moldavie (Transnistrie), en Géorgie
(Ossétie du Sud), au Tadjikistan et en Abkhasie.
Même dans son "étranger proche" toutefois, l'influence russe est contestée :
- en matière politique : le bilan de la CEI est mince. Les relations de la Russie avec plusieurs ex-
Républiques soviétiques sont aujourd'hui particulièrement dégradées. Ex : le GUUAM (Géorgie,
Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie), regroupement destiné à mieux résister
collectivement aux pressions russes. Pays baltes totalement tournés vers l'Ouest. On peut à ce titre
mentionner l'impasse du projet d'Union slave entre la Russie et la Biélorussie, qui prévoyait la
création d'une véritable confédération politique et économique des deux Etats. (peu de résultats
tangibles sinon en matière militaire avec l'octroi de bases à la Russie en territoire biélorusse).
- en matière de sécurité : retrait au printemps 1999 de l'Azerbaïdjan, de l'Ouzbékistan et de la
Géorgie du Pacte de sécurité collectice (1992) de la CEI. Refus des membres de la CEI de
condamner les frappes aériennes de l'OTAN contre la RFY. Demande de l'Azerbaïdjan aux Etats-
Unis et à l'OTAN d'installer sur son territoire une base militaire.
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- en matière socio-économique : échec de la CEI, même si la Russie reste pour les pays de la CEI
un partenaire incontournable, notamment pour leur approvisionnement énergétique, mais leur
dépendance ne cesse de diminuer. Le commerce intra-communautaire = 73% des échanges de ces
pays en 1991, moins d'un tiers aujourd'hui. Dans la gion de la Caspienne, implantation de plus
en plus importante des grandes sociétés pétrolières occidentales, et développement de projets
d'oléoducs contournant le territoire russe.
Même si la Russie a joué un rôle actif -quoique discret- dans la récente crise afghane aux côtés des
Etats-Unis, la réussite de l'opération "Liberté immuable" renforce considérablement la position des
Etats-Unis, dont l'influence -en partie au détriment de l'influence russe- se trouve durablement établie
dans la région.
2. Demeurer un acteur écouté et respecté sur la scéne internationale.
Cet objectif s'est traduit dans par la volonté de rompre son isolement international, en se faisant
admettre dans les grands mécanismes multilatéraux existants (adhésion au FMI et à la BM en 1992,
au Conseil de l'Europe en 1996, membre du G7 qui devient G8 au sommet de Denver en juin
1997, au Club de Paris -comme créancier, membre de l'APEC depuis 1998, etc. ) et par une
tentative de rééquilibrer les relations internationales à son profit, contre l'hégémonie américaine, en
jouant la carte de la multipolarité : normaliser ou à tisser des liens privilégiés avec certains Etats
(partenariats stratégiques avec la Chine et l'Inde, rapprochement avec le Japon et la Corée du Sud,
etc).
Mais là encore, une influence limitée :
- en Europe, la Russie ne peut s'opposer à l'extension de l'OTAN à la Hongrie, Pologne et Rép.
tchèque décidée au sommet de Madrid en 1997 (et effective depuis avril 1999), à l'opération de
l'Alliance contre la RFY en 1999 ;
- au Proche-Orient, il ne reste plus grand chose des solides positions soviétiques (monde arabe) :
aucun rôle dans le processus de paix israélo-palestinien ou arabe (alors que la Russie est co-
présidente du processus de paix ouvert en 1991 à Madrid). Liens particuliers avec l'Irak mais
incapable de convaincre le régime de reprendre la coopération avec les NU;
- en Asie-Pacifique, des résultats essentiellement symboliques (Chine, Japon, APEC...) : elle n'est un
partenaire commercial important pour aucun des pays de la zone (elle représente 1% du commerce
asiatique). Tenue à l'écart du processus de négotiations multilatérales sur l'avenir de la péninsule
coréenne lancé en 1996 (malgré la proximité). La réalité des partenariats stratégiques buttent sur la
question : qu'a-t-elle à offrir ?
II - La Russie demeure toutefois un acteur majeur des relations internationales
A. La Russie est considérée et traitée comme un acteur majeur des relations internationales
1. Elle reste une grande puissance potentielle
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