Le dimanche 29 juillet 2007
La pub ou votre médecin, qui croire?
Photo fournie par Pfizer Canada
Nicolas Ritoux
La Presse
Collaboration spéciale
Avez-vous vu ces étranges publicités anonymes de
médicaments ? On nous parle d'une maladie en détail, sans que
l'on sache jamais qui s'adresse à nous. La dernière, au sujet de
l'Alzheimer, montre un homme âgé qui achète du lait pour
l'énième fois sans s'en rendre compte, provoquant l'inquiétude
de sa femme. On nous invite sur un site web : surlamemoire.ca
Le site décrit les signes précoces de l'Alzheimer, mais on ne sait
toujours pas qui nous y renvoit. Dans les petits caractères, on
mentionne d'«une des compagnies de recherche pharmaceutique du
Canada». Il faut chercher le propriétaire de l'adresse IP pour découvrir
qu'il s'agit de Pfizer. Le médicament qu'ils espèrent voir votre médecin
vous prescrire une fois en consultation, c'est l'Aricept.
Alors que la publicité nous a habitués à entendre 20 fois le nom du
produit dans une annonce, cette sobriété des compagnies
pharmaceutiques est plutôt étrange. La raison se trouve dans le
Règlement sur les aliments et les drogues de Santé Canada : «Un
fabricant de médicaments ne peut combiner dans une même annonce
de l'information promotionnelle sur un médicament d'ordonnance
donné et une maladie ou un état particulier».
C'est pourquoi Pfizer doit choisir l'un ou l'autre : pour Aricept, on nous
parle de l'Alzheimer sans nommer le médicament, tandis que dans sa
campagne pour Viagra, elle ne donne que le nom du produit.
C'est ainsi que Santé Canada a choisi de protéger le public contre une
publicité qui pourrait conduire à des dérives, comme la surmédication
ou même l'automédication. On tente ainsi de résister au modèle
américain, où les annonces disent tout sur les médicaments, laissant
les patients passer leurs commandes à leur médecin.
Cela dit, même forcée à la sobriété, la publicité canadienne pour les
médicaments d'ordonnance a des effets pervers, selon certains
médecins.
Urgentologue au Centre de santé universitaire McGill (CUSM), Sophie
Gosselin entend régulièrement des patients lui parler des publicités
qu'ils ont vues à la télévision.
«Ils me disent qu'ils ont vu une annonce décrivant une condition qui
ressemble à la leur, ou qu'ils ont lu sur internet que telle pilule pouvait
les guérir. Si tu travailles trop, c'est normal que tu sois fatigué; si tu
t'alimentes mal, c'est normal que tu fasses du cholestérol; si tu vis un
deuil, c'est normal que tu vives une mauvaise passe.»
Face au pouvoir de la pub, le professionnel est parfois désarmé.
«Quand le patient se présente chez le médecin, c'est difficile de donner
des explications. Il faut avoir des arguments, leur montrer l'autre point
de vue, l'autre côté de la médaille. Et quand je suis aux urgences, je
n'ai pas le temps d'expliquer tout ça», poursuit Mme Gosselin.
«Le message principal de ces annonces, c'est : venez plus souvent voir
votre médecin, même si vous n'avez que des symptômes légers»,
déplore Christine Meyers, urgentologue à l'hôpital Royal-Victoria.
«Dans le cas de l'Alzheimer, la science est encore relativement
impuissante et il est difficile de diagnostiquer ses symptômes précoces
sans les confondre avec une perte normale de mémoire», ajoute Mme
Meyers.
Le Dr Georges Lévesque, urgentologue à l'Institut de cardiologie et
animateur de l'émission Une pilule, une petite granule à Télé-Québec,
voit lui aussi régulièrement des patients arriver dans son cabinet
«avec une pile de documentation tirée de l'internet».
«Pour moi, lire des rapports scientifiques sur les médicaments est déjà
très ardu, même après avoir suivi une formation juste pour ça. On
peut se fourvoyer très facilement en les lisant. Alors le grand public,
on n'en parle même pas!»
Finalement, vaudrait-il mieux laisser la médecine aux médecins ? «Les
patients ne devraient même pas avoir accès à ce genre d'information
publicitaire», opine Mme Meyers.
Même son de cloche au Collège des médecins. «L'idéal pour les
compagnies pharmaceutiques, ce serait de pouvoir faire de la
sollicitation directe auprès des patients, comme aux États-Unis. C'est
une forme indirecte d'ingérence dans le travail du médecin. Nous ne
voulons pas que le patient fasse son propre diagnostic», indique Yves
Robert, secrétaire du Collège des médecins.
Une information d'intérêt public?
«Ça me fait rire quand les médecins disent que nos publicités
influencent les patients, rétorque Sophie McCann, porte-parole de
Pfizer Canada, qui fabrique les médicaments cités dans cet article. Le
médecin est tout seul dans son bureau avec le patient. On a aucune
idée de ce qu'il prescrit.»
Pourquoi investir dans la publicité si elle n'a pas d'influence sur les
patients ?
«Les gouvernements n'ont pas assez d'argent pour informer le public
sur les maladies, explique Mme McCann. Nous essayons donc de faire
notre part pour informer le public.On essaie de faire rentrer plus de
gens dans le bureau du médecin; si on a une prescription tant mieux,
sinon tant pis. La population aura au moins été informée d'une façon
non biaisée et revue par des organismes indépendants. C'est gagnant-
gagnant.»
Dans le cas de l'Alzheimer, Mme McCann explique que «c'est une
maladie si complexe qu'il faut encourager les gens à reconnaître les
signes. Mais on ne peut pas s'assurer que le médecin prescrira notre
médicament, Aricept».
Un argument fragile, selon Georges Lévesque. «Pour l'instant, l'Aricept
est le seul produit approuvé pour l'Azheimer; il est donc facile pour le
médecin de faire le lien entre l'annonce télévisée et le médicament à
prescrire.»
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