Chapitre 2. La pensée classique : de l’agrarianisme à l’analyse systématique de la production 1. La pensée agrarienne. 1.1. Les physiocrates. 1.2. Adam Smith (1723 - 1790) 2. La pensée systématique ou Le matérialisme de David Ricardo à Piero Sraffa. ?? 2.1. David Ricardo 2.2. Piero Sraffa Introduction ? L'économie politique classique aurait pu naître en France avec des précurseurs tels que Vauban ou Boisguilbert, mais elle a trouvé un climat plus favorable en Angleterre avec le puritanisme. Elle s'ordonne autour de la production et de la séquence : valeur---> répartition---> prix 1) On peut faire remonter la pensée classique à Vauban ( dont notre collège s'honore de porter le nom...). Sébastien le Prestre, Seigneur de Vauban ( 1633- 1707), Maréchal de France, écrivit une foule d'écrits sur les fortifications, la guerre, la marine, les finances publiques, la religion, la monnaie, l'agriculture et la colonisation. En 1698, il met en place un recensement de la population et surtout élabore en 1707 un projet d'impôt dit de "dîme royale" et son "testament politique": afin de simplifier les impôts ( nombreux, compliqués et inefficaces), il propose un impôt unique sur le revenu, pouvant être de différents taux mais dont le maximum serait de 10 %.... proposition qui compromettra sa position de favori au près de Louis XIV. Il est conscient que l'impôt touche l'organisme économique au coeur. Afin de justifier ce projet ( que l'on retrouvera chez Mirabeau et plus tard chez....Allais), Vauban argumente avec tous les faits possibles, usant, à la manière de Petty, de faits, poids et mesures. Non seulement il sera réputé comme créateur de la statistique mais comme utilisateur de celle- ci aux fins de son argumentation. " C'est ce qui fait de lui un économiste classique, au sens apologétique du mot, et un précurseur des tendances modernes, bien qu'il n'ait pas contribué à l'appareil théorique moderne de la science économique" ( Schumpeter, HEA, pp.203 passim). La pensée de Vauban et celles de nombreux intellectuels français se retrouve tiraillée entre la volonté de réformes et une résistance conservatrice très forte. La résolution de cette tension n'interviendra qu'un siècle plus tard. De ce fait, la pensée classique trouvera plutôt son inspiration dans l'extraordinaire révolution anglaise. - 2- L'éthique protestante (Cf. le débat de Max Weber à Tawney) ne constitue pas une entité globale. Il existe dans l'Angleterre du XVII° siècle une multitude de formes d'esprit issues de la Réforme. Celle ci liée à l'origine au problème matrimonial de Henri VIII fait de l'église une institution dont le pouvoir économique et politique sera considérablement réduit; avec en particulier la dissolution des monastères et la disparition des abbés de la chambre des Lords. La Réforme a eu en Angleterre un caractère irréversible. Jamais la religion de Rome ne pourra rétablir son autorité. Tous les souverains qui se compromettront avec Rome y 1 trouveront leur perte, en particulier Charles I° et Charles II. Elle fournit une approche du monde adaptée à la nouvelle idéologie. En insistant sur la différence entre la connaissance surnaturelle et la connaissance naturelle, elle donne à cette dernière les moyens de son émancipation. Cette idée se trouvait déjà chez Calvin dans sa doctrine de la foi active, avec la dissociation entre la hiérarchie céleste et la hiérarchie terrestre, entre causes principales et causes secondaires. Mais l'idéologie de Calvin renferme aussi l'idée du contrôle direct de Dieu sur ses créatures. Aussi, le rôle de Calvin deviendra de plus en plus diffus dans la religion réformée anglaise Celle- ci minimise le domaine où intervient la puissance divine pour proclamer le rôle de la nature. A la façon de John Preston, célèbre prédicateur puritain (Cf. Ch Hill,1958): "Dieu n'altère pas la loi de la nature". Les sermons de John Preston ,comme d'autres, ont lieu dans des centres contestataires. Chassés de Cambridge avant la révolution, ils prêchent à Lincoln's Inn ou Gray's Inn où se retrouvent des puritains éclairés. La doctrine prêchée est celle de la convention : Dieu est omnipotent mais il peut passer une convention avec son serviteur pour limiter son pouvoir et dès lors ses actions deviennent prévisibles et compréhensibles. Les "lecturers" , payés par les marchands, seront persécutés par l'archevêque Laud jusqu'à la révolution; payés par leurs ouailles, ils peuvent proclamer l'après midi, l'exact opposé de ce qu'a pu dire le matin le clergé officiel. La tolérance des pays protestants est souvent opposée à l'intolérance qui régnait au XVI/XVII° siècle dans les pays catholiques. Ainsi la tolérance anglaise pouvait être opposée à l'intolérance qui régnait en France. Néanmoins, la tolérance en Angleterre n'atteignait pas le niveau de celle qui régnait en Hollande ; un centre tel que celui de Leydes accueillera de nombreux jeunes anglais épris de nouvelles techniques et de discussions théologiques. Jacques II se préoccupera des mauvaises influences acquises par la jeunesse anglaise dans "un endroit aussi infect que l'université de Leydes.." (cité dans Hill, 1972). La révolution de 1640 fera aboutir, sur la tolérance, les conceptions de Hobbes, Harrington avec de multiples conséquences idéologiques. La religion perd définitivement l'importance qu'elle avait auparavant. La pensée devient autonome. La réflexion économique peut s'affranchir de la morale et s' appuyer sur le seul calcul des avantages et désavantages pour la richesse de l'individu et de la nation. Le nouvel esprit intellectuel et le nouvel esprit religieux peuvent coïncider. La nouvelle religion fondée sur l'individualisme permet la méthode expérimentale. La religion elle- même, représente un terrain d'expérimentation où l'usage de l' autorité diminue au profit des "soul experiments". Enfin la tolérance religieuse favorise la productivité: on connaît les calculs de Petty dans ce domaine, montrant comment la tolérance accroît la productivité de 50% ... - 3- Plus généralement la pensée classique, sur les fondements socio- politiques du XVII° siècle, analyse la production, les causes et l'évolution de la richesse. Elle pose de l'équation pono- physiocratique en partant de l'agriculture ( Physiocrates- Smith- Malthus) et en terminant par le travail ( Ricardo- Marx). Elle ne reste pas à la superficie ou aux évidences, en développant des lois contreintuitives telle l'analyse ricardienne de la rente, ou les analyses (Smith, Ricardo) de la valeur. D'où l'idée ( Marx) qu'elle est susceptible d'une critique logique. Elle se différencie ainsi du sensualisme de Condillac (1776, Le commerce et le gouvernement considérés relativement l'un à l'autre) et de ce qui sera plus tard le positivisme de Comte ( 1852, le Catéchisme...). Elle est centrée sur la production, l'offre mais aussi les contradictions sociales. Certes la demande peut intervenir, résultant de l' expansion démographique ou de l'évolution du pouvoir d'achat ou encore du comportement des classes dépensières. Mais, elle prend ainsi un aspect secondaire ou exogène. 2 L' équation ponophysiocratique caractérise la pensée des premiers classiques ( Petty, 1660; et Cantillon, 1755 ). Prenons l'expression qu'en donne Cantillon dans les premières phrases de son " Essai sur la nature du commerce en général": " La terre est la source ou la matière d'où l'on tire la richesse; le travail est la forme qui la produit.." Cette expression aura de nombreuses versions ( terre mère/travail père) dans l'analyse de la richesse classique. Une partie des classiques ( physiocrates, Smith, Malthus) insistera plutôt sur la terre, la seule à même de produire plus qu'elle ne coûte. Une autre considérera plutôt le travail et le capital ( Ricardo, Marx, Sraffa). Dans ce dernier cas intervient un problème systématique qui correspond à la séquence de pensée valeur/répartition/prix. Ainsi on peut poser cette subdivision entre classiques; en distinguant les agrariens d'un côté et la pensée systématique de l'autre. 1. La pensée agrarienne. Cette pensée privilégie la terre comme facteur exclusif ( les physiocrates) ou prioritaire ( Smith et Malthus). Cette pensée est largement répandue en Europe au XVIII° . 1.1. Les physiocrates. 1.1.1. Généralités a. Les troupes: en grande partie des intendants et contrôleurs généraux des finances, Les précurseurs: Boisguilbert ( Le Détail de la France, 1697 ;le Factum de la France), Cantillon ( cf. supra) , Gournay ( père de la formule laissez faire/ laissez passer) mais ces précurseurs ne situent pas uniquement en France compte tenu de l'influence de l'agrarianisme anglais. Les principaux membres : Dupont de Nemours ( 1735- 1817), il prépare avec Turgot l'édit sur la liberté du commerce des grains de 1764; inventeur de l'étiquette "physiocrate", il sera amené à s'exiler aux États Unis à la fin de sa vie... Le Mercier de la Rivière, théoricien politique; il est séduit, comme Diderot, par l'expérience de Catherine II en Russie et expose sa conception du despotisme éclairé dans l'"ordre naturel et essentiel des sociétés politiques" Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau ( père de..), (1715- 1783), écrit "l'ami des hommes ou traité de la population" (1759) où il défend l'idée que la richesse dépend de la population qui dépend des subsistances lesquelles dépendent de la terre...c'est donc la terre qui est à l'origine de toute richesse.Il rédige l'essentiel, avec Quesnay, de la "philosophie rurale" ( 1763). François Quesnay ( 1694- 1774). D'origine modeste ( son père issu de la terre est petit avocat au Parlement), il réalise des études de médecin chirurgien et devient médecin personnel de la Pompadour puis du roi. Il s'installe à Versailles qui devient le lieu de l'école. 3 Il écrit deux articles de l'encyclopédie ( 1751): "fermiers" et "grains",le tableau économique ( 1758) et aussi " Le Droit naturel " (1765) qu'il publie dans le "Journal de l'agriculture, du commerce et des finances", journal dirigé par Dupont de Nemours; il y publie plusieurs commentaires sur le Tableau. Citons encore " ses maximes générales du gouvernement d'un royaume agricole "(1758) et encore des propos ayant trait au despotisme de la chine ou encore au gouvernement des incas du Pérou. Les sympathisants: de nombreux contrôleurs généraux ( Bertin,1715-1788, grand protecteur de l'agriculture, Callone, et intendants des finances ( Truden, 1709-1769 et surtout Turgot..). Le sympathisant le plus connu est Turgot (1727- 1791), renonçant à la prêtrise et à l'enseignement, il devient intendant à Limoges où il effectue des recensements. Les idées physiocrates classiques sont très améliorées avec des théories nouvelles: minimum physiologique, loi des rendements non proportionnels. I Les adversaires Les derniers mercantilistes: Forbonnet, l'abbé Galiani, l'abbé Terray et surtout Necker qui fera l'éloge de Colbert. Les classiques: Graslin ( 1727- 1790) selon lequel l'industrie peut être également productrice nette, ce que l'on retrouve chez l' abbé de Condillac ( 1714- 1780) avec son ouvrage économique en 1776: du commerce et du gouvernement considérés relativement l'un à l' autre. Les pré- socialistes ( Rousseau dont la philosophie sur l'ordre naturel diverge du conservatisme des physiocrates et surtout ses idées politiques sur la propriété et les inégalités; l'abbé Mably, Morelly). Voltaire dont le conte sur l' "homme aux quarante écus" attaque la physiocratie... b. Généralités sur la pensée des physiocrates La pensée des physiocrates a toujours été source d'interrogations tant elle repose sur des dilemmes, sinon apparaît contradictoire: - dilemme pensée réactionnaire/ moderne. réactionnaire quand elle fait appel à l'ordre naturel, à la propriété au royaume. - dilemme "secte française" ou mouvement international - dilemme entre pensée sociale "macro"( avec des catégories représentatives) et réflexion sur l'homme. Ainsi Louis Dumont y voit la naissance d'un "tout ordonné", sinon du holisme Elle commence ainsi par une réflexion sur la philosophie de l'homme.. puis des classes et finit par une réflexion sur les agrégats eux mêmes. Cette pensée peut être résumée par trois ordres: - l'ordre naturel: une certaine conception de la nature, l'homme et de la société. Il existe des lois naturelles: "..la législation positive consiste donc dans la déclaration des lois naturelles, constitutives de l'ordre évidemment le plus avantageux possible aux homme réunis " en société. ( Droit Naturel). Les transgressions du droit naturel sont la source de tous les maux. D'où une négation de l'histoire et une immuabilité de l'ordre des choses. La meilleure critique contemporaine est celle de Rousseau. L'homme est soumis aux lois naturelles, mû par l'hédonisme ( il est dans la nature humaine de maximiser son intérêt personnel) et une certaine sociabilité ( le XVIII° est le siècle de la bienveillance). La société, régie par le contrat social, met en harmonie les intérêts particuliers et la société; "l"'intérêt particulier est le premier lien de la société; d'où il suit que la société est d'autant plus assurée que l'intérêt particulier est le plus abri" ( Mirabeau). Les hommes sont 4 égaux , mais l'inégalité est le fruit des différences de milieu et de capacité dans le travail. D'où l'idée que la liberté implique la liberté de sa personne et celle des choses acquises par le travail. Toute atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie est une atteinte aux droits de l'homme; la liberté permet la concurrence et la diminution des coûts. Il faut donc condamner les monopoles et privilèges. - l'ordre économique: critiques du mercantilisme ( sur l'enrichissement, l'agriculture productrice nette, libéralisme afin d'assurer un revenu élevé à l' agriculture), les rapports entre les classes et le tableau économique). - La richesse ne se confond pas avec le stock monétaire ( car tout dépend de la consommation productive, i.e ce que , ce que l'on peut consommer sans s'appauvrir. Elle ne se confond pas plus avec la population. L'expression de Mirabeau est restée célèbre: " Les hommes se multiplient comme des rats dans un grenier s'ils ont les moyens de subsister" - Seule l'agriculture est productrice nette: " Les travaux de l'agriculture dédommagent des frais, payent la main d'oeuvre de la culture , procurent des gains aux laboureurs et de plus, ils produisent les revenus des biens fonds( la rente foncière). Ceux qui achètent les ouvrages d'industrie, payent les frais, la main d'oeuvre et le gain des marchands, mais ces ouvrages ne paient aucun revenu au delà. L'industrie et le commerce sont stériles, et on ferait double emploi si, dans le but de calculer la valeur du produit national, l'on additionnait la valeur des biens agricoles et celle des biens industriels. - Seule la liberté peut assurer un revenu élevé à l'agriculture. Elle réduit les coûts et abolit les monopoles. Elle permet d' obtenir de bons prix et d'élever la productivité: " Abondance et non valeur n'est point richesse. Disette et cherté est misère. Abondance et cherté est opulence". ( Quesnay). ( cf. editn GF. p. 111) La liberté intérieure et extérieure est la condition de la richesse: Turgot: " Quiconque n'oubliera pas qu' il y a des frontières entre les nations, ne traitera jamais bien d'aucune question d'économie politique". - L'ordre économique règle les rapports entre les trois classes fondamentales: classe productive, classe des propriétaires et classe stérile. * La classe productive ( voir def . in GF p. 209): "celle qui fait renaître par la culture du territoire, les richesses annuelles de la Nation" Il s'agit en fait des fermiers qui font des avances: - avances primitives: dépense en capital fixe ( machines etc....). - avances annuelles: capital circulant ( semences et salaires). * "La classe des propriétaires comprend le souverain, les possesseurs de terre et les décimateurs".(ibid p. 210).Elle subsiste par le revenu ou produit net qui lui est payé annuellement par la classe productive. Cette classe par sa distribution (naturelle) conditionne le développement harmonieux du pays ( cf; Malthus plus tard avec le rôle des dépense de luxe), il est donc nécessaire de protéger la "propriété foncière qui est le prolongement de la liberté individuelle...". Ces propriétaires font aussi des avances, les avances foncières : fonds de terre ou infrastructures ( de la part du souverain). * La classe stérile. 5 Tous les autres... dont les dépense sont payées par la classe productive et celle des propriétaires. - Le tableau économique est le reflet de l'ordre économique 6 La troisième invention capitale..après l'écriture et la monnaie ( Mirabeau). Dans sa première version, le ZIZAC, il montre le rôle central de la distribution effectuée pour moitié entre moyens de subsistance et pour moitié de produits façonnés (ou propension à consommer..) Soit une avance par la classe productive de 2 milliards qui produit 3 milliards dont 2 de produit net. Soit la classe productive (I) qui alloue ses 2 milliards de produit net à la la classe des propriétaires ( II) ; celle ci répartit ses dépenses raison de 1 milliards pour classe productive (I) et I milliards pour la classe stérile ( III) et à leur tour chaque classe répartit à raison de 1/2 entre dépenses agricoles et commerciales etc....( voir p. 150 de GF). Le tableau lui même étudie les flux des dépense entre catégories représentatives, il est typiquement macro-économique et on peut même l'interpréter au delà de l'état stationnaire comme un phénomène multiplicateur. Soit 5 milliards d'avances annuelles, à raison de 2 pour la classe I, 2 ( en fait du revenu) pour la classe II et 1 pour la classe III. La classe II conserve sa propension à consommer ( I/2 entre I et III). Le milliard de la classe stérile est utilisé pour acheter de la subsistance à I . Néanmoins la classe I achète 1 milliards à la classe stérile. Au total, la classe productive auto consomme 2 milliards, verse 2 milliards aux propriétaires et achète 1 milliards aux "stériles". Elle effectue ainsi 5 milliards de dépenses Extrait du site CHPE ( Paulette TAIEB) On voit ainsi nettement un tableau qui préfigure les schémas des avances de Marx et plus encore les tableau input/ouput de type Léontief. - l'ordre politique: despotisme légal, la contradiction entre l'agrarianisme et l'impôt sur l'agriculture. 7 Les physiocrates en défendant le despotisme légal s'éloignent de Rousseau et Montesqieu comme on l'a vu sur le tableau précédent, le souverain a les mêmes intérets que les propriétaires fonciers ( il est le propriétaire éminent). Il déclare et protège dans ses applications les lois naturelles. Le pouvoir politique ( cf. le Mercier de la Rivière) est nécessaire, il doit être concentré dans les mêmes mains et il faut que la monarchie soit héréditaire. Déclarant les lois naturelles et s'y conformant, elle ne peut être arbitraire. Si le produit net est le seul à produire des richesses, lui seul doit être taxé. Donc le souverain a tout intérêt à protéger l'agriculture seule base fiscale......Les "économistes" sont ainsi pour un impôt direct ( impôt direct = pauvre paysan pour Quesnay) proportionnel au produit net. Il servira à payer les fonctionnaires ( chargés de l'ordre naturel), aux infrastructures, et enfin à l'éducation publique et obligatoire. Enfin l'expansion coloniale est pour eux préjudiciable à la classe des fermiers et à celle des propriétaires fonciers. 1.1.2. Mouvement ou école physiocratique ? La pensée physiocratique aux yeux des historiens est apparue dans la plupart des cas comme une pensée dogmatique strictement limitée dans le temps et dans l'espace, correspondant à une "forme d'esprit bien Française" (Barrère). La physiocratie est encore apparue comme une réaction organisée contre les excès des mercantilistes, Colbert notamment. Les "physiocrates" ont pu être caricaturés au point d'apparaître comme un ramassis de courtisans "réactionnaires". Ainsi a-t-on pu écrire que la doctrine physiocratique était une tentative désespérée des propriétaires fonciers pour arrêter le progrès technique, un essai de renversement de la noblesse pour sauver la monarchie contre le Tiers-Etat. ( Bernard, 1963, Goldman, 1952). Selon Paul Harsin (1964) dans sa préface à l'ouvrage de J.F.Faure-Soulet ("DeMandeville à Turgot"), il faut apporter une "très sérieuse atténuation à l'opposition accusée entre mercantilistes et physiocrates. Les néo-mercantilistes à la fin du 17è siècle et à la première moitié du 18è siècle (Petty, Cantillon) tirent leur philosophie et plus d'une de leurs conceptions du même fond idéologique que les physiocrates". Il faut remarquer, à propos de la physiocratie, qu'elle représente un mouvement où les hétérodoxes sont plus nombreux que les disciples orthodoxes de Quesnay. Certes, il y a une école physiocratique après la conversion de Mirabeau et la mort de Gournay (1758); elle se constitue même en parti en 1767, avec son journal "les éphémérides du citoyen"), jusqu'en 1770 où , frappée de disgrâce, elle disparaîtra. Mais la pensée physiocratique : - a des origines beaucoup plus anciennes : Quesnay et Mirabeau vantent les grandes vues de Sully, que nombre de physiocrates considèrent comme le fondateur du mouvement, et le "Gouvernement économique idéal", aurait, selon eux, déjà existé lors des dix premières années du 17è siècle. - se poursuit bien au-delà de la disparition des Ephémérides en 1772. A cette époque, l'école physiocratique, elle-même, disparaît, mais le mouvement se poursuit sous des formes diverses: - En France, avec Turgot, qui expose une vision synthétique de la doctrine physiocratique, avec Morellet qui tente une synthèse entre les deux courants divergents qui coexistent depuis la mort de Gournay, de façon aussi heureuse avec les abbés Baudeau et Roubaud, ou encore avec des auteurs postérieurs comme Daire, Passy, le Marquis G.Garnier, (qui publie, en 1796 "l'abrégé de la lumière des principes de l'Economie Politique), et enfin avec Dutens qui publie sa philosophie de l'Economie Politique en 1835. 8 - En Allemagne avec Th. A. H. Schmalz, Conseiller du Roi de Prusse, et avec Margrave, Charles Frédéric de Bade, qui après avoir publié une "Analyse abrégée des principes de l'économie politique" fera l'expérience malheureuse de l'impôt unique dans plusieurs villages de son territoire. - En Italie, avec de nombreux auteurs, tels que Filangieri, F. Paoletti.La pensée physiocratique influencera d'ailleurs plusieurs ministres toscans. - Mais aussi en Pologne : avec Strognowski et en Russie avec le Prince Galitzin. Mais le mouvement connaîtra aussi d'importants prolongements en Angleterre, pays qui n'échappe ni au mouvement physiocratique ni à ses excès. C'est ainsi qu'on y trouve des auteurs qui, tel W.Spence, reprennent, tels quels, les principes physiocratiques en les caricaturant, ou encore l'auteur anonyme de "the essential principles of the wealth of nations", (Londres 1797), auquel Marx consacre un chapitre de ses théories de la plus value. Smith a été largement influencé par les physiocrates; on sait que Marx consacrera un des chapitres des "Théories sur la plus value" aux aspects physiocratiques de l'oeuvre de Smith. L'analyse comparée des auteurs Anglais antérieurs et postérieurs à l'école physiocratique pourrait démontrer à quel point cette dernière est débitrice vis-à-vis des auteurs Anglais, à la fois par ses origines et ses prolongements. S'il y a "école physiocratique" avec des particularités nationales, il y a un mouvement physiocratique qui, lui, est international, et correspond à certains problèmes posés par un état donné de complexité des modes de production. Marx dans les Théorie sur la plus value, concilie ainsi le déterminisme géographique et l' analyse économique quand il affirme : "le système physiocratique se présente comme la nouvelle société capitaliste, s'installant dans le cadre de la société féodale. Il correspond donc à la société bourgeoise à l'époque, où elle nait du système féodal. Son lieu de naissance est donc la France, pays surtout agricole, et non pas l'Angleterre où dominent le commerce, l'industrie et la navigation maritime". Marx insiste, à plusieurs reprises, sur la division de l'école classique, en deux pensées, "Anglaise et Française"; montrant comment les contrastes nationaux existant entre deux pensées, permettent d'éclairer les différences sociales économiques de l'Angleterre et de la France. Précisément, pour pouvoir analyser la plus value, il fallait que les auteurs se centrent sur le problème de la production hors des problèmes de la circulation. A ce point de vue, la France était un pays privilégie, étant donné la prédominance de l'agriculture dans l'activité générale du pays. C'est dans des conditions historiques données (tenant surtout à l'apparition du capitalisme rural) que le mouvement physiocratique arrivera à rassembler en système, des idées qui avaient été émises en France, et surtout en Angleterre. (Cf. Histoire des Doctrines Economiques - op. cit. p. 51). Cette vision systématique permettra à certains physiocrates une analyse plus poussée du capital, de sa circulation et de sa reproduction. La pensée physiocratique n'est donc pas un accident historique, elle n'est pas, non plus, une pensée réactionnaire. Conscients de la décadence de l'agriculture Française et des difficultés rencontrées par les fermiers, ils auront tendance à associer difficultés des fermiers et difficultés des propriétaires, en condamnant le métayage, qui signifie, pour eux, pénurie de capital agricole. (Cf. Weulersse op Cit I p. 358). Ainsi, ils recommandent la grande agriculture et affirment que la productivité de la terre est en proportion des capitaux qui lui sont appliqués; seuls, la grande culture, et donc de grands capitaux, permettant l'introduction du progrès technique. C'est un véritable bouleversement technique que proposent les physiocrates dans le cadre de leur projet de grande culture : on note dans leurs suggestions, l'extension de la méthode de l'assolement triennal qui n'était appliqué que dans le Nord et le Nord-Ouest de la 9 France à l'époque, le développement de l'élevage grâce aux prairies artificielles et aux engrais, qui loin de se substituer à la culture, doit, au contraire, la favoriser : "telles sont les richesses en bestiaux, telles sont les richesses de l'agriculture". (Quesnay - Article "Hommes"). Ils encourageront la mécanisation de l'agriculture, par exemple le semoir que Voltaire déjà recommandait. H.Denis souligne, avec raison, que "les physiocrates firent la théorie d'un capitalisme agraire" . Il rejoint en cela les conclusions du magnum opus de Weulersse, ou antérieurement, de Jean Jaurès, qui écrivait que "la conception terrienne des Economistes faisait corps avec le capitalisme moderne". Puisque toutes les propositions techniques et les propositions politiques qui leur sont assorties sont amenées en référence au modèle Anglais, il est donc impossible de comprendre le mouvement physiocratique sans faire référence à ce modèle, lui-même. 1.1.3. Le rôle important du modèle anglais sur la formation de la pensée physiocratique Au 18è siècle, le modèle Anglais se substituera en France au modèle Hollandais ; Quesnay explique pourquoi dans les maximes du Gouvernement Economique (Appendice à l'article "Grains"). " La Hollande ne se soutient que par des privations éternelles. De là ce caractère laborieux, ces moeurs tristes, entretenus par la police et les lois les plus rigoureuses. L'opulence est presque aussi sombre que la misère. On louera donc le Hollandais, mais on n'enviera pas son sort ; son bonheur serait le malheur de tout autre peuple." La politique économique Anglaise est enviée, car elle a permis d'enrayer, à partir du milieu du 18è siècle la baisse des produits agricoles, et donc des rentes qui sévissaient depuis un siècle. L'Angleterre après avoir manqué de blé "est en état, maintenant, de porter le blé aux nations qui en manquent". (Quesnay - Article "Grains"). Le sort du fermier Anglais déjà admiré par Voltaire (Voltaire, fin de la 9ème lettre sur les Anglais), est cité en exemple par la plupart des auteurs. (Cf. l'article "Fermiers", l'article "Grains",etc..) Ainsi, constatant la décadence de l'agriculture Française, (les prix des denrées avaient diminué de moitié de 1665 à 1695) Boisguillebert cite : "L'exemple de l'Angleterre qui achète la sortie des grains à prix d'argent. (Cf factum - chapitre XI p. 344). S'ils ne sont pas d'accord sur les moyens de la réaliser, tous les "Economistes" demandent la diminution du taux de l'intérêt, à l'exemple de ce qui s'est passé en Angleterre, car selon Boisguillebert "toute hausse de l'intérêt signifie la mort et la ruine de l'Etat". (Dissertation - chapitre V ); l'intérêt trop haut retarde et même empêche le progrès de la culture. Les techniques Anglaises permises par le développement du capitalisme agraire sont discutées et leur application est recommandée. (Cf. S.J. Bourde "the Influence of England on the French Agronome". 1750 - 1789 - Cambridge. 1953). En matière économique, comme dans l'ensemble de la pensée, la France vit à l'heure Anglaise. Le Journal Economique écrit ainsi en 1755 que la France "achève de devenir Newtonienne". De façon générale, les économistes et les écrivains Anglais qui ont, peu ou prou ,encouragé le progrès des techniques, particulièrement en agriculture, sont admirés. Par exemple, commentant Swift qui écrit "Si j'avais un homme qui me produisit deux épis au lieu d'un, je le préférerais à des génies politiques" ; le philosophe Raynal ravi ajoute : "La Nation qui produisait de tels écrivains devait réaliser cette belle sentence. L 'Angleterre double le produit de sa culture. L'Europe vit, sous les yeux, pendant plus d'un demi-siècle, ce grand exemple sans en être assez vivement frappée pour le suivre". (Abbé Raynal : "Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes 1770 - Livre XIX Chapitre VII, Tome X ) 10 Les traductions, les adaptations, les abrégés d'auteurs étrangers, surtout d'auteurs Anglais, se multiplient : En 1729 le "Paradis perdu" de Milton est traduit par Dupré De St Maur en 1736;il introduira, dix ans plus tard, "l'Economie Politique" de Locke en France, grâce à son ouvrage "Essais sur les Monnaies" (1746). Déjà, d'Argenson écrit en 1736 "Les Français s'anglicisent". Après la paix de 1748, l'influence de l'Angleterre devient plus grande encore : Dangeul publie, en 1754 ses "Remarques sur les avantages et les désavantages de la France et de la Grande-Bretagne par rapport au commerce et aux autres sources de puissance des états. "Son ouvrage se présente comme une pseudo-traduction d'un auteur Anglais, "John Nickolls".Il y célèbre les Economistes Anglais les plus connus de Petty. Vincent De Gournay traduit Cupler, Culpeper, Child, puis Gee (dont certaines oeuvres seront traduites par Secondat, le fils de Montesquieu), encourage à la lecture de Cantillon. Forbonnais publie un abrégé du "British Merchant du King en 1753, ("Le négociant Anglais" deux volumes 1753). La même année, Turgot traduit les "Questions Importantes" de Josiah Tucker. Depuis la fin de l'année 1752, le Journal Economique publie de larges extraits des journaux Anglais. L'Anglo-manie qui régnait en France deviendra telle que Linguet, par exemple, dénoncera "la peste agronomique qui est venue des bords de la Tamise.". Parmi les auteurs Anglais qui ont contribué à la formation de la pensée physiocratique, Petty occupe une place importante, malgré difficultés de la publication de ses ouvrages, et ses comparaisons peu flatteuses pour la France. Ainsi, Petty est cité par Law dans ses "Considérations sur le Numéraire". Law reprend notamment les calculs de Petty à propos de l'évaluation de la valeur d'un homme, du lien qui existe entre le numéraire, le commerce et l'augmentation de population. Petty est cité également par Melon dans son Essai politique sur le commerce. Melon reconnait à Petty le mérite d'avoir inventé l'Arithmétique Politique, qui permet de calculer la puissance d'un Etat et fonde la politique du commerce. Cet auteur, tout en regrettant que Petty cherche à élever la puissance de l'Angleterre au-dessus de la France, admire ses procédés de calculs pour la valeur des terres, des hommes, de la navigation, de l'utilité des canaux, de la facilité des transports,etc.. (Melon "Essais politiques sur le commerce" in Daire op. cit. p. 809 à 812). Petty est lu par Vincent De Gournay, selon Morellet : "dans un temps où la langue Anglaise n'était que fort peu cultivée parmi nous". En 1754 Dangeul trouve chez Petty une répartition de l'état en trois classes : "Les productifs, ceux qui sont rémunérés pour leurs services , ceux qui reçoivent de l'argent gratuitement". Quesnay cite Petty dans son article "Hommes" en 1757, de même que Mirabeau dans "l'ami des hommes" en 1758 . A partir de Juillet 1757, le Journal Economique traduit quasi intégralement "l'Arithmétique Politique" de Petty, chapitre par chapitre en les assortissant de critiques, particulièrement, sur la technique de calcul de la population. Petty, dans cette traduction, n'est que cité incidemment, mais on retrouve tous les titres de chapitres de "l'Arithmétique Politique". L'influence de Petty s'exprimera souvent de façon indirecte à travers Locke, par exemple, ou Cantillon. Les idées économiques de Locke que Voltaire avait déjà révélées au public Français sont encore reprises par Dupré de St Maur, par Quesnay, par Mirabeau. Cependant, ce sont les aspects de la pensée de Locke les plus différents des idées de Petty, qui seront accentués. Et c'est surtout par Cantillon que les idées de Petty seront dévoilées aux physiocrates. L'oeuvre de Cantillon sera connue tardivement, seulement vers 1755, grâce à Vincent de Gournay. Le succès de l'ouvrage de Cantillon est considérable; selon "l'ami des hommes" c'est le plus bel ouvrage sur ces matières qui ait paru, et il reprend de celui-ci la formuleponophysiocratique que Cantillon avait reprise à Petty. Selon Quesnay, Cantillon est l'auteur des "vérités fondamentales". Quant à Turgot, il le range parmi les fondateurs de la "Science Nouvelle" sur le même plan que Quesnay lui-même. Les physiocrates emprunteront chez 11 Cantillon de très nombreuses idées : La répartition en trois types de revenus, les progressions techniques en matière agricole, la condamnation de toute domination légale du taux de l'intérêt, ou encore l'idée que la quantité d'argent nécessaire à un état doit être limitée et déterminée d'après le revenu net du territoire. Sous l'influence de Cantillon, Herbert cherche la valeur intrinsèque des marchandises ; projet qui dévie par la suite, les physiocrates glissant de l'idée d'un prix déterminé par le libre jeu de la concurrence à une conception subjective de la valeur, notamment avec Turgot. Cette influence des auteurs Anglais et de Petty est normale, car la France connait sur le plan économique (en matière de développement agricole, notamment, ) et sur le plan monétaire, (surtout à propos du taux d'intérêt,) des problèmes similaires à ceux que l'Angleterre a connus auparavant. De nombreux auteurs reprendront, désormais, à leur compte, les arguments qu'avaient déjà évoqués les auteurs Anglais, tels que Petty, ou Davenant, pour condamner toute intervention de l' Etat sur le plan monétaire, tels d'Argenson, Forbonnais, Mirabeau, Turgot. Mais d'autres auteurs, tels que Vivens, Cliquot Blervache, Quesnay, Le Trosne, prendront parti pour une limitation légale du taux de l'intérêt. Conclusion sur la physiocratie La pensée physiocratique est apparemment une "secte" hiérarchisée ( cf . le pragmatisme) avec ses journaux et ses chefs, très marquée par le contexte (réactionnaire) de Versailles. Elle peut être replacée dans un contexte agrarien international au nom d'une lecture plus relativiste. Enfin un point de vue absolutiste , par exemple celui de Sraffa (1960), montre que le traitement du produit net chez nos "économistes" préfigure celui effectué par la théorie moderne des prix de production. Assez curieusement, c'est surtout l'économie environnementale qui redécouvre la physiocratie de façon récurrente, et en fait un cas particulier de la problématique du développement durable. Enfin la théorie de l'ordre naturel ( Le Mercier de la Rivière) réapparaît de façon curieuse comme une des rares façons de régler les conflits de normes du droit international contemporain, notamment le droit d'ingérence. En marge de la physiocratie: Rousseau Jean Jacques Rousseau (1712- 1794), voir en particulier le Discours sur l'Economie Politique de 1754 (la même année que le Discours sur l'inégalité). Dans le triomphe physiocratique du XVIII° siècle ( et celui de l'ordre naturel immuable), la théorie de Rousseau est discordante: l'ordre naturel est déjà perdu au profit de l'ordre du besoin.... (Seul Voltaire , également critique des économistes dans l'homme aux quarante écus, brocardera Rousseau qui "veut nous faire marcher à quatre pattes". Kant dans la métaphysique des moeurs n' effectue pas ce nouveau procès). L 'impôt unique (obsession de Vauban à Mirabeau le père) n'est qu'une commodité technocratique, l'important est de taxer l'inégalité, non la richesse elle même. La puissance de Rousseau tient dans sa philosophie et notamment dans son anthropologie philosophique ( Mairet, 1992). Il ne l'invente peut être pas, mais en fait la pratique. La question de l'inégalité par exemple est d'abord celle de l'homme , "la plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances.." (p. 65); "C'est de l'homme que j'ai à parler." (p. 75). Ce philosophe, contemporain des physiocrates et d'Adam Smith, a profondément marqué les sciences sociales, en decà de sa philosophie ; l'anthropologie de toute évidence, en tant qu'anthropologie philosophique, référence obligée et le plus souvent manquante dans les histoires de l'anthropologie ( sociale et culturelle); l'économie dans une moinde mesure, la 12 tradition physiocratique ( pour ne pas dire technocratique) l'emportant sur la philosophie sociale de Rousseau. Lévi Strauss (1962) ne manque pas de rendre hommage à Rousseau: "fondateur des sciences de l'homme", " ne s'est pas borné à prévoir l'ethnologie; il l'a fondée.Le "discours sur l' inégalité est le premier traité d'ethnologie générale et lui donne sa principale maxime théorique: " Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue très loin; il faut regarder les différences pour découvrir les propriétés" ( Essai sur l'origine des langues, ch. VIII). Le "Discours sur l'origine de l'inégalité" est l"enseignement proprement anthropologique de Rousseau" ; "On découvre le fondement de ce doute, lequel réside dans une conception de l'homme qui met l'autre avant le moi". L'identification à autrui ( cf actuellement Harsanyi) accompagne la pitié, "la répugnance innée à voir souffrir son semblable" ( Discours). Il définit l' économie p.144, par un retour à l'oikos( maison) et au nomos ( loi), devenue par extension l'économie publique, différente de l'économie particulière.Enfin, il a une influence sur Kant ( le rôle du moi libre). Sa conception du contrat social est célébre, notamment sous cette expression : « Vous avez besoin de moi, car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous : je permettrai que vous ayez l’honneur de me servir à condition que vous me donnerez le peu qui vous reste pour la peine que je prendrai à vous commander », (Rousseau, Sur l’économie politique, 1754). 1.2. Adam Smith (rien sur Malthus ?) Mots clefs: bienveillance, division du travail, travail commandé, avantage absolu, travail productif. D'origine écossaise, étudie à Glasgow puis Oxford, deux universités où il enseigne la logique, la philosophie morale en reliant très tôt éthique et économique. Après la publication de la Théorie des Sentiments Moraux ( désormais TSM) en 1759, et de considérations sur la formation du langage en 1761, il abandonne l'université pour devenir precepteur, puis commissaire aux douanes en 1778. Il publie en 1776 la Richesse des Nations et se consacre à la révision de ses écrits avant son décès en 1790. Plusieurs idées de la RDN sont déjà inscrites dans les notes de cours ( Lectures on Justice, Police, Revenue and Arms, prises en 1763 et publiées en 1896, edit. Cannan: Oxford). Au cours d'un voyage de deux ans en Europe ( 1764- 1766) , il rencontre Quesnay et Turgot à Paris et fréquente les grands salons parisiens. C'est avec Smith que se termine la prise en compte directe des auteurs qui l'ont précédé. Pour la majorité des historiens la publication de la "Richesse des Nations" marque le passage d'une pensée pré-scientifique à une pensée scientifique. Malheureusement, le cas de Smith permet- il d'illustrer une coupure dans le "Discours Economique", marquée par l'avènement d'idées originales ? On connait les jugements sévères de Marx et de Schumpeter à cet égard . Marx ironise à propos de Smith: "A.Smith a fait aux richesses spirituelles l'application de son proverbe Ecossais : "Gagne petit, gagnera gros", et prend une peine mesquine à cacher les sources auxquelles il doit le peu, dont il a su, en vérité, tirer beaucoup. (in "Critique de l'Economie politique". Op. Cit I. P.430). Certains passages de la "Richesse des Nations" sont littéralement copiés. Le début du Livre I de la "Richesse des Nations" par exemple, n'est qu'un plagiat de Mandeville. Schumpeter est plus catégorique : "Le fait est qu'il n'y a pas, dans la "Richesse des Nations" sur le plan de l'analyse, une idée, un principe, une 13 méthode qui ne soient, en 1776, entièrement nouveaux". (History of Economic Analysis, op. cit. p.474.475). 1.2.1. TSM, la controverse sur la bienveillance. "Every faculty in one man is the measure by which he judges of the like faculty in another. I judge of your sight by my sight, of your ear by my ear, of your reason by my reason, of your resentment by my resentment, of your love by my love. I neither have, nor can have, any other way of judging about them." TSM, I.I.29 MALVEILLANCE (XVII°), BIENVEILLANCE ( XVIII° ) , ALTRUISME ( XIX°) , ENVIE (XX°). La nature de l'homme suscite de nombreuses discussions théoriques parmi les économistes depuis Adam Smith et cela d'autant que la science économique ( tout autant que les politiques qui s'en inspirent) est d'abord un pari sur l'homme. Ce pari joue dans les hypothèses de la microéconomie et dans l'insertion (tant risquée) d'hypothèses de comportement dans les modèles de la macroéconomie . Ce socle anthropologique mérite un constat approfondi sans pour autant réclamer une science économique "plus" humaine. L'économie politique, constituée avec Adam Smith, commence par s'interroger sur la nature de l'homme. L'anthropologie smithienne énoncée dans la théorie des sentiments moraux est un préalable à la Richesse des Nations. La relation entre cette anthropologie et l'économie a fait l'objet de longues discussions ( le Das Adam Smith Problem, Knies, 1853,Viner 1972). La nature bienveillante de l'homme sympathique de la TSM n'est- elle pas en contradiction avec l'égoïsme calculateur de la RDN ?. L'histoire de la pensée économique commencerati ainsi par une fracture entre anthropologie et économie . L'anthropologie en économie analyse les moeurs économiques de facon hypothétique. Ses hypothèses ont trait à l' environnement (X), aux biens, aux individus, à la relation ( ntuples Ri d'ordres individuels) entre les invidus et les biens. Au delà, elle peut porter sur les choix que les hommes portent sur les choix des autres hommes. Cette attention à l'autre implique de dépasser l'information sur l'ensemble des choix possibles afin de pouvoir juger de la dotation de l'autre en termes de ses propres goûts ( Sen, 1977). Ainsi être concerné par l'autre peut avoir un sens économique soit du point de vue habituel de l'altruisme ( en général assimilé dans la tradition sociologique à la bienveillance) soit du point de vue philosophique de la capacité à se mettre à la place de l'autre. La bienveillance n'est qu'une des hypothèses possibles que l'on puisse établir d'emblée sur l'autre, l'altruisme peut être bienveillant. Dans un processus ( jeu par ex.) le même individu pourra être simultanément bienveillant ou malveillant. Mais, dans le jeu initial d'hypothèses , une construction relativement complexe pourra être établie sur toutes les hypothèses de comportement en faisant référence par exemple à un type de société ( état de nature ou contrat social). Cette question de la nature de l'homme a connu d'importants prolongements dans la pensée contemporaine. Est- il envieux, malveillant, tolérant, jaloux, frustré ? Tous ces termes ont fait l'objet de discussions approfondies chez les économistes, quelquefois avec les sociologues (ex. la discussion sur la frustration avec Boudon (1981), beaucoup plus rarement avec les "anthropologues " convaincus avec Polanyi du handicap anthropologique des les économistes. La nature de l'homme est considérée comme hypothétique dans la littérature économique contemporaine : s'il est social, quel type de comportement a priori ? a- social/ sympathique, égoïste/altruiste, bienveillant/ malveillant , jaloux, rancunier envieux, 14 complaisant, tolérant, frustré, juste, mimétique; ces différents termes pouvant être combinés. On peut ainsi faire l'hypothèse d'un égoïste/ malveillant/tolérant. Des modalités ( faible/fort) peuvent compléter l'édifice dont la complexité s'aggrave avec les relations de second ordre et les choix de l'un sur les choix de l'autre. Une théorie de l'anthropologie économique ne peut traiter de l'homme isolément; elle étudie la condition humaine ou la nature humaine; il s'agit en général de l'homme en interaction et partant, des sentiments que les hommes éprouvent entre eux; d'où l'importance du type de relation que les hommes tissent entre eux, soit de leur interaction. Cette interaction donne lieu à de multiples hypothèses. On peut postuler un état de nature ( l'"anthropologie hobbienne" reposerait sur la fiction de la condition naturelle des hommes, cf; Michel Meyer, La philosophie anglo- saxonne, Paris, PUF, 1994) ou rentrer dans le sentimentalisme du XVIII°siècle. L'interaction, autant que la nature des individus rentre dans un cadre hypothétique. Il manque un concept entre la "sympathie" et la "bienveillance", avant la confusion introduite par le concept sociologique de l'altruisme ( qui inclut forcément la bienveillance). L'idée de sympathie n'est pas intuitive en langue française ("sympathique " a une valeur positive). Hume: la bienveillance première L' "Enquête sur les principes de la morale", écrit en 1751, traite de façon systématique de la morale, de son origine et notamment de la bienveillance ( comme principe général) et de la sympathie ( pour quelqu'un). Cet univers ,loin du dilemme âge d'or/ état de nature entend donner un fondement rationnel aux vertus sociales, par exemple à la bienveillance et à la justice. En fait, justice et vertus sociales en général, ont une utilité . Si donc, on ne peut postuler tel Hobbes dans le Léviathan ( Selfish system of morals selon Hume) que nous sommes dans un état de nature où s'opposent des hommes égoïstes, c'est bien sûr parceque les hommes attribuent naturellement de l'utilité et que cette utilité ( II, V) plaît . David Hume se situe ainsi, avec Hutcheson et Butler dans le camp de ceux qui fondent la morale naturelle sur la bienveillance( le XVIII°) serait caractérisé par une contre révolution sentimentale après l'apologie de l'égoïsme du XVII° siècle) laquelle se manifeste comme une passion tendre mais trouve une généralité rationnelle dans l'utilité. La sympathie est donc généralisée dans l' Enquête par rapport au Traité de la Nature Humaine (1738- 1740) et trouve un fondement rationnel. Adam Smith: De la sympathie à la bienveillance limitée . La sympathie occupe une place particulière dans la Théorie des Sentiments Moraux (1759), au sein de la tradition de la philosophie écossaise. Mais, l'ordre des valeurs morales change, la bienveillance perd du terrain ( Dupuy, Sacrifice et Envie, p. 82/ 83) au profit de l'amour propre ( voir encore R.H.Coase, " Adam Smith's view of man, JLE, 19, Oct. 76, pp. 529- 546). La sympathie est ( chapitre I) de la TSM un " principe d'intérêt pour ce qui arrive aux autres.." comme "faculté de partager les passions des autres quelles qu'elles soient". Cette sympathie comme "extended sympathy", devenue mutuelle donne du plaisir ( ch. 2) . Mais que penser de cette sympathie ? Dans le chapitre III, Smith nous rappelle que nous pouvons approuver ce sentiment s'il est convenable, le blâmer autrement ( cf. p.14). Le sentiment vis à vis de l'Autre est le point de départ de la TSM: " How selfish soever man may be supposed, there are evidently some principles in his nature, which interest him in the fortune of others, and render their happiness necessary to him, though he derives nothing from it except the pleasure of seeing it." 15 La sympathie ( à la base de la TSM) est éprouvée grâce à l'imagination en se mettant à la place de l'autre. " They never did, and never can, carry us beyond our own person, and it is by the imagination only that we can form any conception of what are his sensations. Neither can that faculty help us to this any other way, than by representing to us what would be our own, if we were in his case. It is the impressions of our own senses only, not those of his, which our imaginations copy. By the imagination we place ourselves in his situation, we conceive ourselves enduring all the same torments, we enter as it were into his body, and become in some measure the same person with him, and thence form some idea of his sensations, and even feel something which, though weaker in degree, is not altogether unlike them. " Ce problème est inséparable du Das Adam Smith Problem (Knies,1853) ( revirement ou non de Smith vis à vis de la sympathie et de la bienveillance, première dans la TSM, secondaire dans la RDN avec la fameuse phrase sur la non pertinence de la bienveillance du boucher...mais de son intérêt par rapport à notre propre intérêt.etc.... ). Les passions peuvent être sociales , asociales ou être mues par l'égoïsme: "Besides those two opposite sets of passions, the social and unsocial, there is another which holds a sort of middle place between them; is never either so graceful as is sometimes the one set, nor is ever so odious as is sometimes the other. Grief and joy, when conceived upon account of our own private good or bad fortune, constitute this third set of passions. "( premières lignes du Ch. 5) Smith part de Hume ( sans le citer) et s'interroge sur le fondement utilitaire de la sympathie vis à vis des sentiments ou du jugement des autres: "Leur utilité, dira-t-on , est ce qui nous porte le plus à les estimer".....mais selon Smith, l'utilité "est une arrière pensée, et jamais le premier motif de notre approbation" Ce qui est important c'est la justesse ou encore la perspicacité du jugement de l'autre ou sa conformité à notre jugement". Ou encore la capacité "imaginaire eventuellement" à se mettre à la place des autres. Dès lors on peut juger des passions des autres.....et voir si elle est "convenable". Dans la TSM, Smith s'éloigne de la conception rationaliste de Hume en mettant en avant la capacité de l'imagination à se placer au lieu de l'autre ( donc de l' intégrer dans ses préoccupations). Le commentateur de la traduction française évoque à ce propos, l'"erreur systématique" de Smith "qui ramène "tout à la sympathie" au lieu de partir du jugement ( ce que Hume appelle l'entendement). On s'étonne avec Henri Baudrillart ( compte tenu des clichés sur l'homo oeconomicus smithien) de la position de Smith sur l'utilité et l'égoïsme , : " Smith se sépare ici et se séparera plus profondément encore de ce qui suit de ces philosophes qui font de l'utilité la seule règle de nos jugements". Si nous éprouvons ( Smith, p. 46) plus facilement de la sympathie pour la douleur ( il existe une implication plus facile pour la douleur que pour la joie), l'implication est telle que "la douleur sympathique est moins forte que celle de la personne intéressée" ( p.46). Mais, le plaisir tient dans la "sympathie réciproque" quand nous constatons que les sentiments sont en accord chez les deux partenaires d'où l'importance du" sentiment de l'approbation." La "sympathie" peut donc être agréable ou désagréable et n'être pas forcément bienveillante. ( Cf. Dupuy, la sympathie n'est pas forcément bienveillante). 16 " L'observation la plus frappante qui s'offre ordinairement à nous, c'est qu'il nous est naturel de sympathiser fortement avec la douleur, et faiblement avec le plaisir" ( Smith, ibid.p.47. " We are generally most disposed to sympathize with small joys and great sorrows." La sympathie peut donner lieu à de l'envie qui empêche la "sympathie pour la joie". « We readily, therefore, sympathize with it in others, whenever we are not prejudiced by envy. But grief is painful, and the mind, even when it is our own misfortune, naturally resists and recoils from it. We would endeavour either not to conceive it at all, or to shake it off as soon as we have conceived it. Our aversion to grief will not, indeed, always hinder us from conceiving it in our own case upon very trifling occasions, but it constantly prevents us from sympathizing with it in others when excited by the like frivolous causes: for our sympathetic passions are always less irresistible than our original ones. There is, besides, a malice in mankind, which not only prevents all sympathy with little uneasinesses, but renders them in som measure diverting." Par contre au delà de la sympathie (agréable ou désagréable), se manifeste le sentiment d'approbation qui est toujours agréable. La sympathie n'est pas forcément la bienveillance ce que répéte Dupuy (ibid.) à de nombreuses reprises. On retrouve dans la partie VI, section II, l'idée (cf. Hume) d'une bienveillance universelle au delà de la sympathie: notre bienveillance n'est circonscrite par aucune borne et elle peut embrasser tout l'univers. Mais les vertus , en général sont recommandées par la "convenance": à savoir "l'attention aux sentiments d'un spectateur supposé impartial. ( p. 308)". L'inconvenance ( de la passion par exemple) sera modérée par les sentiments plus modérés de ce spectateur. L'amour propre (Self love ) est supérieur à la bienveillance ....dans certains domaines. Smith critique Hutcheson selon lequel l' amour- propre "ne peut jamais être le motif d' aucune action vertueuse" (ibid, p. 355) La bienveillance peut dans certains cas n'être pas adapté à son objet et l'homme "créature imparfaite" "doit souvent agir selon un autre principe que la bienveillance". Ainsi l'amour de soi peut être la cause d'une action vertueuse. (p. 356). Tel est le cas de économie, de l'industrie ou dans un autre genre, de la "discrétion et de le reflexion". On pourra ainsi blâmer le manque d'attention convenable à notre intérêt personnel. Ainsi l'économie fait partie des exceptions où peut s'exprimer le "self love", ce que montrera Adam Smith dans la Richesse des Nations. Tout ceci montre que la bienveillance est un cas particulier; notre "sympathie" est acompagnée d'une dose de morale ( Sidgwick, 1874, p. 502) de telle sorte qu' elle ne donne pas lieu forcément à de la bienveillance. Tout dépend de la proportion entre la dose de sympathie et la dose de morale. Nous apprécions donc l'autre et ses préférences avec l'idée que les jugements de valeur ( y compris les jugements de second ordre) sont des données que le processus de décision ne peut modifier. Arrow (1951) nous rappelle que " C'est naturellement le point de vue classique en théorie économique". La malveillance tient place dans nos sentiments: The hatred and dislike, in the same manner, which grow upon habitual disapprobation, would often lead us to take a malicious pleasure in the misfortune of the man whose conduct and character excite so painful a passion." II,1,8 Bienveillance et malveillance sont en relation très instable, mais la nature nous pousse à la bienveillance: « Nature, however, when she implanted the seeds of this irregularity in the human breast, seems, as upon all other occasions, to have intended the happiness and perfection of 17 the species. If the hurtfulness of the design, if the malevolence of the affection, were alone the causes which excited our resentment, we should feel all the furies of that passion against any person in whose breast we suspected or believed such designs or affections were harboured, though they had never broke out into any action. Sentiments, thoughts, intentions, would become the objects of punishment. En conclusion, la théorie des sentiments moraux est l'objet d'une relecture récente de la nouvelle théorie économique de l' interaction sociale. Selon Becker ( 1974), l’ hypothèse d’« envie et de haine » est soit minimisée, au nom de la protection apportée par la société (Smith 1776), soit exagérée au point de devenir la raison d’être de la vie (Veblen, 1899) . En fait, cette hypothèse de comportement est généralement minimisée dans le raisonnement économique tant le comportement y est déterminé par l' hédonisme pour soi et pour les autres. Cette tendance a été renforcée par l’importation en économie du concept sociologique de l'altruisme, restreint par son fondateur Auguste Comte à la bienveillance. 1.2.2. Les idées économiques de Smith : bonté de la Nature --> RDN a. Smith, continuateur des physiocrates ? Très influencé, Smith est très critique ( voir tome II de la RDN) par rapport au système mercantile et au "système ingénieux" des physiocrates dont il dénonce les erreurs mais "qui ne fera aucun mal en aucun lieu du monde." Dans l'histoire des "Théories sur la plus value" ( Marx, Livre IV du Capital ?), Marx insiste sur les idées physiocrates de Smith, " tout imprégné des idées des physiocrates". " Adam Smith défend encore une conception physiocrate qui corresponde à la période précédant directement la grande industrie.". Sa conception de la richesse est directement héritée des physiocrates ( somme des choses commodes, agréables et utiles à la vie)." La bonté de la nature Ricardo d'ailleurs dénonçait déjà dans les Principes le préjugé physioicratique de Smith selon lequel une somme donnée de travail productif donne toujours une reproduction supérieure dans l'agriculture par rapport à l'industrie car dans l'agriculture la nature intervient. Prix et répartition: la rente première D'où son erreur , dénoncée à la fois par Ricardo et Marx selon lequel le profit n'est qu'un prélèvement sur la rente. Par exemple quand Smith examine le prix de la dentelle, il déduit la consommation ouvrière , une autre partie du prix allant de la poche du propriétaire foncier à celle de l'entrepreneur. Alors, Smtih envisage l'accumulation du capital comme une privation que s'impose le capitaliste, cette privation sur sa consommation représentant sa contribution à la richesse nationale. Un même libéralisme ? On retrouve la même idée sur le le rôle de la liberté des échanges sur la baisse du prix des marchandises qui permet la hausse du prix relatif des biens agricoles....réciproquement toute hausse du prix des marchandises non agricoles décourage l'agriculture. Il reprend enfin chez les physiocrates l'idée de salaire moyen qu'il appelle le prix naturel du salaire. Si le salaire effectif dépasse ce niveau naturel, la population augmente, à 'linverse la productivité augmente. b. Les grands axes de la pensée économique Smithienne. Ils sont développés dans les " Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations". 18 - La division du travail (ch. 1) et ses conséquences Dès les notes de cours on trouve l'idée que l'"opulence naît de la division du travail". La division du travail est illustrée par la manufacture d' épingles (GF p. 72), dite manufacture "homogène" ( Marx ) où la "puissance productive" (l'habileté artisanale) des travailleurs est augmentée, étant réunis ( au contraire de la manufacture hétérogène où ils sont dispersés). Le fait de commencer son magnum opus par la division du travail est significatif de l'importance accordée au social et à la socialisation préfigure ce que l'on trouvera chez Emile Dürkheim en 1893 avec " De la division du travail"; oeuvre majeure fondatrice de la sociologie et du déterminisme ( l'acteur est déterminé par le système ) associé au holisme ( le tout l'emporte sur les parties). On pourrait encore pousser la comparaison entre l'état stationnaire ( Smith) et l' anomie social (Durkheim ) qui guette une société dont la division du travail se désagrège. "Le principe qui donne lieu à la division du travail " ( ch. 2 de la RDN) est l'intérêt réciproque; "donnez moi ce dont j'ai besoin et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous mêmes... ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme". (ibid. p. 82). Conséquence 1: l'accumulation du capital L'accumulation du capital détermine la division du travail et réciproquement. On retrouve ici ce qui deviendra une thèse majeure du développement du capitalisme avec Marx ( fin de la section du Livre I du capital ) : l'accumulation primitive du capital. Cette thèse est au centre de la thèse de Michel Aglietta sur la régulation du capitalisme. Conséquence 2: La différence entre travail productif et non productif : ( GF,pp. 417421, 424, 429) Le travail productif permet de reproduire le fonds de capital ( par ex. dans l'agriculture et la manufacture) "ou encore à renouveler la portion de vivres, de matières, ou d'ouvrage fait qui a été retirée d'un capital".. Il faut donc que la division du travail permette l'augmentation de ces travailleurs. Le travail improductif concerne ce qui ne sert qu'à former un revenu ( salaire , profit ou rente) Il existe donc une proportion critique entre la somme des capitaux et celle des revenus qui est la "proportion dans laquelle se trouveront l'industrie et la fainéantise" . Conséquence 3 : la main invisible. Il ne suffit pas de mettre en valeur les intérêts personnels, comment les harmoniser ? Dans la recherche de l'intérêt personnel , l'individu cherche à augmenter le revenu national, il est "conduit par une main invisible à remplir une fin qui ne rentre nullement dans ses intentions" ( ibid, tome II, pp. 40- 41). Cette idée, réputée, est à remettre dans le contexte d'un chapitre consécré au commer international ( Livre IV ch.II: Des entraves à l'importation..). La main invisible coïncide avec le libre échange.On retrouvera cette idée chez Hayek: les actions privées aboutissent inentionnellement à un ordre social spontané, complexe et donc difficile à connaître et à réglementer. - 222- Répartition, prix et valeurs. Les trois composantes du prix ( GF, pp. 118- 120 et 122). 19 Le prix se résout en ses trois composantes: salaires rentes, profits. Cette théorie du prix par ses composantes sera reprise par J.B. Say et sa théorie des services productifs.Marx critiquera cette composition en montrant qu' elle se heurte à un problème de récurrence à l'infini: le prix dépend par ex. de l'amortissement qui dépend du prix de la machine qui dépend de son amortissement... etc..... Autre difficulté ( Deleplace p. 123): le prix exige la connaissance du profit qui ... est la différence entre la quantité du travail commandée par les marchandises produites et quantité de travail qu'elles incorporent. Prix naturel et prix de marché.( GF,pp. 125- 128). Le prix naturel correspond au coût de production qui lui même résulte des taux naturels des salaires, profits, rentes....le prix de marché correspond au jeu de l'offre et de la demande ( effective, différente de potentielle, appellée par Smih, "absolue". Il existe une gravitation du prix de marché autour du prix naturel Valeurs d'usage et valeurs en échange: l'apparition des grandes difficultés logiques de la pensée classique. Si la richesse est somme de valeurs en usage, la valeur d'échange repose sur la quantité de travail qu'elle peut acheter sur le marché. Mais, la quantité de travail commandé est le résultat d'un échange qui .....suppose que l'on connaisse le salaire ( et donc les biens salaires) correspondant à cette quantité de travail. Il faut donc connaître préalablement la valeur d'échange des biens salaires. Cette théorie sera réhabilitée par Sraffa : celui ci montre que pour un taux de profit donné, il existe dans un système de production une quantité de travail qui rétablit l'unité des prix. Si ce système est étalon ( des autres systèmes de production), alors il contient un salaire étalon qui peut commander une quantité de travail "étalon" . - La théorie de l'Etat et l'avantage absolu en commerce international. L'Etat doit respecter la liberté naturelle des citoyens et il est donc l'Etat gendarme, préfigurant les théories de Friedman ( Capitalisme and Freedom): protégeant les citoyens contre eux mêmes et contre l'étranger. Si les trois premiers livres traitent de l'économie ( travail productif et distribution de produit entre classes ( Livre I), nature des capitaux ( Livre II), histoire comparée de l'opulence selon les nations ( Livre III), les deux autres livres traitent plutôt de l'Etat soit par rapport aux systèmes précédents d'économie politique ( Livre IV) et surtout le " Revenu du souverain ou de la politique" ( Livre V). Dans ce cadre ( GF, p.11), l'économie politique est "une branche des connaissances du législateur et de l'homme d'Etat" et " se propose d' enrichir à la fois le peuple et le souverain". Ce dernier aspect est souvent méconnu, or les propos de Smith sur les dépenses et les recettes de l'Etat sont très actuels.En particulier, la section sur les impôts ( GF,tome II, p. 456) donne les quatre règles modernes de l'impôt: égalité ( % au revenu de chacun), certitude, commodité, économie. - La théorie du commerce international de Smith est en cours de réhabilitation ( Siroen, Cahiers Français, Le commerce international, Oct/dec. 1991). - 1) par son concept d'avantage absolu, Smith préfigure la compétitivité et met en évidence les phénomène monétaires, en particulier les pbs de salaire et taux de change. L'avantage absolu a trait au coût d'un même bien dans deux pays ( au lieu des avantages comparatifs d'un même bien dans un seul pays). 20 - 2) En introduisant les rendements d'echelle croissants préfigure les théories contemporaines ( Lancaster, Becker, Krugman) de l' échange international où il n 'est plus nécessaire que les pays soient différents pour s'échanger des biens. En définitive, derrière une pensée agrarianiste, apparaissent des élèments importants de l'analyse économique contemporaine: prix, valeur, impôt...dans ce qui reste une économie politique. La même remarque pourrait être faite à propos de Malthus ( 1776-1836) qui derrière un naturalisme social (in Essai sur le principe de population, 1738) et un agrarianisme marqué ( cf. sa controverse avec Ricardo) améliore la loi de l'offre et de la demande, suggère une amélioration de la répartition.et développe un théorie très moderne de la demande effective. Conclusion Adam Smith est d'abord un professeur de logique, de philosophie morale et politique, avant d'être un économiste. Il le deviendra à la faveur d'un séjour sur le continent et développera ainsi l'économie comme un cas d'exception à sa théorie des sentiments moraux. A. Smith adopte le point de vue de l'anthropologie économique en s'interrogeant préalablement sur la nature de l'homme dans sa relation aux autres. Cette économie reste très marquée par les physiocrates et un préjugé agrarien sur la bonté de la nature et la priorité de la rente. Mais elle dépasse ce cadre en analysant plus généralement la division du travail et ses conséquences sur la richesse, aussi bien la richesse comme un "stock " de valeurs d'usage que la richesse comme "pouvoir " dans la société d'échange (voir Deleplace 1999 ). Il existe plusieurs conceptions économiques intéressantes, particulièrement dans le domaine de la valeur, de la répartition et des prix. Notamment la distinction entre travail incorporé et travail commandé permet de fonder le profit comme rapport entre les deux. Mais ce profit dépend du coût du travail, par exemple du salaire et donc du prix naturel Cette idée, selon Benetti ( 1974) et Deleplace ( 1999), est contradictoire avec la théorie naïve de la formation du prix par rapport à ses coûts, selon laquelle le profit déterminerait le prix naturel….ainsi le prix naturel détermine le profit qui détermine le prix naturel… La principale critique vient de Marx, à la fois sur l'agrarianisme de Smith et le fait qu'une théorie du prix fondée sur la répartition en ses composantes revient à une régression à l'infini…(ou encore le prix dépend de la répartition). De nombreuses théories sont imputées par la suite à Smith, par exemple la conception moderne des finances publiques ou encore de la demande effective, capable de satisfaire les prix naturels (fermages + profits + salaires) différente des désirs ou de la demande absolue (le pauvre qui veut des carrosses !). Le prix de marché est déterminé par la "proportion " entre la quantité d'une marchandise sur un marché et sa demande effective. Cette proportion est déjà chez Cantillon ( 1687-1734). 1.2.3. Smith fondateur de l'anthropologie économique ? Un homme fragmenté (l'homo oeconomicus) dans la microéconomie, un homme englobé, dans les catégories et les agrégats de la macroéconomie. Un homme outrageusement universel dans la théorie économique pure (audelà du temps et de l'histoire), un homme discriminé selon sa capacité à se développer dans les théories du développement. On pourrait multiplier les images souvent trop faciles de l'homme « éclaté » par la science économique, en particulier celles développées par Polanyi (1944) et son préfacier Louis Dumont (1977). 21 Cette fragmentation serait inhérente à la naissance de l'économie politique et aux idées contenues dans son livre fondateur, la Richesse des Nations (Smith, 1776) ; cet ouvrage isole la propension de l'homme économique sous l'influence de la division du travail, à « pratiquer le troc, transporter et échanger des marchandises ». Une ère commence où, selon L.Dumont, l'individualisme égoïste fait triompher les rapports naturels aux choses sur les rapports entre les hommes. Selon l'anthropologie économique revue par Polanyi, l’homo oeconomicus est un avatar de l'échange marchand alors que l'homme peut se passer du marché ; en témoignent les exemples « anthropologiques » de réciprocité et de redistribution (la Kula des îles Trobriand et le Potlatch des Kwakiutl). Dumont prolonge l’idée selon laquelle l'économie politique classique éliminerait de sa théorie de la valeur les éléments relationnels et subjectifs au profit des choses. Cela est tout à fait vrai du traitement effectué par Sraffa de l'analyse du prix des marchandises par les marchandises. Il en serait de même de l'analyse néo-classique qui reprend l'homo oeconomicus et la main invisible dans ses modèles paradigmatiques, notamment l'équilibre général de Walras et de Arrow/Debreu. Ainsi Walras, veut obstinément étudier les « relations entre les choses, non les gens, et a cherché, avec un succès notable, à éliminer les relations humaines de son point de vue ». (Bowles, Gintis, 1993). Ces écrits méconnaissent les conditions historiques qui font naître simultanément à la fin du XVIIIe siècle, l'anthropologie (Smith, 1759 et Kant, 1768-1798) et l’économie politique (Smith, 1776). Ainsi, la théorie économique est une conséquence de la réflexion anthropologique. Dans l'œuvre de Smith, les Sentiments Moraux (1759) conditionnent la Richesse des Nations (1776). Le premier ouvrage étudie comment les règles de la morale favorisent la sympathie mutuelle ; règles générales que l'individu déforme par ses passions et auxquelles il tente de répondre par son « self command ». Cet homme socialisé peut alors être étudié dans son comportement économique. Kant note, dans ses réflexions sur l'anthropologie, que Smith « va vers la racine des choses » et « touche à chaque sujet non de son seul point de vue, mais du point de vue de la communauté ». Smith dans la Théorie des Sentiments Moraux traite d’un objet tout à fait similaire à celui de Kant dans les rapports entre les hommes. Les deux auteurs traitent du même sujet : l'anthropologie, « une doctrine de la connaissance de l'homme, formulée de manière systématique ». Les deux ne traitent pas d'une anthropologie « physiologique » qui vise à l'exploration de ce que la nature fait de l'homme, mais, selon Kant, de « la connaissance pragmatique, celle de ce que l'homme, comme être agissant par liberté, fait ou peut et doit faire de lui-même ». Pourtant, traditionnellement, la pensée économique n'a jamais abandonné l'idée que les mœurs économiques soient conduites par des hommes raisonnables. Ils sont des êtres autonomes, capables de comprendre les normes universelles, de les adapter à leur personnalité et à leur environnement social, en fondant leur altérité. Comment pourrait-on nier que l’analyse des rapports entre les hommes fonde la plupart des théories dites « néo-classiques» ? Les rapports intersubjectifs constituent l'objet de l'économie publique et de ses différents domaines (choix, optimum, exter-nalités, équité, justice, etc.). Aussi, curieusement, l'analyse des comportements économiques, objet d'une majeure partie de la littérature économique, est au centre de l'anthropologie 22 tout en ayant tendance à s'en éloigner. Il existe de nombreuses déviations antianthropologiques. A ce titre, la rupture entre Smith et Ricardo est totale. Les préoccupations anthropologiques de Smith sont absentes du texte de Ricardo et le prolongement sraffaien sera l'un des textes les plus a-anthropologiques de la littérature économique, comme pur rapport entre les choses. Néanmoins, cette tradition a souvent amené à dissocier les actes économiques positifs, comme modalités de la maximisation sous contraintes, des normes qui leur préexistent. En effet, si l'homme est social (d'où l'idée que l'économie est publique), il doit trancher dans les normes qui émanent de cet environnement social, de ce que l'on appellera plus tard, sa « communauté ». En effet, le réseau social d'un individu est bien la résultante de l'attitude et des choix effectués par rapport à cet environnement. Ces choix sont liés au comportement économique de chacun et non uniquement au problème de l'agrégation des choix. Enfin, en économie publique, les principes sont rédigés formellement comme s’ils étaient réalisés, perdant ainsi leurs modalités normatives. 2. Le matérialisme de David Ricardo à Piero Sraffa 2.1. D. Ricardo 2.1. Biographie, écriture et oeuvre a. Brefs repères biographiques David Ricardo est né en 1772 à Londres, dans une famille de financiers sépharades. Il est le troisième d'une famille de 17 enfants. Éduqué principalement par des précepteurs, il apprend le métier d' agent de change à la Bourse de Londres où son père le fait entrer dès quatorze ans. Son mariage avec une quaker, en 1793, l'oblige à rompre avec sa famille et la religion juive. Sa réussite financière tient alors à ses relations et à un grand talent. Découvrant l'économie en 1799, après lecture des travaux d'Adam Smith, il se met à polémiquer sur les problèmes économiques du moment et décide de se retirer partiellement des activités financières. Cette semi- retraite est assise sur une bonne fortune et une solide réputation politique . Sa fortune vient de son travail et de son sens des affaires. Intuitif quant aux retournements de tendance, il gagne gros en pariant sur la victoire de Waterloo. Il se retire des affaires pour gérer, en bon père de famille, une fortune bien répartie en propriétés foncières, et placements financiers, anglais et français. Sa réputation politique nait de ses articles (dès 1799 dans le Morning Chronicle) et de ses pamphlets. Elle se traduit par son entrée au Parlement en 1819. Il y manifeste un esprit critique et soutient les réformateurs radicaux dans leur volonté de mieux exprimer les problèmes populaires. Ayant largement étendu ses propriétés foncières, il publie les Principes en 1817, puis effectue un Grand Tour d' Europe en 1822. Il meurt en 1823. b. L'écriture L'écriture de Ricardo est typique d'un travail à deux niveaux. Les "discours" , réponses relatives aux problèmes de son temps et au delà les "Principes", universels. Les " discours", alimentés par les lectures et les discussions, se traduisent par des lettres, des pamphlets, des 23 interventions politiques. Ces discours "clôts" par les problèmes de leur temps, donnent lieu à des Principes de nature "scientifique", que Ricardo posera au delà du contexte de son époque. L'universalité du Principe des profits devient manifeste dans le Chapitre VI sur les profits: "En tous temps et en tous lieux, les profits dépendent de la quantité de travail requise pour produire les biens salaires sur la terre qui ne produit pas de rente" La période des "papiers" et pamphlets Après la "révélation" scientifique de 1799 , Ricardo parfait ses connaissances en économie politique. Deux auteurs jouent un rôle déterminant: Jean Baptiste Say, dont le "Traité d'économie politique" est publié en 1803 et Thomas Robert Malthus, auteur de l'"Essai sur le Principe de Population" en 1798, et dont deux pamphlets en 1815 à propos de la controverse sur les importations de blé stimuleront la plume de Ricardo. En février 1814, Ricardo a déjà produit plusieurs " papiers sur les profits du capital" dont il a discuté avec Malthus , Trower et Mill, notamment par correspondance; ainsi selon Sraffa la lettre de Ricardo à Trower du 8 Mars 1814, développe déjà "complètement" la théorie des profits . Les pamphlets de Ricardo sont suscités par les problèmes politiques du moment: - les effets de la suspension du système de l'étalon -or (1797- 1809) sont à l'origine d' une publication anonyme "The price of Gold" dans le Morning Chronicle du 28 Août 1809. Sous sa signature, un premier pamphlet, en 1810, tente de démontrer " The high price of bullion, a proof of the depreciation of bank notes". Il influencera ainsi la rédaction du "Bullion Report" par la commission ad hoc de la Chambre des Communes. Il interviendra encore à de nombreuses reprises sur ce thème dans sa réponse à Mr Bosanquet, ou encore en écrivant ses "Proposals for an economical and secure currency" en 1816. - la controverse sur les importations de blé et les prises de position de Malthus lui font écrire un pamphlet en Février 1815 "Essay on the influence of a low price of corn on the profits of stock; shewing the inexpediency of restrictions on importation". Ce débat (qui aura lieu au Parlement du 17 février au 10 Mars 1815), particulièrement délicat, met en cause l'agriculture anglaise et le statut privilégié des Landlords. Ces pamphlets suscitent un futur ouvrage auquel Ricardo ne s'était pas préparé, les " Principes de l'économie politique et de l'impôt" En accumulant les démonstrations, les notes de lecture, Ricardo transformera ses essais pamphlétaires, en particulier l' "Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits" en "Principes" assurés, par superposition, approfondissement, généralisation, et élargissement. Les Principes: une composition difficile. Depuis 1814, David Ricardo partage son temps entre la politique à Londres et la réflexion économique en son manoir de Gatcomb Park. Sous la pression de James Mill et les encouragements de Malthus, il reprend ses articles, ses pamphlets, ses discours et tente d'en faire un ouvrage. Les Principes seront écrits, difficilement, de 1815 à 1817; à plusieurs reprises Ricardo avoue son incapacité , se décourage et s'arrête "dans cet art difficile de la composition" . Les sept premiers chapitre seront remis à Mill en Octobre 1816; puis la dizaine de chapitres sur les impôts et le reste, en 1817. Après une seconde édition, en 1819, l'ouvrage sera remanié pour la troisième édition de 1821. 24 Sa façon d'aborder l'économie est typique d'une forme de pensée qui, depuis les Révolutions du 17°siècle, donne , en Grande Bretagne, la priorité aux Tradesmen. Sa connaissance autodidacte de la pensée économique est impressionnante et se traduit par une foule de notes critiques sur les théories concernées. Celles-ci n'ont d'intérêt que parce qu'elles ont un lien avec les affaires politiques en cours. Sa formation sur le tas, selon son frère: " ...lui permit de développer les sujets les plus abstraits et les plus compliqués et d'être l'auteur d'importantes découvertes plutôt que de recevoir passivement les idées des autres". Il eut la chance de fréquenter les grands économistes anglais du moment ,surtout Malthus, de correspondre avec les étrangers ,sinon d'aller les voir sur le Continent. A ce titre Jean-Baptiste Say occupe une place majeure dans les Principes, particulièrement dans la troisième édition (1821); à la mesure des soins que le grand auteur français apporte à commenter les "Principes" dans la première édition française (Constancio) de 1819. Cherchant à convaincre, Ricardo remanie la version initiale de 1817, particulièrement dans une troisième édition en 1821. Cette volonté conduit encore à donner un aspect plus désordonné à l'ouvrage; à multiplier encore les redites et les disgressions. Soulignant à quel point les propositions théorique ne paradent pas toujours en ordre ! Les Oeuvres de Ricardo Le cours élevé du lingot, preuve de la dépréciation des billets de ¦ banque. (1810). Réponse aux observations pratiques de M. Bosanquet sur le "Rapport du Bullion Comittee". (1811). - Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits du capital montrant l'inefficacité des restrictions sur l'importation avec des remarques sur les deux dernières publications de Mr Malthus "Une enquête sur la nature et le progrès de la rente" et" Les fondements d'une opinion sur la politique de restriction à l'importation de blé étranger. (1815) Propositions pour un étalon économique et sûr; avec des observations sur sur les profits de la Banque d'Angleterre, dans la mesure où ils concernent le public et les propriétaires du capital. (1816) Des principes de l'économie politique et de l'impôt. (1817) " Le système de consolidation" , un article du supplément aux quatrième, cinquième et sixième éditions de l'Encyclopaedia Britannica. (1820) De la protection de l'Agriculture. (1822) Plan pour l'établissement d'une Banque Nationale. (1824) c. La dynamique grandiose Cette dynamique ambitieuse (Baumol, Economic dynamics, 1951) englobe les schémas de croissance et de développement d'économies entières sur de longues périodes. La dynamique "classique" désigne le passage fatal de l'économie progressive à l'état stationnaire sous l'impulsion de facteurs exogènes: la population, les qualités du sol, le progrès technique, la politique publique. La première version ricardienne de la dynamique économique est simple, presque visionnaire: le fonctionnement à perte du capitalisme agraire provoque la perte du capitalisme dans son ensemble. Elle aboutira dans les "Principes" à un modèle plus élaboré tel que le capitalisme évolue fatalement vers l' état stationnaire, compte tenu des lois de la valeur et de la répartition . 25 Le principe fondamental de 1814: la péréquation des taux de profit Ricardo construit progressivement cette dynamique grandiose en associant sa théorie du profit aux théories de Malthus sur la rente. Déjà une théorie primitive du profit était contenue dans la lettre de Ricardo à Trower de 1814: " ...Les taux de profit sont déterminés par la facilité ou la difficulté à se procurer de la nourriture. C'est un principe très important et qui a été pratiquement toujours négligé dans les écrits des économistes". Derrière ce "principe fondamental", se trouve aussi l'idée implicite d'une péréquation automatique des taux de profit. Si le taux de profit réalisé sur la dose de capital agricole la moins productive diminue de 50 à 43 % puis à 36 %, il en sera de même pour le taux de profit moyen qui s'aligne sur ces taux. Dans l'"Essai sur les Profits" de 1815, ce principe se précise: les profits du fermier déterminent les profits de toutes les autres activités. Derrière ce principe de la détermination agraire du taux de profit moyen, se trouve l'idée d'une péréquation des taux de profit que Ricardo esquisse dans l'"Essai", mais de façon non satisfaisante. Ricardo allie ce principe à l'influence de la "véritable doctrine de la rente" de Malthus, pour bâtir une dynamique grandiose de la répartition du produit. Cette dynamique forme l'axe central de son oeuvre. Les mouvements de la rente propres au capitalisme agraire sont tels qu'ils provoquent une perte du capitalisme dans son ensemble. En effet, les rendements décroissants particuliers à l'agriculture, entraînent une diminution du taux de profit agricole, une augmentation du prix des biens salaires et par conséquent une baisse du taux de profit moyen. La rente selon Ricardo La rente a un aspect explicite: elle correspond à la rémunération du propriétaire foncier pour l'usage du pouvoir originel de la terre. La découverte géniale de Ricardo revient à transformer la rente en mécanisme de péréquation des taux de profit en agriculture. Si les taux de profit varient du fait de la difficulté à produire, sur des terres inégalement fertiles, la rente alignera le profit moyen sur le profit obtenu sur la terre marginale: celle qui ne paie pas de rente. Le taux de profit est ainsi prioritaire et la rente n'est que déduite des variations du taux de profit; on est loin de l'idée si souvent émise d'un profit résiduel, laminé par le prélèvement antérieur de la rente. Ainsi, si le profit tend vers un niveau unique, la rente est différentielle car elle est au service de cette péréquation; mais ce faisant, elle aligne toujours par le bas, entraînant le taux de profit des autres activités et ainsi le taux moyen..... Le Tableau " Montrant le Progrès de la Rente et du Profit, compte tenu d'une augmentation du Capital", il analyse le profit et la rente en "quarters" de blé, rapportés au capital investi, estimé lui ausi en "quarters" de blé. Le Tableau est remarquable car il conduit à une estimation physique du taux de profit; le principe "fondamental" de 1844 est pleinement appliqué: le taux de profit agricole détermine mécaniquement le taux de profit moyen dans la mesure où, au stade évolutif de la société, il existe une particularité des rendements agricoles décroissants. L'originalité du Tableau apparaît dès les premières hypothèses du raisonnement: absence de progrès technique, augmentation du capital et de la production dans la même proportion, fixité des salaires réels. Dans ce cadre, Ricardo fait rentrer les principes généraux de réaffectation du capital et de péréquation des taux de profit. Le Tableau comporte deux parties: la première montre en détail comment l'accumulation du capital de façon extensive 26 sur huit doses de terre entraîne une baisse récurrente du profit et une hausse de la rente sur les doses de capital antérieures. Le rapport du produit net physique au capital investi physique, le "profit" selon Ricardo est donné en série décroissante , au nom du préjugé agronomique. La seconde partie donne les résultats globaux du profit et de la rente (quantités globales et taux moyen) et de la production pour l'ensemble du capital investi par période. Elle souligne la relation inversement proportionnelle entre le profit et la rente, quand il y a accumulation du capital agricole au stade "évolutif" de la société. Ricardo est convaincu de l'originalité de sa découverte: " C'est une vision des effets de l'accumulation qui est extrêmement curieuse et n'a, je pense, jamais été évoquée jusqu'à présent". Conclusion et préjugés La conclusion politique à tirer est qu'il faut donc sacrifier les intérêts particuliers des propriétaires fonciers à l'intérêt général de la Nation, en favorisant les importations de blé. Jusqu'au dernier chapitre des "Principes", Ricardo évoque son admiration pour les travaux de Malthus, autant pour son préjugé démographique (L'"Essai sur la population" ), que pour son préjugé agronomique (développé dans ses pamphlets de 1815, l'"Inquiry "et les "Grounds"). Mais l'admiration du maître a ses limites...L'art de Ricardo consiste à détourner les préjugés malthusiens vers ses propres conclusions. Malthus considère l'ensemble de l'agriculture pour souligner qu'elle fournit non seulement le profit moyen, mais aussi la rente des propriétaires fonciers; par conséquent, Malthus rejoint Smith pour réaffirmer qu'aucun travail productif ne fournit une reproduction aussi grande que celui utilisé en agriculture. Ricardo restreint le raisonnement de Malthus sur l'agriculture au cas de la terre marginale; celle qui ne fournit jamais de rente. Sa conclusion devient alors tout à fait opposée à celle de ses prédécesseurs: le travail productif employé sur la terre marginale "ne fournit jamais une reproduction aussi considérable que le même travail productif employé dans l'industrie" . ("Essai sur les Profits" ,p.33) Ce préjugé anti- physiocratique est alors allié au préjugé démographique de Malthus. Sous la pression de la population et de la demande, les fermiers accumulent continuellement dans un secteur dont la particularité est d'être de moins en moins rentable. En effet les terres sont de plus en plus mauvaises et de plus en plus éloignées; la baisse du taux de profit sur la dose de terre utilisée, la plus mauvaise ,entraine une baisse du taux de profit dans l'ensemble du capitalisme agraire. A l'intérieur de ce type de capitalisme, il est au moins aussi rentable d'intervenir sur la dernière dose que sur la première dose de terre; la rationalité du fermier dans le capitalisme agraire est préservée. Mais à quel prix ! L'uniformité des taux de profit provient du fait que la rente est la différence entre le produit réalisé sur les terres anciennes et celui réalisé sur la terre marginale; en considérant un secteur agricole à salaire uniforme et à produit ( et donc à prix de vente) unique. Dans ce cadre simplifié, l'uniformité du taux de profit est réalisée par le propriétaire foncier qui accapare les différences de productivité. Dans le capitalisme tout entier, il reste à comprendre comment le fermier, entrepreneur rationnel comme les autres, peut continuer à investir dans une "industrie" agricole, apparemment non rentable. Là encore intervient un mécanisme de péréquation des taux de profit. Le taux de profit moyen est déterminé par le taux de profit agraire. De ce fait, dans l'ensemble du capitalisme, il est au moins aussi rentable d'investir en agriculture que dans tout autre secteur. Cette uniformisation des taux de profit dans l'ensemble du capitalisme reste à justifier. Il est possible d'avancer la péréquation des taux de profit comme un postulat; mais dans ce cas, il serait normal que les entrepreneurs retirent leur capital de ce secteur plutôt que l'inverse.. Autrement, il faut 27 démontrer qu'il existe un lien particulier entre la difficulté croissante de production, les hausses du prix du blé et les salaires; ce qui entraîne ,par le jeu de la répartition, une baisse du taux de profit moyen. Le lien peut être imaginé par les prix relatifs: dans la mesure où la productivité marginale dans l'agriculture baisse, tandis que les rendements du secteur industriel sont constants, le prix relatif des biens industriels par rapport au prix des biens agricoles tend à diminuer. Cette dévalorisation sera encore accentuée si, avec l'amélioration des techniques de production, la productivité moyenne augmente dans l'industrie. Ainsi cette baisse du prix relatif des biens industriels provoquera une baisse du taux de profit moyen. Un tel lien est au centre des "Principes". Mais il est complexe, faisant intervenir la valeur et les prix. Il est de plus aléatoire, dans la mesure où un ordre exogène de fertilité, et donc la difficulté de production associée, devront entraîner une hausse du prix du blé , apte à provoquer une baisse du taux de profit moyen coïncidant exactement avec la baisse du taux de profit en agriculture. Enfin le lien serait incomplet s'il ne posait pas les problèmes du réinvestissement de la rente, et de l'introduction du progrès technique. Ricardo ne s'interroge pas sur l'utilisation possible de la rente à des fins d'accumulation. Celle-ci par exemple, pourrait être réinvestie; mais cette reprise de l'accumulation ne ferait qu' acheminer l'économie vers un état stationnaire. Une telle interrogation avaliserait les idées de Say, sur la possibilité d'un profit foncier et un mélange des genres, entre propriétaire et fermier. La baisse des rendements agricoles est- elle compensable par le progrès technique en agriculture ? A l'évidence, celui-ci provoquera une diminution des prix relatifs des produits bruts et permettra une hausse du taux de profit. Le répit sera de courte durée,car les pressions sur l' agriculture reprendront de plus belle; l'embellie du taux de profit réactivera l'accumulation du capital, l'augmentation de la demande de travail et des salaires, l'augmentation de la population et la nécessité d'obtenir plus de produits bruts. Dans les "Principes", Ricardo assouplit sa position sur la détermination agraire des profits de l'ensemble des activités. Il existe toujours une détermination agraire, en dernier ressort, du taux de profit moyen; la dose de terre qui ne paie pas de rente est toujours l'acteur privilégié. Mais, cette fois, ce n'est plus le taux de profit du fermier qui détermine le taux de profit moyen, mais la productivité du travail sur la terre qui ne paie pas de rente. L'universalité du principe de détermination des profits devient manifeste dans le Chapitre VI sur les profits: "En tous temps et en tous lieux, les profits dépendent de la quantité de travail requise- sur cette terre ou avec ce capital qui ne rapporte pas de rente- pour fournir au travailleur les biens nécessaires." Cette nouvelle relation implique une analyse de la valeur et de la répartition, que Ricardo tente d'établir dans les "Principes". - 3- LA THEORIE DE LA VALEUR. Si la hausse des salaires provoque au sein de la dynamique grandiose une baisse des profits, entraîne - t-elle une hausse des prix des marchandises concernées ? Dans l'"Essai", Ricardo adoptait une hypothèse forte : l'effet de la dynamique grandiose réside dans l'élévation du prix des produits de base et du travail, laissant toutes les autres marchandises à leur prix d'origine, et ensuite dans la baisse de l'ensemble des profits consécutive à la hausse générale des salaires. Cette absence de liaison entre la variation du prix des matières premières et du prix des biens manufacturés est corrigée peu de temps après la publication de l'"Essai", à la suite des critiques de Malthus ( Lettre de Ricardo à Malthus du 9 mars 1815). Ricardo énonce dans le chapitre VI des Principes que "rares sont les 28 marchandises dont le prix ne soit plus ou moins affecté par la hausse du prix des produits bruts". Cette correction importante se comprend mieux dans le cadre d'une généralisation de la difficulté de production agricole à l'ensemble de l'activité économique; cette nouvelle théorie est moins marquée par le particularisme agricole de Malthus, Ricardo s'intéressant cette fois à l'ensemble des biens salaires. Une des idées premières de l'Essai reste préservée dans le chapitre premier des Principes (Section III,p.xx): " Aucune modification des salaires ne pourrait changer la valeur relative de ces marchandises;car,en supposant qu'ils augmentent, aucune de ces activités n'exigerait une plus grande quantité de travail". La détermination des prix par le rendement de la dose marginale de capital est réaffirmée , devenant un principe des "Principes" : "..le prix est partout déterminé par le rendement de cette dernière part de capital pour laquelle aucune rente n'est payée. S'il s'était reporté à ce principe, il [Adam Smith] n'aurait jamais fait de distinction entre la loi qui règle la rente des mines et celle qui règle la rente de la terre." Le prix constitue le problème premier de Ricardo , dès qu'il envisage de tranformer l'"Essai" en "Principes". Il avoue à James Mill dans une lettre du 30 décembre 1815: "Je sais que je serai bientôt arrêté par le mot prix" En effet dès 1816, Ricardo découvre un "curieux effet" : pour certaines marchandises ,compte tenu de la proportion de capital fixe au sein du capital, une hausse des salaires peut se traduire par une baisse des prix. Compte tenu de cet "effet Ricardo", mieux vaut déterminer la valeur d'une marchandise par la quantité de travail requise par sa production, que par la rémunération de celui-ci. La théorie de la valeur aurait du parachever la théorie de Ricardo. Elle constitue le principal motif de la troisième édition ( 1821)des "Principes" et reste l'objet d'un de ses derniers écrits, notamment "Valeur absolue, valeur d'échange" ( été 1823). Ce dernier texte développe l'idée d'une "valeur réelle ou absolue" qui contraste avec la valeur d'échange ou relative. Il donne ainsi les définitions comparées des deux conceptions de la valeur, mais souligne l'incapacité de Ricardo à résoudre le problème qu'il se pose. Encore une fois, Ricardo se situe dans le débat avec ses protagonistes de l'époque: - A.Smith, qui constitue le point de départ du chapitre des "Principes" - J.B.Say , dont il critique l'édition du Traité de 1819 dans un nouveau chapitre de la 3° édition, "Les propriétés distinctives de la valeur et de la richesse". - T.Malthus, dans "Valeur Absolue, Valeur d'Echange". On suggère ainsi l'ordre de lecture suivant: la théorie de la valeur du premier chapitre des Principes, le chapitre XX "Des propriété distinctives de la valeur et de la richesse", les définitions finales de Valeur Absolue Valeur d'Echange (VAVE). 1. La théorie de la valeur dans les Principes. Simplifiée, la loi ricardienne de la valeur- travail est telle que les marchandises s'échangent en rapport des quantités de travail qui ont été nécessaires pour les produire. Seule une modification des conditions de production, et donc de cette quantité de travail, peut changer la valeur. Mais si l'on observe des variations des valeurs d'échange de deux biens, une telle loi ne permet pas de savoir où se situe la transformation des conditions de production: dans l'une ou l'autre marchandise, ou dans les deux à la fois. Il est donc nécessaire de distinguer la valeur d'échange ou valeur relative, de la valeur absolue; celle- ci implique un étalon invariable par rapport aux variations des salaires, et plus généralement de la répartition, et dont les conditions de production ne varient jamais. Que pourrait être cette marchandise invariable ? Jusqu'à ses derniers écrits, Ricardo ne résoudra pas la question et devra se contenter de la mesure "la moins imparfaite " : une marchandise produite dans des conditions moyennes du point de vue de la combinaison entre capitaux fixes et capitaux circulants; l'or par exemple. La recherche inachevée d'un étalon des 29 valeurs est une difficulté théorique inhérente à la dynamique grandiose, mais ne saurait s'y substituer. L'absence d'une mesure parfaite n'empêche pas le modèle de la dynamique grandiose de simuler les changements sociaux suscités par les modifications de l'environnement économique, en particulier ceux introduits par la politique économique. 1.1.Ricardo reprend la distinction de Smith dans la Richesse des Nations. La valeur d'usage reflète "l'utilité de quelque objet particulier". La valeur d'échange exprime" le pouvoir d'acheter d'autres biens que confère la possession de cet objet". L'utilité est "essentielle" à une marchandise, sinon elle ne serait pas échangée; mais ne peut mesurer sa valeur. Les marchandises "tirent leur valeur d'échange de deux sources: leur rareté et la quantité de travail nécessaire pour les obtenir". Si certaines créations artistiques et les produits de luxe peuvent être déterminés uniquement par leur seule rareté, il faut considérer plus généralement des "marchandises dont la quantité peut être accrue par l'industrie de l'homme et dont la production est soumise à une concurrence sans entrave". 1.2. Le principe général de détermination de la valeur relative des marchandises. Dans ce cadre, la valeur d'échange ou" la règle qui détermine la quantité d' une marchandise à échanger contre une autre, est une valeur relative; elle dépend presqu'exclusivement de la quantité relative de travail consacré à leur production respective.". La valeur est donc fonction de l'augmentation ou de la diminution de la quantité de travail incorporée dans la marchandise. Ricardo critique la valeur "travail commandé" de Smith car la quantitéde travail que l'on peut acheter est une quantité variable , contrairement à la quantité de travail incorporée. Le travail est ainsi le fondement, et la quantité relative de travail, le déterminant de la valeur relative des marchandises. Les différences de qualité de travail ont déjà joué au moment de la détermination de la valeur relative et ainsi les différences de qualité ou encore d'intensité dutravail ne joueront pas ( Section II). 1.3. L'anthropologie ricardienne Aux premiers stades de la société, les mécanismes de la valeur servent de référence pour les sociétés plus développées.... "Supposons" avec Ricardo une économie primitive, consacrée à la chasse et la pêche: si les moyens utilisés et le temps nécessaire incorporent la même quantité de travail, alors les deux produits (cerf et poisson par exemple) ont une valeur relative, indépendante de la quantité produite et de la répartition. Admettons que les arcs, les flèches du chasseur d'une part, le canoë et les instruments du pêcheur d'autre part, aient nécessité la même quantité de travail. Supposons encore que le cerf chassé et le poisson pêché aient exigé une journée de travail. "La valeur relative du poisson et du gibier serait entièrement réglée par la quantité de travail matérialisée en chacun, quels qu'aient pu être la quantité produite et le niveau général des salaires et des profits. Ainsi, normalement dans une économie donnée ( chasse, pêche, mines) "aucune modification des salaires ne pourrait changer la valeur relative des marchandises" si la hausse de salaires ne produit pas d'augmentation de la quantité de travail. Si, pour produire, les hommes n'employaient aucune machine, mais uniquement du travail, et qu'il s'écoule pour tous les deux le même laps de temps avant qu'ils ne mettent leur marchandise sur le marché, alors la valeur d'échange de leurs biens serait exactement proportionnelle à la quantité de travail employée. Mais le raisonnement se complique dès que l'on tient compte du capital, 30 1.4. Les problèmes de l'incorporation du capital( Sections III et IV) Distinguons avec Ricardo, le travail immédiatement appliqué aux marchandises, du travail consacré aux intrants nécessaires ( instruments, outils, bâtiments) qui assistent ce travail. Il existe donc un travail immédiat et un travail nécessaire à la constitution du capital utilisé dans sa production. La prise en compte des machines et d'autres éléments du capital fixe et durable "modifie considérablement le principe selon lequel la quantité de travail consacrée à la production des marchandises règle leur valeur relative." David Ricardo différencie les capitaux selon leur durée de vie: - le capital circulant qui "disparaît rapidement et demande à être fréquemment reproduit". - le capital fixe qui "se consomme lentement". Il existe selon les activités, de grandes différences dans les combinaisons possibles de ces deux sortes de capital. Une activité qui emploie très peu de capital circulant, entretient très peu de travail, par exemple la brasserie. A l'inverse Ricardo donne l'exemple du fabricant de chaussures "dont le capital est principalement consacré à payer des salaires dépensés en nourriture et en vêtements". 1.5. L'effet Ricardo. Compte tenu de la différence de la composition du capital, une hausse des salaires ne manque pas d'influer de façon inégale sur les marchandises produites dans des conditions si différentes. En effet, si les salaires varient, les valeurs relatives des marchandises se modifient quand on les compare avec d'autres marchandises produites avec une proportion de capital fixe différente."L'orge relativement aux cotonnades, et l'avoine relativement au drap, pourraient gagner ou perdre de la valeur"( p.71). L'importance de cette modification de valeur relative des biens provoquée par une augmentation ou une diminution de la valeur du travail, dépendra de la part de capital fixe dans l'ensemble du capital employé. Si cette part est importante, la valeur relative diminuera tandis que toutes celles produites principalement par du travail, ou rapidement mises sur le marché, verront leur valeur relative augmenter" . 1.6. La question lancinante de la marchandise/étalon invariable. Il faudrait pouvoir mesurer la valeur. Ricardo pose la question à de multiples reprises. En effet une mesure de la valeur relative de deux marchandises obéit à la force attractive de chacune. Ricardo multiplie les suppositions: "S'il existait une marchandise dotée d'une valeur invariable" et " Si nous disposions de cet étalon invariable, nous pourrions facilement préciser dans quelle mesure agit chacune de ces causes". Cet étalon invariable permettrait de montrer que la modification de la valeur relative est imputable à la modification de la quantité de travail requise, non à l'augmentation des salaires. Supposons que la monnaie soit cet étalon, sans augmentation du travail utilisé, une hausse des salaires n'augmentera pas plus la valeur monétaire des marchandises que leur valeur relative. 1.7. Difficultés occasionnées par une telle recherche (Sections VI et VII du chapitre I des Principes) L'étalon invariable de mesure de la valeur des marchandises ne doit pas subir les fluctuations auxquelles sont exposées les autres marchandises. Ricardo avoue la difficulté 31 sinon l'impossibilité d'une telle réalisation, " car il n'existe aucune marchandise qui ne soit pas soumise aux mêmes variations que les biens dont nous voulons déterminer la valeur". Pourquoi ? Quatre circonstances interviennent: - 1- quelles que soient les marchandises, la quantité de travail nécessaire à la production varie. - 2- la proportion de capital fixe nécessaire à la production ( cf. l'"effet Ricardo") rend aléatoires les effets d'une fluctuation de la répartition. - 3- l'étalon peut varier , compte tenu de la durée de vie relative du capital fixe employé à sa production et des marchandises produites auxquelles on souhaite le comparer. - 4- il faut plus ou moins de temps pour amener l'étalon sur le marché, comparativement aux marchandises à mesurer. La conjonction de ces quatre obstacles fait qu' "aucune marchandise pressentie" n'a qualité pour constituer une mesure de la valeur parfaitement exacte. Ainsi l'or, en admettant qu'une même quantité de travail soit toujours nécessaire à sa fabrication, ne répondrait pas aux trois dernières objections. 1.8. Faut- il abandonner un tel projet On peut se contenter d'un demi- projet en admettant qu'une variation des profits n'a qu'un "effet relativement modéré" sur le prix relatif des biens, et que l'essentiel vient des variations de la quantité de travail nécessaires à la production. On pourrait donc se satisfaire de l'or en éliminant cette cause de "variation majeure" en supposant que la combinaison du capital ( fixe et circulant) soit la plus proche possible de la combinaison moyenne employée dans la plupart des marchandises, c'est à dire " entre les deux extrêmes". L'or peut être supposé " étalon aussi proche d'"une mesure invariable", mais en sachant que cet étalon est variable. - La monnaie est une marchandise variable; si la valeur de la monnaie baisse, les salaires monétaires augmenteront et donc le prix des marchandises. - Cette augmentation des salaires a donc des effets sur les prix, mais n'influence pas les profits; au contraire, aussi grande soit -elle, la variation de la valeur de la monnaie n'influe pas sur le taux de profit. Si les marchandises du manufacturier augmentent ainsi que son capital dans la même proportion, alors le taux de profit reste inchangé. Il en est de même si le produit ( qui est réparti entre rente, salaire et profit) et le capital nécessaire augmentent dans la même proportion. La monnaie a -t-elle la possibilité d'être un palliatif à l'étalon des valeurs ? 2. Chapitre XX: Des propriété distinctives de la valeur et de la richesse. Ricardo n'a pas approfondi cette distinction dans le premier chapitre. Or, selon lui, "beaucoup d'erreurs" en économie politique, proviennent d'une assimilation erronée de l'augmentation de la richesse à l'augmentation de la valeur.. et de "notions dénuées de fondement" sur ce qui peut constituer un étalon de mesure de la valeur. Ces erreurs proviennent de la confusion effectuée par Smith entre richesse et valeur et à l'incapacité de Say à envisager la valeur d'échange. Smith définit initialement la richesse ( définition "correcte" selon Ricardo), comme les moyens d'obtenir les biens nécessaires, commodes et nécessaires à la vie. Mais le même auteur donne, par la suite, une définition de la richesse, différente et inexacte, en la faisant reposer sur la quantité de travail que l'homme peut acheter. En effet, selon Ricardo, la richesse peut augmenter grace à la facilité de production, mais pendant ce temps la valeur de certaines marchandises ( fondée sur la difficulté de 32 production) diminuera.. L'effet de richesse ( masse de valeurs d'usage) peut se traduire par une perte de valeur d'échange. Jean Baptiste Say retombe dans cette même confusion entre richesse et valeur, rappelant dans ses notes sur les Principes que "la richesse n'est que la valeur courante des choses que l'on possède" . Say reproche à Ricardo de ne considérer que le travail et de négliger le "premier" élément, le "véritable" fondement de la valeur, l'utilité. Say confondant richesse et valeur, néglige ainsi la différence fondamentale entre valeur d'usage et valeur d'échange.. Le caractère hypothétique de l'étalon. Si nous ne pouvons déterminer quelle marchandise a la capacité d'être un étalon, faisons " comme si" il existait, pour en tirer toutes les conséquences. Cette méthode sera développée ultérieurement par Sraffa ( p.41); celui ci montrera que les salaires et le prix des marchandises peuvent être exprimés en termes d'un produit net étalon, "sans savoir de quoi il est fait" et dont la construction est "purement auxiliaire". Pour Ricardo, citant Destutt de Tracy ( p. 299), il faut rechercher comment mesurer une chose avec une quantité donnée de cette autre chose qui nous sert de comparaison, d'étalon, d'unité. 3. "Valeur absolue et valeur d'échange". L'objectif de la mesure de la valeur est réitéré: une mesure de la valeur est parfaite si "elle a elle- même une valeur et que cette valeur soit invariable". La difficulté est toujours la même. La difficulté ou la facilité de production n'est pas l'unique cause de la variation de la valeur: il y en a une autre, à savoir l'accroissement ou la diminution des salaires.... Tout irait bien" si toutes les marchandises étaient produites dans des circonstances rigoureusement identiques.." en étant par exemple produites par le seul travail ou si exigeant des avances , celles- ci étaient mises sur le marché exactement au même moment. Mais on se trouve dans des circonstances diverses de production du point de vue du travail par rapport au capital; par exemple les crevettes incorporent exclusivement du travail, ce qui n'est pas le cas de l'étoffe et donc les effets d'une augmentation des salaires sur le prix de ces deux marchandises sera très différente. La difficulté du sujet est telle "qu'il est impossible de trouver quelque marchandise que ce soit qui puisse constituer une mesure parfaite de la valeur". Cependant, Ricardo ( curieusement s'autocitant par des "Monsieur Ricardo"), préfère une mesure " manifestement imparfaite, mais permettant de savoir si ce sont les marchandises ou la valeur du travail qui ont augmenté", un" moyen terme entre deux extrêmes". Ces extrêmes étant dans la répartition, soit à raison de 90 % pour le travail, soit de 40 % pour le travail et 60 % pour le capital. Sraffa s'inspirera de cet étalon de mesure de la valeur comme "moyenne entre deux extrêmes" pour construire une proportion critique entre travail et moyens de production de telle sorte à résoudre l'"effet Ricardo" (voir supra 1.15). La mesure la moins mauvaise semble être cette fois "le travail"; ainsi " une marchandise produite dans un temps donné par le travail de cent hommes a une valeur double de celle d'une marchandise produite par le travail de cinquante hommes dans le même temps". (Valeur Absolue Valeur d'Echange ,p.243). S'il y a vingt ans," le travail de 80 hommes suffisait,.., alors que maintenant il en faut une centaine, nous serions en droit d'affirmer que la marchandise a augmenté de 25%" Le travail employé pendant un an peut être un "moyen terme entre les extrêmes que sont les marchandises produites par le travail avec des avances de plusieurs années et le travail employé pendant une journée seulement." 33 Mais...on peut encore faire appel à la monnaie, si sa production nécessite la même quantité de travail que le blé: "Supposons que la monnaie soit produite pendant le même temps que le blé, c'est la mesure que je proposerai, pourvu que sa production nécessite toujours la même quantité de travail." - 4- LE COMMERCE EXTERIEUR. Le commerce extérieur constitue la solution la plus radicale à la baisse fatale du taux de profit. Déjà dans l'"Essai sur les Profits", Ricardo avait mis son préjugé libre-échangiste au service de la lutte contre les lois sur le blé (Corn Laws). La lutte contre le protectionnisme a pour but d'obtenir une alimentation à bas prix. Dans le chapitre VII, "Du commerce extérieur", ce préjugé libre échangiste repose désormais sur un principe général du commerce extérieur , fondé sur les avantages comparatifs. Adam Smith avait montré qu'une nation possède un avantage absolu dans le commerce international, si elle produit certains biens au moindre coût. Chaque nation a donc intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour lesquels elle a l'avantage absolu, et à les échanger contre d'autres biens, avec d'autres nations. La spécialisation, dans le cadre de ce raisonnement en valeur travail et à coûts constants, serait facilitée si le capital circulait entre les deux protagonistes. Mais faudra- t-il aller jusqu'au libre échange au point où la circulation des facteurs de production entre le Portugal et l'Angleterre soit du même ordre qu'entre Londres et le Yorkshire ? Ce serait oublier la peur de l'autre et le désir de ne pas prendre de risques à l'étranger. A partir d'un exemple très court, Ricardo montrera que l'avantage absolu sur toutes les productions ne prive pas une nation de participer à l'échange international; seul compte l'avantage relatif, ou comparatif. Il va de soi que le principe des avantages/ coûts comparatifs est immédiatement applicable aux relations entre l'Angleterre et les pays producteurs de biens agricoles. Ainsi les partenaires à l'échange international forment un agent composite pouvant perturber le jeu fatal de la dynamique grandiose. 1. Les mystères du commerce international: les avantages comparatifs 1.1. Sur le plan international, le "Capital Withdrawall" est impossible "La règle qui détermine la valeur relative des marchandises dans un pays ne détermine pas la valeur de celles échangées entre deux ou plusieurs pays". Des écarts de profit peuvent subsister: - par exemple le Portugal fabrique le vin avec plus de profit que l'Angleterre et les draps et ustensiles avec moins de profit. - réciproquement, l'Angleterre produit plus avantageusement les ustensiles et les draps que le vin. L'échange entre marchandises (vin portugais/ drap anglais) implique une modification plus avantageuse de l'allocation interne du travail. Si en Angleterre le drap coûte le travail de 100 hommes et le vin, le travail de 120; et si au Portugal, le coût est respectivement de 90 et 80, il est intéréssant de procéder à une réallocation du travail. Ainsi en se spécialisant dans le vin, le Portugal obtiendra, en échange de vin, plus de draps que l'Angleterre, qu'il n'en aurait eu en autarcie; et cela, bien que le coût en travail du drap soit dans l'absolu, inférieur au Portugal. Dans le cadre international (bilatéral), un produit de 100 hommes (le drap ) pourra ainsi s'échanger contre produit de 80 hommes ( le vin ); ce qui n'aurait de sens dans un cadre national: " Le travail de 100 anglais ne peut être échangé contre le travail de 80 anglais". 34 Le raisonnement de Ricardo est à la fois macro et microéconomique sinon "inclassable" ( Machlup,1963s). En effet, le raisonnement sur deux nations peut être transposé à deux individus, que ce soit pour le commerce international, mais aussi la dette ( ch. 17). Ainsi, afin de montrer qu'un pays riche de ses machines et de son savoir- faire , disposant d'une terre fertile peut avoir interêt à importer son blé, Ricardo prend l'exemple classique de deux hommes fabricant des chaussures et des chapeaux. Un des deux hommes est plus productif que l'autre dans les deux productions: - De 20 % pour les chapeaux - De 33 % pour les chaussures "Ne serait- il pas dans l'intérêt des deux que l'individu le plus compétitif se consacre exclusivement à la fabrication de chaussures et le moins compétitif, à la fabrication des chapeaux ?" Quel est le critère utilisé sinon le surcroît d'utilité pour tous les consommateurs: "la recherche de son avantage propre s'accorde admirablement avec le bien universel....en augmentant la masse totale des productions, elle répand partout le bien être, et réunit par le lien de l'intérêt et du commerce réciproque". Dans ce dernier cas, il existe seulement un "gain statique" et les termes de l'échange sont nécessaires à la compréhension. 1.2. Les avantages comparatifs: clef du mystère Reprenons l'exemple de Ricardo: deux pays, l'Angleterre et le Portugal qui produisent chacun deux biens: le drap et le vin, mais dans des conditions techniques différentes qui sont résumées dans le tableau suivant: Tableau 2 Quantité de travail par unité de bien (en hommes- année) Vin Drap Angleterre 120 100 Portugal 80 90 Les avantages comparatifs sont exprimés chez Ricardo à partir des prix relatifs internes ou coûts d'opportunité. Tableau 3 Prix relatifs internes vin/drap drap/vin Angleterre 1,2 0,83 Portugal 0,88 1,125 En Angleterre, une unité de vin vaut 1,2 unité de drap et une unité de drap vaut 0,83 unités de vin. Au Portugal, une unité de vin vaut 0,88 unités de drap et une unité de drap vaut 1,125 unités de vin. - Le Portugal a intérêt à se spécialiser dans la production de vin. Produire une unité de vin supplémentaire l'oblige à renoncer à 0,88 unités de drap. Mais, produire une unité supplémentaire de drap le fait renoncer à 1,125 unités de vin. S'il produit plus de vin pour en exporter en Angleterre, chaque unité vendue lui rapporte 1,2 unités de drap contre 0,88 en autarcie. Ainsi, en produisant 2 unités de vin, soit 160 h/année, le Portugal peut garder une unité de vin et obtenir de l'Angleterre 1,2 unités de drap. Soit un gain de 10 h et plus de bien à consommer. 35 - L'Angleterre a intérêt à se spécialiser dans la production de drap et à en exporter une partie au Portugal. Chaque unité vendue lui rapporte 1,125 unités de vin contre 0,83 en autarcie. Produire une unité supplémentaire de drap supplémentaire l'oblige à renoncer à 0,85 unité de vin. Par contre, produire une unité supplémentaire de vin coûterait 1,2 unités de drap. Ainsi, selon le même schéma, l'Angleterre, en produisant 2 Unités de drap soit 200 h obtient 1 unité de drap et 1,125 unités de vin. Elle gagne ainsi 20 h et plus de biens à consommer. Chacun des pays gagne à se spécialiser dans la production du bien pour lequel il a l'avantage comparatif le plus élevé, soit le coût comparatif le plus faible ou encore la productivité du travail la plus élevée. Il y a donc réallocation du travail dans le secteur où sa productivité est la plus élevée et les deux pays gagnent à l'échange:chacun dispose d'un supplément de marchandise par rapport à la situation d'isolement, tout en ayant un coût de travail moindre (10 h pour le Portugal + 20 h pour l'Angleterre = 30 h pour la combinaison retenue). 1.3. Des échanges régulés par la monnaie Au- delà de la loi des coûts comparatifs, Ricardo reprend l'idée de Hume, d'une "répartition naturelle de métaux précieux". Ce mécanismes non seulement équilibre le commerce international, mais encore intervient dans le niveau des prix relatifs d'un pays à l'autre. Il sera perfectionné par Stuart Mill. En définitive, il serait préférable que le capital circule, mais des raisons à la fois psychologiques (aversion au risque) et institutionnelles (lois sur l'immigration) freinent un tel mouvement. Si les exportations croisées de vin et de drap s'effectuent, il faudra que les prix internationaux pratiqués permettent une rentabilité minimale ; celle- ci ne peut s'exprimer qu'en monnaie. La monnaie joue alors le rôle de "moyen général de circulation", dont la répartition entre les pays s'ajuste à la circulation naturelle des marchandises. On peut imaginer une accumulation de monnaie en Angleterre et une diminution de sa quantité à l'étranger. "Mais la réduction de la quantité de monnaie dans un pays et son augmentation dans un autre agissent non seulement sur le prix d'une seule marchandise, mais aussi sur le prix de toutes les marchandises". On peut admettre que l'Angleterre emploie le plus grand savoir- faire et les meilleures machines, dans la fabrication des marchandises d'exportation. Elle pourra ainsi importer une grande quantité de monnaie en échange de ses biens. Mais si l'Angleterre accumule de la monnaie, celle-ci perd de sa valeur et les prix augmentent; à l'inverse au Portugal, les prix diminuent et les prix baissant, les exportations sont favorisées. Il existe donc une tendance cyclique du développement du commerce international. Un pays très favorisé du point de vue du commerce international, aura tendance à subir une rentrée de monnaie et par conséquent des prix plus élevés et une perte de compétitivité. 1.4. Une monnaie dépendante de facteurs réels. Le commerce extérieur permet de voir comment la monnaie est déterminée par des facteurs réels à savoir l'imposition relative, le savoir faire des travailleurs, les avantages du climat ou des productions naturelles, et "beaucoup d'autres causes"; elle ne peut ainsi avoir la même valeur dans deux pays quelconques. Ces variations de la monnaie n'ont cependant pas d'influence sur le taux de profit. Ce dernier dépend du salaire réel. - Or si les salaires réels augmentent du fait d'une augmentation de la monnaie, cela n'a pas d'importance car toutes les marchandises augmenteront. Il y a aura par contre rétablissement automatique de l'équilibre du commerce international. 36 - Si les salaires augmentent du fait d'une augmentation de la difficulté de production, les profits baisseront et nous retrouvons le processus de la dynamique grandiose. 2. Les effets du commerce extérieur. 2.1. Le commerce extérieur ne peut modifier la valeur globale et le taux de profit: La démonstration de la possibilité d'un gain réciproque à l'échange entre partenaires inégaux est , selon Samuelson (1971), un des plus beaux théorèmes de l'économie politique. - Globalement le commerce extérieur ne change pas la dynamique grandiose; ni le mouvement de la valeur et de la répartition. Il n'a pas d'effet immédiat sur le total de la valeur dans un pays car celle- ci repose d'abord sur la valeur du produit de la terre et du travail dans "notre" pays. Si avec ce produit, on obtient en échange de l'étranger deux fois plus de biens, la valeur globale mise à la disposition des habitants du pays ne change pas. Le négociant qui effectue ce commerce obtient le taux de profit moyen; s'il gagne plus, la péréquation des taux de profit s'effectuera par le bas, résultant de l'afflux du capital; il n'existera pas de péréquation où la hausse du profit dans le commerce extérieur tirerait vers le haut l'ensemble des profits. Il existe une limite globale à la demande , correspondant au revenu et au capital d'un pays. Cette demande se divise en une composante domestique et une composante étrangère: " si l'une augmente, l'autre doit diminuer" . En aucun cas, "l'augmentation du taux de profit n'est due à l'extension du marché". Néanmoins le commerce extérieur peut jouer sur le profit, au même titre que le perfectionnement des machines, en abaissant le prix de la nourriture et des biens nécessaires consommés par les travailleurs. 2.2. Le commerce international, pourvoyeur de biens salaires à bas prix. Le seul cas où le commerce international est profitable est celui où les importations ne portent pas sur des marchandises achetées par les salaires. Lassudrie-Duchêne (1987) distingue ainsi l'échange de biens finals qui ne rentrent dans aucun processus de production, de l'échange de biens intermédiaires qui créent, eux un "gain dynamique". Cette dernière forme de gain est évidente parce que l'échange apporte à meilleur compte les biens salariaux, abaisse ainsi les salaires et élève les profits. On peut généraliser cette théorie à l'ensemble des biens intermédiaires ou encore des "marchandises qui servent à en fabriquer d'autres" (Sraffa). Il existe ainsi un gain spécifique d'échange de segments de produits ou encore de biens intermédiaires (Lassudrie, 1987; Fontagné, 1991). Les conclusions à retirer des propos ricardiens sur le commerce extérieur pourraient être les suivantes: - Le commerce international ne perturbe pas la dynamique grandiose car il n' a pas d'influence sur le taux de profit. - Il peut avoir une influence sur le taux de profit dans le cas précis des biens de subsistance. De ce point de vue une importation de biens de subsistance par l'Angleterre peut être avantageuse pour le taux de profit; cela peut être justifié par la théorie des avantages comparatifs. - Les positions dans le commerce international se manifestent par des mouvements monétaires qui corrigent les déséquilibres. Les pays avantagés temporairement par leur supériorité réelle ( savoir faire, machines) seront désavantagés par la hausse des prix résultant de l'importation de monnaie. 37 - Ces mouvements de monnaie n'ont rien à voir avec le taux de profit qui dépend uniquement de la hausse des salaires au sein de la dynamique grandiose. Ricardo renforce à plusieurs endroits l'idée qu'une répercussion des hausses de salaires sur les hausses de prix est impossible. - Une politique mercantiliste de l'Etat par primes à l'exportation et prohibitions à l'importation sera inefficace. - 5- IMPOT ET EMPRUNT. L'impôt est -il inefficace ? Il n'a d'incidence sur la valeur et la répartition que s'il suscite une difficulté supplémentaire de production; s'il modifie la valeur et le prix, le consommateur en sera victime au profit de l'Etat. Il n' a qu'un effet temporaire sur le commerce international compte tenu de ses capacités automatiques de rééquilibrage L'emprunt public pourrait être assimilé à une transaction privée entre contribuable et rentier de l'Etat; on pourrait même concevoir des fonds portant intérêt et permettant de rembourser automatiquement la dette. Les abus de l'Etat amènent à douter que de telles régulations financières soient encore possibles. 1. Une problématique de l'Etat. L'Etat est un grand perturbateur de la dynamique, au même titre que le commerce extérieur . Dans le but de comprendre son efficacité, Ricardo passe en revue les différents types d'impôt et leur rôle dans la dynamique; problème effleuré dans l'"Essai". Onze chapitres se succèdent sur ce thème, sans compter l'"appendice", notamment les discussions avec J.B Say à propos de l'impôt sur le producteur . Mais le plus intéressant, selon la préface de Ricardo à la troisième édition, est le dernier chapitre sur les opinions de Malthus quant à la rente. Il y établit plus solidement la doctrine selon laquelle un pays peut payer des impôts monétaires plus élevés et voir cependant baisser la valeur monétaire de l'ensemble de ses marchandises. Il s'agit d'un "point fondamental" qui étudie les effets de la libre importation de blé dans un pays accablé de dette, à la suite des guerres napoléoniennes. Ricardo reprend la discussion entamée dans ses pamphlets sur la dette (notamment à la fin de l'"Essai") et apporte ainsi, la solution synthétique au double problème des importations de blé et de la dette nationale. Afin d'en évaluer l'efficacité, Ricardo énumère brièvement les différents types d'impôt pour montrer en quoi la dynamique ne saurait être contrariée par une fiscalité normale. Les impôts sont , en règle générale, payés par les revenus et n'ont pas d'incidence s' ils sont compensés par une augmentation de la production consécutive à l'accumulation du capital. S'ils doivent frapper le consommateur, on veillera à ne pas aggraver les problèmes posés par la rente différentielle ( et donc la dynamique grandiose). Cette dynamique s'inscrit dans une logique de classes ( que ne percevait pas Adam Smith) et crée une inéquité croissante. Ce mal sera aggravé par les impôts s'ils sont mal conçus: le peuple, les capitalistes ( en particulier les fermiers) seront taxés au profit des propriétaires fonciers. La dynamique grandiose sera ainsi renforcée si les impôts frappent le capital lui-même et son accumulation, en favorisant la rente et les propriétaires fonciers. L'impôt devient nocif quand il frappe les capitaux , par exemple en s'attaquant aux successions. L'impôt doit respecter les règles ( équité, commodité, certitude, économie) émises par A.Smith. Ricardo les invoque pour montrer comment un impôt foncier qui ne prendrait pas en compte les différences de qualité foncière, pénaliserait le peuple au profit des propriétaires fonciers. L'impôt foncier, ce que ne voit pas Say, doit tenir compte de la rente différentielle. 38 Pour les biens dont la quantité mise sur le marché est rigide, l'impôt a surtout un effet sur les prix. Par exemple, selon Ricardo, le loyer des maisons augmente et donc la demande diminue; ainsi ce sont les propriétaires qui en subiront les conséquences. Si l'impôt sur les produits bruts provoque une augmentation de prix, il ne placera pas l'Angleterre dans une position désavantageuse du point de vue du commerce international. Le prix peut être temporairement modifié, mais la valeur ne change pas. Ce même raisonnement qui est repris à propos de la dîme amène à s'interroger sur la portée réelle de la politique fiscale. L'impôt porte donc sur le consommateur, mais aussi sur le producteur. Ce dernier peut répercuter le montant de l'impôt sur le prix de ses marchandises, mais risque de diminuer ses ventes. L'impôt peut ainsi conduire à une réallocation du capital. 2. La complication de la dynamique grandiose par l'impôt. Au chapitre IX, l'analyse de l’impôt permet d’approfondir le mécanisme de l’augmentation des prix des produits agricoles dans le cas type du "fermier" représentatif, dont l'emploi du capital ne paie pas de rente. 2.1. Le consommateur paie l'impôt sour la forme d'une augmentation de prix. L'impôt n'est qu'une cause parmi d'autres d' augmentation des prix. L'impôt sur le producteur agricole ( impôt foncier, dîme, prélèvement sur la récolte) élève le coût de production et donc le prix des produits agricoles. Cette augmentation des prix permet de "dédommager le cultivateur de l'impôt". Autrement, celui- ci abandonnerait une activité dans laquelle les profits ne seraient plus au niveau moyen. De ce fait, la réduction de l'offre conséquente à ce retrait entrainerait à terme une augmentation des profits. Le cultivateur ne peut faire autrement; si, par exemple, il déduisait l'impôt de ses profits, il ne disposerait plus du profit moyen et n'aurait aucune raison de continuer; dans la mesure où le fermier représentatif cultive la terre marginale, il ne peut déduire cet impôt de la rente due au propriétaire foncier. En définitive, le consommateur paiera l'impôt sous la forme de cette augmentation de prix. 2.2. L'impôt ne change pas la rente en monnaie, mais altère la rente en blé. Admettons trois terres qui offrent des productions et rentes selon les modalités suivantes, avant et après impôt. Si un impôt est fixé par quarter (par ex. de 8 shillings, cad 0,4 l.), les trois terres sont frappées proportionnellement et la rente monétaire ne change pas. Cet impôt monétaire a une contrepartie en blé: ainsi 180 qrs paient 16,3 qrs, 170 qrs, 15,4 et enfin 160 qrs, 14,5 qrs. Mais dans ce cas, la production est frappée de l'impôt à la source qui sera proportionnellement plus lourd sur les meilleures terres. La rente en blé de la terre N° 1 passe de 20 qrs à 18,2 qrs; en effet, le produit net de la terre N° 1 passe de 180 à 163,7 qrs (- 16,3) le produit net de la terre marginale passe de 160 à 145,5 qrs (- 14,5). L'impôt sur la terre n° 1 est plus lourd car levé sur une plus grande quantité de blé, donc la rente en blé diminue car le produit net de la terre N° 1 diminue plus rapidement que celui de la terre marginale. 2.3. Un impôt sur les produits bruts risque de faire augmenter les salaires Admettons que les salariés soient au minimum de subsistance; si le coût de leur alimentation augmente, alors les salaires doivent augmenter ce qui se répercutera sur les 39 employeurs. Donc, les profits en subiront les conséquences Au total les consommateurs ( ce qui est équitable) et les entrepreneurs ( ce qui ne l'est pas) subiront les conséquences de l'impôt sans pour autant que le propriétaire foncier et le porteur de titres soient atteints. Ainsi, les revenus du fermier, du négociant et du manufacturier sont atteints, mais aucune personne ( propriétaire foncier, porteur de titres) dont le revenu est fixe. Rétablir un impôt direct sur ces catégories reviendait à fouiller dans leurs affaires, ce qui serait hostile aux libertés. Mais l'impôt n'est qu'une des causes possibles d'une hausse des prix des biens nécessaires.D'autres causes peuvent intervenir: - Offre insuffisante. Lorsque l'offre est insuffisante, la misère du travailleur est inéluctable. Il ne peut que réduire sa consommation et ce renoncement permettra un rééquilibre du marché. Toute mesure sociale visant à réévaluer les salaires sans agir sur le marché ( cf. les importations) ne pourra que renforcer la misère du travailleur. - Demande croissante entraînant une augmentation des coûts de production. Une telle augmentation de la demande de travail provoque la hausse des salaires ; "elle encourage le mariage et permet de subvenir aux besoins des enfants" . Mais, il se peut que la population ,ainsi accrue, ait augmenté plus que proportionnellement au fonds des salaires. Dans ce cas l' l'équilibre sera rétabli par une baisse des salaires au dessous de leur niveau naturel. Une telle adaptation est rapide dans le cas du capital, "Mais il n'en va pas de même avec les hommes". - Baisse de valeur de la monnaie. Marché des biens nécessaires et marché du travail déterminent le salaire; une augmentation de la monnaie augmentera à la fois les salaires et les biens à acheter; en conséquence, la quantité de biens nécessaires mise à la disposition du travailleur restera la même, sans plus. En définitive, toute forme d'impôt n'est qu'un choix entre plusieurs maux ; peu importe qu'il frappe les profits ou la dépense pourvu qu'il n'entrave pas la reproduction. Il n'aura pas d'effet sur la position concurrentielle du pays considéré. En effet, une augmentation des prix des produits locaux ne se produit que s'il y a afflux d'or. Il peut alors se produire une dévalorisation de l'or en tant que marchandise par rapport aux marchandises à fournir aux étrangers. En effet, si l'or est bon marché, les marchandises sont chères. Mais, si les prix des marchandises anglaises sont relevés du montant de l'impôt, la monnaie anglaise fuiera vers l'étranger. Ainsi la monnaie restante sera réévaluée et donc le prix des marchandises exportables diminuera; ce qui sera favorable au commerce extérieur. Au total, l'effet d'un impôt sur les produits bruts est très différent selon les marchandises, leur composition en matières premières et en travail. 2.4. L'impôt peut-il contrarier durablement le développement ? L'impôt ne peut contrarier durablement le développement. Il existe donc une sorte d'inefficacité de l'impôt public. Il ne peut empêcher la production d'échangeables et l'échange international . On retrouve ici une dynamique de long terme; toute protection effective ( par un impôt sur les matières premières par exemple) ne peut avoir d'effets à terme . En effet, elle ne change rien au phénomène de la rente en argent (du point de vue de la répartition sociale des revenus) et à terme elle provoque une baisse de compétitivité et une sortie de devises. La dévalorisation des marchandises exportables par la réévaluation de l'or sortant, tend à rééquilibrer la position du pays. 40 On retrouve encore l'idée d'un rééquilibrage démographique face aux problèmes du lien entre population et fonds d'entretien. Cette proportion démo- économique évolue en fonction du marché des matières premières et de la population. En définitive, il existe ainsi une cyclicité et une tendance au rééquilibrage à long terme. Cette tendance tend à confirmer l'idée d'une adaptation "automatique" du marché du travail aux perturbations de la dynamique grandiose. Et donc à confirmer l'idée de Morishima (1989) d'une loi de Say qui ne serait pas réduite au marché des capitaux. 2.5. Des impôts en particulier. Le chapitre X sur les "impôts sur la rente" traite surtout du problème posé par la vision extensive de la rente ,"en général" qui inclut "la totalité de la valeur versée par le fermier à son propriétaire" et peut inclure la rémunération du capital du propriétaire foncier sous la forme de bâtiments, etc..... Dans ce cas, il y aurait une pénalisation du capital et en définitive du consommateur. Autrement, la mise en valeur de la terre marginale qui ne paie pas de rente est donc extérieure à cet impôt. La dîme ( 1/10°du produit brut ) est un impôt au profit de l'église et a des effets similaires à l'impôt sur les produits bruts. On peut comme pour ce dernier type d'impôt examiner: - les conséquences sur la répartition: le propriétaire foncier sera atteint si la dîme agit comme un impôt sur la production intérieure de blé, tout en laissant libre l' importation de blé étranger. - sur le commerce international: l'impôt crée de nouveaux obstacles à la production. Ainsi dans le cas du drap, il risque de rendre plus compétitive la production étrangère, d'où la nécessité d'imposer les draps étrangers. Mais dans ce cas, le consommateur paie plus cher. En conclusion de ses propos sur la dîme, Ricardo rappelle que l'impôt implique une difficulté de production plus grande et donc joue sur la valeur et les prix. Tout nouvel impôt est une charge sur la production et entraîne une hausse du prix naturel. En augmentant ainsi la valeur d'échange d'une marchandise, dont la demande est générale, tout impôt décourage à la fois la culture et la production. L'impôt foncier est du même type: il peut être assimilé à un impôt sur la rente. 3. L'emprunt. 3.1. L'efficacité de l'emprunt L'emprunt est -il plus efficace ? Citant Melon, Ricardo rappelle que les intérêts passent directement du contribuable au rentier de l'Etat. Apparemment le remboursement de l'emprunt public est une transaction privée entre A et B. Elle pose simplement le problème de l'opportunité d'un tel transfert et de ce qu' aurait pu être son utilisation productive. Peut-on être sûr de son efficacité ou non ? Certes, Ricardo affirme "Que les intérêts de l'emprunt soient payés ou non, la nation s'en trouvera ni plus ni moins riche"; mais, si Ricardo assimile deux nations à deux individus, A et B, l'effet de l'emprunt dépend des caractéristiques de A et B, de l'utilisation productive qu'ils pourraient effectuer de cet argent. La justice politique ne saurait s'accommoder d'une spoliation des créanciers, et dans tous les cas, mieux vaut que le gouvernement et les particuliers ne dépensent pas de façon inconséquente: la profusion de leurs dépenses ,en développant l'emprunt , appauvrira le pays. 3.2. La méthode des fonds d'amortissement (sinking funds). 41 Ricardo éprouve une déception croissante face à ce système, de l'"Essai" (1815) au pamphlet sur le "Funding system" (1820). En cas de guerre, la méthode des fonds d'amortissement permet d'emprunter la somme désirée et de faire payer l'intérêt, sinon de rembourser l'emprunt lui-même, par un fonds également emprunté et rendu productif. Cette méthode permet d'éviter l 'affectation de taxes au remboursement de l'emprunt ; à la façon des taxes "vertueuses" souvent utilisées dans les systèmes contemporains de caisses d'amortissement de la dette. Ainsi comme le propose Pitt (en Mars 1786) au Parlement anglais, un million au bout de 28 ans, rapporterait quatre millions par an. Dans les Principes, Ricardo rappelle qu'un tel fonds devrait être fourni par l' excès du revenu public sur la dépense publique. Or le "fonds d'amortissement n'est qu'un mot", car le revenu n'excède pas les dépenses et ,à la fin de la guerre, la nation sera en faillite. Dans le pamphlet de 1820, Ricardo n'y croit plus. Le sinking fund a, au contraire, stimulé la dépense au profit des administrateurs du Fonds. "Sans garanties , nous serions mieux sans un tel fonds" . - 6 - LA MONNAIE. Les positions monétaires de Ricardo les plus connues s' insèrent dans la discussion entre la "Currency school" et la "Banking school" à la suite de la décision d'inconvertibilité du papier monnaie en or en 1797 ( Bank Restriction Act). Cette controverse se prolongera au delà du rétablissement de la convertibilité en 1819. L'inconvertibilité crée une divergence entre le "Mint price" (le prix officiel de l'Hôtel des Monnaies) et le cours du marché. Ceci amène la Chambre des Communes à créer une commission ( Bullion comittee) pour "enquêter sur les causes du cours élevé des lingots d'or et prendre en considération l'état des moyens de circulation du change entre la Grande Bretagne et l'étranger". Mais les positions les moins connues ont trait au rapport entre la monnaie et la valeur des marchandises; à la limite, faute de mieux, la monnaie peut servir d'étalon des valeurs. A ce titre, elle ne peut changer le cours de la dynamique grandiose. Les premiers écrits monétaires de Ricardo donnent l'impression d'un strict quantitativisme, mais ce serait oublier ses réflexions plus approfondies sur la valeur de la monnaie dans les Principes. Enfin, Ricardo se montre particulièrement original dans la mise au point d'une régulation monétaire. 1. Les controverses sur la convertibilité 1.1. Les" Ecrits Monétaires" de Ricardo (1809 - 1811) Currency et Banking School La Currency School (Ricardo) pense que les fluctuations des billets doivent suivre l'évolution des cours de l'or. Comptant entre autres Robert Torrens, cette école recommande la convertibilité métallique intégrale de la monnaie et triomphera avec la Charte Bancaire de 1844. La Banking School ( Tooke, Fullarton, Wilson, Gilbart) est favorable à ce que les banques réglementent l'émission de billets , sauf à convertir les billets en pièces métalliques sur demande. Ce sont les besoins du commerce qui déterminent la masse de biens convertibles, en particulier les prêts consentis pour financer des transactions réelles de biens et services ( doctrine des effets réels). 42 Cette querelle débouchera sur le Peel Act de 1844 et la création de deux départements indépendants à la Banque d'Angleterre: - le département de l'émission (liée au stock d'or) qui joue le rôle de Banque de premier rang. - le département de la Banque qui s' occupe des crédits et des dépôts et joue le rôle de Banque de second rang. La Currency School sous- estime la possibilité d'une expansion des crédits et la Banking School , notamment avec Tooke, surestime le rôle du taux de l'intérêt. Tooke tente encore de différencier le rôle différentiel des titres d'Etat et des prêts commerciaux sur l'émission de billets, en estimant qu'une restriction de l'escompte aux effets réels garantira la stabilité de la monnaie. La controverse bullioniste. Les écrits monétaires de Ricardo commencent avec les controverses dans le Morning Chronicle sur le cours élevé de l'or sur le marché. La guerre avec la France a donné lieu à l'inconvertibilité des billets en 1797, mais aussi à d'importants transferts de fonds vers les alliés de l'Angleterre, à des emprunts publics importants et enfin à des importations de blé. Il en résulta une hausse progressive des prix et une surcote de l'or, la valeur du lingot sur le marché étant plus grande que sa valeur faciale. Deux explications s'affrontent alors: l'une affirme que la surcote est due au déséquilibre du commerce extérieur, à la baisse de la livre à l'étranger et par conséquent à une hausse du prix de l'or. A l'inverse, on peut penser que cette hausse est une preuve d'inflation due à des imprudences de la Banque Centrale. Ainsi Ricardo dénonce, en 1809, l'émission excessive de billets par la Banque d'Angleterre qui résulte de la libre convertibilité. Pour ce faire, il engage une controverse avec un correspondant soit -disant anonyme( Trower) "l'ami des billets de banque" jusqu'en 1811, et lui consacre sa brochure de 1810 "Le cours élevé de l'or, une preuve de la dépréciation des billets de banque". Ricardo jusqu'à la "Réponse aux observations pratiques de M. Bosanquet sur le rapport du Bullion Committee" (1881), rappelle que la seule solution réside dans la réduction de la quantité de billets de banques. Dans la "querelle bullioniste", Ricardo en dénonçant l'émission excessive de monnaie, s'oppose à la thèse des "difficultés du commerce extérieur". Les premiers écrits ricardiens publiés dès 1809 marquent, dans le cadre d'une polémique sur le cours de l'or, un strict quantitativisme. L' augmentation des billets provoque une surcote de l'or, et une augmentation des prix des marchandises des denrées alimentaires et diminue les revenus fixes. Si, conformément aux suggestions de Ricardo, on retire la monnaie en excès, l'or et les marchandises retrouveront leur "juste niveau". On peut alors revenir à la convertibilité du billet de la Banque d'Angleterre; convertibilité limitée par Ricardo aux lingots ( cf. l'Ingot plan de 1816) pour les billets supérieurs à 20 Livres. Les bases du futur système de l'étalon or, le Gold Bullion standard, seront ainsi établies. 1.2. Les Principes Dans les "Principes", Ricardo replace ses considérations pratiques sur la monnaie, dans le débat théorique, notamment avec Adam Smith. -Le bimétallisme et la rationalité du débiteur 43 Dans le cadre du bimétallisme de l'Angleterre de la fin du XVIII ° siècle, l'or est monnayé en pièces, les guinées. Ces pièces de 21 shillings coexistent avec les pièces d'argent. Que se passe- t-il en cas de coexistence de deux monnaies, d'or et d'argent ? Adam Smith estime que si le rapport entre leurs valeurs n'est pas fixé, la valeur d'une guinée est alors soumise à un certain hasard, par exemple osciller entre "tantôt 22 shillings ou plus, tantôt 18 shillings ou moins"; Le hasard n'a rien à faire dans les situations courantes que Ricardo illustre avec l'exemple suivant. Admettons un débiteur qui doit régler ses dettes au moindre frais. S'il dispose de cinq quarters de blé: - il peut se procurer une quantité d'or valant 20 guinées à l'Hôtel des Monnaies, ou 420 shillings; - il peut encore se procurer une quantité d'argent, dont l'Hôtel des Monnaies tire 430 shillings. Il préférera éteindre sa dette en argent en gagnant 10 shillings. Le débiteur choisit, dans un perpétuel changement, entre le paiement en or ou en argent selon les variations de leur valeur relative. Ces variations s'expliquent pour des raisons quantitatives. Tout dépend de la quantité de monnaie en circulation ( contrairement à Smith qui pense qu'un métal tel que l'or peut disposer de qualités inhérentes afin de régler la valeur des pièces d'argent). Cette incertitude a été réglée par la session parlementaire de 1816: "Seul l'or devait disposer d' un pouvoir libératoire pour toute somme supérieure à 40 shillings". Bullionisme et bullionisme Dans le très court chapitre XXVIII, Ricardo répond à Smith sur deux principaux arguments: - Dans un pays riche, l'or et l'argent s'échangent contre une plus grande quantité de biens de subsistance que dans un pays pauvre. Mais un pays riche subit la dynamique grandiose; compte tenu d'une difficulté accrue de la production agricole il subit une élévation du prix relatif du prix de la nourriture..... - La quantité d'or produite dans un pays ne fait pas sa richesse. Selon A. Smith, en Espagne et au Portugal détenteurs des mines d'or, le prix des métaux précieux est nécessairement inférieur aux autres parties d'Europe. Mais dans ces pays, la faible valeur de la monnaie est préjudiciable au commerce et aux manufactures et , constate Ricardo, ces deux pays sont les plus misérables d'Europe. -2 . - Monnaie et Valeur. 2.1 L'application de la théorie de la valeur travail à la monnaie Le thème de la monnaie est peu développé dans les Principes, sinon dans le chapitre XXVII, où Ricardo ne fait que récapituler brièvement certaines des lois générales qui règlent sa quantité et sa valeur et qu'il avait développé dans son pamphlet de 1816, " Propositions pour un étalon économique et sûr". L'or et l'argent sont des marchandises comme les autres, qui "n'ont de valeur qu' en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les produire et les mettre sur le marché". Au delà, la monnaie est frappée d'un droit de seigneuriage, ce qui peut permettre de leur donner plus de valeur quitte à restreindre le nombre de pièces. La totalité de la valeur du papier monnaie résulte d'un droit de seigneuriage. Il existe donc bien un lien entre la valeur de la monnaie et sa quantité. Mais les banques, en plus de l'Etat, ont le droit d' émettre du papier monnaie et peuvent accroître la quantité globale en circulation. Il faut donc éviter qu'un Etat ou une banque ait un pouvoir illimité d' émission de papier monnaie. Pour ce faire, Ricardo rappelle sa proposition de garantir la valeur de la monnaie 44 avec de l'or et de l'argent au prix et au titre pratiqués par l'Hotel des Monnaies. Il souligne les vertus du papier monnaie, dont la dépréciation, comme pour toute monnaie, dépendentièrement du caractère excessif de sa quantité en circulation. - Deux analyses de la valeur de la monnaie tendent ainsi à se compléter: - A court terme, une théorie quantitative explique la valeur de la monnaie. Celle- ci peut varier en fonction de la quantité en circulation de papier monnaie. - A long terme, la valeur de la monnaie s'explique par le coût de production du métal précieux. 2.2 La parité des pouvoirs d'achat Le taux de change entre les monnaies dépend -t-il seulement de leur pouvoir d'achat relatif sur des biens échangeables identiques ? Cette idée est sévèrement critiquée par Ricardo à la fin du chapitre VII sur le commerce extérieur. La valeur de la monnaie peut varier dans un pays par rapport à de nombreuses marchandises ( de 5 à 20 % par exemple) "mais le change se fera au pair". Le seul étalon reste l'or, autrement il faudrait pouvoir trouver une marchandise étalon....permettant de mesurer la dépréciation. 2 3 La monnaie peut- elle jouer un rôle dans la dynamique grandiose ? La monnaie ne détermine pas la dynamique grandiose La Section VII du premier chapitre sur la valeur affirme que la monnaie ne peut influer sur la dynamique grandiose: - mieux vaut la considérer comme invariable (hypothèse relâchée dans le chapitre sur le commerce extérieur). - une augmentation des prix consécutive aux effets d'une hausse de la valeur de la monnaie sur les salaires, n'a pas d'effet sur les profits. Si le prix des marchandises manufacturées augmente, par exemple du double, et si la valeur du produit, des machines, des bâtiments et des stocks double également, le taux de profit reste inchangé. Si à la suite d'un afflux de métaux précieux ou par suite de privilèges accordés aux banques, le prix des vivres augmente, les salaires monétaires augmenteront; mais ils permettront seulement au travailleur de se procurer la même quantité de biens nécessaires qu'auparavant, "sans plus"; cette dernière dépend des rapports quantitatifs entre offre et demande de travail d'une part et offre et demande de biens nécessaires d'autre part. "La monnaie n'est que le moyen par lequel on exprime la quantité"; il en serait de même de la valeur relative des chaussures et des chapeaux qui dépend de leur marché spécifique. La monnaie ne fera encore que refléter cette valeur relative, issue de rapports quantitatifs. L'inflation n'est pas créatrice de croissance, même si l'expansion monétaire peut contribuer à diminuer le taux d'intérêt à long terme. Le crédit ne peut créer du capital , pas plus que l'épargne forcée car la réduction de la consommation augmente le prix des biens de consommation. Ce n'est pas un avantage "monétaire", accidentel qui peut favoriser les producteurs, mais " les difficultés réelles rencontrées par le producteur le moins favorisé". Le montant des prêts ne modifiera pas durablement le taux d'intérêt du marché ; "celui- ci n'est pas déterminé par le taux pratiqué par les Banques, qu'il soit de 5, 4 ou 3 pour cent, mais par le taux de profit" qui peut être tiré de l'emploi du capital. La demande de monnaie dans les banques dépend donc de la comparaison entre le taux de profit que l'on peut tirer de l'emploi de cette monnaie et le taux d'intérêt que les banques pratiquent sur les prêts. 45 Ce n'est pas la quantité de monnaie, mais la quantité de capital réel qui détermine l'activité. La monnaie n'a pas de raison d'être fournie à bas prix, comme toute marchandise, et cela favoriserait injustement ceux qui en profiteraient. Ricardo condamne donc les politiques étatiques visant à empêcher l'établissement d'un "taux d'intérêt de marché juste et libre". En effet, si le taux d'intérêt tend à s'aligner à long terme sur le taux de profit, "il subit toutefois des variations temporaires provoquées par d'autres causes ". Par exemple le manufacturier peut se tromper sur l'état du marché en faisant, compte tenu du bas prix attendu sur ses produits, une rétention de stock. Obligé d'emprunter, il acceptera ainsi un taux d'intérêt plus élevé; s'il ne peut résister au cours des affaires, il se rendra à l'évidence et le taux d'intérêt reviendra à sa valeur réelle. Le taux pratiqué sur les emprunts publics n'est d'aucune fiabilité pour évaluer le taux d'intérêt. En effet l'urgence du financement public conduira, par exemple en temps de guerre, à pratiquer des taux artificiellement élevés et à favoriser l'éviction des négociants; ces derniers ne pourront plus emprunter de la monnaie et escompter leur lettre de change. "Qui voudrait prêter à 5 % à l'agriculture, aux fabriques, au commerce, lorsqu'on trouve un emprunteur toujours prêt à payer un intérêt de 7 ou 8 pour cent ?" se demande Say... "Je réponds" ,dit Ricardo, "tout homme prudent et raisonnable". Le taux d'intérêt élevé recoupe des risques importants, y compris ceux provenant des emprunts publics; il existe donc une limite naturelle à l'éviction. Le taux d'intérêt dépend du taux de profit et "il est impossible" d'intervertir leur rôle. - 3 - Comment gérer la monnaie ? L'originalité de la pensée monétaire de Ricardo ( Diatkine, 1994) consiste à concilier le contrôle de la Banque Centrale par la Nation avec un mécanisme de stabilisation monétaire..lui laissant une capacité d'initiative 31- Le contrôle de la Banque Centrale. Plus généralement (Diatkine,1994), la position privilégiée de la Banque d'Angleterre peut l'entrainer à abuser de ses pouvoirs: à tirer des profits de son pouvoir de seigneuriage, de sa gestion des dépôts publics et des intérêts tirés de ses prêts à l'Etat. L'opposition de Ricardo au statut de la Banque d'Angleterre qui confie,en fait, l'émission et la gestion de la monnaie à une "compagnie de marchands" est très forte. Il y voit le poids d'un monopole privé sur les intérêts de la Nation. Devenu député, il refusera le renouvellement de la Charte de la Banque d' Angleterre devant la Chambre des Communes en 1822. Ses "Proposals for an Economical and Secure Currency" (1816), incluent la nationalisation des profits tirés du seigneuriage et la direction de la circulation monétaire par des commissaires responsables devant le seul Parlement. De cette façon, l'Etat est le seul émetteur de papier monnaie, mais la Nation le contrôle par son Parlement. Un monopole d'Etat centraliserait ainsi l'émission monétaire en se substituant non seulement à la Banque d'Angleterre, mais aux Banques locales (Country Banks) qui avaient gardé un droit d'émission. Que resterait-il à la Banque ? Dans son "Plan for the Establishment of a National Bank" (1823), Ricardo propose que la Banque d'Angleterre gère les prêts et avances, y compris au gouvernement; cette fonction étant dissociée de l'émission. Ainsi on évitera de financer les dépenses publiques l'Etat en rachetant à intérêt des billets émis par cette même puissance publique. Ces réformes mènent à un problème: si la monnaie consacrée aux 46 paiements effectifs est faite exclusivement de papier, ce dernier représente l'or qui sert à réguler la circulation. Mais, comment réguler cette circulation ? 32 - La régulation du système monétaire. Comment éviter une régulation trop rude, obligeant par exemple les banques à retirer 15 % des billets en circulation en deux ans ? Ricardo imagine dès 1811, un mécanisme génial de politique monétaire inspiré du modèle hollandais. Son but est d'éviter un écart trop important entre le prix du marché et le prix légal de l'or tout en autorisant la convertibilité des billets en lingots. Si le prix de marché est supérieur au prix légal, les agents sont incités à acheter de l'or contre leurs billets et à le revendre avec profit. Dès lors, la quantité de billets se contracte et le prix de marché tend à rejoindre le prix légal. Seule une petite quantité d'or est nécessaire à l'institut d'émission afin de réguler le mécanisme, la monnaie papier servant à l'ensemble des paiements effectifs. Ainsi le coût de fonctionnement du système monétaire est réduit et il réalise la "perfection de l'art bancaire" (Ricardo, 1811). Ce mécanisme repose sur le comportement des agents économiques et deux normes officielles limitant la variation du prix de l'or, un prix d'achat et un prix plafond. Dans les versions de 1816 et 1823, ces deux limites sont les suivantes: - Prix de vente du lingot d'or par la Banque au Mint: 3 Livres 17 shillings 10,5 pence l'once. ( calcul établi par réduction de 15% du montant des billets en circulation en 1809). - Prix d'achat par la Banque au Mint," légèrement inférieur" soit 3 Livres,17 shillings. Les commissaires publics doivent fournir les billets pour un prix fixe de l'or. La Banque Centrale organise le marché de l'or avec ses réserves. Observant les signaux du marché, elle peut accroître ou restreindre ses émissions lorsque le prix de l'or approche du prix plancher et ou tend vers le prix plafond. Ainsi, l'étalon monétaire ( l'or en la circonstance) a un prix de marché à peu près constant en toutes circonstances et ainsi exprime le prix monétaire d'une marchandise (Deleplace, 1994). Le rôle principal de la monnaie est de servir d'étalon monétaire; dans cette fonction , elle doit ne pas être dépréciée pour les raisons pratiques énoncées par Ricardo au début de sa recherche (1809 /1811). Plus avant, l'analyse monétaire de Ricardo associe l'analyse théorique de la monnaie (du rôle de ses variations de valeur dans la dynamique grandiose) à des plans pratiques de "pure monnaie gérée" (Keynes, 1930). - 7 - LA PRISE EN COMPTE DU SOCIAL. Il est une idée tenace, suscitée par Marx (1857) et encore entretenue (Boudon, 1991), d'une "loi d'airain des salaires" de Ricardo, à mettre au même niveau que son hostilité vis à vis des pauvres. Ricardo aborde à la fois un problème spécifique de l'époque, les lois sur les pauvres (dans la ligne de Malthus) et de façon atypique le problème des conséquences du progrès technique sur les travailleurs au sein d'une société de classes. S'il est franchement hostile aux pauvres, " assistés", il manifeste une bienveillance pour les travailleurs, et entend montrer que la dynamique grandiose leur est favorable. 1. Les pauvres 1.1. Hostilité vis à vis de l'assistance aux pauvres. 47 Ricardo est connu par sa critique des lois sur les pauvres dans le chapitre V des Principes consacré aux salaires: sa demande d'abolition s'aligne sur les positions de Malthus. Il souligne les effets pervers de ces lois, en insistant sur la propension des pauvres à augmenter leur nombre et à effectuer des"mariages précoces et imprévoyants". L'argument est classique: si le pauvre a la certitude d'obtenir une aide en cas de difficultés , "et même une aide qui lui assurerait des conditions de vie suffisamment aisées", il connaîtra une dépendance et un abandon de l'effort. L'aide aux pauvres a été limitée par le fait qu'elle a été collectée et gérée par chaque paroisse; autrement, "la théorie nous amène à prévoir une réduction de l'importance relative de tous les autres impôts face à la seule et unique taxe des pauvres." Ricardo consacre un autre chapitre (XVIII) à cette taxe des pauvres et souligne que celle- ci pèse beaucoup plus sur le fermier que sur le manufacturier. En effet, le fermier est imposé sur sa production et le manufacturier sur la valeur des bâtiments qu'il utilise. Donc , le fermier augmentera le prix des produits bruts afin de compenser la rentabilité inférieure de son capital. S'il ne le peut pas, il aura intérêt à retirer son capital, ou au moins une partie de celui- ci. Si le pays est en stagnation ou en déclin, la difficulté sera encore plus grande pour les fermiers , le temps de leurs baux. 1.2 L'assistance aux pauvres peut -elle contrarier la dynamique grandiose ? Dans les Principes, la question est abordée dans le chapitre sur la Rente et montre la possibilité de transposer le raisonnement sur la rente agricole au domaine du travail. Cette question fait l'objet d'un débat particulièrement vif avec J.B.Say. Ce dernier est convaincu dans son Traité, que le bon marché des marchandises anglaises, vient de la multitude d'institutions charitables. Mais il en est des manufactures comme des doses de terre ou des mines, ce sont celles qui sont le moins favorisées qui déterminent par la quantité de travail nécessaire, le prix de la marchandise concernée. Si les ouvriers favorisés subvenaient à tous les besoins de la communauté , aucune manufacture sans facilité sociale ne pourrait se maintenir. Mais si le manufacturier " défavorisé" persiste dans son activité, il retire le taux de profit moyen du capital et son prix est proportionnel à la quantité de travail consacrée à sa production. Le prix dépend donc de la quantité de travail nécessaire dans la manufacture "marginale" qui peut encore bénéficier du taux de profit moyen. Il n'est pas directement proportionnel au montant des salaires, contrairement à la logique de J.B.Say. 2. Les travailleurs 2.1 Le faible prix du blé et les machines Selon Malthus (Grounds,1815), le faible prix monétaire du blé ne serait pas favorable aux plus basses classes de la société. En effet, leur capacité à acheter des biens de nécessité, différentes commodités, sinon même des biens de luxe diminuerait. Ricardo est persuadé dans l'"Essai sur les Profits" qu'une vision plus optimiste peut être avancée. En effet, grace aux importations de blé,une meilleure répartition du capital sera possible; l' accumulation du capital permettra d'employer plus de bras et d'accorder des salaires plus élevés. Ricardo procède par analogie: la libération des importations de blé aura les mêmes effets que le progrès technique, elle permettra d'élever les salaires réels. En fait, comme le note Sraffa, Ricardo défendra cette opinion dans son discours au Parlement de 1819 et en critiquant dans sa correspondance Mc Culloch, sensible aux "Observations" de Barton (1817) sur la condition de la classe ouvrière. 48 Distinguons le prix naturel du travail ( son coût en biens essentiels) et son prix courant ( déterminé par l'offre et la demande). Say , dans ses annotations aux Principes,remarque qu'en Angleterre, les lois sur les pauvres permettent aux familles ouvrières de se perpétuer, et ainsi de disposer d'une classe ouvrière et à bon marché. Say ajoute que la suppression de tels secours augmentera les salaires, les prix d'offre vis à vis de l'étranger et donc provoquera une diminution de la demande, sauf à tricher sur la qualité. Néanmoins, Ricardo est convaincu, en rédigeant son chapitre sur les salaires, que si le prix naturel des biens salaires qui composent le train de vie du travailleur reste inférieur au prix de marché du travail, la marche de la civilisation leur sera favorable. Il existe donc un mécanisme dynamique qui doit être favorable aux travailleurs et leur permettra, en renonçant à une unité de produit nécessaire, de se procurer de nombreux autres biens. La valeur du salaire dépend encore du rapport entre deux types de capital : - le capital physique avancé pour la production est composé des biens salaires, des machines. - le capital "valorisé" par la demande en travail. Si ce capital en valeur augmente plus rapidement que le capital physique, l'amélioration du sort du travailleur est notable; son salaire monétaire augmente pendant que le coût de sa famille se déprécie; le prix courant du travail est supérieur au prix naturel "déprécié". Le principe consiste donc dans le fait ( Principes p. 84 ) "que toute amélioration dans la société et toute augmentation de capital feront hausser le prix courant des salaires". Cette augmentation ne risque- t-elle pas de se traduire par des licenciements ? 2.2. Les anciens arguments Si des licenciements sont inévitables, la demande de travail ne changera pas, car le capital qui a employé les travailleurs existe encore, et il est de l'intérêt des capitalistes de l'utiliser de manière productive; d'autant plus que la demande à satisfaire est, au delà de l'alimentation, sans bornes et sans limites. Les salaires ne baisseront pas pour autant, car les machines permettront une baisse du prix général des marchandises. Les travailleurs pourront acheter plus de marchandises avec le même salaire monétaire. En bref, les machines permettront par la stimulation de la demande, une reprise des emplois perdus dans un premier temps. 2. 3 . L'erreur Elle consiste à croire que tout accroissement du revenu net de la société s'accompagne d'une augmentation du revenu brut. Le revenu net est le fonds d'où les propriétaires fonciers et les capitalistes tirent leurs revenus. Le produit brut de la nation ou revenu brut détermine la capacité d'entretenir la population et l'emploi du travail. Ricardo s'est exprimé dans le chapitre XXVI sur cette distinction, que Say attribue aux Physiocrates. Il existe dans un pays un produit brut de la terre et du travail, lequel est divisé en trois parties, entre les salaires,les profits et la rente. Ces deux derniers éléments font seuls l'objet de prélèvement pour les impôts et l'épargne. Or, l'emploi d'un plus grand nombre de travailleurs ne changera rien au principal problème qui se confond avec l'intérêt réel de la nation. Qu'importe le nombre d'habitants de la nation pourvu que le revenu réel, la rente et les profits soient les mêmes. 2.4 .La rectification Ricardo démontre qu'avec les hypothèses précédentes, - maintien du produit net et augmentation de la capacité d'acheter- la valeur du produit brut peut baisser; en particulier, si 49 maintenir le produit net est la finalité du capitaliste, peu lui importe le montant du produit brut qui lui est nécessaire. Mais ce maintien du produit net, associé à la baisse des prix, ne peut manquer de provoquer une augmentation de l'épargne; si cette épargne est transformée en capital, chaque augmentation du capital entraînera une augmentation de l'emploi des travailleurs. Tout dépend en définitive du type de dépense du propriétaire foncier ou du capitaliste, par exemple en entretien de domestiques ou en biens de luxe. L'impôt pendant la guerre peut ainsi favoriser la demande de matelots et de soldats, au détriment de la dépense de luxe. Cependant, dès la fin des hostilités, cette demande de travail s'arrêtera accentuant le chômage. De même, l'emploi massif de chevaux sur les fermes, permettra une augmentation à la fois du produit brut et du produit net tout en diminuant la demande de travail en agriculture. Cependant l'augmentation du produit brut de la terre permettra l'emploi du surplus de main d'oeuvre dans les manufactures ou la domesticité. Le chômage engendré par les machines met- il en cause le progrès technique ? 2.5 .Il ne faut pas décourager le progrès technique. Les machines n'ont de conséquences négatives sur l'emploi que dans l'hypothèse d'une "découverte soudaine". Autrement, si les découvertes sont "graduelles", l'épargne et l'accumulation du capital permettront d'éviter un détournement du capital déjà employé. En fait, cette augmentation du capital renforce la dynamique grandiose; compte tenu de la difficulté de production, le prix de la nourriture augmente, impliquant l'emploi toujours croissant de machines. Le ratio rapportant la demande de travail à l' accroissement du capital décroit... et on voit mal comment inverser cette tendance. Cette dynamique sera accélérée par tout découragement de l'emploi des machines qui favorisera le départ du capital vers l'étranger et ainsi un chômage encore plus grand. Enfin, l'usage de machines permettant de produire à coût moindre, le rejet de leur emploi entraînera une perte de compétitivité et ainsi des exportations de monnaie à l'étranger, jusqu'au retour du prix naturel des marchandises au niveau des autres pays. L'introduction des machines est donc la conséquence fatale de la dynamique grandiose; mais, vouloir empêcher ce mouvement aggravera encore plus la situation des travailleurs. Ceux- ci ne peuvent espérer qu'une "juste épargne" consécutive à l'augmentation de la productivité et ainsi une reprise de l'accumulation du capital et de la demande de travail; ce simple palliatif ne permettrait pas d' éviter la fatalité du mécanisme. Les comportements des acteurs (détenteurs de produit net) ne sauraient contrecarrer efficacement la dynamique fatale de la baisse des taux de profit si le prix de la nourriture continue à augmenter. - 8 - RICARDO et les autres ( Smith, Say,Malthus). "Le système de Ricardo est un système de discorde...Sa tendance est de créer l'inimitié entre les classes et les nations...Son livre est le véritable manuel des démagogues qui aspirent au pouvoir par la confiscation de la terre, la guerre et le pillage. ( Carey, The past, the present and the future, Philadelphie, 1848, p.74). Contrairement à Smith qui ne citait guère ses prédécesseurs, Ricardo s'appuie largement sur la pensée économique de son époque en la citant largement. Il en est ainsi depuis l'"Essai sur les profits" jusqu'aux "Principes". Ricardo modifie d'ailleurs ses commentaires, en fonction de l'évolution des idées de ses partenaires. L'association de principes théoriques sur la valeur et la répartition, à des considérations pratiques sur l'impôt est largement inspirée du plan adopté par Adam Smith pour la "Richesse des nations". Mais l'ouvrage ricardien est éclaté, partagé entre des principes 50 généraux et des considérations particulières, des raisonnements positifs et une foule de notes critiques, adressées prioritairement à Adam Smith, Thomas Malthus et Jean- Baptiste Say. Si la "Richesse des Nations" forme le point de départ des réflexions économiques ricardiennes, les écrits de Malthus représentent le fil conducteur des premiers essais. Say joue par contre un rôle capital dans la transformation des "Essais" en "Principes". 1 Adam Smith, le point de départ. Adam Smith est le premier auteur de référence, avec lequel Ricardo commence ses lectures en économie politique et appuie sa critique afin de mieux valoriser son apport scientifique. Cela ne fait que renforcer le statut exceptionnel du fondateur de l'économie politique de 1776; en permettant d'asseoir la critique, il fonde un mode de production scientifique. 1. 1 La valeur A. Smith a donné les premières réponses au problème de la valeur des marchandises. Il en examine les significations et origines possibles: - deux significations différentes: valeur d'usage ou valeur d'échange. Smith pose avec quelque confusion ( cf. supra, chapitre 3) la richesse en tant que somme de valeurs d'usage, "abondance de biens nécessaires, commodes et agréables" et la valeur. Ainsi les machines et les agents naturels peuvent enrichir, mais "l'assistance qu'ils nous portent ne change rien à la valeur d'échange". Smith "n'aurait point convenu qu'ils modifient en quoi que ce soit la valeur de la richesse". (ibid); erreur que fait J.B.Say selon Ricardo. - les deux origines possibles de la valeur d'échange: travail commandé et travail incorporé. A.Smith donne deux origines possibles à la valeur travail: la quantité de travail incorporée dans la production d'une part et la quantité de cet étalon contre laquelle peut s'échanger la marchandise, dont on recherche la valeur. Le fait de définir initialement un étalon fondé sur la quantité de travail permet d'en imaginer un autre, fondé sur la capacité d'échanger avec l'étalon. -1. 2 "Du prix naturel et du prix de marché" Cette question correspond à l'intitulé du chapitre IV des "Principes", le plus court.. car " Tout ce qui touche à cette question est traitée de la meilleure façon dans le chapitre 7 de la Richesse des Nations" . Du fait de la mobilité du capital vers les emplois les plus productifs, le prix de marché tend à s'aligner sur le prix naturel ou valeur d'échange. Si l'on transpose cet exemple à l'échange international, on reconnaîtra que le prix de vente d'un produit est fixé par le prix naturel du pays exportateur. Smith fait cependant l'erreur d'imaginer une exception dans le cas du prix du blé, en croyant que si les hollandais et les gênois ne peuvent acheter, cela provoquera une hausse du prix du blé dans les pays. Ainsi le prix de marché du blé "augmentera pour atteindre un niveau de famine" . Smith croit que " le prix réel des biens nécessaires augmente en période de pénurie et de misère et baisse en période d 'opulence". Or, dans le premier cas, l'inverse se produit( et encore de façon temporaire); plus généralement, en période d'opulence, le prix du blé augmente si la difficulté de production s'élève. -1. 3 Les deux catégories du travail: productif et improductif. 51 Adam Smith reste étonnamment physiocrate en affirmant que le travail appliqué au capital est "particulièrement productif" en agriculture, compte tenu de l'assistance de la nature. " La nature ne fait- elle rien pour l'homme qui travaille dans les manufactures ?" demande Ricardo ? Il n'y a donc pas de raison de chercher dans cette productivité exceptionnelle de l'agriculture la source de la rente. D'où l'"illusion" de Say sur la valeur qu'accorderaient au travail les agents naturels... alors que " l'assistance qu'ils nous portent n'ajoute rien à la valeur d'échange". Et pourtant.... Ricardo continue à cultiver la particularité du secteur agricole en lui attribuant des problèmes spécifiques de structure et de comportement. 1. 4 La concurrence du capital Adam Smith croit qu'il y a des problèmes d'accumulation du capital et leur impute la tendance à la baisse des profits. Ricardo consacre à ce problème le chapitre XXI pour s'appuyer sur Say: " M. Say a cependant très bien montré qu'il n'est aucun montant de capital qui ne puisse rester inemployé dans un pays, car la demande n'est limitée que par la production". -1.5 Adam Smith le grand théoricien de l'impôt. Ricardo se réfère aux règles de l'impôt énoncées par Smith (cf. supra) pour mieux le critiquer à propos de l'impôt foncier. En effet, contrairement à ce que pense Smith, l'impôt foncier n'est pas déduit de la rente; il est donc supporté par les propriétaires fonciers. Il est en fait, répercuté, comme la plupart des impôts, par une augmentation du prix qui pèsera sur le consommateur. 2 Malthus: le fil conducteur Ricardo suit pas à pas dans l'"Essai" les deux brochures dans lesquelles Malthus développe ses arguments protectionnistes face aux importations de blé. - An Inquiry into the Nature and the Progress of Rent and the Principles by which it is regulated ( 3 février 1815) - The Grounds of an Opinion on the Policy of Restricting the Importations of Foreign Corn ( 10 Février 1815). 2. 1. Divergences théoriques L'"Essai sur les Profits" est une réponse successive à ces deux textes: - Initialement, Ricardo répond à l'"Inquiry" en élargissant la théorie malthusienne de la rente: il montre la baisse fatale du taux de profit moyen sous la double détermination du profit et des prix agricoles. -Puis, il répond pratiquement aux "Grounds", texte beaucoup plus pamphlétaire que l'"Inquiry", où Malthus a radicalisé son protectionnisme en soulignant les risques d'explosion sociale et de dépendance politique de l'Angleterre. Malthus dans les "Principes" . La réponse à ces deux textes fonde encore le chapitre XXXII des "Principes": "L'opinion de M. Malthus sur la rente". Ricardo y reprend ses arguments précédents et ajoute des paragraphes ayant trait à l'édition des "Principles of Political Economy" de 1820. Ricardo renouvèle son admiration pour le maître et sa théorie de la rente. La définition de la rente est 52 donnée une fois pour toutes dans l'"Inquiry": " Cette part de la valeur du produit total restant au propriétaire de la terre, une fois payées les dépenses de toute nature relatives à sa culture, y compris les profits du capital employé". (Principes de l'économie politique ,p.414). La rente est ainsi un revenu secondaire, établi après le taux de profit. Ricardo inscrit la rente dans le conflit entre rentiers et capitalistes: "la rente est donc dans tous les cas une proportion du profit déjà obtenu sur la terre" et "il s'ensuit que l'intérêt du propriétaire terrien est toujours opposé à ceux de toute autre classe de la communauté". Reprenant à son compte la périodisation historique de Malthus ( de la "période reculée" au "stade progressif"), Ricardo développe l'idée d'une "machinery of land". Cette "heureuse illustration de Malthus" est détournée par Ricardo afin de mieux souligner le cas de la terre marginale; " la machine qui a les caractéristiques et les potentialités les moins performantes" . Malthus reconnaît que les meilleures machines sont en nombre insuffisant face à une population croissante, ce qui implique, pour éviter l'augmentation du prix du blé, soit des solutions intermédiaires ( le progrès technique et la réaffectation du capital) soit la solution radicale des importations de blé. Le fait pour un pays relativement plus riche, mais démuni en sol fertile, de recourir aux importations de blé est un principe que Malthus, selon Ricardo a "parfaitement établi" dans l'Inquiry. Ricardo prolonge les acquis malthusiens en montrant que les conclusions pratiques doivent être différentes ; il souligne encore les différences d' analyse en ajoutant des réflexions sur la valeur. Les deux auteurs divergent totalement sur la dynamique des emblavements; comment justifier la mise en culture de terres de plus en plus mauvaises ? Selon Malthus, la rente est l'élément déterminant de la mise en culture des terres car propriétaires fonciers et fermiers ( surtout dans un faire valoir mixte !) ont un intérêt commun à la mise en valeur des terres. On peut ainsi imaginer que le prix des produits agricoles augmente proportionnellement plus vite que les coûts de production. Cette convergence supposée des intérêts du propriétaire foncier et du fermier est au centre des divergences théoriques: - Pour Malthus, la rente est la différence entre la valeur d'échange du blé et les coûts de production, y compris le profit; rente et profit pouvant varier dans le même sens. - La rente, selon Ricardo est une fraction du profit et les deux varient en sens opposé. "Une rente élevée s'accompagne invariablement de bas profits" . 2. 2 Mais les divergences les plus connues des deux auteurs sont pratiques. Selon Malthus, la libération des importations de blé aggravera la dépendance de l'Angleterre et les risques associés à cette situation: - risques politiques ( relations avec les puissances continentales) - risques agronomiques ( mauvaises récoltes à l'étranger) - risques sociaux (ruine de certains fermiers, perte de pouvoir d'achat pour les travailleurs) - risques financiers ( alourdissement artificiel du service de la dette et donc des impôts). Ces dangers ne sont qu'"affaire d'opinion" et ne peuvent être correctement estimés, selon Ricardo, qui admet néanmoins la possibilité de mesures transitoires. Les divergences "pratiques" portent sur les leçons à tirer de la particularité de la terre par rapport aux autres "machines". Cette activité est sur- rentable pour Malthus et par contre , dans la dynamique ricardienne, pénalise l'ensemble de l'activité économique par les bas profits réalisés sur les terres marginales. La dynamique grandiose associe ainsi les préjugés 53 malthusiens ( démographiques et agronomiques) à la loi sur la péréquation des taux de profit et suscite ainsi le mouvement fatal qui lie le taux de profit agricole au taux de profit moyen. 3 Ricardo et Say: incompréhensions et oppositions Le débat initial de l'Essai, étroitement lié à Malthus, est internationalisé dans les Principes, avec la place grandissante accordée à Jean- Baptiste Say. Ricardo cite et le plus souvent critique les idées de Say dans les différentes éditions des Principes. Le "Traité" , le "Catéchisme", les "Lettres à Malthus" de Say sont traduits en anglais et, de son côté Say, accordera une place importante aux "Principes" de Ricardo. Les deux hommes se rencontrent lors de la visite de Say en Grande -Bretagne (1814) et lors du "Grand Tour " de Ricardo en Europe de 1822. Leur correspondance comporte dix sept lettres, écrites entre décembre 1814 et mai 1822. Mais l'importance qu'ils s'accordent mutuellement n'est-elle qu'un faire valoir ? Ou traduit- elle une influence réciproque ? Stuart Mill juge le "Traité" de Say , "supérieur à celui d'Adam Smith" et lui trouve le "génie de faire progresser la science". Mac Culloch sera plus restrictif en limitant l'apport de Say à la loi des débouchés.(Mac Culloch, 1863). Ricardo est réservé dès sa lecture du "Traité" de Say en 1814 où "de nombreux points ne sont pas établis avec satisfaction" (Lettre à Malthus du 18 décembre 1814) et ajoute " cependant l'homme est simple et je le considère comme un compagnon instructif". L'éloge de J-B. Say est appuyé dans la préface de la première édition anglaise de 1817; il y est question des "excellents ouvrages de J-B.Say, premier écrivain du continent (ou parmi les premiers) à apprécier les principes de Smith à leur juste valeur et à les appliquer". Les divergences entre les deux auteurs sur la valeur et la rente, s'accentuent par la suite. 3. 1 Divergences sur la valeur Dès la lecture du "Catéchisme" de J-B Say, Ricardo lui oppose sa conception de la valeur: " Une marchandise doit être utile pour avoir de la valeur, mais sa difficulté de production est la vraie mesure de la valeur." ( Lettre de Ricardo à J-B.Say, du 18 août 1815) Quelques jours après ( le 10 septembre suivant), Say tente un compromis en traduisant "difficulty of production" par frais de production, c'est à dire prix des facteurs. " Je dis donc comme vous, que les frais de production d'une chose déterminent la plus basse limite de son prix; mais ils ne sont pas la cause première du prix qu'on en offre." L'incompréhension devient manifeste avec le chapitre sur la valeur des "Principes". Elle se traduit par des notes sévères de Say lors de la traduction française de 1819 : Ricardo a "tort", "est dans l'erreur", "ne comprend pas" ..et le lecteur aura intérêt à se reporter au "Traité" de Jean- Baptiste Say. En définitive, selon une autre note de Say " Une mesure invariable des valeurs est une chimère parce qu'on ne peut mesurer les valeurs que par des valeurs, c'est à dire par une quantité essentiellement variable". Dès les notes connues et avant même leur publication, le clan ricardien, en particulier J. Mill, est indigné. " Je suis plein de mépris pour ces notes de Say..Il n'y a pas une seule de vos doctrines qu'il ait saisie ou dont il ait perçu quelque signification" (Lettre de Mill du 24 décembre 1818 ). 54 Ricardo tente cependant à plusieurs reprises de préciser sa position, par exemple dans cette lettre du 11 janvier 1820: " Je ne dis pas que c'est la valeur du travail qui règle la valeur des marchandises..Je dis que c'est la quantité relative de travail nécessaire à la production des marchandises qui règle leur valeur". Say répond immédiatement en mars 1821 qu'il ne comprend pas la différence entre " la valeur du travail qui ne détermine pas la valeur des produits et la quantité de travail nécessaire à leur production qui détermine la valeur des produits". Malgré cette incompréhension, Ricardo, en mars 1821, dans la préface de la troisième édition, essaie de répondre aux "doctrines" de Say "à partir des modifications qu'il a introduites dans la quatrième et dernière édition de son ouvrage". Le ton change "M.Say me semble avoir été singulièrement maladroit dans sa définition de la richesse et de la valeur" . Mr Say, "se contredit", "a tort" et, surtout , effectue des critiques déplacées envers la théorie de la richesse de Smith: " Les conclusions auxquelles aboutit M.Say lui appartiennent, ce ne sont pas celles du Dr Smith." Néanmoins Ricardo tente d'accomoder Say en interprète "malgré lui" de la pensée ricardienne: " ...Mr Say soutient à peu de choses près la doctrine que je défends sur la valeur". " Quand vous dites que les marchandises ont de la valeur en proportion de la quantité de travail qu'elles contiennent, vous exprimez en fait la même opinion que moi en d'autres termes" ( Lettre de Ricardo à Say du 5 mars 1822) Si l'incompréhension caractérise les échanges théoriques entre Say et Ricardo à propos de la valeur, une opposition totale se développe entre eux sur le problème de la rente. 3. 2 Divergences sur la rente Le contraste national entre l'économie politique française et anglaise commence par une incompréhension linguistique. Lorsque Ricardo cite Say, il traduit profit foncier ou fermage par "rent" ou "revenue". A son tour, Say annotant Ricardo conteste l'usage du mot rente, arguant qu'en français, le terme s'applique non au revenu des biens-fonds mais à une "annuité, une charge hypothéquée sur le bien-fonds, et donc sur le propriétaire". Constancio suit l'avis de Say dans la traduction de 1819 et avoue en note du chapitre II: " J'ai donc été forcé de rendre le mot anglais très vague "rent" tantôt par profit des fonds de terre, et tantôt par fermage". Say explique dans son cours d'économie politique qu'un fonds de terre est, de la même manière qu'un capital, un "instrument" qui seconde l'action de l'industrie. Dès lors, à travers la "coopération du sol", il existe un "service foncier" qui doit être rétribué par un " profit foncier". Ce profit foncier dépend de l'offre et de la demande de services fonciers. La demande d'un service foncier est supposée illimitée, dans la mesure où les besoins des consommateurs et leur enrichissement ne connaissent eux-mêmes pas de limite; l'offre est bornée par l'étendue des terres cultivables. Fort de ses conceptions, Say développe sa propre théorie dans ses notes au chapitre II des "Principes": "Il m'a paru plus simple d'exposer ce que je crois être le véritable état des choses, que de combattre, paragraphe par paragraphe, la doctrine de M. Ricardo". En effet l'opposition est totale. Pour Ricardo, la notion de profit foncier rétribuant le propriétaire est inadmissible; elle correspond à une fausse perception des classes. Un propriétaire foncier ne peut avoir le même revenu qu'un capitaliste ou un fermier. Ainsi en 1821 ( Sraffa I-187), Ricardo répond à Say qu'un propriétaire foncier "n'a aucun moyen d'employer ses soins, son économie et son savoir-faire sur sa terre, à moins de l'exploiter luimême, c'est alors en sa qualité de capitaliste et de fermier qu'il réalise ces améliorations, non en sa qualité de propriétaire". 55 L'erreur de Say s'inscrit dans une tradition française qui tente, au contraire de Ricardo, d'estomper l'opposition entre propriétaires et capitalistes. Si le revenu du propriétaire foncier n'est qu'un revenu de monopole, le statut particulier de la rente différentielle ne peut être compris et ainsi toute la dynamique grandiose. 3. 3 Ricardo et la loi de Say. Dès la préface, Ricardo salue les "excellents ouvrages de M.Say, premier écrivain du continent", en particulier les "discussions originales fécondes" de la première partie du Chapitre XV , "Des débouchés". de son "Economie Politique" (2 ° edit, 1814). Reconnaitre , sinon renforcer la loi de Say, permet à Ricardo de mieux mettre en valeur l'idée que la "facilité avec laquelle on produit la nourriture et les produits nécessaires au travailleur" est le facteur essentiel de baisse et de hausse des profits. En d'autres termes, la diminution du taux de profit ne provient pas d'un problème de débouchés ou de thésaurisation, mais de la difficulté croissante à se procurer de la nourriture. Dans le chapitre XXI ( les effets de l'accumulation sur le profit et l'intérêt), Ricardo s'oppose initialement à la théorie smithienne des profits. Smith croit que la baisse des profits est limitée par le nombre d'occasions d'investissement, venant de la concurrence des capitaux dans une même branche d'activités. Or, en l'absence d' accélération des hausses de salaires, la pleine utilisation du capital est possible, ce que comprend J.B. Say. On peut imaginer une limite à la production de nourriture et une situation stationnaire où chaque homme renonce à la consommation de biens de luxe afin de se consacrer à l'accumulation de capital. Mais la demande de blé fait exception par son inélasticité. Le taux de profit ne dépend pas plus d'un éventuel sous emploi des capitaux que du taux d'intérêt du marché monétaire. En effet, si le marché monétaire est équilibré, les forces monétaires n'agissent pas. Il faut donc voir que la force première est le taux de profit du capital qui, pour utiliser l'expression de Wicksell, est le "taux naturel". Le "taux de marché" doit donc s'aligner sur le taux naturel. De ce point de vue, selon Ricardo, l'épargne signifie la même chose que "accumulation du capital" et il n'est besoin de justifier l'épargne des "landlords" à la façon de Malthus (1820) (sur ce point ,cf.Pasinetti, 1974). Considérant les produits accumulés de façon capitalistique, Ricardo reprend la loi de Say dans son esprit initial afin de montrer que l'offre s'adapte toujours à la demande, sauf dans le cas des biens de subsistance. Cette exception provoquant la marche inéluctable vers l'économie stationnaire. 3. 4 Cette extension vaut- elle pour le marché du travail ? Cette idée est reprise par plusieurs auteurs contemporains, notamment Morishima (1992). Morishima voit dans le chapitre sur les machines et l'idée d'une substitution de la machine au travail humain, une contradiction avec la version ricardienne de la loi de Say. Cette interprétation fait l'objet d'une sévère critique de Kurz et Salvadori dans le Cambridge Journal of Economics ( 1992,16, 227-247). Selon eux, dans la version ricardienne de la loi de Say, la demande peut être assumée par l'offre grace au retrait (withdrawall) du capital, mais cela n'assure pas le plein emploi du travail. En définitive, Ricardo reprend l' idée de Barton (1817): la demande de travail est régulée par l'accroissement du capital circulant, et non de celui du capital fixe. L'économie politique fait constamment référence à Ricardo dans ses recherches sur la valeur, le commerce international et plus récemment sur les impôts. Si certains thèmes constitutifs de sa pensée sont provisoirement délaissés ( la rente, la monnaie,les salaires), ils 56 peuvent redevenir, à tout moment, les lieux d'anticipations géniales dans le cadre de développements scientifiques ultérieurs. Et pourtant curieux destin pour un auteur autodidacte, né dans la bourse, et parvenu à l'économie politique par le hasard d'un séjour à Bath ! Ses pamphlets , ses discours, une correspondance avec les grands économistes du moment, l'amènent à une ouverture permanente. 2.1. Piero Sraffa. 2.1. Généralités : un néo- ricardianisme avec Sraffa (1960) ? Piero Sraffa en collaboration avec Maurice Dobb, a réédité l'œuvre de Ricardo de 1951 à 1973 sous la forme de quinze volumes publiés par Cambridge University Press de 1951 à 1973. Déjà les commentaires et la présentation de Sraffa laissent présager l'avènement en 1960 ,d'une œuvre néo- ricardienne majeure , "Production des marchandises par des marchandises" . Ce néo- ricardianisme ,en radicalisant le cadre originel, apporte la solution au problème posé par Ricardo: peut- on trouver un étalon des valeurs, à la fois invariable par rapport aux prix et aux variations de la répartition ? La radicalisation dans l'interprétation de l'"Essai sur les Profits" est déjà très nette. Sraffa s'en tient essentiellement au Tableau de l'"Essai" et à une interprétation mécanique du principe de péréquation des taux de profit. Le "principe fondamental" selon lequel les profits du fermier déterminent les profits de toutes les autres activités (Principe de la Lettre de Trower en 1814) trouve son fondement rationnel dans l'expression purement physique du taux de profit (cf. le Tableau de l'"Essai" de 1815). La péréquation automatique des taux de profit constitue un "lien mécanique" entre la particularité du secteur agricole et le fonctionnement général du taux de profit. A ce stade, selon Sraffa ( note sur l'"Essai sur les Profits", W.C.R. vol.IV, p.3), la théorie ricardienne est "entièrement constituée". L'intervention des prix est exclue, et cette exclusion donnera lieu à une très grande critique par Hollander (1983) de la thèse d'un "taux matériel de profit" dans l'analyse ricardienne. - Sraffa donne une solution au problème de la valeur et de la répartition; que Ricardo se pose jusqu' au manuscrit de "valeur absolue, valeur d'échange". Pour ce faire, il utilise le procédé tautologique d'un système de production des marchandises par des marchandes, réduit et proportionnel par rapport au au système de production à étudier. Ce procédé tautologique souligne l'influence de la logique déductive , en particulier de Wittgenstein sur Sraffa. Mais cette proportionnalité ne résout pas l' "effet Ricardo" (cf. supra) à savoir les conséquences d'une augmentation des salaires sur les prix, compte tenu de l'inégale composition du capital ( travail /machines ) utilisé dans les différentes branches. Selon Sraffa (1960), " la clef du mouvement relatif des prix relatifs, consécutifs à un changement dans le niveau des salaires tient à l'inégalité des proportions dans lesquelles le travail et les moyens de production sont employés dans les différentes branches". La solution extrême à ce problème consiste à poser un taux de profit maximum R au sein d'une relation r = R ( 1 - w) et ainsi à envisager l'absence de problème de répartition avec w = 0. La méthode de Sraffa implique l'abandon d'un cycle des avances, en particulier d'avances en salaires. En effet, une avance dans le système de production considéré serait 57 incompatible avec l'idée que ce système puisse être invariable par rapport aux variations de la répartition. - Une solution logique est - elle compatible avec la dynamique ricardienne ? Si Ricardo fut critiqué pour son abus de la "méthode abstraite et déductive", sa méthode reste dynamique et fondée sur des forces externes. Or un système logique est à la fois fermé ( sans force extérieure) et atemporel. La rente par exemple qui témoigne à la fois de préjugés agronomiques externes et d'une poussée de la demande ne peut jouer dans un système logique qu'un rôle accessoire. D'où dans l'ouvrage de Sraffa (1960), un chapitre bref et controversé sur la terre. Et pourtant " une croissance graduelle de la demande qui entraîne, en définitive, une augmentation des coûts de production" ( index de Ricardo, PEP,p.454) représente une des causes incontournables du haut prix des vivres. L'intérêt de la méthode tautologique est d'aboutir à des équivalences à la manière de Sraffa (1960) et de Debreu (1966).Dans les deux cas,la démonstration principale a trait à un théorème d'existence: existence d'un équilibre général de marché dans une économie de propriété privée chez Debreu, la distribution des ressources étant spécifiée, existence d'un étalon des valeurs chez Sraffa dont on peut spécifier la composition. Ce théorème d'existence joue un rôle intermédiaire. Il autorise à des équivalences qui permettent de s'en débarrasser par la suite. Ainsi, il est possible dans la théorie de Debreu d'analyser directement l'optimum et l'équilibre de marché qui lui correspond en abandonnant les contraintes et les spécifications de l'économie de propriété privée. De même chez Sraffa, la spécification de l'étalon peut être abandonnée. Le salaire n'est plus qu'un pur nombre (de même que le prix dans la théorie de Debreu) et l'on peut raisonner directement sur une quantité de travail. "Une quantité de travail qu'on peut acheter avec le produit net étalon " "sans qu'il soit besoin de définir sa composition". La déduction sur la théorie ricardienne de la valeur aboutit à une retour à la théorie smithienne du travail commandé. Ricardo ne s'exprimant pas sur sa méthode, ses choix méthodologiques ont alimenté de nombreuses controverses à caractère récurrent, chacun trouvant dans cette œuvre fondatrice les prémisses de sa propre méthode. Sraffa lui même estime que l'idée de la marchandise homothétique, "méthode imaginée par Ricardo" (Sraffa, 1960, Appendice D) a peut être pris corps après qu'il ait mis au point le système étalon et la distinction entre produits fondamentaux et non fondamentaux. Il en est de même pour l'étalon de valeur comme moyenne entre deux extrêmes. Sraffa a radicalisé la logique ricardienne quitte à exclure certains traits caractéristiques des choix ricardiens. Mais peut on exclure si facilement la dynamique ricardienne ( Baumol, Hicks) ou encore l'influence des prix ( Hollander) pour ne retenir qu'une analyse statique de la valeur et de la répartition ?Sraffa montre que l'obtention d'un étalon de la valeur des marchandises qui soit invariable par rapport à la valeur des autres marchandises et à la répartition, est en contradiction avec un certain nombre de choix, en particulier les avances en salaires ou une dynamique des prix. Nous nous limiterons à deux propositions centrales du modèle de Sraffa, la construction de l'étalon et l'équivalence entre l'étalonnage et la relation salaire/profit ; cette dernière proposition aboutissant au dépouillement de l'étalon construit initialement. 58 2.2. La construction de l'étalon Sraffa propose une analyse tautologique du même ( le système) par le même ( un réduit proportionnel de ce même système). De ce fait, il rompt avec les analyses séquentielles de la valeur-répartiton et notamment avec la recherche de solutions exogènes. Le système de départ est un système viable (SEV) obéissant à certaines conditions : techniques ( le système au moins s'autoreproduit et ne peut être déficitaire) ,économiques ( la péréquation des taux de profit), temporelles ( fixité des conditions de production), systémiques ( les marchandises sont " fondamentales " car elles servent à en produire d'autres ; les salaires ne sont pas avancés). Ce système dit " actual economic system " selon Sraffa est bâti sur trois notions économiques conventionnelles : les marchandises, les salaires ,et le profit ou taux de surplus. Suivant la notation de Sraffa, nous désignons par A,B,..,K, les quantités produites au cours de la période des marchandises a,b,..,k. Aa, Ba,…, Ka les quantités utilisées des marchandises a,b,..k, afin de produire la marchandises a. Ab,Bb,..Kb, les quantités de marchandises a,b,..k, afin de produire la marchandise b et ainsi de suite. le taux de surplus, r, ou taux de profit. La,Lb,…Lk les quantités de travail utilisées dans les branches produisant a,b,..,k. Le taux de salaire : w La production de la marchandise A peut être représentée avec des intrants de marchandises a,b,c, de la façon suivante ; ( Aa + Ba + Ca ) ( 1 + r) + Law = A De même pour les branches Bet C. Les marchandises sont utilisées dans certaines proportions les unes par rapport aux autres : proportions déterminées les unes par les conditions de production, invariables au cours de la période étudiée. Ces proportions physiques (ex. 15 quintaux de blé pour une tonne de fer) représentent des valeurs d'échange ou encore des prix relatifs. Désignons par pa, la valeur d'échange de la marchandise a, pb la valeur d'échange de la marchandise b, et ainsi de suite. Un système de production se présente selon le modèle suivant : (Aapa + Bapb + … + Ka pk) ( 1 + r ) + Law = Apa (Abpa + Bbpb + … + Kbpk) (1 + r) + Lbw = Bpb ………………………………………………………. (Akpa + Bkpb + … + Kkpk) ( 1 + r) + Lkw = Kpk A chaque système de production est associé un produit net ou un revenu, obtenu en retranchant de chaque produit brut, A, B, C,.., K, les quantités consommées de la même marchandise. Soit en posant que le produit net du système est égal à 1 : A - (Aa + Ab + .. Ak) pa + B - ( Ba + Bb +… Bk) pb + …= K - ( Ka + Kb + … Kk) pk =1 Etant donné la condition technique d'autoreproduction, il existe ainsi k+ 1 équations et k + 2 inconnues ( k prix, w et r). Le système de production sera déterminé si on donne une inconnue, par exemple le taux de profit. 59 De ce système économique viable, on peut déduire un système étalon ( des salaires et des prix) qui soit invariable par rapport aux variations de la répartition et aux variations induites des prix relatifs. Le problème des variations de la répartition est esquivé en considérant un taux de surplus maximum tel que les salaires sont nuls ; Soit R = produit net/ moyens de production = r et w = O Ainsi l' " effet Ricardo " peut être éliminé ; Selon cet effet ( cf. le cours supra), les changements du taux de salaire, du fait des différents proportions existant entre travail et moyens de production correspondant aux différentes branches, ont des effets aléatoire sur les prix. L'invariabilité par rapport aux variations induites de prix est obtenue simplement en construisant un système tel que les différentes marchandises apparaissent dans les mêmes proportions du côté des intrants et du côté des extrants. Le système étalon est obtenu en appliquant aux équations du système économique viable, de multiplicateurs appropriés ; on déduit un produit net étalon et un rapport étalon R comme rapport du produit net étalon aux moyens de production. Ce produit net est une marchandise composite et " équilibrée " ; elle est un étalon de mesure des salaires et des prix qui demeure invariable par rapport aux modifications de la répartition et aux variations induites de prix. Son prix est égal à l'unité. S'il existe un rapport R, rapport étalon ou taux maximum des profits, il existe une relation linéaire entre taux de salaire et taux de profit. En effet, on peut supposer que w est la part du produit net étalon ( égal à 1) qui va aux salaires de telle sorte que : 1 - w = profit/ produit net étalon. 1 - w = r . prix des moyens de production/ prix du produit net étalon. 1 - w = r . 1 / R et donc r = R ( 1 - w) ; il existe ainsi au sein du système étalon, une relation linéaire entre les salaires ( comme % du produit net) et le taux de profit. Selon Sraffa ( IV, 30) : " ainsi à mesure que le salaire est progressivement réduit de 1 à 0, le taux de profit augmente en proportion directe de la déduction faite du salaire " Cette relation peut être représentée par une droite de la façon suivante : Du fait de cette relation, si l'on connaît le niveau du taux de profit ( donné par exemple par le niveau du taux d'intérêt monétaire), on peut déterminer le niveau du salaire (en tant que % du produit net) et la quantité de travail correspondante. Le résultat final de cette chaîne de 60 déductions est paradoxal : " ainsi toutes les propriétés d'un étalon invariable des valeurs se trouvent dans une quantité variable de travail ". Sraffa invite à ce raccourci en soulignant que " le système étalon est une construction purement auxiliaire " et que l'on peut présenter les éléments essentiels du mécanisme " sans avoir recours à lui. Certes, pour connaître la mesure en travail, il est nécessaire de connaître w en tant que fraction du produit net étalon, compte tenu du taux de profit. Néanmoins, selon Sraffa, il est possible de considérer w comme fraction du de R, comme un " pur nombre " permettant de connaître la quantité de travail qui peut être achetée avec le produit net étalon. Cette mesure en travail permet d'exprimer le prix des marchandises. Réciproquement, le prix de cette quantité de travail, peut être exprimée par rapport au prix de n'importe quelle marchandise du système. On constate ainsi le rôle auxiliaire du système étalon et le résultat du processus déductif, la relation entre le système économique viable et la quantité de travail. 2.3. L'équivalence entre étalonnage et la relation salaire- profit. Initialement , l'étalonnage est posé en admettant un taux maximum de profit R et donc w = 0. Une fois le système étalon admis, Sraffa étudie la relation entre les variations du salaire en % du produit net étalon ( 0 < w < 1) et le taux de profit ( 0<r<1). Ce changement apparent de prémisse en cours du même raisonnement peut paraître surprenant. En fait, les conditions de production restent indépendantes du partage du produit net dans le raisonnement de Sraffa : " Alors dans le système étalon, le ratio du produit net aux mayens de production restera le même quelles que soient les variations intervenant dans la division du produit net entre salaires et profits, et quelles soient les variations induites de prix " ( Sraffa, IV, 26). La possibilité d'un tel changement de prémisse est très importante dans le raisonnement de Sraffa. Elle autorise à poser une relation logique fondamentale, à savoir l'équivalence entre : - l'étalonnage, le fait de pouvoir mesurer les prix et les salaires au moyen du produit net étalon ( soit la proposition R), - et la relation linéaire entre r et w au sein de R, qui implique que r soit différent de R. Sraffa démontre dans le chapitre V que pour un système économique viable, il existe un et un seul système étalon et donc une valeur et une seule du rapport net étalon pouvant être obtenu par un ensemble de multiplicateurs positifs. Sous la réserve de cette démonstration, il existe une relation d'équivalence entre l'étalonnage ( au moyen du produit net étalon) et la relation inverse entre r et w : l'étalonnage implique cette relation inverse et cette relation inverse implique l'étalonnage. Selon Sraffa ( V , 43) cette proposition " est suffisante pour garantir l'expression du salaire et des prix des marchandises en terme de produit net étalon…et il est curieux de noter qu'on serait ainsi capable d'utiliser un étalon sans savoir de quoi il est fait ". Cette relation d'équivalence étant posée, Sraffa propose immédiatement que l'on substitue à la relation d'étalonnage, la relation linéaire entre r et w au sein de R. Dès lors, il n'est plus nécessaire de connaître le produit net étalon, il suffit de déterminer le taux maximum de profit à partir des équations de production du système étalon. Le taux de profit étant fixé, w peut être déterminé et ainsi la quantité de travail correspondant au produit net étalon. 61 Sur la base de cette équivalence, la mesure des marchandises et du salaire par le produit net étalon n'est plus qu'une voie alternative selon Sraffa ( V, 43) : " On dispose cependant d'une mesure plus tangible pour le prix des marchandises qui permet d' évincer le produit net étalon de cette fonction secondaire ", à savoir mesurer le prix des marchandises et les salaires. Cette mesure est la " quantité de travail qui peut être achetée par le produit net étalon ". Curieusement, il n'est pas nécessaire de connaître le produit net étalon pour déterminer cette quantité de travail, mais seulement le taux maximum de profit R et le taux de profit r déterminé de façon exogène. La quantité de travail est inversement proportionnelle au taux de profit. Si le travail utilisé dans le système est égal à l'unité, la quantité de travail correspondante est : 1/w = R'/ R' - r Cette quantité est égale au travail annuel quand r = 0 et augmente sans limite quand le taux de profit ,r, approche le taux maximum R. Par l'intermédiaire de cette mesure en travail, le prix de la quantité de travail, du salaire ( s) peut , cette fois, être exprimé par rapport à n'importe quelle marchandise. La relation d'équivalence permet ainsi d'établir un va et vient déductif entre le système économique viable (SEV) , le système étalon, et le système économique viable. - soit un système économique viable, - soit R, rapport étalon du système étalon correspondant à ce système (SEV). - soit la relation r = R (1- w) A ce stade, deux démarches sont possibles. -Soit on fixe de façon exogène w afin de déterminer r. Sraffa adopte initialement ce procédé dans la tradition ricardienne d'un minimum de subsistance. Mais si l'objet du raisonnement est d 'obtenir la quantité de travail " étalon ", w n'est plus qu'un pur nombre et n'a plus de signification concrète par rapport à des produits de subsistance. Il n'acquiert de sens qu'après la détermination de la mesure en travail. - soit, on se donne le taux de profit, indépendamment des prix, à partir d'un indicateur concret tel que le taux d'intérêt monétaire. Telle est la démarche qu'adopte Sraffa à partir du paragraphe 44 du chapitre V, comme prolongement de la ligne de raisonnement qui conduit à la quantité de travail " étalon ". Le taux w, soit fixé préalablement, soit déduit de r, est appliqué au produit net du système économique viable. Ce qui permet de déduire la masse des salaires et la masse des profits en valeur. Cette masse des profits, rapportée aux moyens de production, doit être égale au taux de profit. Ceci nécessite un ajustement par les prix relatifs afin de rétablir un système économique viable. Dans ce cadre, on applique la loi de la valeur de la façon suivante ; si la taux de profit r est fixé de façon exogène, on peut déduire la quantité de travail commandée par le produit établi à partir du pur nombre w. Cette quantité de travail permet de mesurer les prix des marchandises. Le salaire peut alors être évalué concrètement par rapport au prix de n'importe quelle marchandise. Le système déductif de Sraffa peut être résumé en trois étapes : 1) Du système économique viable, on déduit un système étalon, un produit net étalon, un rapport étalon. Le produit net étalon a la double propriété de mesurer les prix et les salaires. 62 2) Une équivalence est instaurée entre cette possibilité d'étalonnage et la relation linéaire entre salaire et taux de profit. 3) A partir de cette relation, le produit net étalon est dépouillé de ses deux propriétés : - les prix peuvent être mesurés au moyen de la quantité de travail commandé par le produit net étalon sans avoir à connaître ce dernier. - les salaires peuvent être exprimés par rapport au prix de n'importe quelle marchandise. Ainsi la logique déductive conduit Sraffa ( 10960, appendice B, note 2) à déduire de l'étalon des valeurs " à la Ricardo " une mesure par le travail commandé " à la Smith ", mesure à laquelle Ricardo était fermement opposé. La mesure du prix des marchandises par le travail commandé ( fin du chapitre V) , mais aussi par le travail incorporé ( fin du chapitre IV) rend possible in fine, la mesure des prix et des salaires en terme de n'importe quelle marchandise. Quelques complications : Le modèle initial de Sraffa est composé de branches à produit unique et capital circulant. Il permet de solutionner le problème de l’étalon des valeurs. Ce modèle est très simplifié en ne retenant que des branches à produit unique et capital circulant. Un élargissement peut être effectué en considérant un système de branches à produits multiples et avec du capital fixe. On y retrouve les propriétés d’un étalon avec de multiples complications. La critique de l’économie marginaliste s’en trouve renforcée, notamment sur le problème du changement de méthodes de production. Dans le cas de la production conjointe, 2 marchandises sont produites conjointement par une branche unique ou un processus de production. Cela fait qu’il y a plus de prix que de procès. Il faut dans ce cas rétablir un processus parallèle et faire en sorte que les processus soient en nombre égal à celui des marchandises afin que les prix soient déterminés. Le système avec des produits conjoints peut s’écrire : (A1 pa + B1 pb + … + K1 pk) ( 1+ r ) + L1 w = A(1) pa + B(1) pb + … + K (1) Pk (A2 pa + B2 pb + … + K2 pk) ( 1+ r ) + L2 w = A(2) pa + B(2) pb + … + K (2) Pk …………………………………………………………………………………….. (Ak pa + Bk pb + … + Kk pk) ( 1+ r ) + Lk w = A(k) pa + B(k) pb + … + K (k) Pk Complications L’obtention d’un système étalon semble devoir être le même que celui déjà observé. Mais une complication intervient : il devient indispensable de créer des multplicateurs négatifs car la marchandise a par exemple peut être en input beaucoup plus utilisée que b, comparativement à sa proportion en output. Le critère de distinction entre biens fondamentaux ou non, a évolué car si une marchandise est produite par plusieurs branches, cette même marchandise peut rentrer seulement dans les moyens de production d’une seule de ces branches ! La réduction d’une marchandise à du travail daté devient impossible. En effet, on pouvait admettre avec le système simple que si r = 0, la valeur relative des marchandises soit 63 % à la quantité de travail utilisée directement ou indirectement pour la produire. Désormais cela est impossible avec la production conjointe Le capital fixe ( les machines) représente la principale espèce de produit conjoint et il est particuièrement hétérogène…..Il se laisse cependant intégrer au système étalon sans trop de difficultés ,sauf à résoudre le problème de sa temporalité. Sraffa propose de le traiter comme rentrant annuellement dans un procès productif et de traiter ce qui reste comme une production. Enfin la même machine à des âges différents sera traitée comme autant de produits différents ayant son propre prix. La terre pose des problèmes particuliers, elle est normalement une ressource naturelle et non un bien fondamental. La rente est payée hors système et n’ a pas d’influence sur les prix et le taux de profit. Comment insérer la terre dans le système ? On peut dans le cas d’uns système extensif intégrer sans problème la terre sans rente ; dans un système intensif, on fera « comme si » existaient deux systèmes de production…en faisant en sorte que les deux équations soient munis de coefficients de signes opposé et de valeurs telles qu’elles éliminent la terre du système. Enfin le système de la production conjointe fait apparaître le problème passionnant du reswitching des techniques ou des méthodes de production. Soient deux systèmes, chacun produisant plusieurs marchandises avec une de ces marchandises qui soit commune aux deux systèmes. Si on fait figurer les deux systèmes sur comme relation décroissante entre w et r, il existe( Bharadwaj, , 1970) autant de points de transition entre les deux systèmes que de marchandises entrant directement ou indirectement dans la production de cette marchandise. La critique de l’économie politique atteint alors un sommet car elle montre l’impossibilité d’une théorie de la productivité marginale reliant la quantité de capital par travailleur et leur rendement ( r ). Conclusion La pensée classique analyse prioritairement la séquence valeur- répartition - prix. Elle pose derrière des questions pratiques , des relations contre intuitives, particulièrement avec Ricardo: péréquation des taux de profit, rente différentielle, effet Ricardo etc....Cette théorie abstraite trouve sa forme la plus achevée avec Sraffa qui résout par la logique des tautologies le problème de la valeur légué par Ricardo quitte à admettre des prix ou des rentes négatifs. A la limite le réel n'est plus que l'ombre de la logique selon une expression de Wittgenstein. Les questions posées par la théorie classique restent d'actualité notamment son questionnement logique sur la théorie économique de l'échange ( dite "néoclassique") et n'est pas surmonté. Même si Frank Hahn (1970) démontre de façon brillante que la théorie de Sraffa n'est qu' un cas particulier de l'analyse économique. 64