Actualitéarchéologie
L’HISTOIRE N°342 MAI 2009
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Parmi les exceptionnelles sculptures antiques
sorties des eaux du Rhône en 20071, une
pièce a suscité un engouement tout particu-
lier : le portrait en marbre blanc pratiquement in-
tact d’un homme d’âge mûr, immédiatement iden-
tifié comme Jules César. Eectivement, le portrait
est stylistiquement datable de la fin du er siècle av.
J.-C. et la colonie romaine d’Arelate (Arles) fut fon-
dée en 46 av. J.-C. par le conquérant des Gaules.
Mais en l’absence de dédicace qui accompagne le
buste, comment dépasser le stade de l’hypothèse
ou de l’intuition ?
Létude des portraits ociels romains s’est de
longue date constituée en une discipline scientifi-
que fondée sur une méthode rigoureuse : les iden-
tifications sont établies à partir d’une confrontation
de l’ensemble des sources disponibles, au premier
rang desquelles figurent les monnaies, seuls sup-
ports associant un portrait, une légende et une titu-
lature. Leur étude n’est toutefois pas susante : il
faut ensuite les comparer avec des portraits sculp-
tés présentant les mêmes caractéristiques physio-
nomiques et typologiques. Or, il existe des séries
de portraits identiques entre eux, appelées « répli-
ques », qui en reproduisent fidèlement les traits et
la coiure2. Seule la vérification de cette corres-
pondance permet de fonder les identifications sur
des bases assurées : dans le cadre d’une image fixée
et diue sous l’étroit contrôle du pouvoir central,
les portraits des dirigeants puis des empereurs ro-
mains ne sauraient être conçus comme des créa-
tions artistiques libres.
Qu’en est-il pour sar ? Les premiers portraits
du dictateur ne sont pas antérieurs à 44 av. J.-C.,
année de sa mort : ils figurent un homme à la cal-
vitie prononcée, au visage émacet au long cou
ridé, mais l’image est loin d’être unitaire. Les sui-
vants, posthumes, sont pour la plupart largement
postérieurs à sa divinisation, votée en 42 av. J.-C. :
c’est Octave, le futur empereur Auguste qui, se -
clamant de l’héritage de son père adoptif, diusa
massivement une nouvelle image à tonalité dynas-
tique de César divinisé.
L’egie sculptée la plus proche des monnaies
frappées du vivant de César, et donc la plus an-
cienne, est conservée à Turin. Or, contrairement à
ce qui a été armé, la comparaison entre la te de
Turin et celle du Rhône n’est en rien concluante.
Toutes les répliques du « type Turin » présentent
un visage long, des joues creusées, des pommet-
tes hautes et saillantes, des yeux au globe oculaire
légèrement proéminent, un nez droit, alors que
le buste d’Arles a un visage plus large, des joues
aplaties, des yeux rapprochés et enfoncés, un nez
busq. Seules les tempes dégarnies et une toue
de cheveux située dans l’axe du visage correspon-
dent au dessin caractéristique de la chevelure de
sar ; une particularité fréquente sur les portraits
de la période.
Un second type iconographique, appelé « Pise-
Chiaramonti » du nom des deux principaux exem-
plaires connus présente la même physionomie avec
des traits rajeunis et une chevelure plus abondante.
Il s’agit d’une image normalisée et idéalisée du dic-
tateur, plus politique que « ressemblante », créée
dans les premières années du principat d’Auguste
(27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.). Le buste d’Arles n’est pas
davantage une réplique de ce second type. On n’y
retrouve ni la caractéristique frange de cheveux
horizontale, ni l’un des traits le plus constant de
l’iconographie de César : un léger sourire, parfois
qualifié d’ironique.
Pour justifier les indéniables diérences qui -
parent le portrait du Rhône des portraits assurés
du dictateur et du « divin Jules », plusieurs argu-
ments ont été avancés : il s’agirait d’une image de
César « inédite » parce que précoce, inhabituelle
parce qu’authentique, la seule egie vraiment réa-
liste de César attese à ce jour ; me à Rome,
nous dit-on, on ne possède aucune egie aussi an-
cienne du dictateur.
Se pose dès lors un simple problème de logi-
que : bien évidemment, il nous est à jamais interdit
de mesurer la ressemblance d’un portrait antique
Le buste retrouvé dans
le Rhône, à Arles, est-il
bien celui de César ?
Le nez
de César
CRÉDIT
Notes
1. Entre
septembre et
octobre 2007,
plus d’une
centaine de pièces
dont une statue
en marbre de
Neptune du e
siècle, ont é
retrouvées dans
le Rhône à Arles.
Cf. L’Histoire
n° 334,
septembre 2008,
p. 18.
2. Ce sont des
copies réalisées
mécaniquement
dans des ocines
de sculpteurs à
partir d’un
original
aujourd’hui
perdu.
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L’HISTOIRE N°342 MAI 2009
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CRÉDIT
à son modèle ; seul le degré de réalisme est appré-
ciable. Mais comment reconnaître ce que l’on ne
connaît pas ? Si le portrait est réellement contem-
porain de la fondation d’Arles, il est antérieur aux
premières egies monétaires de César et sort donc
de facto du champ de notre connaissance.
Dans un second temps, les techniques dites
« médico-légales » ont é convoquées dans l’espoir
de conforter cette hypothèse. Le portrait d’Arles et
la tête de Turin ont été scannés en trois dimensions
pour faciliter les comparaisons et repérer des ca-
ractéristiques somatiques propres à César : notam-
ment une déformation du crâne, à la fois allongé
et anormalement arrondi à l’arrière par-
faitement visible sur les monnaies ; une
asymétrie dans la structure de la boîte
crânienne, plus large à droite, associée à
la présence d’une « selle crânienne », les
tempes étant en outre enfoncées.
Or, si ces déformations ont eectivement été
retenues par les concepteurs du portrait antique
comme des signes distinctifs permettant de recon-
naître à coup sûr le personnage, elles devraient
être rerables à l’œil nu. Dans le cas du portrait
d’Arles, non seulement ces dissytries ne sont pas
frappantes mais la disparition de la moitié arrière
du crâne empêche toute évaluation d’un trait phy-
sionomique essentiel.
Ces tentatives ne convainquent pas véritable-
ment, parce qu’elles se fondent sur un postulat dis-
cutable : un portrait antique, même quand il pré-
sente d’évidents traits de réalisme, ne saurait être
considéré comme une photographie ou un mou-
lage du crâne de l’intéressé. Il relève bien plutôt de
formules artistiques desties à rendre le portrait
« artificiellement réaliste », en quelque sorte.
Comment donc expliquer l’indiscutable « air
de famille » qui lie le personnage d’Arles aux por-
traits de César ? Diusées à grande échelle, les ef-
figies des hommes politiques les plus éminents de-
viennent rapidement des modèles pour les ateliers
de sculpteurs, mais surtout pour les magistrats ro-
mains et les notables locaux qui en adoptent les co-
des de représentation, l’allure générale et jusqu’à la
physionomie.
Ce phénomène de mitisme, bien connu des
spécialistes allemands sous le nom de « visage
d’époque » (Zeitgesicht), est particulièrement cou-
rant à la fin de la République : une longue série
de visages anonymes présentent la même calvitie,
la même moue caractéristique, celle d’une bou-
che aux lèvres serrées, les mêmes joues creusées
aux plis naso-labiaux « en parenthèses ».
C’est qu’ils tendent à exprimer des va-
leurs communes plus encore que des
traits individuels : celles d’une socié
on n’accédait aux plus hautes char-
ges qu’à un âge avancé et la gravitas
était considérée comme l’une des vertus auxquel-
les Rome devait sa grandeur.
Contrairement à ce qui a été armé, l’avis des
spécialistes des portraits antiques est loin d’être
unanime : l’un des plus reconnus d’entre eux, Paul
Zanker, a vigoureusement mis en cause l’identifi-
cation proposée. La découverte n’en est pas moins
passionnante, car elle témoigne de la précocité et
du très haut niveau de romanisation de la Gaule
méridionale.
Qu’il ait été un magistrat romain provisoire-
ment en charge en Narbonnaise ou l’un des nota-
bles locaux de la nouvelle colonie dArles, le per-
sonnage dont nous avons conservé les traits ne
peut, dans l’état actuel des connaissances, que de-
meurer anonyme. Quoi qu’il en soit, il se serait cer-
tainement réjoui d’être « confondu » avec César car
telle était précisément son intention.
Emmanuelle Rosso
Il existe deux
types de portraits
assus de César :
le buste de Turin,
alisé du vivant
du dictateur ; et
celui de
Chiaramonti,
crée aubut du
gne d’Auguste,
qui psente la
me
physionomie
mais avec des
traits rajeunis.
Or, on ne
retrouve sur le
buste dArles ni le
nez droit, ni le
sourireger, ni
me la frange
de cheveux
horizontale
caractéristiques
de ces portraits
ociels.
L’avis des
scialistes
est loin d’être
unanime
CRÉDIT
    ’
Université de Provenve École française
de Rome
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