’actualitéarchéologie Le buste retrouvé dans le Rhône, à Arles, est-il bien celui de César ? P Notes 1. Entre septembre et octobre 2007, plus d’une centaine de pièces dont une statue en marbre de Neptune du iiie siècle, ont été retrouvées dans le Rhône à Arles. Cf. L’Histoire n° 334, septembre 2008, p. 18. 2. Ce sont des copies réalisées mécaniquement dans des officines de sculpteurs à partir d’un original aujourd’hui perdu. armi les exceptionnelles sculptures antiques sorties des eaux du Rhône en 20071, une pièce a suscité un engouement tout particulier : le portrait en marbre blanc pratiquement intact d’un homme d’âge mûr, immédiatement identifié comme Jules César. Effectivement, le portrait est stylistiquement datable de la fin du ier siècle av. J.-C. et la colonie romaine d’Arelate (Arles) fut fondée en 46 av. J.-C. par le conquérant des Gaules. Mais en l’absence de dédicace qui accompagne le buste, comment dépasser le stade de l’hypothèse ou de l’intuition ? L’étude des portraits officiels romains s’est de longue date constituée en une discipline scientifique fondée sur une méthode rigoureuse : les identifications sont établies à partir d’une confrontation de l’ensemble des sources disponibles, au premier rang desquelles figurent les monnaies, seuls supports associant un portrait, une légende et une titulature. Leur étude n’est toutefois pas suffisante : il faut ensuite les comparer avec des portraits sculptés présentant les mêmes caractéristiques physionomiques et typologiques. Or, il existe des séries de portraits identiques entre eux, appelées « répliques », qui en reproduisent fidèlement les traits et la coiffure2. Seule la vérification de cette correspondance permet de fonder les identifications sur des bases assurées : dans le cadre d’une image fixée et diffusée sous l’étroit contrôle du pouvoir central, les portraits des dirigeants puis des empereurs romains ne sauraient être conçus comme des créations artistiques libres. Qu’en est-il pour César ? Les premiers portraits du dictateur ne sont pas antérieurs à 44 av. J.-C., année de sa mort : ils figurent un homme à la calvitie prononcée, au visage émacié et au long cou ridé, mais l’image est loin d’être unitaire. Les suivants, posthumes, sont pour la plupart largement postérieurs à sa divinisation, votée en 42 av. J.-C. : c’est Octave, le futur empereur Auguste qui, se réclamant de l’héritage de son père adoptif, diffusa massivement une nouvelle image à tonalité dynastique de César divinisé. L’effigie sculptée la plus proche des monnaies frappées du vivant de César, et donc la plus an- Crédit Le nez de César le buste de turin cienne, est conservée à Turin. Or, contrairement à ce qui a été affirmé, la comparaison entre la tête de Turin et celle du Rhône n’est en rien concluante. Toutes les répliques du « type Turin » présentent un visage long, des joues creusées, des pommettes hautes et saillantes, des yeux au globe oculaire légèrement proéminent, un nez droit, alors que le buste d’Arles a un visage plus large, des joues aplaties, des yeux rapprochés et enfoncés, un nez busqué. Seules les tempes dégarnies et une touffe de cheveux située dans l’axe du visage correspondent au dessin caractéristique de la chevelure de César ; une particularité fréquente sur les portraits de la période. Un second type iconographique, appelé « PiseChiaramonti » du nom des deux principaux exemplaires connus présente la même physionomie avec des traits rajeunis et une chevelure plus abondante. Il s’agit d’une image normalisée et idéalisée du dictateur, plus politique que « ressemblante », créée dans les premières années du principat d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.). Le buste d’Arles n’est pas davantage une réplique de ce second type. On n’y retrouve ni la caractéristique frange de cheveux horizontale, ni l’un des traits le plus constant de l’iconographie de César : un léger sourire, parfois qualifié d’ironique. Pour justifier les indéniables différences qui séparent le portrait du Rhône des portraits assurés du dictateur et du « divin Jules », plusieurs arguments ont été avancés : il s’agirait d’une image de César « inédite » parce que précoce, inhabituelle parce qu’authentique, la seule effigie vraiment réaliste de César attestée à ce jour ; même à Rome, nous dit-on, on ne possède aucune effigie aussi ancienne du dictateur. Se pose dès lors un simple problème de logique : bien évidemment, il nous est à jamais interdit de mesurer la ressemblance d’un portrait antique L’ H i s t o i r e N ° 3 4 2 M a i 2 0 0 9 20 Crédit Crédit le buste de chiaramonti le buste d’arles à son modèle ; seul le degré de réalisme est appré- figies des hommes politiques les plus éminents deciable. Mais comment reconnaître ce que l’on ne viennent rapidement des modèles pour les ateliers connaît pas ? Si le portrait est réellement contem- de sculpteurs, mais surtout pour les magistrats roporain de la fondation d’Arles, il est antérieur aux mains et les notables locaux qui en adoptent les copremières effigies monétaires de César et sort donc des de représentation, l’allure générale et jusqu’à la de facto du champ de notre connaissance. physionomie. Dans un second temps, les techniques dites Ce phénomène de mimétisme, bien connu des « médico-légales » ont été convoquées dans l’espoir spécialistes allemands sous le nom de « visage de conforter cette hypothèse. Le portrait d’Arles et d’époque » (Zeitgesicht), est particulièrement coula tête de Turin ont été scannés en trois dimensions rant à la fin de la République : une longue série pour faciliter les comparaisons et repérer des ca- de visages anonymes présentent la même calvitie, ractéristiques somatiques propres à César : notam- la même moue caractéristique, celle d’une boument une déformation du crâne, à la fois allongé che aux lèvres serrées, les mêmes joues creusées et anormalement arrondi à l’arrière paraux plis naso-labiaux « en parenthèses ». L’avis des faitement visible sur les monnaies ; une C’est qu’ils tendent à exprimer des vaspécialistes leurs communes plus encore que des asymétrie dans la structure de la boîte crânienne, plus large à droite, associée à est loin d’être traits individuels : celles d’une société la présence d’une « selle crânienne », les où on n’accédait aux plus hautes charunanime tempes étant en outre enfoncées. ges qu’à un âge avancé et où la gravitas Or, si ces déformations ont effectivement été était considérée comme l’une des vertus auxquelretenues par les concepteurs du portrait antique les Rome devait sa grandeur. comme des signes distinctifs permettant de reconContrairement à ce qui a été affirmé, l’avis des naître à coup sûr le personnage, elles devraient spécialistes des portraits antiques est loin d’être être repérables à l’œil nu. Dans le cas du portrait unanime : l’un des plus reconnus d’entre eux, Paul d’Arles, non seulement ces dissymétries ne sont pas Zanker, a vigoureusement mis en cause l’identififrappantes mais la disparition de la moitié arrière cation proposée. La découverte n’en est pas moins du crâne empêche toute évaluation d’un trait phy- passionnante, car elle témoigne de la précocité et sionomique essentiel. du très haut niveau de romanisation de la Gaule Ces tentatives ne convainquent pas véritable- méridionale. ment, parce qu’elles se fondent sur un postulat disQu’il ait été un magistrat romain provisoirecutable : un portrait antique, même quand il pré- ment en charge en Narbonnaise ou l’un des notasente d’évidents traits de réalisme, ne saurait être bles locaux de la nouvelle colonie d’Arles, le perconsidéré comme une photographie ou un mou- sonnage dont nous avons conservé les traits ne lage du crâne de l’intéressé. Il relève bien plutôt de peut, dans l’état actuel des connaissances, que deformules artistiques destinées à rendre le portrait meurer anonyme. Quoi qu’il en soit, il se serait cer« artificiellement réaliste », en quelque sorte. tainement réjoui d’être « confondu » avec César car Comment donc expliquer l’indiscutable « air telle était précisément son intention. de famille » qui lie le personnage d’Arles aux portraits de César ? Diffusées à grande échelle, les efEmmanuelle Rosso L’ H i s t o i r e N ° 3 4 2 M a i 2 0 0 9 21 Il existe deux types de portraits assurés de César : le buste de Turin, réalisé du vivant du dictateur ; et celui de Chiaramonti, crée au début du règne d’Auguste, qui présente la même physionomie mais avec des traits rajeunis. Or, on ne retrouve sur le buste d’Arles ni le nez droit, ni le sourire léger, ni même la frange de cheveux horizontale caractéristiques de ces portraits officiels. Université de Provenve École française de Rome