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CHAPITRE UN
QU’EST-CE QUE L’ESPRIT ?
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Les deux approches : psychologique et épistémologique 2
1- L’origine de l’Abhidharma
2- Le contenu de l’Abhidharma
3- Le Pramanavarttika concerne l’épistémologie
4- Le Lo-rig : voie d’entrée dans les textes fondamentaux
Ce qu’est l’esprit et pourquoi il est important de l’étudier 5
1- Définition de l’esprit
2- Les deux raisons d’étudier l’esprit 7
a) Connaître la nature de notre esprit
b) Guérir notre esprit 8
3- La relation entre l’esprit et la matière 9
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CHAPITRE UN
QU’EST-CE QUE L’ESPRIT ?
Les deux approches : psychologique et épistémologique
Ce module est une introduction à la psychologie et à l’épistémologie bouddhiques, d’après deux textes
bouddhiques : l’Abhidharma et le Pramana. Je pense qu’il est important de considérer l’origine de ces
deux textes et de voir comment les érudits et les pratiquants les ont par la suite utilisés, dans le but de
développer les deux différentes approches visant à comprendre l’esprit : l’approche psychologique et
l’approche épistémologique.
De nombreux commentaires ont été écrits à partir de ces deux textes, notamment l’Abhidharmakosha et
le Pramanavarttika, qui sont ce que nous étudions dans les monastères. En plus de ces textes
appartenant aux soutras, il existe de nombreux textes tantriques qui approfondissent encore davantage
le sujet de l’esprit. Ils sont très importants mais également très complexes à étudier.
Bien que les deux textes ( l’Abhidharma et le Pramanavarttika) traitent tous deux de l’esprit, de sa
nature, de ses fonctions, et de la façon dont cela nous affecte dans notre vie quotidienne, leur approche
diffère légèrement. L’Abhidharmakosha aborde l’esprit du point de vue psychologique. Il identifie les
différents types de conscience qui se produisent dans notre vie quotidienne, en tenant compte du cadre
et des circonstances particulières qui les entourent, et considère en conséquence les effets qui sont
produits. Quant au Pramanavarttika, il décrit l’esprit d’un point de vue épistémologique : l’examinant en
termes de processus à travers lesquels il passe, en particulier comment il passe de l’ignorance à la
sagesse et des conceptualisations aux perceptions. ‘Conception’, dans ce contexte, signifie ‘la
conscience qui connaît ou qui appréhende les objets à travers des images mentales’, et la ‘perception’
est la ‘conscience qui appréhende les objets directement, sans aucune construction conceptuelle’.
Je n’ai pas beaucoup étudié la psychologie ni l’épistémologie occidentales mais, à travers mes lectures,
j’ai compris qu’il existe un profond désaccord relatif au fait de savoir si ces deux champs sont
susceptibles ou non d’œuvrer ensemble. Certains psychologues disent que c’est possible, alors que
d’autres disent le contraire, car étant deux disciplines différentes. Dans le bouddhisme, de telles
contradictions ou conflits n’ont pas lieu d’être.
1- L’origine de l’Abhidharma
L’ensemble des paroles du Bouddha est divisé en trois « corbeilles », appelées le Tripitaka. Avant que
l’Abhidharma Pitaka1 ne soit composé, environ trois cents ans après la mort du Bouddha, il existait déjà
des textes bouddhiques référencés comme le Vinaya Pitaka et le Soutra Pitaka.
Bien que les enseignements donnés dans chacune des Trois Corbeilles ne soient pas sans lien les uns
avec les autres, chacun met l’accent sur un point particulier. Les enseignements du Bouddha qui
portent sur les vœux monastiques et laïques, ou sur la façon d’administrer les monastères, sont
répertoriés dans le Vinaya Pitaka. Ceux dont l’accent est mis sur la façon de développer la
concentration (l’esprit concentré en un point) relèvent du Soutra Pitaka. La troisième Corbeille :
l’Abhidharma Pitaka, consiste essentiellement en comment développer la sagesse. Si nous ignorons
comment notre esprit fonctionne, comment pouvons-nous développer la sagesse et acquérir une
meilleure compréhension de la réalité ?
Dans la version tibétaine actuelle, dont il est dit qu’elle a été enseignée par le Bouddha, nous
possédons cent dix volumes, divisés en trois catégories selon leur sujet. Bien que je n’ai pas étudié les
1- Il existe quatre versions de l’Abhidharma : la version Théravada en 7 volumes ; la version Sarvastivada
également en 7 volumes mais complètement différente de la précédente ; une œuvre appelée leShariputra-
Abhidharma-soutra ; une exposition tardive du système Sarvastivada de l’Abhidharma qui sont
l’Abhidharmakosa de Vasoubandhou et l’Abhidharmasamuccaya d’Asanga qui continuent d’être étudié par les
bouddhistes tibétains.
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textes Pali de l’Abhidharma dans la mesure il n’en existe aucune version En tibétain il semble
qu’il y a en Pali sept textes fondamentaux de l’Abhidharma qui sont d’origine en ce sens qu’ils datent
du concile qui s’est tenu deux cents ans après la mort du Bouddha.
Certains érudits et méditants du Sri Lanka et de Thaïlande sont allés en Inde où ils ont traduit les textes
en Pali pour les ramener ensuite dans leur pays respectif. Plus tard, l’entière compilation des textes
indiens fut complètement détruite, c’est pourquoi nous nous appuyons sur ces textes Sri Lankais et
Thaïs.
Dans la tradition tibétaine (pas seulement celle des Guélougpa), nous étudions principalement le texte
de l’Abhidharma appelé l’Abhidharmakosha, compopar Vasoubandhou, un pandit indien qui vécut
aux 5ème ou 6ème siècle. Un autre texte est également étudié, composé par le frère spirituel de
Vasoubandhou, Asanga, qui s’appelle l’Abhidharmasamucchaya, ainsi que des commentaires variés.
2- Le contenu de l’Abhidharma
Le sujet des textes de l’Abhidharma que nous étudions dans les monastères tibétains concerne surtout
l’étude psychologique de l’esprit. Lorsque notre esprit est en activité, quels types de choses se
produisent en lui ? Lorsque certains états d’esprit apparaissent dans notre continuum mental, quels
types de comportements se produisent à l’extérieur, s’exprimant par la parole et le corps ? Certains
états d’esprit font que nous nous sentons paisible, calme et sage ; certains autres font que nous nous
sentons agités ou moroses. Donc, en examinant les états d’esprit que nous avons, nous les classons en
termes d’états d’esprit sages et d’états d’esprit perturbés.
La grosse différence que je vois entre la psychologie bouddhique et la psychologie occidentale réside
dans le but. Dans la psychologie bouddhique, le but majeur des textes consiste à chercher puis à traiter
la cause racine de notre souffrance, alors qu’il me semble que pour la psychologie occidentale, le but
est le plus souvent de guérir les symptômes et le déséquilibre immédiat.
Les huit chapitres de l’Abhidharmakosha de Vasoubandhou sont presque complètement consacrés à
l’esprit et ses fonctions, aux types de consciences que nous pouvons avoir et à combien peuvent
apparaître simultanément en un même instant. Il considère la manière dont nous pouvons développer
des consciences analytiques afin d’analyser l’esprit lui-même, plutôt que de voir seulement comment le
comportement et l’environnement ont un effet sur notre esprit.
Vous souvenez-vous des Quatre Sceaux que nous avons vu lors du module précédant consacré aux
Deux Vérités ? (tous les phénomènes composés sont impermanents ; tous les phénomènes contaminés
sont souffrance par nature ; tous les phénomènes sont vides d’existence propre ; le nirvana est la paix
véritable.) Il est très important de garder cela à l’esprit alors que l’on discute de l’esprit. Il ne s’agit pas
seulement d’une récitation ou d’un mantra – le sens de ces quatre affirmations doit être expérimenté.
Pour parvenir à la compréhension juste des quatre sceaux, samatha (ou calme mental) ne suffit pas,
nous devons le combiner avec l’esprit analytique. C’est la méthode décrite dans l’Abhidharma.
3- Le Pramanavarttika concerne l’épistémologie
Le texte du Pramana auquel nous nous référons principalement pour l’étude de l’épistémologie (ou
théorie bouddhique de l’esprit), est le Pramanavarttika. Vécurent deux brillants logiciens bouddhistes et
grands pratiquants, nommés Dignaga (480-540ap. J.C.) et Dharmakirti (600-660ap J.C.), dont le travail
constitue la base de l’épistémologie bouddhique et des théories de la logique que nous étudions.
Il semble qu’au temps du Bouddha et juste après, l’activité majeure des érudits bouddhistes fut
simplement d’établir le bouddhisme. Débattre avec ceux détenant d’autres croyances est venu plus
tard. Cependant, après deux cents ou trois cents ans, une fois que le bouddhisme fut bien établi en
Inde, ils commencèrent à affiner la pensée bouddhique et son approche, ainsi qu’à défendre et
expliquer leurs théories d’une manière précise et logique. Le style des enseignements se fonda
davantage sur la logique et le raisonnement et ces deux grands maîtres, Dignaga et Dharmakirti, mirent
l’accent sur la logique et la théorie de l’esprit.
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Le texte principal que nous utilisons pour étudier l’épistémologie et la logique dans les monastères est
le Pramanavarttika, composé par Dharmakirti. C’est un commentaire du texte de son maître Dignaga, le
Pramanasamucchaya qui traite de la logique et de la théorie de l’esprit. A l’origine, le texte de Dignaga
(qui est une compilation de nombreux courts extraits) parle de ce qu’est un esprit valide ou cognition et
de ce que nous pouvons faire pour avoir un esprit vraiment valide, c’est-à-dire libre des perturbations et
de la confusion.
Parce que nous sommes incapables de comprendre les phénomènes très dissimulés en employant la
logique, nous pouvons seulement en venir à les connaître grâce à la confiance en les paroles de
quelqu’un tel que le Bouddha. Donc, Dignaga discute également du fait de savoir si le Bouddha
historique est une personne et un enseignant valable et digne de confiance. Pour ce faire, nous devons
comprendre ses qualités intérieures plutôt que voir les apparences extérieures. C’est donc sur ces
aspects intérieurs de l’esprit du Bouddha que Dignaga a écrit.
Dharmakirti a écrit un commentaire du texte de son maître mais l’approche est assez différente du texte
de référence et il soulève des points que son prédécesseur n’a pas abordés. Il comporte quatre
chapitres entièrement versifiés.
Le premier chapitre traite des bienfaits de la logique, montrant comment elle accroît notre
compréhension de la réalité et sa capacité de transformer l’esprit conceptuel en un esprit de perception,
libre de toutes perturbations. Il dit également combien le Bouddha historique est fiable et digne de
confiance et argumente ce point en toute logique, en se fondant sur la réalisation du Bouddha des
Quatre Nobles Vérités. Il est largement reconnu comme étant le premier à avoir fait cela, et c’est un
sujet d’étude très important.
Son deuxième chapitre comporte environ deux cents versets dont la première partie explique
rationnellement comment quelqu’un peut développer la grande compassion. Cela peut prendre de
nombreuses vies, et c’est pourquoi une partie du chapitre traite également de la continuité de l’esprit de
vie en vie. La deuxième partie du deuxième chapitre emploie la logique pour traiter la manière dont les
Quatre Nobles Vérités fonctionnent et affectent nos vies quotidiennes, en particulier la Vérité du
Chemin, montrant comment notre esprit peut s’améliorer et se développer.
Les troisième et quatrième chapitres décrivent comment, pour le bien des autres, nous pouvons leur
expliquer logiquement les Quatre Nobles Vérités, de sorte qu’ils puissent dissiper leur ignorance et leurs
erreurs.
4- Le Lo-rig : voie d’entrée dans les textes fondamentaux
Deux des livres dont la lecture est recommandée, Connaître l’esprit et Mind and its functions, sont des
textes de Lo-rig. Ce qui se passe normalement dans le bouddhisme tibétain est qu’avant de commencer
des textes importants, tels que le Pramanavarttika ou l’Abhidharmakosha, les maîtres tibétains
composent un texte préliminaire, appelé texte d‘entrée ou d’introduction. Dans ce cas il s’agit du Lo-rig,
esprit (lo) et connaissance (rig), qui condense et catégorise toutes les choses au sein de textes les plus
compliqués qui soient à mémoriser pour les moines et les nonnes dans les monastères. Donc, le
Pramanavarttika et l’Abhidharmakosha constituent les sources principales pour l’étude de la
psychologie et de l’épistémologie bouddhique tibétaine, alors que Lo-rig est le texte que nous étudions
en guise d’introduction à ces textes.
Selon le bouddhisme, la psychologie et l’épistémologie doivent aller de pair et leur étude est
inséparable. La psychologie, en général, s’intéresse surtout à notre monde empirique, le monde
intérieur dont nous faisons l’expérience, plutôt qu’à la manière dont ce monde intérieur vient à exister.
Par cette expérience, une certaine analyse ou investigation peut être effectuée. Sans une
compréhension du monde dans lequel nous agissons et communiquons, il n’est pas possible de pouvoir
comprendre, par exemple, la première Noble Vérité : la Vérité de la souffrance. Or, comme nous l’avons
vu, il s’agit du point de départ.
L’épistémologie est la théorie de l’esprit et de la connaissance et son principal centre d’intérêt est de
savoir comment cette connaissance est apparue et comment nous pouvons la velopper. En d’autres
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termes, elle considère ce qu’il y a derrière ce monde dont nous faisons l’expérience à travers nos sens
et de quelle manière nous pouvons le comprendre. Notre expérience quotidienne seule ne nous
conduira pas là. L’approche épistémologique va au delà de l’expérience, jusqu’à une compréhension de
la manière dont la connaissance ou sagesse se produit.
Guéshé Rabten, dans Mind and its functions dit que la compréhension épistémologique de l’esprit ne
devrait pas être séparée de l’aspect psychologique de l’esprit. Si notre étude de l’esprit était purement
théorique, il y aurait un risque que cela demeure un exercice intellectuel et que cela ne nous profite
jamais vraiment.
Traditionnellement, dans les textes tibétains du Lo-rig le côté épistémologique vient en premier et le
côté psychologique après. De plus, il est assez bref, énumérant simplement les différentes catégories.
Cependant, j’ai pensé qu’il serait mieux pour nous de discuter de l’esprit en considérant d’abord l’aspect
psychologique avant de voir l’aspect épistémologique.
Au monastère, on étudie l’esprit et les facteurs mentaux en trois temps différents. Lorsque j’étais là-bas,
nous, les jeunes moines entrions en classe de débat sur ce sujet lors de la troisième année, étudiant le
Lo-rig. Chaque collège possédait son propre commentaire. Pendant les trois ou quatre mois passés à
étudier ce sujet, ce que nous essayions principalement de faire était de mémoriser toutes les définitions
et les divisions, telles que celle des 51 facteurs mentaux. Comme nous étions encore très jeunes, nous
n’avions pas la faculté de faire l’expérience de ces différents types de perceptions. C’est pourquoi nous
ne faisions que les mémoriser, puis nous débattions un peu de choses très simples.
En un deuxième temps, nous étudiions l’esprit et les facteurs mentaux par le biais de l’Abhidharma, en
nous référant à l’Abhidharmasamuccaya d’Asanga ainsi qu’à l’Abhidharmakosha de Vasoubandhou, qui
entrent davantage dans les détails et dans la profondeur que le Lo-rig. Dans la mesure ces deux
textes, ainsi que leurs commentaires, discutent d’une manière extensive de chaque perception et de
chaque facteur mental, ils sont étudiés beaucoup plus tard certains monastères les laissent même de
côté jusqu’à quelques années seulement avant l’examen de guéshé.
Enfin, en troisième lieu, nous étudiions l’esprit et ses fonctions davantage d’un point de vue
épistémologique, en nous appuyant sur le Pramanasamuccaya de Dignaga, sur le Pramanavarttika de
Dharmakirti, et sur leurs nombreux commentaires. Ils sont l’objet de notre étude pendant deux mois
chaque année, depuis le moment nous commençons sérieusement le programme d’études jusqu’à
notre diplôme de guéshé, passant un mois dans notre propre monastère et nous rassemblant le mois
suivant avec les deux autres monastères pour étudier et débattre.
Ce qu’est l’esprit et pourquoi il est important de l’étudier
1- Définition de l’esprit
« En général, on peut définir l’esprit comme une entité qui est par nature pure expérience,
c’est-à-dire ‘clarté et connaissance’. C’est la nature connaissante, l’action de connaître, qui est
appelée esprit : ceci n’est pas matériel. Mais ce qu’on entend par esprit comprend aussi des
niveaux grossiers, comme nos perceptions sensorielles…
Selon la science de l’esprit bouddhiste, ces phénomènes cognitifs sont connaissance par
nature, en raison de leur clarté fondamentale et innée qui sous-tend tous les phénomènes
(mentaux) cognitifs. Telle estla nature fondamentale de l’esprit, la nature de claire lumière
de l’esprit. »
Extrait de Esprit-science de Sa Sainteté le Dalaï Lama (p.36).
Nous devons garder à l’esprit que, dans le bouddhisme, l’explication de la nature de l’esprit va changer
d’une école à l’autre.
L’Abhidharma et le Pramana appartiennent tous deux aux trois écoles inférieures, celles des
Vaibashika, des Sautrantika et des Cittamatra. Ce sont les écoles à partir desquelles Vasoubandhou,
Asanga et Dharmakirti ont fondé leurs explications de la vacuité. Par exemple, le point de vue d’Asanga
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