Julien Bourlon : 2009-03-07

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L’Inde, la fierté et la démocratie (Julien Bourlon : 2009-03-07)
Six mois après son retour à San Francisco, Marc décida de partir en Inde. Les trois semaines de congé annuel
inscrites dans son contrat de travail ne lui permettaient pas de partir en vacances mais il trouva un accord avec sa
hiérarchie qui voulait absolument le garder. Les projets qu’il dirigeait, étaient toujours des succès, il n’y avait jamais
de décalage de planning et ses équipes travaillaient dans la bonne humeur.
A San Francisco, Marc continuait sa vie instable et partageait son temps avec plusieurs filles sans qu’aucune n’ait un
statut d’officiel. Toutefois il sortait moins et s’était remis à lire des livres d’économie, de science et d’histoire. Après sa
relative déchéance, il reprenait goût à l’effort et cherchait de nouveau à s’accomplir.
Avant son départ en Inde, Marc était excité par ce pays, berceau de plusieurs religions et du kamasoutra. S’il
s’imaginait les indiennes dans leur sari soyeux et coloré, ses préoccupations étaient également terre à terre car il
voulait voir comment ce pays réussissait son décollage économique notamment en informatique.
Marc partit seul en Inde où il arriva à Delhi à deux heures du matin. Il fut tout de suite dans l’ambiance car l’hôtel où il
avait payé sa nuitée avait reloué sa chambre et de toute façon son chauffeur de taxi prétendit ne pas savoir y aller.
C’était possible car la ville avait plus de 12 millions d’habitants et les noms des rues n’étaient que rarement indiqués.
Si ces 40 dollars perdus n’étaient pas un drame, Marc comprit rapidement à quel point, il était vu comme un
distributeur dont il fallait soutirer le maximum d’argent. Tant pis pour lui s‘il revenait insolvable car les indiens se
fichaient éperdument de lui en tant qu’être humain mais vénéraient son porte monnaie.
Comme un fait exprès, tous les hôtels où son chauffeur de taxi l’emmenait, étaient pleins ou à des prix incroyables.
Après une heure, le chauffeur l’arrêta devant une agence de voyage qui lui proposa un package comprenant un trek
dans l’Himalaya puis une visite du Rajasthan dans une voiture privée, le tout pour quatre mille dollars. Il était quatre
heures du matin et Marc ne pouvait pas dormir dehors. Aux Etats Unis, il l’aurait fait mais ici une foule de miséreux
dormaient sous les ponts, dans les parcs, sur les trottoirs... Impossible donc de trouver un endroit pour dormir, le
piège se refermait sur lui. Il négocia et divisa le prix par deux. Comme par magie, le chauffeur de taxi l’attendait
dehors et l’emmena dans un hôtel où une chambre était libre. A son sourire, Marc comprit qu’il allait toucher une
bonne commission.
Les trois semaines en Inde furent le pire voyage de Marc. Bien sûr il réussit à avoir quelques discussions
intéressantes sur l’hindouisme, le problème du Cachemire, la corruption, les Sikhs mais il ne supportait plus ce
peuple sans fierté qui demandait l’aumône et l’insultait quand il refusait la charité. Il n’aimait pas ce peuple qui
semblait résigné dans sa misère, voleur et sans goût pour l’effort. Un fait résumait bien la pensée de Marc. Un
milliard d’habitants pour trois médailles aux jeux Olympiques ! Les indiens ne pouvaient pas faire mieux car une
victoire aux jeux demande courage et abnégation, qualités que Marc ne détectait que trop rarement dans cette
population grouillante, colorée et dont le dollar semblait la seule finitude. On était très loin du peuple spirituel qui fait
rêver les européens !
Marc ne pouvait s’arrêter sur un jugement aussi négatif. Il avait besoin de comprendre car le physique de ces gens à
l’exception de la couleur de peau était identique à celui des européens. Il savait que les indiens et les hommes
blancs appartenaient au peuple des Indo-Européens. Seules l’histoire et la culture pouvaient expliquer ce manque de
fierté et il ne servait à rien de trouver des raisons génétiques.
En lisant le guide de l’Inde, Marc s’aperçut que ce pays, berceau de l’hindouisme et du bouddhisme, s’était arrêté
d’être une grande civilisation 2500 ans auparavant. Bouddha qui créa le bouddhisme pour rompre avec l’hindouisme,
fut le dernier indien à faire une grande découverte pour l’humanité. Si la Chine avait apporté de nombreux progrès
comme la poudre à canon ou le papier, on ne pouvait pas en dire autant des indiens. Certes, ils avaient construit le
Taj Mahal qui est un sommet de l’architecture mondiale mais celui-ci fut commandité par l’envahisseur Moghol venu
d’Asie Centrale. Pourquoi l’Inde dont la population a toujours était très nombreuse n’avait-elle pas su apporter plus à
l’humanité ?
L’histoire du pays montre qu’elle fut une mosaïque de petits états qui se firent la guerre pendant des centaines
d’années à l’exception de quelques décennies comme sous l’empereur Ashoka. L’empire Moghol à partir du seizième
siècle réussit à unifier le nord de l’Inde avant qu’au dix neuvième siècle, le sous continent indien soit unifié grâce à
une puissance extérieure. Les anglais n’étaient pas assez nombreux pour contrôler le pays mais ils étaient
pragmatiques. Il leur suffit de financer les cupides Maradhja pour diriger le sous continent indien qui incluait à cette
époque, l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh. Ces seigneurs locaux étaient bien contents que les anglais
maintiennent l’ordre pour eux car ils vivaient dans l’opulence de leur magnifiques palais construits par les milliers de
miséreux. En 1947 Gandhi redora un peu le blason de ce peuple en obtenant avec courage l’indépendance de l’Inde
qui éclata en deux pays. Les musulmans migrèrent vers ce qui allait devenir le Pakistan et le Bangladesh pendant
que les hindous s’installèrent en Inde. Ces migrations gigantesques firent des millions de mort et la scission du pays
entraîna le problème du Cachemire. Cette région musulmane aurait dû être rattachée au Pakistan mais son Maradhja
hindou préféra, après une longue tergiversation, la rattacher à l’Inde qui envahit aussitôt la province. Ainsi était né ce
conflit qui oppose depuis 60 ans le Pakistan à l’Inde. 800 000 soldats indiens qui contrôlent douze millions de
musulmans qui aspirent à la paix. Marc fut frappé par les barrages militaires et par les histoires des musulmans
racontant certains débordements des soldats indiens. Mais dans ce pays où Marc fut sans arrêt confronté au
mensonge, il ne sut jamais faire la part entre le vrai et le faux.
L’histoire de l’Inde n’expliquait pas de manière satisfaisante pourquoi ce pays n’apportait plus grand-chose à
l’humanité car comme elle, l’Europe était une mosaïque de petits états qui se faisaient continuellement la guerre.
Cependant l’Europe avait permis au monde de connaître la démocratie, la révolution industrielle et beaucoup d’autres
progrès. En parlant avec les indous, Marc trouva une autre solution à son problème sur la marginalisation de l’Inde
dans l’histoire du monde. L’indouisme est une religion de la résignation faite pour justifier tous les malheurs en les
acceptants avec soumission. La réincarnation semble a première vue une bonne idée pour concurrencer le paradis
des religions monothéistes pourtant les indiens en ont fait une justification incroyable des inégalités. Une personne
naît pauvre non pas parce qu’elle n’a pas eu de chance mais car ses actions dans sa vie antérieure ont été
mauvaises. Sa pauvreté actuelle est le purgatoire de sa vie antérieure. En acceptant sa vie de miséreux, il se donne
une chance d’avoir une vie meilleure lors de sa prochaine réincarnation ! Avec une telle philosophie de la vie, les
indiens acceptent leur malheur sans broncher ce qui ne favorise pas l’innovation et la créativité !
Marc resta huit jours au Cachemire pendant lesquels il fut volé par son hôte pourtant grassement payé mais son
meilleur souvenir reste son trek dans les montagnes où il vécut quatre jours avec une famille sans eau courante et
dont le raccord à l’électricité ne servait qu’à alimenter un poste de radio. Jours intéressants car le jeune français
remonta le temps en étant confronté à un mode de vie vieux de mille ans. Son guide pour le trek avait vingt et un
ans, trois enfants et était marié depuis qu’il avait seize ans. Il savait tout faire puisqu’il aidait son père à agrandir la
maison, à ramasser le maïs, à tailler des jouets en bois pour son fils, à préparer à manger… Il connaissait tous les
gens de son village où l’ambiance semblait bonne. Marc profita des longues marches qu’il fit avec le guide pour en
savoir plus sur son mode de vie. Celui-ci lui raconta qu’il y avait une grande fête annuelle au village. Les mois
précédents ce moment, les parents arrangeaient les mariages de leurs enfants âgés de quinze à dix-huit ans pour
s’assurer qu’ils danseraient ensemble et se marieraient. Quand on n’a jamais connu un homme ou une femme, la
première fois est toujours excitante et ce, même quand le partenaire est repoussant ! Ainsi, les couples se formaient
pour la vie puisque ces gens très pieux ne divorçaient pas. La fille allait habiter dans la maison de son époux où elle
devenait une bonne au service de sa belle mère qu’elle choyait. Dans la famille où Marc vécut, les femmes étaient
écoutées et respectées mais elles ne parlaient pas anglais et le jeune français ne put pas vraiment échanger avec
elles. Marc trouvait cette vie toute tracée assez inintéressante même si ces personnes semblaient heureuses de leur
sort. Quand il leur expliqua la vie occidentale où les gens ont plusieurs relations avant de se marier, peuvent faire la
fête tous les jours, vivent sans leurs parents, divorcent pour la moitié d’entre eux… il les intéressa et ils lui posèrent
mille questions. Marc leur demanda ensuite ce qu’il pensait de ce mode de vie et ils grimacèrent. Pour eux c’était aux
antipodes de leur conviction musulmane et ils ne pouvaient pas adhérer à cette vie de dépravé. Marc ne cherchait
pas à les convaincre mais il leur fit remarquer que cette « vie malsaine » avait permis à l’occident d’inventer le
téléphone portable et la radio, choses dont ils raffolaient. Certes mais c’était trop peu et cela n’allait pas sauver les
occidentaux de leur vie vécue dans le péché. Conversation sans fin, Marc préféra l’arrêter mais il regrettait que ces
gens aient reçu une éducation aussi dogmatique qui les empêchait aujourd’hui d’être de libres penseurs.
Après le Cachemire, Delhi donna une image de l’Inde plus dynamique. Les routes étaient en construction, les
personnes croisées par Marc faisaient un travail intéressant et un sikh se proposa même de l’aider à déambuler dans
la ville après une longue conversation pendant laquelle le français apprit l’origine de cette religion récente datant du
seizième siècle. L’Inde n’était pas seulement un pays de miséreux résignés ou de voleurs mais aussi un sous
continent en pleine effervescence.
Cette vision plus positive ne soulageait pas vraiment Marc car vus d’avion, les sols indiens s’érodaient très vite.
Comment allait-on nourrir la population qui croissait rapidement ? Le rythme était un doublement tous les cinquante
ans et les femmes continuaient d’avoir énormément d’enfants très jeunes. Cette jeunesse en surnombre expliquait
d’ailleurs le sentiment négatif de Marc vis-à-vis du peuple Indien. Il se rappelait le livre « Freakeconomics » dont le
titre faisait référence à une nouvelle discipline de l’économie qui avait mis notamment en évidence que la baisse de
la criminalité aux Etats Unis au milieu des années 1990 était due aux lois sur l’avortement votées en 1973. Ces lois
avaient évité la naissance de criminels en puissance car on sait depuis longtemps que les enfants non-désirés
évoluant dans un milieu pauvre ont plus de chance de finir criminels que les autres. L’Inde pullulait d’enfants pauvres,
sans éducation et Marc avait vu le comportement des mères de vingt ans qui avec trois enfants, sont complètement
dépassées par les événements. Leurs enfants ne deviendraient pas tous criminels mais assurément ils n’avaient pas
reçu les cartes qui leur permettraient de réussir dans la vie.
Pour Marc, l’Inde démocratique était une bombe car son peuple ne savait pas se gérer. Par exemple, que faisaient
les dirigeants élus démocratiquement pour réduire le nombre de naissances ? Problème épineux en Inde où la
croissance économique de cinq pourcents par an est presque entièrement diluée par une croissance annuelle de la
population de trois pourcents et comme l’annonce l’état des sols, ce peuple déjà en surpopulation ne pourra bientôt
plus se nourrir. Le gouvernement faisait sûrement son maximum mais force est de constater que cela ne fonctionnait
pas. Marc essaya de comprendre pourquoi le gouvernement n’arrivait pas à agir car il avait fait des campagnes
éducatives pour diminuer les naissances. A force de tourner le problème dans sa tête, Marc était persuadé que la
démocratie était arrivée trop tôt en Inde car ce système est parfait pour défendre l’intérêt du plus grand nombre si
ceux-ci sont éduqués mais il n’est pas fait pour prendre des décisions douloureuses mais nécessaires comme la
baisse de la fécondité. De même sans éducation, les peuples ne savent pas créer d’entreprises innovantes capables
de tirer le pays vers le haut. Ils ont besoin d’un Etat fort qui les aide or la démocratie indienne manque de crédit. Pour
comprendre ce discrédit, Marc avait interrogé quelques indiens qui lui avaient tous parlé de la corruption. La justice
était corrompue avec la possibilité d’acheter les juges, l’éducation était corrompue avec la possibilité d’acheter des
diplômes, l’administration de l’Etat était corrompue avec les marchés publics qui allaient à ceux qui graissaient la
patte. Marc ne savait pas si c’était vrai mais par contre il savait que la population indienne n’avait aucune confiance
dans les structures de l’Etat.
Après Delhi, Marc fit une boucle dans la Rajasthan où il ne fut pas ébloui par l’architecture des palais qu’il jugea
primitive. Le retour par Agra contrasta avec le magnifique Taj Mahal dont le marbre blanc était taillé avec finesse et
élégance. Ce travail était admirable et montrait que le peuple indien pour peu qu’il s’organise savait faire des choses
magnifiques.
En rentrant à San Francisco, Marc était choqué par l’Inde. Comparée à la Chine, le pays des épices était pauvre,
sale, mal organisé. Sa population grouillait davantage, ses infrastructures étaient défectueuses et le nombre
d’illettrés vivant dans la rue était abominable. Marc pensait que la démocratie n’était pas faite pour les pays pauvres
car elle recherche trop le consensus là où une situation désespérée demande de l’énergie et une stratégie claire. Or
l’histoire et les sciences économiques montrent comment un pays dans la misère peut connaître la croissance
économique. Le Japon ou la Corée du Sud l’avaient fait. Un gouvernement fort qui stabilise sa monnaie, planifie ses
investissements, éduque sa population, maîtrise la corruption, recherche des débouchés à l’exportation pour ses
entreprises, … fait bien plus pour son peuple qu’une démocratie démagogue. Le peuple éduqué doit ensuite choisir
son gouvernement et être dirigé par un gouvernement élu mais ce n’est que la deuxième étape. Marc souhaitait
désormais voyager dans un pays à l’économie dirigée pour comprendre ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins.
Il avait visité la Chine, il devait désormais visiter un autre pays car il ne voulait pas généraliser à partir d’un seul
exemple.
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