JEAN LAUGIER De l'aube à l'aube... Notre odyssée posthume existait ici-bas. Ma douce écorce que je fends Extrait de « Les Bogues » de Jean Laugier cité sur le site Internet Adamantablogue, tenu par Jean-Pierre Desthuilliers. *** Amants, qui de trop douce guerre Prenez la pose des gisants… Vous creusez le lit de la terre Pour la nuit vénielle du temps Des joyaux dans notre langue française : Jean Laugier. Jean LAUGIER est né à l'aube du 11 juin 1924 à Saïgon, alors province française, en Cochinchine, d'un couple d'émigrés français : son père Edmond Laugier, qui écrivait sous le nom de Léandre Muraire, né à Marseille, fonde et dirige un journal de presse coloniale à Saïgon. Sa mère : née Marie-Louise Auffret à Piriac en Bretagne au début du XXe siècle. D'une bonne famille du village, elle apprend le piano et devient Malou pianiste virtuose, c'est cette belle jeune femme que rencontre et courtise Edmond Laugier, son aîné de presque vingt ans. Le mariage a lieu au village et de belles photos de famille sont prises, un monde nouveau s'ouvre à eux : les débuts de l'automobile, de la photographie, dont ils ont le privilège de profiter après les moments difficiles de la guerre 1914-1918. Juste après les cérémonies du mariage, ils préparent leur voyage et embarquent en l'année 1921 vers la Cochinchine. Le père de Malou était navigateur au long cours, il comprend le désir de son gendre de partir. Les parents de Jean Laugier resteront en Asie, à jamais. Personne ne sait pourquoi Edmond Laugier tua sa femme et retourna l'arme contre lui ensuite, en 1927. Personne, encore moins Jean. Jamais, il n’a reçu de signe de sa famille paternelle, qui doit pourtant bien exister quelque part... Il parlait très peu de cette douleur qu’il n’a jamais cicatrisée, qu'il a transposée dans sa poésie, dans son théâtre ; il était en quête de voix à jamais tues… d’un nom qu’il portait et dont il savait si peu de choses. C'est ce qui a façonné l'homme, sa vie et son œuvre. Un homme tourmenté, passionné, un caractère entier. Un homme d'une grande richesse d'âme, qui a écrit «Le désossé » paru aux éditions de Bruno Durocher, Caractères en 1949 : (...) Je suis l'homme, trente-deux dents, roi des machines Huilé de vin, mon corps, bielle de sang, construit En confetti de ciel un paradis d'usine Je poinçonne l'amour du monde dans la nuit. Je verrouille les mots simples de mon enfance, Fausse clé, ciselure d'ombre, cri du cœur ; (…) Dix ans se sont passés depuis sa disparition, quand j'ouvre ses livres, c'est toujours sa voix que j'entends. Unique. Elle parle de nous tous, de chacun, chacune, de la vie qui s'écoule, de l'amour, des valeurs essentielles qui façonnent les hommes et les femmes s'ils se décident à être humains. Le premier livre que j'ai lu de Jean Laugier, c'était quand j'étais détachée au CDI de la Cité Scolaire de Mamers dans la Sarthe : « Dans la main du monde » je l'avais sélectionné pour un prix de poésie que j'avais créé avec les collégiens. Ce livre m'avait beaucoup plu par ses images fortes et simples à la fois. Quand j'ai pu aller écouter le poète dans l'une de ses lectures à Paris, j'y suis allée et j'ai rencontré l'homme, qui était en adéquation avec son écriture. Une immense et rare qualité ! Pour moi, cette rencontre et la passion qui est née, ont bouleversé ma vie, nous offrant à chacun une nouvelle respiration... Je pense que les jeunes gens, aujourd'hui ont besoin des poèmes de Laugier, pour leur donner une conscience d'être au monde et des valeurs authentiques d'humanité. Si, et c'est matière à réflexion, Jean Laugier n'a pas eu tout le succès que son œuvre aurait mérité, c'est que l'importance d'un poète, d'un auteur dramatique va se construire au fil du temps, par des actions de communication aussi impalpables qu'invisibles. Il aurait pu prendre un agent autant pour sa carrière de Comédien que pour son œuvre littéraire. Mais cela ne l'intéressait pas. Il laisse une place au lecteur curieux, qui part à la découverte. Jean cultivera l'amitié, l'amour jusqu'à ses derniers jours. J'ai reçu de lui une superbe leçon de vie, qui fait ce que je suis aujourd'hui. Humble « Artisan du verbe », il laisse la place à ceux qui le suivent. Jean Laugier a vécu le verbe, tant comme Passeur, Comédien professionnel transmettant l'œuvre des autres. C'est dans ce métier qui était pour lui alimentaire, qu'il est répertorié à la Maison de la poésie de Paris, pas en tant que Poète, bien que titulaire du Prix Apollinaire, 1979. Dramaturge, il laisse 8 pièces, dont "Un Brasseur de lune" mise en scène de Jean-Jacques Charrière où Christophe Mali, du groupe Tryo, en 2005, remporte un beau succès, au « Bateau Lavoir », rue Léon à Paris. Jean Laugier c'est une œuvre, qui indubitablement intéressera celui qui demain voudra y aller voir de plus près. C'est une œuvre de créateur moderne, s'intéressant à ses amis les peintres, les poètes, les musiciens de son temps... à commencer par Luc Bérimont qui le fait connaître, Maurice Fombeure etc. Jean Alter, Gilbert Bécaud, Robert Sabatier, Raymond Devos, Jacques Fabbri, je ne saurais les énumérer tous... Mais je veux citer particulièrement son amie poète qui habitait le même quartier Andrée Chedid, que j'admire pour toute son œuvre et le grand sculpteur ami de toujours : Shelomo Selinger. Laissons passer son souffle avec cet extrait cueilli à la fin du poème « Les Arches » dans le recueil : « Margelles de l'aube » (ed Caractères, 1973) : Est-ce la nuit que l'aube épouse Et sans divorcer de ce temps Qui conditionne la voûte Où triomphera le plain-chant ? Flocon de nuit, quand elle marche Même le soleil se dévêt Pour rouler sous les doigts de l'arche Dans un brasero de reflets. Jean s'est éteint à l'aube du 20 août 2006 et depuis le silence n'est plus le même. Martine Magtyar, poète, éditions Voix Tissées Mes références : la documentation de Jean Laugier, consultée de son vivant depuis 1996 avec lui, et après son décès : avant sa remise au Fonds Laugier en son appartement entre septembre et décembre 2006, avant le passage du Conservateur ( M. Olivier Tacheau ) de la Bibliothèque Universitaire d'Angers. Sur sa poésie : - Jean Alter : "Itinéraire d'un poète" ed Caractères, 1980 -101 poèmes contre le racisme ed. Le Temps des cerises, Paris 1998 - Charles Le Quintrec : Poètes de Bretagne, anthologie ed. La Table ronde - 1999 - Yves Loisel : "Voix et visages" ed Coop Breizh- 2000 - Claude Couffon et Nicole Gdalia : "Les Poètes de Caractère, 1950-2000" ed. Caractères - 2000 - Max Pons "Poésie de Bretagne aujourd'hui" La Barbacane - 2002 Sur son théâtre : -"Petites scènes… Grand Théâtre le théâtre de création de 1944 à 1960"ouvrage collectif conçu et réalisé par Geneviève Latour - DAAVP -1986