Bi-mensuel du 16 au 30 avril 2013
-INFO n° 307, bonheur et décroissance
info à faire circuler sans modération
Le mouvement pour la décroissance pense que l’empreinte écologique humaine dépasse les possibilités de la biosphère et
qu’il faut en conséquence diminuer le niveau de vie de la classe globale, à savoir toutes les familles qui possèdent une voiture
individuelle. Ce n’est pas la catastrophe, c’est une approche « moins de biens, plus de liens ». Le livre de Stefano Bartolini, Manifeste
pour le bonheur*, est tout à fait complémentaire de cette approche. Stefano montre en effet que la perte de nos capacités relationnelles
entraîne la croissance qui, en retour, détériore encore plus les relations humaines. Pour un objecteur de croissance, c’est donc le retour
au relationnel qui importe. Il s’agit ainsi de retrouver le bonheur... Voici quelques extraits du livre :
« La thèse que je défends dans ce livre est que le nœud du problème est relationnel. Dans les sociétés occidentales, la
tendance longue est celle d’une dégradation des relations entre les individus. L’explication principale du paradoxe du bonheur est que
les effets positifs sur le bien-être, fruits de l’amélioration des conditions économiques, ont été annulés par les effets négatifs d’une
dégradation des relations humaines. Il y a pauvreté relationnelle : aggravation de la solitude, difficultés de communication, méfiance
et peur, instabilité des familles, fractures générationnelles, sentiment d’isolement, recul de la participation sociale et de l’engagement
civique, détérioration du climat social.
L’existence d’une corrélation nulle ou négative entre le bonheur et l’accès aux biens de consommation est une surprise
tellement grande pour la culture occidentale qu’elle est désignée comme le « paradoxe du bonheur ». Ce paradoxe menace l’idée que
la croissance économique est un moyen plausible d’améliorer la perception que les individus ont de leur existence.
1/6) La croissance endogène négative (NEG)
« Il y a des biens libres ou gratuits que l’on en peut acheter mais qui sont indispensables au bien-être ; or l’économie
marchande possède une grande capacité à fournir des substituts coûteux aux biens libres ; la croissance économique réduit en
conséquence la disponibilité des biens libres. Ce sont les hypothèses sur lesquelles repose la modèle de croissance endogène négative
NEG (Negative Endegeneous Growth). La première hypothèse se réfère aux biens environnementaux et aux biens relationnels.
Personne ne nous vend l’amitié, l’air qu’on respire et une ville sans criminalité. Pour la seconde, la piscine remplace la rivière polluée,
le téléviseur et Internet nous protègent d’une ville trop dangereuse, la baby-sitter nous remplace auprès des enfants. La troisième
hypothèse est que la croissance économique favorise en retour la dégradation des conditions environnementales et relationnelles. Pour
financer des dépenses défensives, nous devons travailler plus. En d’autres termes, les efforts que nous déployons pour nous défendre
contre la dégradation des biens libres contribuent à l’augmentation du PIB. Par conséquent, la dégradation favorise la croissance, qui
favorise la dégradation. La croissance économique fonctionne comme un processus de substitution sans fin. La croissance est
alimentée par son propre pouvoir de destruction.
D’après la vision consacrée de la croissance, les biens qui sont des biens de luxe pour une génération sont des biens standard
pour la génération suivante, puis des biens de première nécessité pour la troisième génération (électroménagers, voiture, voyages…).
La face obscure est celle des biens gratuits pour une génération devenant des biens rares et coûteux pour la génération suivante, puis
des biens de luxe pour celle d’après : le silence, l’air pur, l’eau non polluée, des quartiers sans criminalité… L’argent s’impose
comme la solution privée à la détérioration de ce que les individus ont en commun. En Italie, nous assistons depuis quelques années à
une épidémie de procès de voisinage entre copropriétaires.
Le mécanisme de substitution entre biens gratuits et biens coûteux est à l’œuvre non seulement dans nos modèles de
consommation, mais aussi dans nos modèles de production. Il est possible de remplacer la confiance dans un salarié par une caméra
ou un surveillant. En 2002, près d’un Américain sur quatre était employé dans un travail de surveillance. Les gens travaillent dans un
climat de défiance et de rivalité qui augmente la production mais provoque une nouvelle détérioration de la confiance, laquelle
favorise à son tour le mécanisme de croissance.
On peut considérer que la sociologie est née à la fin du XIXe siècle des inquiétudes provoquées par l’affaiblissement
potentiel d’une communauté victime de l’industrialisation et de la modernité.
2/6) Le modèle américain… à ne pas suivre
« La croissance NEG est la raison pour laquelle les Américains sont devenus plus riches économiquement et, en même
temps, plus malheureux. Le bonheur de l’Américain moyen est celui qui connaît l’évolution la plus défavorable de tout l’Occident : il
est en recul depuis la Seconde Guerre mondiale. Les données objectives sur le bien-être, comme les statistiques relatives aux suicides,
à la consommation de psychotropes ou à l’incidence des pathologies mentales, décrivent une situation pire que celle que suggèrent les
données subjectives. Le phénomène s’explique par l’effet conjugué d’une idéologie de la compétition et d’une propagande intensive
en faveur de la consommation. Les efforts déployés pour accroître la prospérité économique sont annulés par la détérioration des
relations humaines.
En 1994, un échantillon national d’adultes américains a été soumis à une série d’entretiens psychiatriques. Près de la moitié
des personnes interrogées avaient souffert d’au moins un trouble mental au cours de leur existence, et près du tiers avaient connu un
trouble mental au cours de l’année écoulée. Or les individus qui appartiennent aux jeunes générations semblent encore plus exposées
aux maladies mentales. Le jeune américain moyen de 9 à 17 ans présente, sur l’échelle de l’anxiété, un indice qui, en 1957, lui aurait
valu de se retrouver dans une clinique psychiatrique. Le résultat de ce Vietnam psychologique est qu’un nombre record des jeunes
consomment des anxiolytiques et des antidépresseurs. Ils savent aussi se passer des prescriptions médicales en usant de drogues et
d’alcool.
Les Etats-Unis constituent l’exemple à ne pas suivre. Or, au cours des dernières décennies, nous sommes devenus de plus en
plus américains ! La Grande-Bretagne particulièrement a connu une dégradation significative de la qualité relationnelle.