AUTORITE ET OBEISSANCE A PARTIR DE MON EXPERITENCE DE FRERE Assemblée USG, Mai 2013 Frère Álvaro Rodríguez Echeverría, fsc. Jésus nous propose un nouveau style de pouvoir. Celui-ci doit passer du pouvoir-domination au pouvoir-service. Le pouvoir selon l’Evangile doit être transformé et révolutionné intérieurement. Il constitue sans aucun doute l’une des plus grandes révolutions évangéliques que nous n’avons pas encore réussi à incarner pleinement, mais qui continue à être un appel permanent dans l’exercice de l’autorité-obéissance. Il s’agit d’une autorité-obéissance comme celle de Jésus, qui établit avec ses apôtres des relations d’amitié plus que des structures de gouvernement. Tout au long de l’histoire de la Vie Religieuse, sont apparus différents modèles d’autorité et d’obéissance, les uns plus centrés sur la figure du père, comme l’Abbé dans les ordres monastiques, d’autres avec des caractéristiques militaires… Notre modèle à nous est centré sur la fraternité qui donne préférence aux relations fraternelles basées sur l’égalité, le respect et le dialogue. Et cela se reflète dans le binôme autorité-obéissance, que nous devons situer non dans une dimension verticale avec l’autorité en haut et l’obéissance en bas, mais dans une dimension horizontale où l’autorité et l’obéissance au même niveau cherchent ensemble à découvrir et à accomplir la Volonté de Dieu, comme objectif final et absolu de notre vie. Et il est possible que ce modèle illumine l’autorité et l’obéissance à l’intérieur de la Vie Religieuse dans laquelle on ne trouve pas une obéissance hiérarchique puisque, comme l’affirme Lumen Gentium, l’état constitué par la profession des conseils évangéliques n’appartient pas à la structure hiérarchique de l’Eglise, mais à sa vie et à sa sainteté (Cf. LG 44), et par conséquent il ne s’agit en aucun cas d’un pouvoir sacré, étant donné que les Supérieurs religieux, indépendamment de leur état clérical ou laïque, ont reçu des leurs Frères et à partir d’une Règle commune un ministère d’animation pour la recherche de la Volonté de Dieu, pour le service de la communion dans le cœur du Christ, pour leur croissance personnelle et en faveur de la mission apostolique qu’ils réalisent ensemble pour répondre aux besoins du monde et construire le Royaume de Dieu. L’obéissance et l’autorité se situent au même niveau et ont la même finalité : chercher la Volonté de Dieu et lui être fidèles. 1. Deux médiations qui ont guidé mon obéissance Les jeunes 1 Personnellement j’ai fait mienne cette affirmation de la Règle de saint Benoît nous disant que nous devons écouter les jeunes comme une des médiations fondamentales dans notre recherche de la Volonté de Dieu, fin ultime de l’obéissance et de l’autorité. Je suis convaincu que les jeunes Frères doivent nous aider à découvrir le Dieu toujours jeune dont nous parle saint Augustin. Obéir est avant tout écouter ; et les jeunes, avec leur langage, nous aident à découvrir notre chemin et à commencer de nouvelles aventures apostoliques. Leur permettre de s’exprimer et écouter leur voix est aujourd’hui fondamental dans notre discernement de la Volonté de Dieu. D’autre part aussi, ils ont le droit d’avoir un avis sur un avenir qui sera le leur et qu’il leur reviendra de vivre ; et pas seulement d’assumer et de maintenir l’héritage que nous leur laisserons. Les pauvres Notre Règle nous dit que les Frères : par la foi, apprennent à discerner en tout évènement et en toute personne, spécialement dans les pauvres, un signe et un appel de l’Esprit (Règle 5). Cela, je l’ai vécu avec ses risques et ses ambiguïtés au Guatémala, où nous les Frères, pour notre service aux indigènes particulièrement dans la formation des maîtres d’écoles rurales, sommes surveillés et menacés et subissons, comme beaucoup d’autres religieux et religieuses, la persécution et jusqu’au martyre. Je dis « avec ambiguïté » parce que le mélange de motivations sociales, politiques et religieuses n’est jamais facile. Il peut arriver qu’à un certain moment nous ayons été manipulés, mais je crois que cela valait la peine, malgré tout, d’être proches et de partager le sort des pauvres et des sans-défense, de nous soucier de les protéger et de les accueillir. A partir de cette expérience, pour moi, l’obéissance sera toujours une obéissance solidaire et compatissante, une obéissance d’amour et de tendresse, parce que, comme nous l’a dit Jésus, notre Père du ciel ne veut pas qu’un seul de ces petits se perde (Matthieu 18,14). Voilà sa Volonté, que pas un ne soit perdu (Jean 6,39) et c’est vers quoi doivent converger aussi bien l’obéissance que l’autorité. A partir de cette expérience, j’ai tâché que, dans ma vie et dans mon ministère d’animation, les pauvres soient les maîtres et qu’ils m’inspirent des formes nouvelles de réponse à leurs besoins, et que je vive l’Evangile avec plus d’authenticité. 2. Mon expérience romaine Quelle lecture puis-je faire de l’obéissance et de l’autorité pendant ces années romaines ? Je crois qu’en laissant de côté beaucoup de choses, je peux résumer en trois points : La personne au-dessus de la structure Si, comme le dit très bien le document Le Service de l’Autorité et l’Obéissance, la recherche de la Volonté de Dieu se situe entre la Communion et la Mission, dans les deux il est essentiel de vivre le principe évangélique selon lequel le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat (Marc 2,27). En vivant durant ces dernières années une réalité internationale, j’ai appris à valoriser l’unicité de chaque personne et à respecter son individualité. L’autorité ne peut ni avoir ni appliquer des recettes toutes faites. Ce qui s’impose toujours, c’est un discernement profond et évangélique qui prenne en compte ces particularités, et cela suppose la connaissance, le dialogue, le respect, la prière et aussi quelquefois une bonne dose de patience. Et ce n’est pas toujours facile parce que souvent nous donnons la priorité aux structures, aux programmations, aux voyages… et au besoin de remplir les vides. L’ouverture à la réalité 2 Quand on a une responsabilité d’animation et de gouvernement sur une congrégation religieuse, la lecture des signes des temps se révèle comme fondamentale et comme l’une des principales médiations pour découvrir la Volonté de Dieu sur nous. Et je crois que nous avons un instrument extraordinaire dans le Chapitre Général, notre autorité suprême, qui représente le sentiment du Corps de notre Société religieuse. Notre Règle le définit comme l’expression la plus élevée de la communion existant entre tous les Frères et il perpétue entre eux la fidélité vivante au charisme propre de l’Institut (Règle 103). Ayant pris part à quatre Chapitres Généraux, je dois reconnaître qu’ils ont été, malgré leurs limites, un instrument essentiel pour découvrir ce que nous devons vivre pour accomplir le plan de Dieu sur nous. Prendre la réalité comme point de départ au cours de ces Assemblées, nous permet de chercher les réponses convenables pour mieux répondre aux besoins des jeunes, particulièrement des pauvres. Enfin notre dernier Chapitre nous a demandé d’être des Frères aux yeux ouverts eu au cœur brûlant. Partir de la réalité pour revenir à elle, comme les disciples d’Emmaüs, avec le feu d’une passion transformatrice. L’association avec les laïcs Ces dernières années, au niveau de la congrégation, nous avons placé comme une de nos priorités de partager notre charisme et notre mission avec les laïcs. Que nous soyons des Frères nous l’a facilité, je crois. Comme l’a très bien exprimé Antonio Maria Sicari, nous sommes tous appelés, les consacrés et les laïcs, à boire au même puits et à vivre le même charisme à partir de notre propre vocation spécifique. Mais vivre un même charisme et une même mission, cela signifie aussi participer à la recherche de la Volonté de Dieu dans une aventure commune et à partir de l’identité vocationnelle de chacun. Cela suppose de discerner ensemble les besoins de la mission et la meilleure forme de réponse à apporter aux besoins des jeunes et aux nouvelles pauvretés. C’est dans ce sens que, avant le dernier Chapitre Général, nous avons tenu une Assemblée de la Mission éducative lasallienne où étaient présents des Frères et des Laïcs du monde entier, et que je considère comme un moment de grâce qui nous a donné des lumières pour notre chemin. Cette nouvelle médiation dans la recherche de la Volonté de Dieu me paraît aujourd’hui indispensable et nous avons demandé qu’elle se reproduise dans chacune de nos provinces. CONCLUSION Sans jamais avoir la certitude que je réponds à la Volonté de Dieu Qui peut avoir l’assurance absolue de répondre exactement à la Volonté de Dieu ? Je crois que c’est une question que nous pouvons tous nous poser, mais qui prend une force particulière quand on se trouve à la tête d’une congrégation religieuse. C’est en ce sens et en nul autre que j’ai expérimenté ce que le document Le Service de l’autorité et l’obéissance définit comme autorité difficile. Beaucoup semblent panser que ce qui est difficile est d’obéir ; pour moi, ce qui est difficile est de prendre des décisions qui affectent les personnes et peuvent les faire souffrir. Ce qui m’a causé une peine particulièrement profonde, ce sont certains changements qui, je le sais, ont été acceptés avec amertume et refus intérieur. La peine de donner le Oui ultime à une dispense de vœux ou à une expulsion…, la peine de certains conflits de cultures dans le discernement collégial au sein du Conseil Général, ou la résistance à des changements de structures destinés à assurer une plus grande vitalité et la viabilité, par exemple dans la restructuration des provinces. Mais par-dessus tout, de ne pas être sûrs si nous sommes en train de faire tous les efforts pour revenir à l’Evangile, notre première Règle : ou si, entre 3 programmations, organigrammes, lignes d’action et chronogrammes, nous avons laissé un peu d’espace à l’Esprit, pour qu’il nous secoue avec sa capacité de faire toutes choses nouvelles et de renouveler la face de la terre. 4