Paru dans Psychiatrie de l’enfant, XLIX, 1, 2006, p. 207 à 226.
GUIDANCE PSYCHOPÉDAGOGIQUE DES
PARENTS D'ENFANTS ATTEINTS D'AUTISME
Anne WINTGENS (1)
Jean-Yves HAYEZ (2)
GUIDANCE PSYCHOPÉDAGOGIQUE DES PARENTS D'ENFANTS ATTEINTS
D'AUTISME
Les auteurs s'interrogent sur la place du travail avec les parents dans la prise en
charge d'enfants présentant un trouble envahissant du développement de type
autistique et proposent la notion de guidance psychopédagogique. Cette
dénomination inclut dans le travail avec les parents une dimension introspective,
l'écoute a toute sa place, ainsi qu'une réflexion à partir de méthodes plus
comportementales. Les auteurs crivent le contenu de ces rencontres selon
quatre axes : la contenance, le vécu psychique, le vécu quotidien et les attitudes
pédagogiques, ainsi. que le fait de continuer à vivre l'enfant comme « sujet ». Ils
détaillent ces quatre aspects de leur travail et les illustrent à l'aide d'exemples
cliniques.
PSYCHOPEDAGOGICAL GUIDANCE FOR PARENTS OF CHILDREN WITH
AUTISM
The authors investigate the place given to the parents in the treatment plan for
children presenting pervasive developmental disorders, especially autistic troubles
and propose the notion of psychopedalogical guidance. This denomination includes
an introspective dimension in the work with parents, where listening has a
prominent place, as well as a reflection based on more behavioral methods. The
authors describe the contents of these encounters along four guidelines :
containment, psychic experience, daily life and pedagogical attitudes, as well as the
need to continue interacting with the child as a « subject ». They detail the four
aspects of their work and illustrate them through the use of clinical examples.
ACOMPANAMIENTO PSICHOPEDAGOGICO DE PADRES DE NINOS AUTISTAS
Los nutores se preguntan qué lugar atribuir al trabajo con los padres al hacerse
cargo del tratamiento de niños con trastornos invasivos del desarrollo de tipo
autístico, y proponen la noción de acompañamiento psicopedagógico. Esta
denominación, incluye una dimensión introspectiva que favorece la escucha en el
trabajo con los padres, además de una reflexión apoyada en métodos inspirados en
el comportamiento. Los autores relatan estos encuentros bajo cuatro enfoques : la
(1) Psychiatre infanto-juvénile, Service de psychiatrie infanto-juvénile. Cliniques universitaire,
Saint-Luc, UCL, Bruxelles.
(2) Psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur ordinaire à la Faculté de
médecine de l’Université catholique de Louvain, chef de Service de psychiatrie infantile et juvénile
des Cliniques universitaires Saint-Luc, UCL, Bruxelles.
contención, la vivencia psíquica, la vivencia cotidiana y las actitudes pedagógicas,
así coma el hecho de seguir considerando al niño como un « sujeto ». Pasan
revista a estos cuatro aspectos de su trabajo y los ilustran en ejemplos clinicos.
Dans cet article, nous souhaitons nous interroger sur la place du travail avec les
parents dans la prise en charge ambulatoire d'enfants présentant un trouble
envahissant du développement ( TED ) (3) et, présenter le contenu de ce travail de
guidance parentale. Dans notre clinique de pédopsychiatres, nous sommes
fréquemment amenés à rencontrer des parents qui se présentent chacun de
manière différente, avec une histoire et un vécu (4) personnels, avec des questions
face à un enfant unique en son genre et qui sans cesseinterroge son parent dans
son rôle et sa fonction.
Quelles sont les questions, les attentes que nous entendons lors de ces
rencontres ? Que pouvons-nous nous autoriser à demander à ces parents sans
donner l'impression de forcer les portes, d'aller trop vite, et/ou de raviver des
blessures mal cicatrisées ? Qu'est-ce qui va permettre de créer et de maintenir une
alliance thérapeutique et un travail clans la durée ?
Ces consultations avec les parents d"enfants atteints d'autisme ont une part de
spécificité et une autre commune au travail de guidance parentale mené avec les
parents d'autres types d'enfants. Les enfants atteints d'autisme ont comme les
autres leurs richesses qu'il nous importe de reconnaître et de déployer et leurs
difficultés à réduire dans la mesure du possible et à accepter le cas échéant, par le
biais de réaménagements du quotidien afin de le rendre supportable. Nous sommes
cependant convaincus que le travail avec les parents d'enfants présentant un TED
reste un travail particulier. Cette spécificité tient à l'évolution parfois très lente de
l'enfant, ses difficultés de communication, son manque - voire son absence -
d'expression de sentiments, les problèmes qu'il manifeste au quotidien ainsi que la
souffrance que ce trouble engendre chez les deux parents. Aucune de ces
dimensions, intrinsèquement liées aux troubles autistiques, ne peut être négligée
dans le travail avec les parents.
L'expression la plus adéquate pour rendre compte de notre pratique nous apparaît
être « guidance psychopédagogique ». Ces termes insistent sur les deux versants
du travail avec les parents : une place faite à leur vécu psychique ainsi qu'une
réflexion sur leurs attitudes pédagogiques. Cette guidance est caractérisée par
l'utilisation de plusieurs modèles théoriques, dans le souhait d'une approche plus
globale de la problématique de l'enfant. Comme le souligne Golse (1999), par
rapport à l'enfant, en réalité, le pédagogique et le thérapeutique ne constituent pas
deux champs d'action séparés. Ils sont certes distincts, mais ils se trouvent., qu'on
le veuille ou non, en interrelation dialectique profonde.
(3) Dans les troubles envahissants du développement ( TED ), nous entendons parler plus
spécialement des troubles autistiques. Nous utiliserons donc les deux terminologies. De plus,
conscients de la lourdeur de l'expression « enfant avec TED » ou « enfant avec autisme ». nous la
préférons néanmoins à l'expression enfant autiste, trop réductrice à nos yeux.
(4) Par vécu, nous entendons les sentiments, les images et représentations mentales et leur
mouvance, liés directement aux troubles mais aussi aux changements et remaniements familiaux
qu'ils induisent.
Cette réflexion intensive menée avec les parents fait pour nous partie intégrante de
la prise en charge de l'enfant. En effet, le rôle des parents est fondamental pour
faciliter la progression de leur enfant en grande souffrance.
Dans ce travail de guidance, nous voulons rester particulièrement attentifs au
cheminement des parents et aux apparentes contradictions auxquelles ils sont
soumis. D'une part, il leur faut faire un certain deuil ( pour toujours ? pour une durée
indéterminable ?) face aux limites et dysfonctionnements manifestes de leur enfant.
D'autre part, ils doivent aussi repérer ses richesses et les stimuler, conserver de
l'espérance ... Sans omettre qu'avec cette double perspective comme toile de fond,
ils doivent également gérer la vie quotidienne, faire attention à la fratrie, ménager
du temps pour le couple et pour soi-même. Il leur faut aussi accepter leur différence
de sensibilité : homme et femme, chacun avec son tempérament, son histoire et
son vécu psychique personnel.
Tous ces éléments sont pour nous des repères souvent entremêlés dont nous
tentons de tenir compte et qui doivent nous guider dans les questions et les
réflexions adressées aux parents tout au long de notre travail commun.
Nous envisageons le contenu de ces rencontres selon quatre axes, que nous
souhaitons détailler et illustrer à l'aide d'exemples cliniques : ces derniers mettront
en exergue les résonances qui existent entre ces différents axes.
LA CONTENANCE
La contenance est crite par Houzel (1991) comme « une fonction de réceptacle
de la souffrance parentale ». Quand les parents consultent le pédopsychiatre, nous
sommes d'abord appelés à recevoir leurs interrogations, leur sentiment d'injustice,
leur révolte, leur agressivité, leur désarroi, leur souffrance face à un enfant qui leur
paraît étrange, voire étranger. Notre lieu de consultation commence par être un lieu
se déposent ces différents sentiments et les idées qui les accompagnent.
L'écoute et l'empathie développées alors par les intervenants vont permettre de
tisser les premiers fils de l'alliance thérapeutique.
Exemple clinique
Mme C ... nous téléphone, désespérée : « Nous avons besoin d'un énorme soutien
psychologique ; notre fils Jacques de deux ans et demi ne parle pas, ne répond pas à son
nom. II est dans le vide ». Le neuropédiatre que les parents ont consulté avec l'enfant a
parlé d'un trouble du développement. De plus, Jacques est un enfant adopté, Mme C ...
craint que les liens avec cet enfant s'effilochent et souffre d'avoir moins d'élan vers lui. Ni
Madame ni Monsieur n'ont envisagé un problème majeur de développement chez cet
enfant. « Pourquoi devons-nous rencontrer tant de difficultés ? » Après le parcours
rocailleux qui les a menés à l'adoption., les parents se sentent démunis devant ce nouvel
obstacle.
A ce moment, les questions de l'évaluation et du diagnostic vont se réexprimer,
voire se poser pour la première fois si elles n'ont pas été élaborées dans un autre
lieu. En effet, les parents attendent une réponse à leurs interrogations, hésitent à
prononcer un nom déjà entendu à demi-mot ailleurs ... Peeters (1996) insiste sur le
besoin de clarté exprimé par les parents, sur la nécessité de trouver une explication
qui aille au coeur du problème. Certains vont demander une réponse rapide quant
au diagnostic, alors que d'autres vont souhaiter que l'on respecte leur rythme et leur
cheminement. C'est donc plus ou moins rapidement, en fonction de la demande et
du vécu global, qu'un bilan multidisciplinaire sera envisagé. Ce moment
d'évaluation crée, comme le souligne Lemay (2004), un mélange d'attentes,
d'anxiété, et d'espoirs qui rend les parents singulièrement aptes à exprimer des
émotions et à capter des messages qu'ils seraient beaucoup plus lents à dire et à
recevoir à d’autres moments de leur vie.
Exemple clinique
M. et Mme V ... nous sont envoyés par un oto-rhino-laryngologiste avec qui nous
collaborons régulièrement. Ils l'ont consulté pour leur fils Louis, âgé de huit ans. Louis
présente un retard de développement important. II ne parle pas, émet quelques sons et a
un comportement bizarre. La question du diagnostic reste entière pour les parents, malgré
l'intervention de différents professionnels. Un bilan complet n'a jamais été effectué.
Dès notre première rencontre, la demande des parents est très claire : « Nous voulons un
avis quant aux difficultés de notre enfant, mais surtout prenez votre temps. Nous viendrons
autant de fois que nécessaire ( et cela malgré la distance kilométrique importante qui
sépare leur domicile de notre centre ). »
Notre travail a donc buté lentement. Durant les premières rencontres. les parents ont
tenu à évoquer ce que Louis était capable de faire, son intégration dans la fratrie ( il est
l’aîné de quatre enfants ), sa place dans la famille, ses manières de se faire comprendre.
Puis, petit à petit, nous avons abordé les difficultés de l'enfant. Les parents ont ainsi été
amenés à dire ce qu'ils craignaient d'évoquer, à savoir les difficultés de communication
majeures de Louis ainsi que les troubles du comportement, mettant en évidence sa
différence par rapport à ses frères et soeurs. Ce lent cheminement., nécessaire au tissage
des liens thérapeutiques, a permis d'envisager le diagnostic de l’enfant tout en permettant
l'expression des sentiments enfouis depuis de nombreuses années, telles l'injustice, la
révolte, mais aussi la blessure narcissique à laquelle Louis confrontait sans cesse ses
parents.
Une fois les fils de l'alliance thérapeutique suffisamment tissés, nous pouvons
envisager d’aborder des thèmes plus profonds, qui rejoignent le vécu psychique
des parents.
LE VÉCU PSYCHIQUE
Le second axe de la guidance psychopédagogique consiste à fournir un espace de
parole, chaque parent peut, à son rythme et selon son désir, exprimer son vécu
par rapport à cet enfant différent, et un travail d'élaboration peut prendre forme.
Ribas (2004) parlera de la tragédie que représente pour les parents le
non-épanouissement de la vie psychique chez l'enfant qu'ils ont engendré dans
l'amour.
Tout d'abord, il peut s'agir du vécu ressenti avant les premières rencontres avec
des professionnels ( la période inquiétude, incompréhension, étonnement,
frustration, stress, anxiété, douleur morale, etc. peuvent être éprouvés ). Par
ailleurs, les parents évoquent aussi ce qui relève souvent de l'ordre du parcours du
combattant, après les premières rencontres avec des professionnels : parents - et
enfants - y sont encore trop souvent confrontés à des méconnaissances du
problème, à des retards de prise en charge et à de longues périodes
d'incompréhension et d'incertitude. Le retard dans la reconnaissance de l'origine et
de la nature des difficultés développementales augmente la détresse parentale
( Baron-Cohen, Bolton, 1993 ) et peut se présenter lorsque les parents manquent
d'information concernant le veloppement normal du jeune enfant ( De Giacomo,
Fombonne, 1998 ). Le déni parental des bizarreries ou du retard veloppemental
contribue à retarder les premières évaluations effectuées par des professionnels.
De plus, il n'est pas rare que les premiers professionnels rencontrés aient une
attitude de réassurance et de dédramatisation inadéquate par son excès, face aux
premiers symptômes qui inquiètent les parents.
Dans ces rencontres avec les parents, nous ne pouvons faire fi des questions
évoquées quant à l'origine., l'évolution et la sévérité du trouble. Car plus les parents
se sentent dans un lien de confiance, plus ils vont oser formuler des questions,
enfouies depuis longtemps ou jamais exprimées par crainte d'en entendre les
réponses. Nous devons dès lors pouvoir pondre avec justesse et authenticité,
pour permettre aux parents d'affronter la réalité. « Répondre » doit être pris dans
une acceptation fondamentale : ne pas laisser dans le silence, ne pas faire croire
qu'une question est insignifiante ou aborde un champ tabou. Parfois, répondre
vraiment sera partager notre incertitude ou notre « non-savoir ».
Mais ce lieu de parole est aussi un espace s'exprime l'histoire personnelle de
chaque parent, ainsi que la place de l'enfant dans cette histoire. Certains parents
évoqueront leur propre culpabilité face à un enfant différent, retrouvant dans leur
histoire des moments de faille de différentes natures, pouvant selon eux
« expliquer » , en tout ou en partie, les troubles de leur enfant. Comme disait cette
maman africaine de deux enfants autistes : « Dans ma culture, je suis celle qui ne
porte pas le bonheur. Je suis celle qu'on doit éviter. » A la différence du premier
axe, il ne s'agit plus uniquement de contenir mais d'aider le parent à mettre des
mots sur ce qu'il vit et sur ce qu'il a vécu. Ce travail psychique cessite un tissage
plus solide de l'alliance thérapeutique.
Il s'agit également de reconnaître chez les parents leurs compétences, dans un but
de restauration narcissique, mais aussi dans le but de les « assurer », de les
conforter plus solidement dans la place qu'ils se donnent comme parents.
Fréquemment ... parfois mine de rien, nous les sentons en quête de cette
reconnaissance. Ils demandent des avis, des conseils et sont prêts à se soumettre
à tout type de méthode « pour bien faire ». Il nous faut donc être attentifs à
confirmer la qualité déjà opérante, voire à requalifier ces parents dans leur fonction
parentale, à les soutenir dans leur manière de « penser l'enfant » ( et leur famille !),
son passé et son avenir, ainsi que dans ce qu’ils mettent en place quotidiennement
pour le développement de leur enfant. Et cela n'est pas une stratégie : on procède
en effet à partir d'un vécu authentique. Que n'avons-nous pas appris des parents et
ne sommes-nous pas restés admiratifs devant leur créativité ...
Mais, comme le souligne Houzel (1991), « Il est aisé de tomber dans le piège de la
disqualification des parents, par une parole, par un geste. » En effet, touchés dans
leur sensibilité profonde, les parents pourront facilement interpréter un sourire, un
geste inadéquat ou une parole sortie de son contexte, comme des jugements
sévères de notre part sur leur manière d'agir, sur leur qualité de parent. C'est dès
lors à nous, lorsque nous nous en apercevons, de les interpeller sur leur retrait
subit, leur air absent, leur méfiance, leur colère, voire leur refus de reprendre
rendez-vous ... Et leur permettre alors d'exprimer ce qui les a dérangés, ce qui les a
fait souffrir dans nos paroles ou dans nos attitudes. La mise au point effectuée, il
redevient dès lors possible d'envisager la poursuite du travail.
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !