Eradiquer la misère, la dernière utopie ?
En mémoire de Dom Helder Camara
1909-1999
Contributions de :
Pierre Sané
Sous-Directeur général pour les sciences sociales et humaines UNESCO
François Soulage
Président du Secours Catholique-Caritas France.
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Jeudi 5 novembre 2009
Eradiquer la misère, la dernière utopie ?
En mémoire de Dom Helder Camara
1909-1999
Intervenants : Pierre Sané, Sous-Directeur général de l’UNESCO.
François Soulage, président du Secours Catholique-Caritas France.
« L’an 2000 sans misère » : c’est dans ce rêve qu’a vécu jusqu’à son dernier souffle Dom
Helder Camara, prophète, évêque et figure de l’espérance pour l’Amérique latine et le monde.
Son combat est malheureusement plus d’actualité que jamais. Avec les crises, financières,
alimentaires, écologiques et sociales qui nous affligent depuis deux ans, reste-t-il assez de
créativité et de ressources pour mener la lutte contre la pauvreté dans notre monde ?
D’ailleurs, l’urgence d’une mutation de l’économie pour limiter le réchauffement climatique
ne rejette-t-elle pas la lutte contre la misère au rang de priorité seconde ? L’éradication de la
pauvreté et de l’exclusion peut-elle rester à l’ordre du jour de notre action ? A quelles
conditions ?
Conférences données à l’UNESCO le jeudi 5 novembre 2009 pour actualiser le message de
Dom Helder, organisé par l’Institut Catholique de Paris (Faculté de Sciences Sociales et
Economiques), Pax Romana, le Secours Catholique-Caritas France, le CCFD, Justice et Paix-
France et une plate-forme d’associations réunies autour de Mémoire et Actualité de Dom
Helder Camara.
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Eradiquer la misère, la dernière utopie ?
Intervention de
M. François SOULAGE
Président national du Secours Catholique
Dom Helder Camara voulait que l’an 2000 se vive sans misère.
Aujourd'hui la crise économique, financière, alimentaire, écologique, montre hélas que cette
misère se développe et prend des formes de plus en plus diversifiées sur l’ensemble de la
planète. Les ressources pour mener la lutte contre la pauvreté dans le monde, deviennent
extraordinairement peu importantes eu égard à l’ampleur de l’enjeu. En effet, on raisonne
souvent comme si la réduction de la misère que les Objectifs du Millénaire pour le
développement nous promettaient de moitié pour 2015, porte essentiellement dans l’esprit du
public sur la misère alimentaire.
Mais aujourd'hui la situation est beaucoup plus complexe. L’accès à la finance, l’accès au
crédit, la migration climatique, la perte d’emploi liée à la crise, sont autant de raisons qui
conduisent des personnes à la misère. Il n’est donc aujourd'hui plus possible de lutter contre
cette misère par les moyens traditionnels.
Un mot concernant l’accès au crédit. Il peut être combattu à la fois par un changement de
comportement des grandes institutions financières, mais aussi par le microcrédit. Les Etats ont
une responsabilité spécifique pour le contrôle et la régulation du monde financier. La
Conférence de Pittsburgh aurait pu être, si ses conclusions étaient entrées en vigueur, un
moment essentiel pour permettre cette régulation financière. Ce ne sera probablement pas le
cas.
Or, cette régulation financière est essentielle car elle permettrait de modifier profondément à
la fois les flux financiers et les comportements bancaires. Car les exigences de fonds propres
nouvelles, les régulations des rémunérations conduiraient les entreprises à ne plus chercher la
rentabilité par le risque, mais la rentabilité par l’activité qui normalement est la leur, celle du
crédit.
Les contrôles de la distribution du crédit feraient en sorte que les banques retrouveraient le
chemin de leur marché naturel, celui des personnes et celui des entreprises. C’est parce que la
régulation a fait défaut que l’on a connu la crise des subprimes, laquelle a entraîné la misère
de millions d’Américains qui, pourtant, avaient un travail, qui avaient une maison, qui avaient
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une famille. Ils ont été victimes de la volonté du monde financier de réaliser des profits à tout
prix.
On peut craindre qu’après les espoirs nés de la Conférence de Pittsburgh et du G20, les
vieilles habitudes reprennent et que le monde financier ne se libère des contraintes qu’il a
fallu qu’il accepte dans le feu de la crise, et dont il cherche à grande vitesse à se libérer.
Je serai beaucoup plus long sur l’urgence climatique.
A l’approche de la Conférence de Copenhague, nous prenons mieux conscience de la réalité
des changements climatiques. Les scientifiques conviennent que cette réalité existe et que les
êtres humains en sont la cause (pour la plus grande part). Les responsables politiques ont
réalisé qu’ils doivent au moins manifester un intérêt pour cette cause. Mais personne n’a de
recette magique et bon marché. La réponse à la crise climatique est entre les mains de tous,
dans un regain de solidarité et dans la conscience que nous avons tous le devoir d’œuvrer pour
le bien commun.
Pour le Secours Catholique, les effets des changements climatiques représentent déjà une
réalité quotidienne pour un certain nombre de personnes parmi nos partenaires d’Asie,
d’Afrique et d’Amérique latine. Et notamment les plus démunis et les plus vulnérables à
travers le monde.
Les événements météorologiques extrêmes deviennent de plus en plus extrêmes et
imprévisibles, provoquant des tempêtes violentes, multipliant les inondations et les
sècheresses. Les niveaux des nappes phréatiques baissent ; les rivières s’assèchent.
L’organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que 150 000 personnes meurent chaque
année des conséquences des changements climatiques : cyclones qui redoublent de force en
Asie et aux Caraïbes ; inondations dans le sud de l’Asie ; vagues de chaleur sans précédent.
Selon les Groupes d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC), la
productivité agricole pourrait diminuer de plusieurs dizaines de pourcentage dans de
nombreux pays africains. Ces incidences négatives sur l’agriculture risquent de compromettre
la sécurité alimentaire et d’augmenter les cas de malnutrition.
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Vue par nos partenaires sur le terrain et en termes non scientifiques, mais tel que c’est vécu
subjectivement, voici la situation : on décrit des niveaux de pluie plus erratiques, moins de
jours de pluie, de plus longues périodes de sécheresse pendant la saison, un début plus tardif
ou une fin plus précoce de la saison des pluies. C’est le Sahel du Sénégal à l’Ethiopie. Les
conséquences sont désastreuses sur l’agriculture ; et sur la vie des communautés rurales.
Les agriculteurs les plus démunis et les cheurs sont les plus touchés par cette hausse des
températures ainsi que par la perturbation des phénomènes climatiques. Ils ne possèdent que
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GIEC, Rapport 2007, résumé à l’intention des décideurs, 4e rapport, Genève, 2007
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peu de ressources pour s’adapter à ces changements. Ces problèmes nouveaux entravent les
progrès qui ont été accomplis dans le passé pour la vie des plus démunis grâce aux efforts des
Etats, des institutions internationales et des ONG.
Les changements climatiques aggravent la pauvreté persistante dans la plupart des pays en
voie de développement. Le nombre des victimes des catastrophes naturelles augmente. On
estime que près de deux milliards de personnes dépendent actuellement d’écosystèmes
fragiles des régions arides et semi-arides et risquent de subir ce que la littérature appelle un
stress hydrique. En langage courant : ils ne disposent pas d’assez d’eau pour les besoins de la
vie (on ne parle pas ici de l’irrigation). Il faudrait encore citer les populations qui vivent dans
les régions des deltas des grands fleuves, dans les régions côtières de basse altitude qui
constituent des zones à risque ainsi que les petites îles de basse altitude. Ces dernières
catégories se montent à environ 600 millions d’habitants, soit près de 10% de la population
mondiale.
Ces phénomènes incitent un certain nombre de paysans des zones menacées à partir grossir
les bidonvilles des mégapoles des pays en développement ou à émigrer à l’étranger. On
commence à parler de « réfugiés climatiques », bien qu’il n’y ait pas de statut juridique pour
ces nouveaux réfugiés que certaines institutions estiment jusqu’à 200 millions à l’horizon de
2050.
Les changements climatiques ont également de graves conséquences sur la santé car ils
compromettent la sécurité alimentaire. La pénurie d’eau -l’eau est essentielle en matière
d’hygiène-, tout comme l’excès en eau dû aux pluies torrentielles plus fréquentes, augmentent
la charge de maladies diarrhéiques qui se répandent du fait de la contamination des aliments et
de l’eau.
Les conséquences des changements climatiques se font déjà sentir et iront croissants dans les
années et décennies à venir. Ces conséquences négatives affectent tout le monde, mais pas de
manière égale. L’aptitude à résister aux conséquences négatives dues au changement
climatique dépend des capacités des personnes affectées. Beaucoup de gens dans les pays
européens ressentent ce changement comme une réalité lointaine. Mais, pour les populations
vulnérables de beaucoup de pays en développement, il s’agit d’une réalité qui affecte déjà la
vie quotidienne. Il faut faire face aux conséquences sur le niveau de vie et sur la santé.
Les victimes de ces changements climatiques sont les populations des pays en
développement qui en sont les moins responsables.
Les victimes premières ne sont pas les premiers responsables, les premiers coupables. Voilà la
situation de notre monde actuel. Pour se prémunir des effets négatifs des changements
climatiques, ce sont les pays les plus riches qui disposent des ressources les plus importantes
pour y faire face : ressources techniques et scientifiques pour trouver des parades, ressources
intellectuelles, savoir faire pour s’adapter à la nouvelle situation, ressources financières pour
investir dans les nouveaux secteurs d’une économie plus sobre en consommation d’énergie…
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