Pierre BLET – Pie XII et la Seconde Guerre mondiale
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Avant-propos
En décembre 1965, les éditions du Vatican publiaient le premier volume des Actes et Documents du
Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Il existait déjà plusieurs collections d’histoire
diplomatique dont de nombreux volumes étaient consacrés à la Seconde Guerre mondiale, Documenti
diplomatici italiani, Documents on British Foreign Policy, Foreign Relations of the United States,
Diplomatic papers, Akten zur deutschen Auswärtigen Politik (1918-1945). En regard de ces collections, il
avait paru bon de permettre aussi l’étude sur pièces du rôle et de l’activité du Saint-Siège durant cette
période, critique entre toutes, en portant à la connaissance des historiens les documents du Vatican.
Facilement, l’historiographie des temps modernes passe sous silence le rôle de la papauté dans la vie
internationale, ou se contente de quelques allusions. Ainsi, les ouvrages généraux ne consacrent le plus
souvent que des mentions assez sommaires aux démarches de Benoît XV pour limiter la guerre de 1914 et
pour en hâter le terme, malgré les quelques études approfondies qui lui ont été consacrées.
Dans le cas de la guerre de 1939, au silence de l’historiographie s’ajouta dès les années 1964-1965 une
vague de dénigrements systématiques de la personne et de l’action de Pie XII. Le pape Pacelli avait été, au
lendemain de sa mort le 9 octobre 1958, l’objet d’un concert d’hommages admiratifs et reconnaissants.
Quelques années plus tard, il était devenu le héros d’une légende noire : durant la guerre, par calcul politique
ou par pusillanimité, il aurait assisté impassible et silencieux aux crimes contre l’humanité qu’un discours
de ses lèvres aurait arrêtés (!).
Pour revenir de la fiction à la réalité, de la légende à l’histoire, il n’existe qu’un moyen : recourir aux
documents originaux, qui expriment directement l’action du pape. D’où la décision prise en 1964 par le pape
Paul VI, qui avait été, comme substitut de la Secrétairerie d’État, l’un des plus proches collaborateurs de Pie
XII, d’autoriser la publication des documents du Saint-Siège relatifs à la guerre.
Les archives de la Secrétairerie d’État conservent en effet les dossiers dans lesquels on peut suivre souvent
au jour le jour, parfois d’heure en heure, l’activité du pape et de ses services. On y trouve les informations
reçues au Vatican, les propositions du secrétaire d’État et de ses collaborateurs, les décisions prises par le
pape, les instructions expédiées aux nonces, les notes remises aux ambassadeurs. L’essentiel de ces pièces
peut se classer en cinq catégories : 1° Les messages et discours du pape. 2° Les lettres échangées entre le
pape lui-même et des dignitaires civils et ecclésiastiques. Ces lettres sont ordinairement conservées sous
forme de minutes, que le pape a corrigées de sa main. 3° Des notes de la Secrétairerie d’Etat, notes de
service, rédigées par les subalternes à l’intention des supérieurs pour communiquer des informations ou des
propositions, et par surcroît des notes privées, en particulier celles de Mgr Tardini qui avait l’habitude, fort
heureuse pour les historiens, de réfléchir la plume à la main. 4° Les notes diplomatiques échangées entre la
Secrétairerie d’État et les ambassadeurs ou ministres accrédités près le Saint-Siège. 5° La correspondance
échangée entre la même Secrétairerie d’État et les représentants du Saint-Siège à l’extérieur, nonces,
internonces et délégués apostoliques. Beaucoup de ces documents sont signés du secrétaire d’État ou du
secrétaire de la première section de cette Secrétairerie d’État, et très peu par le pape lui-même : cela
n’empêche qu’ils traduisent les intentions non du signataire, mais du pape, à qui appartient l’ultime
décision.
C’est ce matériel qui a été publié dans les onze tomes en douze volumes des Actes et Documents du
Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale, qui offrent à l’historien un moyen de connaître ce que
furent réellement l’attitude et l’action du pape et du Saint-Siège pendant la guerre. Cette documentation fait
voir la situation dans laquelle la guerre plaça le pape, avec les informations plus ou moins complètes qui lui
parviennent, les recours que l’on fait à son influence morale et religieuse, que d’aucuns s’imaginent illimitée
et que chacun cherche à utiliser dans l’intérêt de sa cause, ses efforts pour sauver ce qui peut encore être
sauvé, en gardant l’impartialité entre les partis en lutte, ses démarches pour détourner le fléau, les tentatives
pour le contenir et, quand il fut déchaîné à l’échelle européenne puis mondiale, ses efforts pour adoucir les
souffrances et secourir les victimes.
Sans doute aucun fonds d’archives, même le plus complet, ne rend-il jamais compte de la réalité totale.
Par exemple, ce n’est que de façon exceptionnelle que les documents du Vatican révèlent le déroulement
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