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se caractérise par un travail permanent d’harmonisation et de fluidification des processus productifs, construisant une solution de continuité par la mise en réseau de ces processus à
tous les moments de la vie des sujets, quels que soient les accidents que ceux-ci peuvent être amenés à rencontrer ou à provoquer. Il s’agit au contraire pour le travail vivant de
s’affirmer comme une force politique réfractaire à l’intégration institutionnelle, de se nier comme force productive et moteur de développement, autrement dit : de construire des
formes d’auto-organisation autonomes aptes à désorganiser le maillage des réseaux productifs et des adhésions subjectives à l’économie.
5-
La grève des chômeurs et précaires n’est, au sens courant, que partiellement une grève, et que partiellement le fait de chômeurs et précaires en tant qu’ils relèveraient de
catégorisations sociologiques et statistiques. Elle est la construction, à partir de gestes d’interruption et de blocage de l’activité économique, de tout ce que l’usage habituel du droit
de grève interdit trop souvent: la mise en cause du lien de subordination en tant que tel, le rejet de la dette (l’argent reçu doit toujours être payé en retour, qu’il s’agisse des endettés,
des salariés ou des bénéficiaires d’allocations) comme mode de gouvernement, la réappropriation d’une intelligence collective des gestes et techniques ajustés au processus
d’émancipation. Elle indique donc le possible que la grève « traditionnelle » recèle toujours et actualise quand elle excède l’exercice ritualisé des « journées d’action » syndicales.
Mais elle est aussi, en partant de l’absence d’emploi stable et de garantie pour l’avenir parmi les classes populaires, la mise au jour de la menace perpétuelle qui s’exerce sur les
conditions de vie, et même de simple survie, de l’ensemble des exploités. Elle est donc une proposition de lutte adressée à l’ensemble des classes subalternes, sur fond de
désarticulation entre appartenance à une catégorie socio-professionnelle et subjectivation politique. Le sentiment de déclassement, sentiment de désappartenance à une classe
organique, provoqué par la disparition, non des ouvriers, mais du sujet historique « classe ouvrière », doit aujourd’hui être assumé comme motif d’un travail de liaison et construit
comme effet d’une transversalité politique des luttes, capable de construire une perspective commune aux segments disjoints qui constituent les classes subalternes. Lesquelles luttes
peuvent être dites de classe à exposer leur commune condition de précarité, qui ne peut être véritablement assumée qu’à parier sur la fragilité de l’ordre établi et à choisir la précarité
politique comme rupture dans la solution de continuité productive à laquelle demeure homogène la seule précarité économique.
6-
Le chômeur et le précaire sont, parmi les classes populaires, les figures productives correspondantes à l’actuelle crise systémique du capitalisme. Celle-ci présente au moins deux
aspects, relevant chacun de tensions contradictoires. En premier lieu, il est nécessaire pour le capital de briser les rigidités du code du travail, des statuts, des collectifs de travail
rompus aux luttes revendicatives, de ce qui s’apparente à un emploi, une condition, un revenu relativement stables, de tout ce qui constitue socialement en face de lui le travailleur,
comme autant de freins à l’extorsion de survaleur. Mais il a également besoin d’exercer un gouvernement sur le travail vivant comprenant des formes d’émulation, impliquant
notamment de s’attacher une consommation de masse qui assure la pérennité de son développement. La crise des subprimes marque l’échec patent de l’articulation de ces deux
exigences, en tant que tentative de généraliser l’endettement populaire pour s’attacher cette consommation de masse (en l’occurrence, l’accès de masse à la propriété du logement) et
contourner la nécessité d’augmenter les revenus des classes subalternes. L’autre aspect est celui de la nécessaire reconversion « écologique » de l’économie qui ne peut s’accomplir
sans une remise en cause des modalités de l’exploitation, de l’échange et du rapport au vivant constitutives de l’existence même de l’économie. Dans ces conditions, aucune
résolution, aucun « dépassement » n’est possible. Depuis plus de trente ans, les luttes contre les restructurations nous ont appris que la « crise » est devenue la forme structurelle du
capital et qu’elle constitue le mode d’existence normal de l’économie mondiale. Ainsi le capitalisme n’est il absolument pas voué à s’effondrer, hors de l’action délibérée des classes
populaires cherchant à porter les contradictions jusqu’à leur point de rupture. Chômeurs et précaires constituent des figures d’une incomplète et insatisfaisante subjectivation par le
salariat, entendu comme paradigme du travail industriel capitaliste entré en crise profonde.
7-
Le chômeur incarne la crise du salariat comme inadaptation structurelle, et vouée à s’aggraver, entre la puissance coopératrice et organisatrice du travail vivant et les formes de
gouvernement imposées à cette puissance. Le capital exploite l’activité des chômeurs effectué hors contrat de travail (formation, production de biens-connaissances, tissage de
réseaux, soins affectifs…) en empêchant que ce travail soit pleinement reconnu, et donc rétribué comme tel. Par là, il renforce en partie sa maîtrise sur l’activité, en sélectionnant ce
qui mérite d’être reconnu comme du travail. Mais, de ce fait, s’ouvre inévitablement un espace à l’autonomie, à l’auto-organisation du travail, susceptible de mettre à distance ses
injonctions disciplinaires. En effet, le chômeur est étymologiquement celui qui s’adonne au caumare, au repos lorsqu’il fait chaud ; c’est à dire, celui qui sera toujours suspecté de