ne veulent pas davantage de social aujourd’hui et qui ont dit : « Nous exigeons l’unanimité et que
nous n’y participerons pas ». Dès l’instant où ils disent cela, ça veut dire qu’il n’y aura pas de
décision en matière sociale. Alors comment peut-on dire après ça que ce texte n’est pas connoté
idéologiquement et qu’il ne nous construit pas, et pour des décennies, une Europe ultra-libérale
sur le modèle de la société américaine, et c’est en fait ça bien le problème avec ce traité
constitutionnel, c’est qu’on est devant un choix de société: voulons-nous d’une société qui cultive
les valeurs européennes ou acceptons-nous de dériver vers un modèle de société du « Chacun
pour soi » où les services par exemple ne seront accessibles qu’à ceux qui peuvent se les payer.
Pascale Fourier : J’ai l’impression vraiment qu’il y a une espèce de spoliation de la démocratie
dans le sens où l’on nous demande maintenant d’avaliser une construction européenne qui s’est
passée finalement pendant quasiment 50 ans sans qu’il ne soit jamais demandé aux simples
citoyens d’exprimer directement leur opinion sur la forme de cette construction européenne,
sauf au moment de Maastricht avec les manipulations médiatiques que l’on connaît tous. J’ai tort
de penser cela, puisque je ne l’entends jamais repris en aucune façon dans les medias ou j’ai
quelques raison de pouvoir le penser?
Raoul Marc Jennar : Mais je dirais d’abord qu’il faut aujourd’hui, en tout cas sur le dossier
européen, se méfier beaucoup des medias qui manifestement ont perdu tout esprit critique et
toute indépendance. Il faut reconnaître que la construction européenne depuis le départ, depuis
le Traité de Rome en 1957 est d’avantage une construction inter-Etatique, entre Etats,
diplomatique, - donc avec tous les attributs de la diplomatie et notamment le secret, l’absence de
transparence, l’éloignement par rapport aux citoyennes et aux citoyens. C’est dans ce cadre-là
que la construction européenne s’est faite et je crois que les principaux acteurs de cette
construction ne se sont pas rendu compte qu’ils faisaient appel à des procédures qui empêchaient
les citoyennes et les citoyens d’Europe d’adhérer au processus. C’est un processus qui s’est
déroulé en dehors d’eux, alors que de plus en plus il les concerne. Et aujourd’hui, j’ai envie de dire
que l’on franchit une étape nouvelle, c’est qu’on veut figer dans un texte qui va requérir
aujourd’hui l’accord de 25 pays, dans deux ans de 27 pays pour être modifié, alors qu’auparavant
on était à 6, à 9, à 12, à15, ce qui était infiniment plus facile. Donc on va figer ce texte pour des
générations alors que l’on est en train de prendre un véritable tournant et d’adopter un modèle
de société qui est assez éloigné, comme je l’ai déjà dit, des fondamentaux de l’Europe. La
démocratie n’y trouve évidement pas son compte. Ce qu’on appelait, dès le départ de la
construction européenne, « un déficit démocratique » est toujours entier. D’abord on a une
grande confusion entre le pouvoir législatif qu’est le parlement européen qui est tout à fait limité
d’ailleurs dans ses attributions, même si le traité qu’on propose améliore un tout petit peu les
attributions du parlement. Grande confusion entre le parlement et l’exécutif. Quant à l’exécutif
qui est formé par le couple commission / conseil des ministres, a-t-on déjà réfléchi un seul
instant que comme collège, ni la commission européenne ni le conseil des ministres ne sont
comptables de leurs choix politiques devant les citoyennes et les citoyens, et pas d’avantage
devant ceux que nous avons élus soit au plan national soit au plan européen. Donc on va
constitutionnaliser le déficit démocratique, ce qui veut dire que, alors qu’on prétend vouloir faire
ce traité pour avoir une ossature institutionnelle beaucoup plus démocratique, on va exactement
dans l’autre sens. J’ai envie de dire que par rapport au diagnostic superbe qu’avait été la
déclaration de Lacken, un texte adopté en décembre2001 par les chefs d’Etats et de
gouvernements, qui faisaient un constat très lucide sur l’invisibilité de l’Europe, son éloignement,
qui demandaient qu’on simplifie les textes et qu’on simplifie les institutions, eh bien on peut dire
que le résultat, que le traitement qui a été apporté en conséquence de ce diagnostic aggrave la
maladie plutôt qu’il ne la guérit.