Mais où est donc Ornicar ? Atelier de réflexion sur la langue française On s’interroge, on fait des recherches, on échange et on partage. On essaie de nourrir sept rubriques : les bizarreries, des précis linguistiques, les fautes de langue, les expressions imagées, les astuces mnémotechniques, les étymologies étonnantes, les devinettes et les jeux de mots et de lettres. Site internet : http://jacge.nguyen.free.fr/ornicar/ Séance du 10 janvier 2013 Précis linguistique ● On observe une influence regrettable de l'anglais sur l'emploi de deux mots : Enjoindre : en anglais on dit : « To enjoin someone to do something » ; en français on doit dire : « Enjoindre à quelqu'un de faire quelque chose ». Inapproprié : en anglais, inappropriate signifie incorrect ; en français, inapproprié ne comporte aucune valeur morale. ● L'article partitif ou indéfini et la négation. Devant un nom objet direct ou sujet « réel » dans les phrases négatives, on emploie le simple de servant d'article partitif ou indéfini, si la négation est absolue, c'est-à-dire si le nom peut être précédé de « aucun » ou de « aucune quantité de » : Il fait des fautes. - Il ne fait pas de fautes. Il y a du vin. - Il n'y a plus de vin. Avez-vous des amis ? - N'avez-vous pas d'amis ? Historique. Dans la négation renforcée ne pas, ne point, les mots pas et point sont, à l'origine, des noms et, comme tels, prennent un complément déterminatif introduit par la préposition de. De même qu'on dit une quantité de fautes, un sac d'argent, on dit aussi il ne fait [un] pas de fautes, il n'a [un] point d'argent. C'est l'analogie qui a amené l'emploi de la préposition de avec d'autres mots négatifs : jamais, plus, sans. Mais on emploie du, de la, de l', des, si la négation n'est pas absolue : dans ce cas, la négation ne porte pas sur le nom, et la phrase, malgré le tour négatif, implique, quant au nom, une idée affirmative : Je n'ai pas de l'argent pour le gaspiller (= J'ai de l'argent, mais non pour le gaspiller). On ne saurait faire une omelette sans casser des œufs. Nous ne disons pas du mal de lui. [M. Grevisse, Le Bon Usage] Ne dites pas, n’écrivez pas Les éléments intriqués du mécanisme... La publicité commerciale... comme Dites, écrivez Les éléments imbriqués du mécanisme... Recours obligé à l'étymologie ! Imbriquer (du latin imbrex, « tuile ») = disposer des choses en les ajustant, de façon qu'elles se recouvrent partiellement (comme les tuiles d'un toit). Intriquer (du latin intricare, « embrouiller ») = mélanger, entremêler (« Cent problèmes soudain intriqués... »). pulsion La publicité comme impulsion commerciale... Deux mots (de pousser) aussi divergents que proches ! Si une impulsion (fait d'inciter à...) peut être donnée au commerce par la « pub », une pulsion demeure une tendance (inconsciente) qui « pousse à accomplir une action visant à réduire une tension » (Petit Larousse). Quant à pulser (de l'anglais to pulse) employé dans l'expression « air pulsé », il s'est trouvé un prolongement avec la locution d'emploi récent « Ça pulse »... L'inclination de la tour de Pise... L'inclinaison de la tour de Pise... Attention ! Inclinaison = état de ce qui est incliné, oblique (comme le toit d'une maison). Inclination = mouvement du haut du corps pour exprimer respect ou acquiescement ; penchant pour un être, une chose, une idée (« Une inclination à prier sous l'effet de l'inclinaison du navire... »). Un chien infecté de parasites... Un chien infesté de parasites... Infecter = pénétrer et se multiplier dans l'organisme, en parlant de microbes pathogènes. Infester = abonder, en parlant d'animaux ou de plantes nuisibles (« Une plaie infectée... », mais « Une mer infestée de requins, et des marécages, de moustiques... »). Autre acception d'infecter : « empester ». De célèbres coutumes de naguère... De célèbres coutumes de jadis... Alors, c'est loin ou pas, dans le passé ? That is the question ! Jadis (contraction du vieux français ja a dis, « il y a des jours ») = anciennement. Naguère ( de il n'y a guère) = récemment. Les coutumes, comme les religions, comme les traditions, s'enracinent forcément dans des temps lointains. [B. Laygues, Evitez de dire... Dites plutôt...] Expressions imagées Être comme l'âne de Buridan. Un grand indécis est comme l'âne de Buridan, il ne sait jamais quelle voie choisir entre toutes. Cet âne tient son nom du philosophe Jean Buridan (vers 1300-ap. J.C. - 1358) qui laissa à la postérité cette parabole : un âne, pressé par la faim et la soif, placé à égale distance d'un picotin d'avoine et d'un seau d'eau, se laisse finalement mourir de faim et de soif, n'ayant pu se résoudre à choisir quel besoin satisfaire en premier. Un comble de l'indécision. Pourtant, ce que l'on a coutume de désigner comme le « paradoxe de l'âne de Buridan » n'apparaît dans aucune des œuvres connues de Buridan et son attribution serait davantage le résultat d'une tradition orale. [Les Almaniaks, Pourquoi dit-on... ?] Tomber de Charybde en Scylla, c'est échapper à un danger pour en courir un encore plus grand. Dans la mythologie grecque, Charybde et Scylla étaient deux monstres marins, paraboles des dangers de la mer. Charybde était la fille de Poséidon, le dieu de la mer. Constamment affamée, elle s'en prit un jour au troupeau d'Hercule. Pour la punir, Zeus l'expédia au fin fond du détroit de Messine, où elle put se repaître de bateaux au rythme de trois fois par jour. Dans ce même détroit, à l'entrée d'une caverne, se trouvait déjà la terrible Scylla, aux douze moignons et six têtes. Dans l'Odyssée d'Homère, Ulysse passa avec succès à travers le danger que représentaient ces deux monstres. L'expression montre qu'une fois passé le risque Charybde, les marins doivent encore affronter le péril Scylla ; d'où cette notion du « mal en pis » qu'elle traduit. [Les Almaniaks, Pourquoi dit-on... ?] Faire amende honorable. Si vous faites amende honorable, vous reconnaissez ouvertement vos torts et demandez pardon, en public. Dans nos bouches actuelles, l'expression a perdu ce côté impératif d'une pénitence publique qu'elle avait au XVIe siècle. L'aristocrate condamné à cette peine devait expier ses fautes sur la place publique, pieds et tête nus, la corde au cou, vêtu d'une simple tunique blanche, en tenant un cierge à la main, devant un parterre de gueux réjouis d'une telle position infamante. L'amende était donc une peine très lourde. Quant à l'honneur, il était ce qu'un noble avait de plus cher. L'amende honorable représentait un degré supérieur à l'« amende profitable » qui, elle, ne s'attaquait qu'au porte-monnaie. [Les Almaniaks, Pourquoi dit-on... ?] Astuces mnémotechniques Parti ou partie. On hésite assez souvent entre parti (n.m.) et partie (n.f.), dans quelques expressions où ne se trouve aucun déterminant. Pour trouver la bonne orthographe, il peut être utile d'introduire un article ou un adjectif non épicène, c'est-à-dire ayant une forme distincte au masculin et au féminin. Expressions Astuces Hésiter entre plusieurs partis. Hésiter entre le parti de X et celui de Y. Prendre parti. Prendre le parti de... Tirer parti de... Avoir tiré grand parti de... Tout ou partie de... La totalité ou une partie de... Faire partie. Faire partie intégrante. Être juge et partie. Se conduire comme si l'on était à la fois le juge et l'une des parties. Prendre quelqu'un à partie. Attaquer quelqu'un comme s'il représentait la partie adverse, ennemie, dans un procès. [J.P. Colignon, Orthographe : trucs et astuces] Étymologies étonnantes Voiture, du latin vectura « action de transporter », de vectum, supin de vehere « transporter » cf. véhicule Véhicule : ce qui sert à transmettre, à faire passer d'un lieu à un autre. Au XVIème s., en médecine - selon Ambroise PARÉ -, humeur appelée "véhicule du sang", ce qui sert à transporter liquide, gaz dans un milieu fluide. En infectiologie : agent de transmission d'un germe : la puce, vecteur de la peste. En optique : dispositif qui redresse une image dans une lunette terrestre ; véhicule de Képler. Sens abstrait : ce qui sert à porter, à transporter, son objet : peu usité aujourd'hui. Le langage, véhicule de la pensée française..., les idées et leurs véhicules..., langue véhiculaire. Sens religieux : l'une des voies du salut dans le boudhisme. Le grand véhicule : Mahayana le petit véhicule : Hinayana. Sens moderne: moyen de transport ; mot employé très rarement avant le XIXème s. [Contribution de Viviane Erat] Les premières acceptions de voiture étaient : le transport, le mode de transport et ce qui est transporté. Ainsi, le bateau était une voiture. Une voiture de bois signifiait un chargement de bois. Plus tard, la voiture automobile a remplacé la voiture hippomobile. Et maintenant voiture et auto sont synonymes. Dans les chemins de fer, on distinguait le wagon, qui transportait les marchandises, de la voiture, qui transportait les voyageurs. [Contribution de Dominique Louette] Améthyste n.f. Sens : Pierre fine violette, variété de quartz. Adj. inv. De la couleur de cette pierre. Étymologie : du grec amethustos, via le latin amethystus « sans ivresse » ; cette belle pierre fine passait pour préserver de l'enivrement. [J.P. Colignon, Étonnantes étymologies] Blazer n.m. : veste de sport, souvent bleu marine et en flanelle unie. Ce vêtement est venu d'outre-Manche, vers 1880 : à l'origine, il s'agit des vestes ou vestons de couleurs vives portés par les collégiens britanniques. Ces vestes reflétant l'appartenance à tel ou tel établissement étaient le plus souvent à rayures et comportaient un écusson. Le nom découle de ces rayures et de ces couleurs vives : blazer est un dérivé de to blaze, « briller », « flamboyer ». [J.P. Colignon, Étonnantes étymologies] Quel est le point commun entre déluré et leurre ? C'est le francique *loder, « appât ». Les chasseurs utilisaient autrefois un faucon pour prendre le petit gibier. L'oiseau, perché sur le poing de son maître, fondait sur la proie convoitée. Afin que l'oiseau revînt, s'il était bredouille, on utilisait, pour l'attirer, un stratagème : un morceau de cuir rouge en forme d'oiseau et garni d'un appât, posé sur le poing du chasseur. En francique, cet artifice s'appelait *loder. Le français en fit leurre. Leurre prit rapidement le sens de « tromperie ». Le verbe dérivé, leurrer, veut dire « tromper ». Déleurrer signifiait au Moyen Age « détromper ». Dans plusieurs régions, le verbe se disait délurer. Le participe déleurré, ou déluré, signifiait « qui ne se laisse pas tromper », « qui ne croit pas n'importe quoi ». [René Garrus, Les Étymologies surprises.] Quel est le point commun entre désemparé et rempart ? C'est le latin populaire *anteparare, « préparer à l'avance ». *Anteparare était un composé de parare, « préparer », et d'ante, « avant ». Par le provençal amparar, il donna en français le verbe emparer qui avait au Moyen Age le sens de « faire des préparatifs de défense, fortifier ». « Se fortifier d'une position » pouvait donc se dire « s'emparer d'une position ». Le sens de s'emparer glissa ainsi vers sa signification actuelle de « se rendre maître de ». Le composé remparer signifiait « renforcer les défenses ». Le nom rempart en est un dérivé. Désemparer voulait dire « détruire les fortifications », « démanteler ». On est désemparé quand on a perdu ses remparts. On agit sans désemparer quand on ne relâche pas ses efforts de défense ou de guerre. [René Garrus, Les Étymologies surprises.] Devinettes, jeux de mots, jeux de lettre Un futur papa cherche un prénom pour le futur bébé et propose à sa femme : “Que dirais-tu de ROUGE STOP ou VERT PASSE ? - Mais ce ne sont pas des prénoms d’ici ? - Alors pourquoi le voisin a appelé son fils JOHN ATTEND ?” Fin du tricolore. Relevé dans Perles de la littérature de Pierre Ferran et Dominique Jacob... Clair comme le jour « J'en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore. » Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses. « Le zèbre est ainsi dénommé, non pas à cause de sa rapidité mais à raison de ses zébrures. » M. Cendrier, Histoire Naturelle. « La Delaware coule parallèlement à la rue qui suit son bord. » François-René de Chateaubriand, Voyage en Amérique, 1827