ECOLE DES HAUTES ETUDES COMMERCIALES DE L’UNIVERSITE DE LAUSANNE
Professeur :
Olivier Cadot
Matière :
Mondialisation & politique
commerciale
Session :
Eté 2004
Durée de l’examen : 3 heures
Sans documentation. Prière de rendre la donnée de l’examen avec le travail
Si vous n’arrivez pas à répondre à une question, passez à la question suivante. Toutes les
questions et sous-questions ont la même pondération (10 points sur 100 pour chaque
sous-question). Bonne chance !
Question 1
1. Dans le modèle d’Heckscher-Ohlin, les gains du commerce proviennent de la
spécialisation des pays. Ces gains nécessitent-ils, pour se réaliser, des économies
d’échelle dans la production des biens échangés ? Que votre réponse soit oui ou non,
expliquez précisément pourquoi.
2. Dans le modèle d’Heckscher-Ohlin, le commerce international requiert, pour être
bénéfique, des différences dans les dotations factorielles des pays commerçant.
Pourtant, le gros du commerce international prend place entre des pays très
semblables dans leurs dotations factorielles : pays membres de l’Union Européenne,
par exemple, ou, plus généralement, pays membres de l’OCDE. Comment expliquez-
vous cela ?
3. Quelles sont les sources de gains du commerce dans le type de commerce que vous
venez de décrire ? Pensez-vous que, dans la réalité, ces gains sont plutôt plus ou
plutôt moins importants que les gains de la spécialisation mentionnés en 1) ?
4. Les statistiques de commerce entre les Etats-Unis et le Mexique ou entre l’Europe
occidentale et l’Europe de l’Est montrent des flux de marchandises importants, dans
les deux sens, à l’intérieur de secteurs tels que le textile/habillement, la machinerie,
ou les véhicules de transport. Ce commerce « intra-industriel » est-il compatible
plutôt avec le modèle d’Heckscher-Ohlin ou avec d’autres modèles ? Pourquoi ?
(Attention piège)
5. En présence de commerce du type Heckscher-Ohlin, la meilleure politique
commerciale est, en toutes circonstances, le libre-échange. Ceci est-il toujours vrai en
présence d’autres types de commerce ? Pouvez-vous donner un ou des exemples de
politique commerciale « stratégique » ? Que pensez-vous de ce type de politique
commerciale sur le plan politique ?
Réponses suggérées
1. Non. Les hypothèses nécessaires sont (i) que les intensités factorielles diffèrent entre
les secteurs et (ii) que les abondances en facteurs diffèrent entre pays. Sous ces
hypothèses, chaque pays a un avantage comparé dans au moins un secteur et
l’exploitation de cet avantage comparé par la spécialisation génère des gains de bien-
être. La source de ces gains n’est pas le fait qu’en mettant plus de ressources dans la
production du bien dans lequel il a un avantage comparé, un pays produit plus de ce
bien par unité de travail ou de capital (économies d’échelle), mais que ce bien a un
prix international supérieur à son coût d’opportunité national.
2. Pour expliquer le commerce entre pays similaires dans leurs dotations factorielles, il
faut avoir recours aux modèles de commerce intra-industriel développés dans les
années quatre-vingt (dumping réciproque, concurrence monopolistique).
3. Dans le modèle de dumping réciproque (qui est un modèle d’oligopole à la Cournot
entre entreprises nationales et étrangères), les gains du commerce viennent du fait que
la concurrence entre producteurs nationaux et étrangers réduit les marges, les profits
et les prix à la consommation. La somme des coûts de transport et de la réduction des
profits est, sauf cas particulier, inférieur aux gains générés en termes de surplus du
consommateur, d’où accroissement du bien-être collectif. L’expérience des pays
ayant pratiqué le protectionnisme pendant une longue période, particulièrement les
plus petits dans lesquels la concurrence interne ne peut pas se substituer à la
concurrence étrangère, suggère que cet effet (la « concurrence importée ») est très
important, probablement beaucoup plus que celui de la spécialisation.
4. Ce type de commerce peut être ce qui a été décrit dans la question précédente, mais il
peut s’agir également de « commerce vertical » dans lequel un pays (typiquement un
pays riche) produit des composants intensifs en capital qui sont ensuite assemblés
dans un autre pays (typiquement plus pauvre). Ce commerce, bien qu’à l’intérieur
d’une même filière, se comprend mieux à l’aide du modèle HO que d’un modèle de
dumping réciproque ou de concurrence monopolistique. En effet, il est fondé sur
l’exploitation de différences en intensités et en dotations factorielles, l’assemblage
étant typiquement plus intensif en travail que la production de composants et les pays
relativement pauvres étant relativement plus abondants en travail que les pays riches.
Il est donc avantageux de « saucissonner » la chaîne de la valeur en fonction de
l’avantage comparé.
5. En présence de commerce intra-industriel, des politiques commerciales stratégiques
(promotion de champions nationaux par des subventions, etc.) peuvent affecter les
conditions de la concurrence d’une manière qui profite au pays les pratiquant aux
dépens des autres. L’exemple le plus largement cité est celui d’Airbus mais il en
existe bien d’autres. Dans la pratique, pour un succès (Airbus), il y a beaucoup
d’échecs (télévision haute définition, « plan calcul » en France, ordinateurs de
cinquième génération au Japon, etc…). En outre il est difficile de justifier des
politiques qui violent l’esprit sinon la lettre des accords du GATT.
Question 2
Dans l’ALENA (sigle français pour NAFTA), les Etats-Unis, le Mexique et le Canada ont
échangé des réductions réciproques de tarifs douaniers afin d’encourager le commerce.
Ainsi, alors que des chemises taiwanaises doivent acquitter des droits de douanes de plus
de 10% à l’entrée aux Etats-Unis
1
, les chemises mexicaines sont soumises à des droits
fortement réduits et, à terme, nuls. Les trois pays signataires ont également adopté des
règles d’origine, spécifiées dans l’Annexe 401 de l’ALENA, finissant l’éligibilité des
produits aux préférences tarifaires. Par « préférence tarifaire » on désigne la différence
entre le taux NAFTA payable par les Mexicains et Canadiens sur le marché américain et le
taux MFN payable par tous les autres.
Tableau 1
Variable dépendante: augmentation du prix des biens terminaux mexicains
à l'exportation vers les EU (Etats-Unis), régime “NAFTA” (par rapport au
régime “MFN”)
Méthode: MC pondérés
Echantillon: secteur textile-habillement
(1)
(2)
Régresseurs
Coeff.
stat. t
Coeff.
stat. t
Préférence tarifaire accordée par les EU
0.799
3.33
0.474
2.12
Règle d'origine
6.549
5.93
Observations
913
913
R2 ajusté
0.46
0.49
1. Considérez les résultats de régression présentés dans la colonne (1) du tableau 1. La
variable dépendante et le premier gresseur (préférence tarifaire) sont tous deux
exprimés en points de pourcentage et donc directement comparables. Quelle est la
part de la préférence tarifaire « retenue » par les producteurs mexicains sous forme
d’une augmentation de prix ? Comment expliquez-vous qu’elle soit inférieure à
100% ? Cette différence est-elle significative ? Etes-vous surpris par ce résultat ?
2. Considérez maintenant l’équation (2). Comment interprétez-vous l’effet de la règle
d’origine sur la variable dépendante ? La part de la préférence tarifaire retenue par les
1
Les droits payés par les Taiwanais sont appelés « MFN » (Most Favored Nation) pour indiquer
que les Taiwanais sont soumis au régime général. Les droits payés par les Mexicains sont appelés
« NAFTA » pour indiquer qu’ils sont soumis au régime préférentiel (droits réduits).
producteurs mexicains est-elle maintenant significativement différente de 100% ?
Comment expliquez-vous cette variation par rapport à l’équation (1) ?
Tableau 2
Variable dépendante: augmentation du prix des biens intermédiaires
américains à l'exportation vers le Mexique, régime « NAFTA » (par rapport
aux exportations vers d’autres pays)
Méthode : MC pondérés
Echantillon: secteur textile-habillement
Régresseurs
Coeff.
stat. t
Préférence tarifaire accordée par le Mexique
0.62
6.54
Règle d'origine
2.319
1.11
Pref. tarif. accordée par les EU sur les biens en aval (a)
0.689
3.86
Règle d'origine sur les biens en aval (a)
0.053
2.01
Observations
837
R2 ajusté
0.54
Notes
(a) « En aval » (downstream en Anglais) défini à l'aide d'un tableau input/output
Considérez maintenant le tableau 2, dont la variable dépendante est l’augmentation du
prix des biens intermédiaires américains exportés par le Mexique (pour faciliter la
compréhension, pensez à la variable dépendante du tableau 1 comme l’augmentation du
prix des chemises mexicaines et à celle du tableau 2 comme l’augmentation du prix du
coton américain utilisé dans les chemises mexicaines, toutes deux par rapport au prix
mondial). Dans le tableau 2, le deuxième régresseur (règle d’origine) s’applique au bien
intermédiaire (coton). Les règles d’origine sont définies par type de bien mais
s’appliquent de la même façon aux trois pays. Le troisième régresseur est une sorte de
moyenne pondérée des préférences tarifaires appliquées par les Américains aux biens en
aval (des préférences de 4% sur les chemises unies et 8% sur les chemises à carreaux
donneraient une valeur de 6% à cette variable si les ventes de coton étaient réparties
moitié-moitié entre ces deux types de chemises). L’interprétation des règles d’origine en
aval, qui imposent aux producteurs mexicains de chemises d’acheter une certaine
proportion de leurs inputs dans la zone ALENA, est similaire.
3. Comment interprétez-vous l’effet des règles d’origine en aval sur la variable
dépendante ? Donnez une interprétation économique.
4. Du point de vue économique, pourquoi les règles d’origine réduisent-elles, comme le
montre le tableau 1, la rente des producteurs de chemises mexicains ? (Distinguez
deux effets en utilisant les résultats du tableau 2)
5. Comment justifie-t-on officiellement les règles d’origine ? D’après les chiffres du
tableau 2, qui sont, dans la réalité, leurs bénéficiaires ? Pensez-vous que les
producteurs de coton américains, par exemple, ont un grand pouvoir de lobbying ?
(Obtiennent-ils, à votre connaissance, d’autres faveurs du gouvernement
américain ?)
Réponses suggérées
1. La part retenue par les producteurs mexicains est égale à 79.9% de la préférence
tarifaire. L’explication la plus simple du fait qu’elle soit inférieure à un est que les
importateurs américains (souvent des grandes chaînes de distribution) ont un pouvoir
de marché leur permettant de forcer les mexicains à céder une partie de la rente créée
par la préférence tarifaire. Cependant, la statistique t est égale à 3.33 sous l’hypothèse
nulle que le vrai coefficient est égal à zéro, ce qui implique que l’écart-type de
l’estimé est égal à
0.799/3.33 0.24.

Sous l’hypothèse nulle que le vrai
coefficient est maintenant égal à un, la statistique t est égale à (0.799 1)/0.24 = -
0.838. La valeur critique de t étant, pour un « one-tailed test » (traduction française ?)
égale à -1.645, l’hypothèse nulle (
1
) ne peut pas être rejetée à 5%.
2
Ce résultat
suggère que les importateurs américains ne semblent finalement pas avoir tant de
pouvoir de marché que cela, ce qui est, en effet, surprenant !
2. L’équation deux comprend une variable explicative reflétant la présence de règles
d’origine. Celles-ci sont coûteuses et justifient donc des prix plus élevés pour les
biens terminaux mexicains. Une fois que l’on tient compte de cet effet, la part de la
préférence réellement retenue par les mexicains n’est plus que de 47.4% et est
significativement au-dessous de un, ce qui est plus satisfaisant pour l’esprit ! Ces
pauvres mexicains se font bien exploiter, comme on s’y attendait.
3. Dans le tableau deux, la variable dépendante est maintenant le prix des biens
intermédiaires américains exportés au Mexique pour entrer dans l’assemblage de
biens terminaux qui, à leur tour, seront re-exportés par les Mexicains sur le marché
US. L’effet des règles d’origine en aval est de créer une demande mexicaine captive
pour les biens intermédiaires américains dont le prix a alors tendance à augmenter.
4. Le premier effet est de forcer les producteurs de chemises mexicains à acheter du
coton américain qui est plus cher, ce qui accroît leurs coûts. C’est l’effet illustré par la
première équation. Le deuxième effet, qui est montré dans la deuxième équation, est
de créer une tension sur le marché du coton américain dont le prix augmente alors
même par rapport à son niveau initial, qui était déjà plus élevé que le niveau mondial.
5. Les règles d’origines sont justifiées de plusieurs manières, dont l’une consiste à dire
qu’en forçant un minimum de contenu local on favorise l’industrialisation du pays
2
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