AMGE-Caravane - Conférence du 10 février 2008
Le secteur informel au Maroc : gangrène ou aubaine ?
Intervenants :
M. Richard Walther, expert du Département de la Recherche de l'Agence Française de
Développement
Mme Rajaa Mejjati Alami, universitaire, consultante et membre de l’Observatoire National pour le
Développement Humain
Modérateurs :
Mohammed Fassi-Fehri, AMGE-Caravane
Saad Berrada, AMGE-Caravane
Partie 1 : Approche globale sur le secteur informel en Afrique
M. Richard Walter est l’auteur d’une étude sur le secteur informel dans 7 pays africains : ,
Afrique du Sud, Ethiopie, Angola, Sénégal, Cameroun, Bénin
Définition du secteur informel, telle qu’énoncée par les statisticiens (1993) :
Le secteur informel est constitué d’unités de production n’ayant pas de comptabilité complète
déclarée.
Les spécialistes se divisent entre deux approches :
- Le secteur informel : ensemble des activités informelles de léconomie
- L’activité informelle : approche transverse à l’économie, selon la définition du Bureau
International du Travail (BIT)
Autres approches du secteur informel :
- Définition sociale : travail en l’absence de protection sociale : non existence des contrats
de travail, non paiement des cotisations
- Définition fiscale : Non paiement des taxes et impôts
Principales caractéristiques :
- C’est une économie de l’emploi et de la micro-entreprise : en moyenne moins de 10
employés par unité de production en Afrique (moyenne marocaine : 1.5 employés par unité)
- C’est souvent une économie domestique, voire familiale
- L’absence de comptabilité rend difficile d’en mesurer la rentabilité, d’évaluer la pérennité
de l’activité
- Toutefois, le secteur informel n’est pas à part, en marge, de l’économie réelle. Il en est
partie intégrante.
Pour toutes ces raisons, il faut dynamiser le secteur informel en tant que moyen de lutte contre la
pauvreté, et développer les compétences de ceux qui y sont employés.
Importance du secteur informel : quelques chiffres clés :
En Afrique du Sud : le secteur informel représente 31% de l’emploi, à quoi il fait ajouter 10%
d’activités informelles dans l’emploi formel.
En Afrique subsaharienne, en moyenne, le secteur informel représente entre 60 et 70% de l’emploi
et participe à hauteur de 50 à 60% au PIB.
Au Maroc, le secteur informel emploie 39% des emplois urbains et représente 17% du PIB. Toutefois,
l’on considère habituellement que 90% de l’emploi dans le secteur agricole et rural est informel, ce
qui amène à valoriser bien davantage le secteur informel marocain. L’on estime généralement que
l’apport total de l’activité informelle au PIB est de 40%.
Certains secteurs de l’économie sont particulièrement concernés. Dans la construction, par
exemple, la plupart des sous-traitants sont informels.
Secteur informel et formation :
En Afrique sub-saharienne : 9 jeunes sur 10 sortant d’école passent par l’économie informelle. Pour
les personnes possédant un diplôme supérieur, 70% des individus sont concernés.
Au Maroc, on sait qu’un diplômé de l’université met 3 à 4 fois plus de temps à trouver un emploi
que la moyenne nationale.
Le secteur informel favorise la déqualification.
Pour éviter cela, il faut que la formation prenne davantage en compte les besoins de l’économie
réelle, y compris informelle.
On observe généralement que le passage par des formations adaptées divise par 3 le temps de
recherche d’emploi)
Rôles du secteur informel
- Moyen de lutte contre la pauvreté : souvent même de lutte pour la survie
- Créateur d’entreprises : il concerne 90% des entreprises dans la plupart des pays étudiés
- Sous-traitant du secteur formel. Et donc moyen de dynamiser le secteur formel, ce qui
constitue un apport réel
Toutefois c’est un secteur d’emploi précaire :
Au Maroc : moins de 18% des employés du secteur informel sont salariés (avec contrat d’embauche
et déclaration au CNSS). Ce chiffre tombe même à 9% en Ethiopie.
L’informel s’oppose-t-il au formel ? Faudrait-il nécessairement le formaliser, comme l’impliquent la
plupart des politiques mises en œuvre à ce jour ? Pas nécessairement, mais il faut le faire migrer
vers l’entreprenariat en développant les capacités de création, d’innovation, d’évolution.
Partie 2 : Panorama du secteur informel au Maroc
Rajaa Mejjati Alami
Concepts, définitions et hétérogénéités du secteur informel
Le secteur informel se caractérise par différentes définitions et perceptions.
Parfois à partir de critères, comme ceux du BIT.
Parfois à partir de perceptions : certains en retiennent les poches de pauvreté et marginalité,
d’autres l’identifient à l’illégal
Pourtant, il n’y a pas de transgression systématique de la loi : les activités informelles se font au
grand jour. Elles sont tolérées et témoignent parfois d’une ignorance de la réglementation.
Attention : on exclut ici les activités illégales (trafics, exercices illégaux de professions
réglementées, etc.)
Hétérogénéité du secteur informel :
Du point de vue démographique, le secteur informel évolue : il est de plus en plus alimenté par les
jeunes, les femmes, les diplômés, les petits fonctionnaires et les migrants.
Structures et organisation sont très variables, alors du très rigides (lois dirigistes des puissantes
corporations d’artisans) au plus souples, telles que les petites activités de commerce de rue
(ferracha, etc.). On dénombre également des petites industries et des unités de services. Certaines
structures bénéficient d’investissements, de capital, d’autres n’y ont pas accès.
Contexte économique et social de consolidation :
- Montée du chômage : 22% en milieu urbain en 2000, 15% aujourd’hui
- « Désalarisation » et montée de l’emploi vulnérable : multi-activité, auto-emploi, travail
occasionnel
- Montée de la pauvreté, selon le rapport du PNUD (constat inverse constaté par le HCR), qui
touche particulièrement les ruraux, les femmes, les enfants.
- Effets de l’ouverture de l’économie : réduction des effectifs du secteur public, baisse des
salaires réels et développement de la pluriactivité, informalisation du secteur formel :
délocalisations, abaissement de la législation du travail, flexibilisation.
Fonctionnement du secteur informel : potentialités et contraintes
Caractéristiques :
71,6% en sphère urbaine
39% emploi non agricole
50% n’ont pas de local
Pôles de concentration : Tanger, Tétouan, Doukkala, Meknès, Fès, Maroc oriental
- C’est un secteur lié étroitement au secteur moderne. Sa clientèle est essentiellement
privée, son approvisionnement se fait à la fois auprès du secteur formel et auprès réseaux
informels de connaissance (migrants, contrebande).
- On y observe une faiblesse de la sous-traitance : 76% n’en pratiquent pas, ou entre unités
similaires. Cette mauvaise intégration du tissu est un vrai handicap par rapport aux pays
d’Asie de l’est.
- La concurrence interne féroce liée à la démultiplication des acteurs.
Financement :
Il est principalement endogène et basé sur la confiance : 66,3% des acteurs. L’autofinancement et
financement familial y tiennent une bonne part. On retrouve également, crédits fournisseurs,
petites associations pour achats de lots. En revanche, le recours au crédit bancaire est faible (3.2%).
Les principales raisons invoquées sont la méfiance, les préjugés religieux, la rigidité des formalités.
Marché du travail
- Faible formation : 53% n’ont aucun niveau scolaire (hors école coranique), 6.3% ont un
niveau d’études supérieur
- Apprentissage sur le tas, seuls 5% ont eu accès à la formation professionnelle (cependant, ce
chiffre est en augmentation, grâce à de nombreuses d’initiatives)
- Faiblesse des logiques entrepreneuriales. Les unités opèrent à des fins de redistribution et
non d’accumulation du capital
- Irrégularité des revenus, difficiles à évaluer.
Tous ces points représentent des handicaps importants
Dynamique : quel rôle social du secteur informel ?
Le secteur informel peut-il être une source alternative demploi ? Peut-il jouer le rôle de régulateur
social ? Oui, mais :
- On y observe une dynamique de prolifération. Les unités composées d’une seule personne
représentent 70.5% du secteur, indiquant donc une logique de survie.
- Saturation et tertiarisation : micro-services et micro-commerce sont devenus les pôles
dominants de création d’emploi (91.2% de l’ensemble des emplois). Cela implique donc peu
de création de richesses, lié à la faiblesse des capitaux et des qualifications
- Précarisation : 16% de main d’œuvre est salariée, peu protégée. Auto-emploi, associations
sur risque, travail à domicile, aide familiales, travail des enfants, apprentis
En somme : le secteur informel a pour atout une capacité d’adaptation aux mutations économiques
et aux crises. Cependant il développe de nouvelles formes d’exclusion et de pauvreté liées à la
dégradation de l’emploi.
Informel et L’Etat : rapport à la légalité et politiques
La plupart des micro-entreprises bénéficient d’un statut « semi-légal » car elles respectent
partiellement les réglementations. Tour d’horizon :
Bon respect de la législation fiscale …
- Enregistrement : 55.7% des unités avec local enregistrées dans les fichiers de patentes (la
quasi-totalité de Derb Ghallef, par exemple)
- Registre du commerce : seulement 13% des micro-entreprises avec local
- IGR : paiement plutôt régulier de l’IGR
Peu de respect de la législation sociale et droit du travail : aucune micro-entreprise ne déclare ses
employés au CNSS. Ainsi, 93% des unités n’ont aucun ouvrier affilié.
Pourquoi ce non-respect des législations ? Les personnes interrogées répondent q
- Tolérance des pouvoirs publics : 85% des raisons invoquées pour l’absence de patente,
- Ne se sentent pas concernés : dans l’artisanat, notamment, peu se croient assujettis au
paiement de l’IGR, étant donné le reversement d’une partie de leurs revenus aux
organisations corporatistes et via le zakat.
- Complexité des procédures, coût d’enregistrement: invoqué dans 3.5% des cas pour la
patente, et 17.3% des cas pour la déclaration au CNSS
Conclusions : quelles issues et politiques ?
Pendant longtemps, les politiques ont été limitées et largement inadaptées. Mesures principales :
- encouragement à l’artisanat (confondu avec les PME)
- Mesures financières à l’égard des jeunes diplômés sans travail (Crédit jeunes promoteurs :
Moukawalati)
Cependant, il y une batterie d’initiatives récentes dont il faudra mesurer l’impact:
- Le micro-crédit, qui a été renforcé par l’INDH
- AGR comme actions de lutte
- Un début de protection sociale pour certains secteurs comme lartisanat
Pour autant, des questions restent en suspens :
Faut-il réglementer ou libéraliser ?
Faut-il agir sur les micro-entreprises : accès au crédit, aux matières premières ou sur la demande et
l’environnement ?
Partie 3 : La formation comme levier pour passer d’une économie de
subsistance à une économie créatrice de richesse
Richard Walter
En Afrique sub-saharienne, 95% des compétences de l’économie nationale sont produites par
l’informel, via la formation sur le tas. Seuls 2 à 6% des individus ont eu accès à l’enseignement et la
formation techniques et professionnels (EFTP). L’EFTP bénéficie lui-même de 2 à 6% des dépenses
publiques d’enseignement.
Les niveaux de compétence sont variés selon secteur de l’informel. Le niveau général d’éducation
est plutôt poussé dans la construction, moins dans les services ou le commerce.
Cependant, le secteur informel concerne des jeunes déscolarisés, majoritairement. Cela concerne
1.5-2M des jeunes marocains de 12-13 ans, auquel il faut donc fournir une formation minimale.
Cependant, il faut lutter prioritairement contre le phénomène de déscolarisation, sans pour autant
nuire à la « pré-professionalisation ».
Enfin, pour tous ceux qui sont déjà employés par le secteur informel, il s’agit d’améliorer les
compétences pour hausser le niveau de production/services. Notamment pour accéder au marc
international, à l’exportation.
Comment étendre la formation continue au secteur informel ? Aujourd’hui, souvent, les seules
formations professionalisantes dispensées le sont par les organismes de micro-crédit.
10 recommandations pour redynamiser le secteur informel par la formation :
- Etendre la formation professionnelle, l’accompagner, en élargir l’accès
- Moderniser les formations actuelles, notamment les formations artisanales traditionnelles
afin d’introduire des notions de management et de création et les amener à
l’entreprenariat
- Favoriser le partage des connaissances : aujourd’hui, celui-ci est bloqué du fait de
l’importance et la virulence de la concurrence
- Se donner les moyens pour passer de la formation à l’insertion professionnelle. Il faut en
avoir les soucis et les moyens pour aller vers l’emploi indépendant
- Mettre en place des outils de pré-professionnalisation axés sur les jeunes (avant même 12
ans)
- Mettre en place des outils de financement pérennes. A l’heure actuelle au Maroc, 70% de la
taxe professionnelle revient à OFPPT et non à la formation des employés
- Valoriser le rôle des syndicats professionnels, puissants dans certains domaines comme le
textile (ex textile) : il faut renforcer et impliquer ceux-ci dans la définition de la politique
des compétences. Et ce, jusqu’à l’évaluation des contenus de formations, auxquels l’Etat ne
doit pas être le seul contributeur
- Transformer les actifs du secteur en acteurs de leur propre formation. En ceci, s’inspirer du
modèle éthiopien qui a fait de ses « modern farmers », ses « copy farmers ». Souvent, les
acteurs de la profession sont plus efficaces que professionnels de la formation
- Donner une place aux jeunes dans le débat sur la professionnalisation et l’insertion, les
interroger sur leurs besoins et sur leurs visions de l’itinéraire professionnel.
- Elever le niveau éducatif, quoiqu’il arrive.
Dans le cadre de la démarche marocaine, il convient en plus de se focaliser d’abord sur la
professionalisation des secteurs « porteurs » (au sens du Plan Emergence). Ainsi, les efforts déjà
consentis ont fait augmenter de 100% l’apprentissage entre 2006 et 2008. L’Etat commence à
prendre la mesure des problèmes
Toutefois, le défi est important. Il s’agit de :
- Améliorer radicalement le niveau de scolarisation et sa qualité. Les objectifs du millénaire
ont abouti à une amélioration du taux de scolarisation faite aux dépens de la qualité
d’enseignement. Ainsi, le taux d’encadrement est passé de 1 professeur pour 35 élèves à 1
professeur pour 70 dans les dernières années.
- Ouvrir les dispositifs de formation alternée aux jeunes non scolarisés et/ou non employés
- Former les jeunes à la création d’activité. Il y a un réel problème de motivation des jeunes,
une absence de culture de l’entreprise, de l’investissement personnel, noté par toutes les
associations de micro-crédit
- Reconnaître le secteur informel et y injecter les compétences nécessaires.
Et les jeunes des Grandes Ecoles ?
Points forts
- Capacités scientifiques, techniques, managements
- Capacité d’évaluation des prospectives et des enjeux
- Connaissances de l’espace économique européen international et vécu en temps réel de
la crise
- Capacité de réflexion solidaire sur un avenir commun
Points faibles
- Incertitudes sur les choix professionnels, les itinéraires, sur les réponses à apporter aux
défis du pays
- Carence de formation sur les dynamiques de développement
- Distance par rapport aux enjeux du pays
Quel apport les jeunes des Grandes Ecoles peuvent-ils avoir ?
Un exemple : Besoins de l’artisanat, notés par ses acteurs :
- Recherche et développement
- Amélioration de la production, adaptation aux besoins et aux goûts internationaux,
modernisation des outils de production
- Préservation et sauvegarde du patrimoine
- Promotion de l’entreprenariat
- Formation de cadres supérieurs de l’artisanat
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