La perception de la douleur. Le sexe et les médicaments. Les hommes et les femmes semblent ressentir la douleur différemment. Cela peut vouloir dire qu’ils nécessitent parfois des traitements différents pour soulager la douleur. Les hommes et les femmes réagissent différemment à la douleur et ce, dès l’enfance. Presque partout, on s’attend à ce que les garçons jouent les durs quand ils sont blessés, tandis que les pleurnicheries sont caractéristiques des filles. Cette différence est en partie acquise – ou du moins, est renforcée par l’expérience. Mais elle est également en partie innée. Il semble, par exemple, difficile d’attribuer à l’éducation le fait que les filles et les garçons, bébés, présentent des réactions différentes à la douleur, six heures après la naissance ou encore, d’expliquer le fait que les rats mâles soient beaucoup plus patients que les rats femelles. En outre, cette différence se marque tout au long de la vie. Ed Keogh de l’université de Bath en Angleterre et ses collègues ont constaté que les femmes affirmaient non seulement ressentir plus de douleurs physiques que les hommes, mais également plus souvent au cours de leur vie que les hommes. De nombreux chercheurs ont donc conclu que la génétique était au moins en partie à l’origine de cette différence, et que les femelles ressentent réellement plus la douleur que les males. D’autres vont même plus loin. Ils pensent que la façon dont les hommes et les femmes ressentent la douleur n’est pas que quantitativement différente mais qu’elle est aussi qualitativement différente. Autrement dit, les cerveaux des hommes et des femmes traitent la douleur en utilisant des circuits différents. Par conséquent, quelques spécialistes de la douleur estiment qu’il ne s’agit que d’une question de temps pour que les calmants soient élaborés différemment pour les hommes et les femmes, ce qui justifierait cette différence. Jeffrey Mogil, directeur du laboratoire de génétique liée à la douleur à l’Université McGill de Montréal, est l’un des plus fervents défenseurs d’analgésiques « roses et bleus ». Prenez une maladie au hasard, déclare-t-il, et vous verrez qu’il y a de grandes chances que les femelles et les males supportent la douleur qui y est associée différemment. Cette théorie semble au moins se vérifier pour les souris. Lorsque de nouvelles souris, « échantillons » d’une maladie humaine, sont créées par des ingénieurs génétiques, on demande souvent au Dr Mogil et à ses collègues de soumettre les souris conçues à des analyses pour voir comment elles réagissent à la douleur. Ils trouvent constamment des différences dans la manière dont les souris mutantes, les souris malades et leurs consœurs n’ayant pas fait l’objet d’une mutation réagissent à une stimulation douloureuse. Cependant, ces différences sont généralement plus fortement marquées chez l’un des deux sexes. Une céphalée prescrite La migraine, un état trois fois plus fréquent chez les femmes que les hommes est le dernier exemple de ce genre de différence qui ait fait l’objet d’une étude. En 2004, un groupe de chercheurs dirigés par Michel Ferrari de la Clinique universitaire de Leiden aux Pays-Bas ont annoncé qu’ils avaient créé ce qu’ils croyaient être la première souris-cobaye pour la migraine. Depuis, quelques chercheurs soutiennent que la migraine est liée à une sensibilité très aiguë à la douleur et envoient leurs créations au Dr Mogil afin qu’il procède à des analyses. Bien qu’insistant sur le fait que ses résultats soient préliminaires, ce dernier a effectivement constaté un seuil de tolérance à la douleur moins élevé chez la souris-cobaye de la migraine que chez la souris en bonne santé - en ce qui concerne les femelles uniquement. Le Dr Mogil est à présent convaincu -et ce, pas seulement grâce à ses propres observationsque la réaction à la douleur chez les hommes et les femmes est activée par des neuromédiateurs. Les obstétriciens et les gynécologues savent depuis longtemps que certaines drogues font particulièrement effet sur les femmes. Les femmes en couche, par exemple, préfèrent la nalbuphine à la morphine. Les hommes, par contre, dénotent une préférence inverse quand ils souffrent. La nalbuphine et la morphine agissent toutes deux en stimulant les récepteurs opioïdes endogènes du cerveau (les récepteurs opioïdes endogènes sont des molécules similaires aux drogues dérivées de l’opium).On peut distinguer plusieurs types de récepteurs opioïdes, parmi lesquels les récepteurs mu et kappa sont deux des plus importants. La morphine se fixe sur les récepteurs mu, tandis que la nalbuphine stimule les récepteurs kappa, qui sont moins bien connus. Les agonistes des récepteurs kappa, comme sont appelés des molécules telles la nalbuphine, n’ont que peu ou pas d’effet analgésique chez les hommes. Il y a deux ans, le Dr Mogil a identifié le premier gène reconnu pour être impliqué dans la modulation des seuils de tolérance à la douleur chez les femmes. Des variations dans ce gène n’influencent pas la réaction des hommes à un agoniste des récepteurs kappa appelé pentozine. Par contre, elles influencent la réaction des femmes. La protéine produite par ce gène, le récepteur de la mélanocortine de type 1 agit également sur la couleur des cheveux et de la peau. Grâce à sa collaboration avec Roger Fillingim de l’université de Floride à Gainsville, le Dr Mogil a découvert que les femmes rousses à la peau claire – qui ont une variante particulière du récepteur- avaient une réponse soutenue à la pentazocine. Jon Levine et Robert Gear, de l’Institut National du Centre Médico-social qui étudie la douleur de l’université de Californie à San Fransisco, pensent également qu’il existe des différences fondamentales entre les deux sexes en ce qui concerne la douleur. Ils ont étudié les effets de la nalbuphine sur les douleurs postopératoires chez les hommes et les femmes dont on a enlevé les dents de sagesse. Les résultats ont laissé entendre que non seulement les agonistes des récepteurs opioïdes kappa ne parvenaient pas à soulager la douleur, mais qu’elles pouvaient même l’amplifier. Le Dr Gear et le Dr Levine pensent qu’à côté du circuit analgésique (c-à-d, qui enlève la douleur), le cerveau renferme ce qu’ils appellent un « circuit anti-analgésique », qui, lorsqu’il est stimulé, fait augmenter la douleur. Ils ont démontré que le circuit qui allait être activé ne dépendait pas uniquement du type de récepteur sur lequel agit la drogue mais également de la dose donnée. Parmi ces patients du service dentaire, de faibles doses de nalbuphine ont eu des effets antalgiques peu durables pour les femmes mais ont accru sensiblement la douleur des hommes. Cependant, lorsqu’ils ont ajouté une faible dose de naxolone(une drogue antagoniste de tous les récepteurs opioïdes) à la nalbuphine, la différence entre les sexes a disparu et le soulagement de la douleur fut nettement amélioré pour tous. Après avoir affiné les proportions relatives des deux drogues dans la préparation, ils ont réussi à trouver (et à faire breveter) une combinaison qui est efficace pour les deux sexes. Ceci n’est pas non plus le seul mécanisme de perception de la douleur qui varie en fonction du sexe. Le Dr Keogh et ses collègues soutiennent qu’il existe aussi des différences significatives dans la manière dont les hommes et les femmes font face à la douleur. Cette conclusion se fonde sur des recherches effectuées auprès de malades hospitalisés ainsi que d’autres volontaires qui furent soumis à un stimulus douloureux , comme baigner un bras dans de l’eau gelée. De cette manière, les chercheurs était capables d’évaluer le moment où le sujet commence à ressentir la douleur, tout comme son seuil de tolérance – le moment où il ne peut plus supporter cette sensation. Les hommes se sont montrés capables de minimiser leur expérience de la douleur en se concentrant sur les aspects sensoriels –c’est-à-dire, sur leurs réelles sensations physiques. Cette stratégie n’a néanmoins pas aidé les femmes, qui se concentrent plus sur les aspects émotionnels. Puisque les émotions liées à la douleur(telles que la peur et l’anxiété) sont généralement négatives, les chercheurs ont laissé entendre que l’approche des femmes exacerbait en fait plus la douleur qu’elle ne la soulageait. Le Dr Keogh, un psychologue, voit cette différence comme la conséquence d’un conditionnement social –et l’utilise pour souligner les dangers d’un délaissement des influences sociales au profit de celles des gènes. Mais rien n’indique que l’attitude des hommes et des femmes « reproduisant la même stratégie » ne pourrait pas être expliquée grâce à la génétique, de la même manière que l’ont été les perceptions. La raison due à l’évolution pour laquelle l’homme résiste mieux à la douleur que la femme reste toutefois un mystère. Après tout, la douleur existe pour que l’on cesse de se faire du mal. Peut-être est-ce dû au fait que les hommes et les femmes sont exposés à différents types de douleur ?Les males, par exemple, se battent beaucoup plus souvent que les femelles, et sont donc plus fréquemment blessés. Par ailleurs, ils n’ont pas à éprouver la douleur viscérale de l’enfantement. C’est peut-être leur désir de supporter moins de douleurs que les hommes qui peut aider à comprendre pourquoi les femmes vivent plus longtemps que leurs semblables masculins.