la gestion due à cette caste de privilégiés, un simple clan et pas
même une élite.
La violence policière courante s’exerce sur la voie publique ;
la violence économique brutalise la vie privée. Tant qu’on ne reçoit
pas des coups de matraque, on peut croire qu’ils sont réservés à qui
les mérite, alors que licenciements massifs et chômage sont
ressentis comme immérités.D’autant plus immérités que
l’information annonce en parallèle des bénéfices exorbitants pour
certaines entreprises et des gratifications démesurées pour leurs
dirigeants et leurs actionnaires. Au fond, l’exercice du pouvoir
étant d’abord affaire de « com » (communication) et de séduction
médiatique, l’État et ses institutions n’ont, en temps ordinaire,
qu’une existence virtuelle pour la majorité des citoyens, et
l’information n’a pas davantage de consistance tant qu’elle ne se
transforme pas en réalité douloureuse. Alors, quand la situation
devient franchement difficile, la douleur subie est décuplée par la
comparaison entre le sort des privilégiés et la pauvreté générale de
telle sorte que, au lieu de faire rêver, les images « people »
suscitent la rage. Le spectacle ne met plus en scène qu’une
différence insupportable et l’image, au lieu de fasciner, se retourne
contre elle-même en exhibant ce qu’elle masquait. Brusquement,
les cerveaux ne sont plus du tout disponibles !
Cette prise de conscience n’apporte pas pour autant la clarté
car le pouvoir dispose des moyens de semer la confusion. Qu’est-ce
qui, dans la « Crise », relève du système et qu’est-ce qui relève de
l’erreur de gestion ? Son désastre est imputé à la spéculation, mais
qui a spéculé sinon principalement les banques en accumulant des
titres aux dividendes mirifiques soudain devenus « pourris ». Cette
pourriture aurait dû ne mortifier que ses acquéreurs puisqu’elle se
situait hors de l’économie réelle mais les banques ayant failli, c’est
tout le système monétaire qui s’effondre et avec lui l’économie.
Le pouvoir se précipite donc au secours des banques afin de
sauver l’économie et, dit-il, de préserver les emplois et la
subsistance des citoyens. Pourtant, il y a peu de semaines, la
ministre de l’économie assurait que la Crise épargnerait le pays,
puis, brusquement, il a fallu de toute urgence donner quelques
centaines de milliards à nos banques jusque-là censées plus
prudentes qu’ailleurs. Et cela fait, la Crise a commencé à balayer
entreprises et emplois comme si le remède précipitait le mal.
La violence ordinaire que subissait le monde du travail avec
la réduction des acquis sociaux s’est trouvée décuplée en quelques
semaines par la multiplication des fermetures d’entreprises et des
licenciements. En résumé, l’État aurait sauvé les banques pour
écarter l’approche d’un krach et cette intervention aurait bien eu
des effets bénéfiques puisque les banques affichent des bilans
positifs, cependant que les industries ferment et licencient en
masse. Qu’en conclure sinon soit à un échec du pouvoir, soit à un
mensonge de ce même pouvoir puisque le sauvetage des banques
s’est soldé par un désastre?
Faute d’une opposition politique crédible, ce sont les
syndicats qui réagissent et qui, pour une fois, s’unissent pour
déclencher grèves et manifestations. Le 29 janvier, plus de deux
millions de gens défilent dans une centaine de villes. Le Président
fixe un rendez-vous aux syndicats trois semaines plus tard et ceux-
ci, en dépit du succès de leur action, acceptent ce délai et ne
programment une nouvelle journée d’action que pour le 19 mars.
Résultat de la négociation : le « social » recevra moins du centième
de ce qu’ont reçu les banques. Résultat de la journée du 19 mars :
trois millions de manifestants dans un plus grand nombre de villes
et refus de la part du pouvoir de nouvelles négociations.