DOC - Europa EU

SPEECH/02/320
Philippe Busquin
Commissaire européen chargé de la Recherche
Recherche européenne et
responsabilité sociale des entreprises
European Academy of Corporate Social Responibility
Inaugurial Colloquium - INSEAD
Fontainebleau, 5-6 juillet 2002

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Monsieur le Doyen, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,
C'est un très grand plaisir, pour moi, d'être associé au lancement de l'European
Academy of Corporate Responsibility.
Avant tout, je voudrais remercier les organisateurs de leur invitation, et de m'avoir
offert l'occasion de vous présenter, à cette occasion, quelques réflexions.
Ces réflexions porteront sur deux thèmes. Je souhaiterais en effet successivement
considérer la Corporate Social responsibility :
- Dans une perspective politique ;
- Dans une perspective de recherche.
La Corporate Social Responsibility : une perspective politique
La notion de Corporate Social Responsibility est née et est aujourd'hui invoquée
dans un contexte de réflexion essentiellement éthique et sociale.
Pourtant, il est clair qu'elle appelle une réflexion politique, qu'elle doit être
considérée dans une perspective et dans un éclairage politiques.
Pour quelles raisons, et de quelle façon ? A titre d'illustrations, j'évoquerai quatre
aspects.
Tous quatre sont liés à ce qu'on pourrait appeler certaines contradictions internes
du concept de Corporate Social Responsibility, l'autre face, peut-être, de son
intérêt.
Une des composantes fondamentales de l'idée de Corporate Social Responsibilty,
est ainsi d'intégrer très en amont dans l'activité économique et celle des
entreprises, les exigences du développement durable.
Ceci conduit notamment à chercher à réduire au maximum le risque lié à ces
activités.
Or, par définition, l'activité entrepreneuriale est fondée sur l'innovation, sa
promotion et son exploitation.
Cette contradiction apparente ne prêterait pas à conséquence si la maîtrise du
risque n'était pas si souvent perçue comme devant conduire au "risque zéro". Mais
le risque zéro n'existe pas, et chercher à l'atteindre, c'est gravement se leurrer.
Face à une innovation ou une technologie donnée, la société doit donc décider quel
niveau de risque elle est prête à accepter. Ceci est un jugement politique, produit
d'un débat politique.
Une deuxième illustration est fournie par un aspect lié à la deuxième composante
du concept de Corporate Social Responsibility, la composante sociale.
Une idée assez systématiquement invoquée aujourd'hui est que la vie économique
et sociale doit être organisée de manière à respecter le principe d'égalité des
chances. On peut donc s'attendre à la voir s'exprimer dans l'agenda social de la
Corporate Social Responsibility.
Mais s'il est assez conforme à la vision des entreprises, le principe d'égalité des
chances est-il le meilleur instrument d'une vraie justice sociale ?
Au-delà de l'égalité abstraite, celle-ci requiert une égalité des possibilités concrètes
d'existence et de développement personnel.

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Autre question politique liée à la dimension sociale de la Corporate Social
Responsibilty, celle du contrôle des normes sociales de l'activité des entreprises, en
matière de travail des enfants, par exemple.
Au-delà des dispositions légales des conventions internationales, les entreprises
peuvent décider, sur une base volontaire, de respecter certaines conditions pouvant
servir de base à des "labels sociaux".
La question est celle de la crédibilité du contrôle de ces normes. Peut-il être assuré
par les seules entreprises ? Les autorités publiques ont ici, me semble-t-il, un rôle à
jouer.
En conclusion de ce premier chapitre, je poserai une question. Le principe de la
Corporate Social Responsibility est d'arriver à un équilibre entre les intérêts des
actionnaires des entreprises et les intérêts plus larges de la société.
A la limite, ceci ne devrait-il pas conduire à envisager d'autres formes de partage et
de rémunération du capital, basées sur le principe des coopératives mutuelles ?
La Corporate Social Responsibility, une perspective de recherche
J'en viens à présent à mon deuxième thème, la perspective de recherche. Parmi les
sujets dont s'occupera l'European Academy of Corporate Social Responsibility
figure notamment la recherche dans ce domaine, plus particulièrement dans sa
dimension européenne.
L'idée d'une recherche européenne sur le thème de la Corporate Social
Responsibility constitue à la fois un défi, une nécessité et une chance.
C'est un défi notamment pour les raisons suivantes :
- La notion de Corporate Social Responsibility est encore floue. La problématique
à laquelle elle renvoie est en émergence seulement. Le champ de questions
concerné est encore mal défini ;
- En termes académiques et de disciplines, les frontières de la Corporate Social
Responsibility sont encore incertaines. Quel lien, par exemple, avec l'Ethique des
affaires ?
- Les conceptions comme les pratiques en cause varient considérablement selon
les entreprises. En termes d'enseignement, l'importance accordée à la Corporate
Social Responsibility, et le contenu qu'on lui donne, sont également très
différents selon les établissements ;
- A première vue, comme plusieurs autres disciplines au programme des
"Business Schools", la Corporate Sociel responsibility apparaît davantage
comme une matière d'enseignement que de recherche ;
Mais c'est aussi une nécessité, pour les raisons suivantes :
- Une recherche de qualité peut aider à conférer à la Coporate Social
Responsibility le caractère d'une discipline sérieuse, ne se réduisant pas à du
pur marketing ;
- Un effort est actuellement fait pour développer une approche de la Corporate
Social Responsibility au niveau européen. Prochainement, la Commission
adoptera une Communication sur ce thème. Cette approche doit pouvoir
s'appuyer sur un effort de recherche commun ;

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- Plus largement, la recherche, et notamment celle en sciences sociales
appliquées, doit aider à concrétiser une approche de l'activité économique
fondée sur les valeurs partagées par les Européens, et ce qu'on appelle le
modèle européen de société.
Enfin, c'est une chance pour les raisons suivantes :
- C'est une chance, pour les entreprises et le monde académique, de s'associer
concrètement dans un effort de recherche commun.
Elles le font déjà largement dans les domaines de recherche technologique,
mais moins en économie appliquée et dans les autres domaines d'intérêt
académique liés à leur activité ;
- C'est une chance, pour les Business Schools européennes, qui ne coopèrent
pas encore autant que les universités et les autres établissements
d'enseignement supérieur, de s'engager dans un effort commun sur un thème
socialement important ;
- C'est une chance, pour la recherche en sciences sociales en Europe, d'aborder
en collaboration un objet original et en voie de constitution, ainsi qu'une réalité
utile et intéressante à saisir dans sa dimension européenne ;
- Et c'est une chance, pour les Européens, de mieux définir et concrétiser un
concept correspondant à leur vision de l'économie et des liens entre les
entreprises et la société.
Dans quel cadre ces recherches pourraient-elles être menées ? La recherche sur le
thème de la Corporate Social Responsibility s'inscrit dans la perspective générale
des recherches sur la "gouvernance".
Des initiatives de recherche communes pourraient donc être menées dans la partie
"Citoyens et gouvernance dans l'économie de la connaissance" du Sixième
Programme-Cadre de recherche, notamment par l'intermédiaire des deux nouvelles
formes d'action que sont les réseaux d'excellence et les projets intégrés.
Sur quoi ces recherches devraient-elles porter ? C'est aux Business Schools
européennes et aux entreprises à définir leur agenda de recherche. Quelques
grandes orientations semblent toutefois s'imposer.
Il s'agirait :
- D'abord et avant tout de clarifier le concept et préciser le contenu de la notion de
Corporate Social Responsibilty, et de lui conférer un caractère à la fois rigoureux
et opérationnel ;
- De faire un inventaire critique des activités menées à ce titre, ainsi que des
activités d'enseignement, voire des initiatives de recherche, auquel cette notion
donne lieu ;
- D'étudier sur une série de thèmes et de problèmes particuliers la manière dont le
concept de Corporate Social Responsibility peut effectivement s'appliquer.
En guise de conclusion à cette deuxième partie, je voudrais faire une remarque
d'un caractère plus général.

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Dans sa Communication sur la Corporate Social Responsibility, la Commission
affirme que celle-ci peu aider l'Union à atteindre son objectif de devenir d'ici 2010
"l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde,
capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration
quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale".
Dans l'économie et la société de la connaissance, la connaissance joue par
définition un rôle central.
Le terme de "connaissance" recouvre toutefois bien des réalités différentes, que
l'on tend souvent à confondre, notamment dans l'enseignement des Business
Schools :
- Le savoir individuel et intuitif, informel ou peu formalisé, largement constitué,
chez chacun, par l'expérience ;
- Le savoir pratique organisé, transmissible, qu'on peut enseigner, largement
construit par l'observation empirique et par essais et erreurs ;
- La connaissance scientifique, capitalisable, fondée sur l'observation méthodique,
la théorie rigoureuse et l'expérimentation.
Du fait du développement des technologies de l'information et de la communication,
ces trois formes de connaissance sont présentes dans le fonctionnement de
l'économie et de la société de la connaissance.
La troisième forme (la connaissance scientifique) joue toutefois un rôle particulier :
- Du fait de sa traduction dans la technologie ;
- En raison de son impact particulier, lié à ses caractéristiques propres ;
- Parce que c'est elle qui permet de saisir le rôle joué par les deux autres, comme
d'ailleurs celui qu'elle joue elle-même.
Un effort de recherche commun sur le thème de la Corporate Social Responsibility
peut aider à mettre davantage encore la connaissance scientifique au cœur de
l'économie et de la société de la connaissance en Europe.
Conclusion
Monsieur le Doyen, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,
La création de l'European Academy of Corporate Social Responsibility est une
initiative de grand intérêt.
Au minimum, elle peut aider à faire en sorte que ce concept soit développé, et que
les approches auxquelles il donne lieu soient mises en œuvre, dans un cadre
d'ensemble et de manière cohérente.
Mais elle peut aussi contribuer à enrichir ce concept, à lui conférer une rigueur qu'il
n'a pas encore aujourd'hui, et à en faire un instrument efficace de progrès
économique et social.
Ceci suppose à la fois de considérer toute cette problématique dans une
perspective politique, et de faire l'effort de conduire sur ce thème une recherche
rigoureuse.
Je suis sûr que l'European Academy of Corporate Social Responsibility s'avérera
très utile sur ces deux plans.
Je formule tous mes vœux pour son avenir, et je lui souhaite le plus grand succès.