5
Dans son autobiographie intitulée « Les Mots » et publiée en 1963, Sartre met en scène un épisode de son enfance, alors qu’il
devait avoir entre cinq et dix ans. Dans cet épisode, décrit dans « Le Fantôme de la Liberté » page 19 et suivantes, le jeune
Sartre rêve d’un jour pouvoir avoir de l’importance aux yeux de la collectivité, devenir un super Simonnot. Ici une question se
pose, est-ce que la collectivité est importante ?
Pour argumenter au cours, Haarscher fait référence à :
- Une formule de Groucho Marx reprise plus tard par Woody Allen : « Cela ne m’intéresse pas d’être accepté dans un
club qui admettrait… des types comme moi » (FL page 23). Autrement dit, c’est lorsqu qu’on est nié par des gens
qu’on leur accorde de l’importance (Sartre et les amis de son grand-père).
- L’ « effet vitrine » (FL page 24) et l’amour de Swann (Proust) pour Odette de Crécy (FL page 25) à laquelle il avait
associé une peinture de Botticelli et une musique de Vinteuil. Autrement dit, parfois c’est l’interdit qui crée le désir
(plus que l’objet lui-même).
En réalité, on a jamais une importance collective. C’est une illusion, c’est éphémère. Sartre écrivait dans « La Nausée » : « Je
suis de trop dans l’éternité ».
L’enfant va chercher à satisfaire son besoin de sécurité mentale (≠ sécurité matérielle) en se construisant une place dans le
monde. C’est un désir profondément religieux : marcher dans le droit chemin pour atteindre la paix éternelle. La Nausée, c’est
l’histoire du désenchantement des désirs de l’enfant. L’enfant, devenu adulte, se demande pourquoi, il a fait tout ce qu’il a fait.
Chapitre : Figures de l’ambiguïté et de la fuite (Page 29 ; FL)
Première étape
Antoine Roquentin – Sartre, vingt ans plus tard va connaître des conflits internes alors qu’il est devenu, à son insu, une
espèce de super Simonnot auquel on demande d’effectuer des recherches sur le marquis de Rolbon.
Au contraire de l’autodidacte de la « bibliothèque » qui élimine les angoisses de sa vie en adoptant un comportement quasi
mécanique (étude des ouvrages par ordre alphabétique), Roquentin va naviguer à la limite de la révolte et de l’acceptation de
sa vie. Ses mini révoltes vont se traduire par des comportements « bizarre », comme l’agressivité qu’il manifeste envers le
galet ramassé, sa fuite du parc peuplé de gens étranges, les bretelles non assorties de l’homme du bistro ou, justement, sa
répulsion pour les mains moites de l’autodidacte.
Freud aurait considéré que tous ces comportements bizarres proviennent de mécanismes de défense, d’un compromis.
Roquentin opère une sorte de révolte contenue, il est à la limite de son monde. Il y a une censure individuelle ou auto censure
(refoulement), semblable à la censure politique (presse, prisons,…)
Que ce serait-il passé si Roquentin avait été voir un psychanalyste à ce moment-là ?
Par la libre association (= discours libre qui diminue l’effet de la censure et qui semble aller dans tous les sens, mais qui
tourne autour du nœud du problème), le psychanalyste aurait découvert l’importance de Simonnot dans l’état de Roquentin.
Bien sûr, Roquentin aurait nié cette importance, tout comme le président Schreiber en plein délire à Vienne se serait offusqué si
Freud lui avait révélé son homosexualité.
Soulignons ici les deux déviations possibles de la psychanalyse :
- L’implication moralisatrice du directeur de conscience (le rôle du petit autre, de l’ami). Le psychanalyste doit rester
silencieux, il doit être le grand autre. Hors de vue de l’analysant, son discours reste en apesanteur, il ne peut pas
s’appuyer sur un interlocuteur. C’est la déviation la plus fréquente.
- L’encouragement au laissé aller, à la libération totale. C’et la société qui est malade.
La psychanalyse doit se borner à aider à la « Connaissance de Soi », à aider à la prise de décision en connaissance de
cause, mais elle doit rester neutre (ce qui suppose que le psychanalyste a déjà réglé ses propres problèmes et qu’il est disposé
à subir un transfert). Le psychanalyste est un médiateur entre soi et soi.
Deuxième étape
Son ancienne maîtresse Anny (FL p.32-33), va opposer à sa nostalgie des « moments parfaits » (moments passivement
attendus), les « moments privilégiés » (moments où de nouvelles ouvertures se présentent et qui engagent à une action). La
force d’un homme, c’est d’oser agir, de prendre des risques. L’idée des moments privilégiés reflète l’idée philosophique de la
recherche de la liberté. Anny est existentialiste.
Troisième étape
Roquentin va entendre un vieux disque de Jazz rayé intitulé « Some of these days, you’ll miss me honey » (analogie avec
son besoin de se mettre en évidence aux yeux de ses parents).
Il y a donc deux dimensions à la philosophie morale :
1) Individuelle. L’inconscient nous empêche de savoir ce que l’on veut véritablement.
En fait, il y a problème d’opacité (voir chapitre : Discours sur le peu de réalité Page 11 ; FL) :
o On est, comme Roquentin, opaque à soi-même. C’est le « Connais-toi toi-même » que l’on peut
considérer comme le but de la philosophie individuelle. Dans les pays libres, la quantité de choix possible
est telle, que les orientations de vie se font la plupart du temps au petit bonheur la chance. C’est sur des
petits détails (l’existence d’un Simonnot), que se choisissent les orientations de nos vies. Les choix se
font généralement dans l’émotion.
o Les autres nous sont opaques (comme le sont les intentions des deux noires, sur la bretelle d’autoroute,
dans « Le Bûcher des Vanités » de Tom Wolfe : voir page 16 ; FL), ils ne nous envoient que des signes
partiels et partiaux (souvent contradictoires comme dans le cas de Dreyfus qui transpire lors de son
exercice d’écriture). Or les relations avec autrui sont centrales. Il ne faut pas se fier aux apparences.
o Le passé nous est opaque. Il ne reste que des traces. Il est révolu et ne reviendra pas. C’est pourquoi, en
démocratie, le doute profite aux accusés. Notre monde est pour nous quasi invisible et, tenter de rendre
l’invisible visible, c’est, dans le langage du philosophe, interpréter. Interpréter, c’est aller au-delà des
signes. Comme l’illustre bien l’affaire Mc Coy, la vérité ne correspond pas toujours à l’explication la plus