septembre 2001
Anesthésie et maladies neurologiques ( Partie 1)
Conférences d’actualisation 2001, p. 245-276.
© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS, et Sfar. Tous droits réservés.
Anesthésie et maladies neurologiques
N. Bourdaud, J.M. Devys, B. Plaud
Département d’anesthésiologie-réanimation-urgences, Fondation Adolphe de Rothschild,
25-29, rue Manin, 75940 Paris cedex 19, France
POINTS ESSENTIELS
· La chirurgie proposée aux patients atteints d’une affection neurologique peut faire partie du
traitement de la maladie, traite les complications de la maladie ou bien vise à l’amélioration de la
qualité de vie.
· L’évaluation préanesthésique doit toujours noter l’état neurologique préopératoire, notamment en
cas d’indication d’une anesthésie locorégionale. Elle doit également rechercher les comorbidités
associées car certaines maladies touchent plus souvent la personne âgée.
· Les antiépileptiques sont tous, à des degrés divers, des inhibiteurs ou des inducteurs
enzymatiques. La pharmacologie des médicaments d’anesthésie (morphiniques et curares en
particulier) est donc modifiée dans ce contexte.
· Une activité proconvulsivante a été mise en évidence avec le sévoflurane. Les avantages de
l’induction inhalatoire (notamment chez l’enfant) doivent être mis en balance avec cet effet propre
lors de la prise en charge d’un patient épileptique.
ÉPILEPSIE
Du fait de leur fréquence élevée (0,5 à 2 % de la population), les épilepsies sont des pathologies auxquelles
les médecins anesthésistes sont souvent confrontés, aussi bien dans leur pratique pédiatrique que chez
l’adulte.
L’épilepsie a un profond retentissement chez les sujets atteints, tant sur le plan psychique que sur le mode
de vie, et chez les enfants présentant une épilepsie rebelle aux traitements médicamenteux, un retard
psychomoteur plus ou moins important est à mettre en relation avec la maladie [14] [15].
Deux circonstances peuvent être rencontrées pour la prise en charge anesthésique : l’anesthésie d’un
patient en vue d’une chirurgie spécifique de l’épilepsie (poses d’électrodes intracérébrales, résection
temporale interne, callosotomie, hémisphérotomie) ou bien l’anesthésie d’un patient épileptique pour une
chirurgie sans rapport avec sa pathologie neurologique. Dans le premier cas, il est important de pratiquer
une anesthésie qui aura le moins de retentissement sur la symptomatologie, surtout lors de l’acte chirurgical,
dans le second cas les interactions possibles entre le traitement de fond et la conduite de l’anesthésie seront
recherchées.
Notions physiopathologiques et cliniques
Une crise d’épilepsie se caractérise par une décharge hypersynchrone rythmée et répétée d’un certain
nombre de neurones situés dans une zone localisée du cerveau, qui peut secondairement se généraliser à
l’ensemble du cortex. Pendant la crise, le tracé électroencéphalographique (EEG) peut montrer une activité
rapide de petite amplitude ou des décharges de pointes ou de pointes-ondes amples sur les deux
hémisphères [16]. Les crises sont dites convulsives lorsqu’elles s’expriment par des signes moteurs (crises
tonico-cloniques, myoclonies ou spasme de l’enfant), mais peuvent aussi se traduire par des troubles
sensoriels, cognitifs ou affectifs. Ces crises sont par définition récurrentes, mais il peut survenir des crises
convulsives isolées non récurrentes chez des sujets sains, et dans ce cas, il ne s’agit pas d’une
épilepsie [16]. La classification internationale basée principalement sur la présentation clinique des crises et
le tracé EEG percritique a pour but, essentiellement, de distinguer les crises partielles ou focales (débutant
dans une seule zone du cortex, et se généralisant secondairement ou non) des crises généralisées
d’emblée (tableau I) [17].
Principaux éléments du traitement et de la prise en charge
Le traitement des épileptiques peut se diviser en deux catégories : traitement visant à faire céder la crise et
traitement de fond, dont le but est de prévenir la survenue des crises sans entraîner de répercussions sur
les fonctions cognitives et sans effet indésirable notable. Seules sont envisagées les thérapeutiques de
l’épilepsie qui peuvent avoir un retentissement sur la conduite de l’anesthésie. Une grande variété de
substances est aujourd’hui disponible pour traiter l’épilepsie. Leurs indications sont plus ou moins
spécifiques à certains types d’épilepsie (tableau II) [18].
Tableau I. Classification internationale des épilepsies et des syndromes épileptiques,
d’après [17].
Crises généralisées
Tonique, clonique, tonico-clonique (Grand mal)
Absences (Petit mal)
· simples (uniquement perte de conscience)
· complexes (avec de brefs mouvements automatiques, toniques ou
cloniques)
Syndrome de Gastaut-Lennox
Épilepsie myoclonique juvénile
Spasmes de l’enfant (syndrome de West)
Crises atoniques (astasie, akinésie, parfois avec des myoclonies)
Crises partielles ou focales
Simples (sans perte de conscience)
· motrices (tonique, clonique, tonico-clonique, Bravais-Jackson, épilepsie
bénigne de l’enfance,
épilepsie partielle continue)
· somatosensorielles (visuelle, auditive, olfactive, gustative, vertiges)
· autonomiques
· psychiques
Complexes (avec troubles de la conscience)
· débutant comme une crise partielle et progressant avec troubles de la
conscience
· avec troubles de la conscience dès le début de la crise
Syndromes épileptiques particuliers
Myoclonies et crises myocloniques
Épilepsie réflexe
Aphasie acquise avec troubles convulsifs (syndrome de Landau-Kleffner)
Convulsions fébriles et autres crises de l’enfance
Crises hystériques
Tableau II. Indications des antiépileptiques en fonction de l’étiologie, d’après [18].
Syndrome épileptique
Thérapeutiques
Crises partielles simples
et complexes,
crises généralisées
Phénytoïne, carbamazépine, primidone, phénobarbital, acide valproïque,
chlorazépate, gabapentine, lamotrigine, methsuximide, mésantoïne
Absences
Ethosuximide, acide valproïque, clonazépam, methsuximide, primidone
Crises myocloniques
Acide valproïque, phénobarbital, clonazépam, primidone
Spasmes de l’enfant
ACTH, corticostéroïdes, acide valproïque, clonazépam
Épilepsie myoclonique
juvénile
Acide valproïque, éthosuxamide, methsuximide, clonazépam,
phénobarbital
Crises atoniques
ACTH, corticostéroïdes, acide valproïque, clonazépam, acétazolamide,
éthosuxamide, régime cétogène
Certaines formes d’épilepsie sont résistantes à une monothérapie et nécessitent une bi- voire une trithérapie
pour être contrôlées, c’est-à-dire pour diminuer de façon significative la fréquence des crises. Du fait de
cette polymédication et surtout de sa chronicité, il est important de connaître les particularités
pharmacologiques, les effets secondaires des thérapeutiques et leurs éventuelles interactions avec les
différents anesthésiques. Les effets indésirables les plus fréquents sont une sédation, un retentissement sur
les fonctions cognitives, des réactions idiosyncrasiques et des modifications pharmacocinétiques du fait
d’une induction ou d’une inhibition enzymatique. Les principaux traitements antiépileptiques et leurs
interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques sont rappelés dans le tableau III [18].
Outre le traitement médicamenteux qui est le traitement de base de l’épilepsie, il existe un recours
chirurgical pour les patients avec une épilepsie non contrôlée par les thérapeutiques habituelles (épilepsie
dite pharmaco-résistante). Il s’agit souvent de crises partielles complexes avec des anomalies EEG venant
du lobe temporal (voire des deux). Après la localisation précise d’une lésion épileptogène, grâce à l’IRM à
haute résolution et l’EEG fonctionnel (enregistrement continu intracrânien), une exérèse du lobe temporal
permet la disparition totale des crises ou la diminution nette de leur fréquence dans 60 à 95 % des cas [16].
Chez certains enfants, d’autres anomalies neurologiques plus graves peuvent exister telles qu’une
hémimégalencéphalie et nécessiter des traitements chirurgicaux plus complexes comme une callosotomie
(déconnexion du corps calleux) voire une hémisphérotomie (déconnexion complète d’un hémisphère) pour
éviter la propagation des décharges épileptiques à l’hémisphère sain et ainsi améliorer le développement
psychomoteur de l’enfant.
La prise en charge anesthésique des patients pour une chirurgie de l’épilepsie est spécifique et les divers
problèmes posés seront envisagés plus loin.
Tableau III. Caractéristiques pharmacologiques des principaux antiépileptiques, d’après [28].
Composé DCI
(nom
commercial)
Mécanisme d’action
Interactions
pharmacocinétiques
Effets secondaires
Carbamazépine
(Tégrétol®)
Bloque des canaux
sodiques, bloque
les décharges
neuronales répétées
Induction enzymatique ;
métabolite actif
Rash cutané, diplopie,
perturbations
hormonales
Ethosuxamide
(Zarontin®)
Ralentit le blocage
des canaux calciques
Pas d’induction
enzymatique
ni d’inhibition
Troubles
gastro-intestinaux
Phénobarbital
(Gardénal®)
Prolonge l’ouverture
des canaux Cl-
Induction enzymatique
Sédation, trouble du
comportement,
perturbations
hormonales
Phénytoïne
(Dihydan®)
(Dilantin®)
Bloque des canaux
sodiques, bloque les
décharges neuronales
répétées
Induction enzymatique
Hyperplasie gingivale,
hirsutisme,
perturbations
hormonales
Acide
valproïque
(Dépakine®)
Ralentit le blocage
des canaux calciques,
atteinte des canaux Na+
dépendants
Induction enzymatique ;
métabolites actifs ;
bloque le métabolisme
de lamotrigine
Prise de poids,
alopécie, tremblements,
thrombocytopénie,
coagulopathie
Clonazépam
(Rivotril®)
Stimule des récepteurs
aux benzodiazépines,
augmente la conductance
des canaux Cl-
sédation
Gabapentine
(Neurontin®)
Inconnu
Pas d’interaction
connue ; élimination
rénale non métabolisé
Somnolence,
encéphalopathie
Lamotrigine
(Lamictal®)
Inhibe la libération de
glutamate et d’aspartate,
bloque les canaux
sodiques, prévient les
décharges neuronales
Métabolisme inhibé
par l’acide valproïque
et induit par la phénytoïne,
carbamazépine et primidone ;
Rash (10 %), fièvre,
aplasie (lignée des GR)
répétées
liaison protéique faible
Vigabatrine
(Sabril®)
Augmente
la concentration
cérébrale de GABA
Diminue
la concentration
de phénytoïne
Somnolence, ataxie,
prise de poids
Un autre aspect du traitement de l’épilepsie, un peu plus anecdotique, est la mise en route d’un régime
cétogène. Ce régime, qui a prouvé son efficacité chez l’enfant, est à base d’apports lipidiques importants et
de faibles apports glucidiques dans le but de produire des corps cétoniques, qui auraient un effet sur les
concentrations ioniques transmembranaires et altéreraient l’excitabilité membranaire. Lors de la prise en
charge anesthésique de ces enfants, un bilan biologique préopératoire, une surveillance périopératoire
attentive de la glycémie et la recherche de signes d’acidose métabolique (oligurie, nausées, tachypnée,
léthargie, corps cétoniques dans les urines) doivent être réalisés [19].
Prise en charge périopératoire
Interaction du traitement antiépileptique
Bien qu’il n’existe que peu d’études sur le sujet, il semble que les patients épileptiques traités au long cours,
surtout avec des médicaments inducteurs enzymatiques, présentent une résistance à l’action des
curares [18] [20] [21]. Cette résistance se caractérise par une augmentation des doses de curare
nécessaires pour obtenir un même relâchement musculaire que chez le sujet sain et par une diminution de
leur durée d’action. Elle pourrait s’expliquer à la fois par une induction enzymatique et par des modifications
pharmacocinétiques dues aux antiépileptiques au long cours, mais aussi par une augmentation de l’activité
anticholinestérasique, une altération de l’affinité du récepteur pour l’acétylcholine ou une augmentation du
nombre de ces récepteurs [20].
De même, ces patients nécessitent des doses plus élevées de fentanyl pour obtenir le même effet que chez
des patients non épileptiques lors d’une anesthésie balancée. Une étude semble même montrer qu’il existe
une relation entre le nombre de thérapeutiques antiépileptiques et la résistance au fentanyl [22]. Bien que la
physiopathologie de cette résistance aux opiacés ne soit pas clairement établie, on peut avancer l’idée que
les modifications pharmacocinétiques induites par les antiépileptiques au long cours (induction enzymatique)
puissent jouer un rôle en accélérant la biotransformation du fentanyl au niveau hépatique [18].
La plupart des antiépileptiques administrés au long cours ont un retentissement sur la fonction hépatique :
outre leur effet inducteur ou inhibiteur enzymatique (tableau III), il existe souvent une perturbation du bilan
biologique hépatique (élévation des GT, des phosphatases alcalines et/ou des transaminases) sans qu’il
existe de retentissement clinique [23]. C’est pourquoi un bilan hépatique préopératoire systématique n’est
pas nécessaire sauf si l’examen clinique ou l’interrogatoire révèle des signes de dysfonction hépatique [18].
Il faudra rechercher les différents effets secondaires de chaque antiépileptique (tableau III), mais une
attention particulière doit être portée lors de l’utilisation de l’acide valproïque qui peut entraîner des troubles
de la coagulation par diminution des facteurs intrinsèques, alors même que le taux de plaquettes et le taux
de prothrombine sont normaux. Certains auteurs recommandent de réaliser un temps de saignement à tout
patient traité par acide valproïque au long cours avant une craniotomie ou la mise en place d’électrodes
intracrâniennes [18].
Propriétés pro- et anticonvulsivantes des médicaments d’anesthésie
Il est important lors de la conduite d’une anesthésie de s’assurer que les substances administrées n’ont pas
d’action délétère sur la pathologie sous-jacente. C’est pourquoi, il est nécessaire d’apprécier les effets pro-
ou anticonvulsivants des différents anesthésiques. Paradoxalement, la plupart des produits de l’anesthésie
ont une action à la fois pro- et anticonvulsivante et ce, suivant les doses administrées ou les conditions
physiologiques. De plus, ces effets sont à distinguer suivant qu’il s’agit d’un patient épileptique connu ou
non.
Parmi les agents halogénés, qui ont pour la plupart une activité anticonvulsivante, le sévoflurane pose un
problème spécifique. En effet, des études ont montré une activité proconvulsivante principalement électrique
chez des patients épileptiques, mais aussi chez des sujets sains [24] [25]. Toutefois, aucune des
observations cliniques (mouvements convulsifs) n’a pu être mise en relation avec une activité EEG comitiale
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